dimanche 26 mars 2023

Le couronnement de Poppée à l'Opéra National du Rhin: Ascension vers l'Enfer de l'Amour

 Un énorme cylindre bleuté occupe le centre de la scène de l'Opéra National du Rhin. Grande cuve industrielle qui va changer au gré des éclairages précis de Sebastian Alphons, d'un bleuté céleste quand il s'agit de faire descendre, par un escalier longeant ses parois, les Divinités sur terre, ou couleur rouille quand on passe de l'arrière à l'avant du décor, ou carrément sombre et noir quand il s'agit du repaire de presque clochard du philosophe Sénèque qui se niche à l'abri des marches. 


Le Couronnement de Poppée - Monteverdi - Opéra national du Rin - Photo: Clara Beck


Pendant le prologue, où l'on entend toute la richesse orchestrale du petit ensemble Pygmalion, seize musiciens sur instruments anciens, dont les trilles et variations du cornet à bouquin - l'ensemble est superbement dirigé par Raphaël Pichon - trois Déesses descendent ces escaliers, les deux premières dans des costumes argentés, la Vertu en veste et pantalon sobre, la Fortune dans une robe généreuse et ouverte et l'Amour dans un grand et rond tutu rose lui donnant des airs de barpapapa. Chacune vante son pouvoir, sachant que ce sera toujours l'Amour qui triomphe. Pour Le Couronnement de Poppée, c'est effectivement l'Amour qui mène le monde, même si le monde va à sa perte et les humain, à la mort: "Il n'est coeur humain ni coeur céleste qui ne puisse oser rivaliser avec l'Amour". 


Le Couronnement de Poppée - Monteverdi - Opéra national du Rin - Photo: Clara Beck


Ainsi nous assistons pendant presque trois heures aux incertitudes du coeur et aux errements qui vont faire de Poppée, l'ancienne amante d'Othon la favorite de Néron, qui lui va répudier son épouse Octavie. Octavie, qui, voulant se venger, cherchera à faire assassiner Poppée par son ancien amant. Et Poppée, voulant se frayer une voie libre vers le pouvoir n'hésitera pas à faire bannir l'ancienne épouse et condamner Sénèque, qui fut précepteur de Néron. Les personnages sont hauts en couleur et pour ce qui est un des premiers opéras, sont caractérisé par une compexité de sentiments qui surprend. La mise en scène d'Evgeni Titov est sobre, sans fioritures. Elle ne manque cependant pas d'humour  et de surprises et de rebondissements. Transposée dans un univers contemporain, et tout comme les superbes costumes créés par Emma Ryott, elle nous parle d'aujourd'hui dans cette histoire qui pourrait être intemporelle ne seraient-ce les multiples morts qui parsèment la pièce. 


Le Couronnement de Poppée - Monteverdi - Opéra national du Rin - Photo: Clara Beck


La distribution est impeccable et l'ensemble des interprètes sont de haute tenue vocale mais aussi en terme de jeu. Que ce soient les rôles de sbires, des divinités, du Valet (pittoresque Kacper Szelazek), de Drusilla, attirante à souhait (Lauranne Oliva), de la nourrice (Emiliano Gonzalez Toro, impeccable dans ce rôle fénimin avec une tessiture très large et qui campe admirablement cette "roturière"), la belle et puissante voix de basse de Nahuel Di Pierro, le contre-ténor convaincant Othon (Carlo Vistoli) et la superbe mezzo-soprano Katarina Bradic. Et surtout la soprano Giulia Semenzato, éblouissante et belle Poppée, et son alter-ego, le contre-ténor Kangmin Justin Kim qui joue de sa voix douce et aiguë et qui donne aussi de son corps. Car, la mise en scène, jouant bien sûr la passion et de l'humour, ne craint pas de montrer toute la tension érotique que recèle le livret de Giovanni Francesco Busenello mis en musique par Claudio Monteverdi. 


Le Couronnement de Poppée - Monteverdi - Opéra national du Rin - Photo: Clara Beck


Le décor de Gideon Davey, en plus de ce mur arrondi, contient de belles inventions avec, entre autre la "cage aux fauves du sexe", ou les intérieurs, tantôt devinés, tantôt mis en scène, comme ce "théâtre des dieux" où les Divinités assistent à la vie des humains du balcon, ou celle où les "voyeurs" entrent dans le "théâtre de l'amour" et y participent en partie. La mise en espace de la dernière scène est aussi annonciateur de la suite avec cette lente montée de l'escalier par Poppée vers son couronnement, dans une robe éclaboussée de sang qui, tout en chantant en duo avec Néron "je t'étreins, je t'enlace..." s'éloigne de lui pour se retrouver seule au balcon alors que Néron se tient en bas, dans un théâtre dévasté. Une autre belle idée de mise en scène est la symétrie entre Poppée et Octavie quand cette dernière, bannie par Néron se retrouve allongée par terre à gémir de douleur tandis que Popée le fait du plaisir que lui donne Néron. 


Le Couronnement de Poppée - Monteverdi - Opéra national du Rin - Photo: Clara Beck


Et au niveau dramatique et musical, notez les deux moments de tension dramatique qu'apportent les silences des chanteurs, et de la musique, à des moments-clés du déroulement de l'histoire. On sent pour cette mise en scène du Couronnement de Poppée un vrai travail d'équipe et le résultat est superbe, autant pour l'interprétation musicale ou vocale, dans les solos ou quelques magnifiques duos,  que dans le jeu des interprètes dans ce magnifique écrin. Une très belle réussite.


La Fleur du Dimanche  


Le Couronnement de Poppée


Strasbourg - Opéra National du Rhin - 24, 26, 28 et 30 mars 2023

Mulhouse - Théâtre de la Sinne - 16 et 18 avril 2023

Colmar - Théâtre Municipal - 30 avril 2023  


Distribution

Direction musicale: Raphaël Pichon
Mise en scène: Evgeny Titov
Décors: Gideon Davey
Costumes: Emma Ryott
Lumières: Sebastian Alphons
Dramaturgie: Ulrich Lenz

Ensemble Pygmalion

Les Artistes
Poppée: Giulia Semenzato
Néron: Kangmin Justin Kim
Octavie: Katarina Bradić
Othon: Carlo Vistoli
Sénèque: Nahuel Di Pierro
Arnalta: Emiliano Gonzalez Toro
Drusilla: Lauranne Oliva
Fortune: Rachel Redmond
Amour: Julie Roset
Vertu: Marielou Jacquard
Lucain: Rupert Charlesworth
Le Valet: Kacper Szelążek
Premier Sbire: Patrick Kilbride
Deuxième Sbire: Antonin Rondepierre
Troisième Sbire: Renaud Brès

jeudi 23 mars 2023

Horizons Nouveaux à l'OPS: Le violon en bonne compagnie

 Le concert Horizons Nouveaux de l'Orchestre Philharmonique de Strasbourg est dédié au violon, avec deux oeuvres de Mozart et le triple concerto de Beethoven et, à tout seigneur, tout honneur, Renaud Capuçon est à la fois violoniste et chef d'orchestre. 

Pour débuter la soirée, avec le Rondo en Do majeur pour violon et orchestre K.373 (1781) de Mozart, il va être dans ses deux rôles, dirigeant la formation réduite aux cordes à laquelle se rajoutent deux hautbois et deux cors et il endosse les parties solos sur son violon historique Guarneri qui avait appartenu à Issac Stern. Le mouvement, court, Allegro grazioso est alerte et divertissant. La touche du maître est fine et précise, les hautbois amènent une certaine fraîcheur et le dialogue entre les cordes et le violon sont dynamiques.

Suit une oeuvre plus ancienne de Mozart, de 1779, la Symphonie concertante pour violon et alto K. 364/320d, qui va voir se répondre les deux solistes, Renaud Capuçon et Paul Zientara, jeune Révélation Classique de l'Adami en 2021 (il n'a que 23 ans) dans cette même formation avec cordes. Les cordes introduisent l'Adagio un peu magistralement, en tout cas sérieusement, les hautbois et puis les cors arrivent et ce n'est qu'au bout de cette longue exposition qu'e vient le violon mélancolique, rejoint par l'alto qui vont se répondre allègrement, soutenus par l'orchestre. Pour le deuxième mouvement, Andante, la mélodie se fait presque tragique, en tout cas mélancolique et les deux solistes jouent tout en délicatesse et en suspension, reprenant l'un et l'autre une mélodie chantante dans un très beau dialogue. L'orchestre les soutenant également tout en douceur pour finir dans un souffle. Le troisème mouvement, Finale, beaucoup plus nerveux voit les hautbois saisir un air et les cors le souligner pendant que les cordes partent dans une belle fraîcheur, fraîcheur qui est reprise par les solistes avec des gestes vifs et nerveux sur une mélodie joyeuses et sautillante.


Après l'entracte, changement de décor, la formation s'étoffe et flûte, clarinettes, trompettes et timbales se rajoutent à l'orchestre tandis qu'un piano et un violoncelle rejoignent le violon solo pour le Triple concerto en do Majeur (1803-1804) de Beethoven. Renaud Capuçon passe du violon à la direction seule et invite trois jeunes interprètes: Raphaëlle Moreau au violon, Stéphanie Huang au violoncelle et Nathalia Milstein au piano pour cette superbe oeuvre qui date du début de la célébrité du Maître Ludwig. L'Allegro commence par une longue exposition sur un ton assez grave et laisse les trois solistes prendre possession du thème, d'abord le violoncelle, dont Stéphanie Huang tire de belles sonorités. C'est d'ailleurs souvent le violoncelle qui va introduire les mélodies, reprises ensuite par le violon, avec Raphaëlle Moreau, qui, quelquefois se tend comme un arc, puis Nathalia Milstein dont les doigts courent sur les piano avec une formidable dextérité. La musique coulant de l'une à l'autre dans une très belle harmonie. Pour le deuxième mouvement, le Largo, c'est encore le violoncelle qui entame une chanson nostalgique sur ce mouvement plus lent où le rejoint le violon,.

Et pour finir, dans le Rondo à la Polacca, les deux solistes entament une danse endiablée reprise par le piano puis, puissamment par l'orchestre dans une variation dansante qui passe entre les trois solistes puis l'orchestre dans un tournoiement virtuose et entraînant. Un dernier instant de répit pour repartir de plus belle pour une dernière montée en apothéose et les coups finaux.

Une soirée magifique que le public ravi a copieusement applaudi et l'orchestre avec son chef, bissé. 

Horizons Nouveaux - OPS - Renaud Capuçon - Photo: lfdd

Horizons Nouveaux - OPS - Renaud Capuçon - Photo: lfdd


La Fleur du Dimanche

mercredi 22 mars 2023

The Passion of Andrea 2 - Simone Mousset à Pôle Sud: Le plaisir du jeu est contagieux.

 Quand nous entrons dans la salle de spectacle de Pôle Sud et que nous apercevons sur le plateau des gros sacs multicolores, genre punching balls, accrochés en l'air ou posés sur le plateau, avec les trois interprètes qui tournent autour dans une démarche entravée, empêchée voire handicapée, nous nous attendons à une pièce sur l'obstacle, la perte de repères, l'incertitude. Mais la surprise sera de nous mener ailleurs tout en cultivant cette idée de non fini, de recommencement et de variation perpétuelle, d'amélioration, de progrès. Et cela dans une démarche totalement inclusive où le spectateur, devenant acteur, protagoniste et décideur (à priori, même si c'est illusoire) de la suite, sera partie prenante du spectacle et donc forcément satisfait de ce qu'il voit.


The Passion of Andrea 2 - Simone Mousset - Photo: Lydia Sonderreger


Mais tout d'abord nous suivons ces trois énergumènes titubant et tremblant, vêtus de shorts, coiffés d'une tignasse hirsute, et affublés d'une moustache, faisant des mimiques expressives et forcées mais efficcaces, explorer cet univers et se découvrant également les uns les autres. Un grondement soutenu de drone dans les basses occupe l'espace sonore et les trois danseurs psalmodient de temps en temps en choeur.

Vient le temps des présentations les uns aux autres, et auprès du public - ils s'appellent tous Andrea -  présentation réitérée en de multiples variations qui en deviennent comiques. Puis l'annonce de la re-présentation - ou recréation mise au goût du jour d'une pièce chorégraphique qui se nomme The Passion of Andrea - donc la version 1 puisque nous assistons à la version 2.


The Passion of Andrea 2 - Simone Mousset - Photo: Sven Becker


Non sans avoir au préalable informé - et impliqué le public pour une mission de protection de ces trois Andréa en scindant le public en trois groupes. Le troisième groupe ne consistant, de manière totalement illogique qu'en deux spectateur(trices)s. Ces groupes sont chargés de protéger leurs "André" d'une mort potentielle en les criant leur nom. Chaque danseur voit croître en lui une envie de meurtre au fur et à mesure de l'avancée de la pièce. Tout cela nous donne droit à de magnifiques mouvements dansés, qui se terminent par des trios flamboyants. Et, comme tout ne se passe pas comme prévu, nous avont donc droit et de multiples variations plus ou moins complètes de cette chorégraphie. Et également de magnifiques chutes toutes en virevoltes et en rebondissements lors de la mise à mort de chaque Andréa, surtout A de la Fe qui non seulement tombe magnifiquement mais qui y prend un goût certain. 


The Passion of Andrea 2 - Simone Mousset - Photo: Sven Becker


Le public est ravi et participe pleinement à faire monter l'ambiance et l'empathie. Ce jeu d'apprentis assassins se transforme en jeu de petites tapes où la distance avec l'autre est brouillée - celui qui frappe souffre lui-même du choc - et où des discussions surréalistes, déclinaisons de scènes de clowns de cirque se déroulent en boucle sans fin. En parallèle, et intercalée, les psalmodies du début se font de plus en plus présentes, deviennent de vrais tours de chant, des airs baroques à trois voix - des voix magnifiques que l'on n'attendait pas de la part de ces danseurs. Après un épisode de "sacs tueurs" et d'un inconnu venu d'un autre monde qui tente de remplacer bain mal les Andréa du début, ceux-ci ressucitent et dans un élan final nous gratifient d'un dernier air émouvant. 


La Fleur du Dimanche


The Passion of Andrea 2 


Conception & direction artistique : Simone Mousset
Interprètes : Lewys Holt, A de la Fe, Bryn Thomas, avec Alberto Ruiz Soler
Distribution originale : Luke Divall, Lewys Holt, Mathis Kleinschnittger, avec Alberto Ruiz Soler
Interprètes impliqué·e·s dans la création : Amelia Emma Forrest, Nangaline Gomis, Raisa Kröger, Michele Meloni, Andrea Rama, Raoul Riva, Elisabeth Schilling, Davide Sportelli
Son : Alberto Ruiz Soler
Scénographie & costumes : Lydia Sonderegger
Lumière : Alberto Ruiz Soler, Seth Rook Williams
Dramaturgie : Thomas Schaupp, Nikki Tomlinson
Regards extérieurs : Francesco Mormino (théâtre), Barbara Pierlot (chant)
Régie du plateau : Bryony Byrne
Direction de production : Vasanthi Argouin
Gestion de la compagnie : Cathy Modert
Attachée de presse : Murielle Richard
Communication : Lisa Tsumakova
Développement (France) : Les Indépendances
Remerciements : Koen Augustijnen, Amy Bell, Renelde Pierlot

Production : Simone Mousset Projects
Coproductions : KLAP Maison pour la danse (FR), Les Théâtres de la Ville de Luxembourg (LU), CAPE – Centre des Arts Pluriels Ettelbruck (LU), Escher Theater (pour Avignon – LU)
Avec le soutien de : Partenaires financiers : TROIS C-L – Centre de Création Chorégraphique Luxembourgeois (LU), Choreodrome – The Place (GB), Fondation Indépendance – Banque Internationale (LU), Fondation ETE (LU), Monodrama Festival (LU). Avec le soutien de Kultur | lx – Arts Council Luxembourg (LU)
Résidences à : Maison du Portugal – André de Gouveia (FR), Dance City (GB).
Simone Mousset Projects est conventionnée avec le ministère de la Culture du Grand-Duché de Luxembourg et est artiste associée à The Place et au Escher Theater. Elle est accompagnée par la Fondation Cléo Thiberge Edrom.

vendredi 17 mars 2023

Mineur non accompagné au TNS: le témoignage est dans la salle

 Le "mineur non accompagné" du titre n'est nullement la jeune fille de la pièce Mineur non accompagné, jouée au TNS à Strasbourg jusqu'au 25 mars, qui est venue sans papiers d'un pays d'Afrique avec son oncle en traversant l'Espagne mais qui a été séparée de lui violemment quand, arrivant en France, les "autorités" ont décidé que leurs chemins devaient se séparer pour deux trajectoires bien différentes. Non, ce sont ces jeunes qui, en France sont désignés par un statut défini ainsi au niveau juridique : "Un mineur non accompagné (MNA) ou mineur isolé étranger (MIE) est un enfant de moins de 18 ans, de nationalité étrangère, arrivé sur le territoire français sans être accompagné par l’un ou l’autre des titulaires de l’autorité parentale ou par un représentant légal". Et ce statut leur donne un certain nombre de droits, entre autres un devoir d'accueil de la part de l'Etat Français, mais également de cette protection de toute une série de suspicions, en premier lieu sur leur âge réel (plus ou moins de 18 ans?), et d'un certai nombre d'obstacles et de rejets plus ou moins légaux (tests d'évaluation de l'âge et de contrôles abusifs de leurs papiers d'identité (par exemple de la photo reliée à leur acte de naissance, alors que tout le monde sait - ou devrait savoir que cette demande n'est déjà pas fondée, de plus totalement irréaliste).


Mineur non accompagné - Sonia Chiambretto - Yoann Thommerel - Photo: Alban vanWassenhove


La pièce que nous présentent sur scène le couple Sonia Chiambretto et Yann Thommerel fait suite à une première pièce; Îlots qui s'intéressait plutôt au concept de "ghetto" et dont elle découle. Cette première expérience, qui a eu lieu aux Laboratoires d'Aubervilliers (dans le 9.3, le département "le plus pauvre de France" lors d'une résidence où ces deux autres) où ils ont questionné (et créé le Questionnaire élémentaire) pour interroger nos habitudes de compréhension de notre environnement - de de nos habitudes de pensées. ) les habitants, en direct, par écrit et en vidéo - ce qui a donné ce premier spectacle, dont voici quelques exemples:

1. Combien avez-vous d’amis ?



13. Où avez-vous grandi ?

    Pensez-vous que vous auriez eu plus

  de chance si vous aviez grandi dans

    un autre endroit ? 


23. Seriez-vous prêts à accueillir

    un migrant chez vous ?

    

    Si oui, combien de temps ?


    Où le feriez-vous dormir ?


    Craindriez-vous de trop vous y attacher?


 La présentation de ce premier spectacle leur a ouvert les portes d'un foyer d'accueil pour MNA (mineur non accompagné) du côté de Caen et leur a fait découvrir - et à nous aussi par conséquence, puisque le spectacle est le résultat de cette "investigation-résidence", de ce statut et des institutions, et des lieux de vie - et d'insertion, à priori - qui s'y rattachent.  Nous y apprenons ce qui vient d'être déjà révélé, mais surtout de découvrir tous ces petits éléments de vies minuscules qui font l'existence de tout un chacun, et que les mineurs non accompagnés, tout comme les accompagnateurs, qu'on appelle éducateurs et aussi le directeur de cette structure. Et nous nous rendons que ces vies répondent aux mêmes besoins que la plupart des nôtres, un peu d'humanité, de reconnaissance, de plaisir, de joie, des moments de repos, une nourriture correcte, une chambre ou un coin à soi, de la considérations et un besoin d'intégration. Sauf que, si l'on na parle pas la langue du pays, en l'occurrence le français, et si on n'a pas de famille et de soutien, c'est un peu plus compliqué. C'est compliqué aussi pour l'encadrement et la direction, surtout si les moyens minimums et nécessaires ne sont pas là et que le soutien et l'accompagnement fait aussi gravement défaut. Et donc que, si ce que l'on devrait offrir à ces jeunes pour s'intégrer dans cette société qui est à la fois hostile, qui les rejette, et leur est étrangère, dont il leur faut à la fois comprendre les règles, les us et coutumes, les apprendre et les appliquer alors qu'il n'y sont ni formés ni incités ou invités à  le faire pour s'insérer, si tout cela manque, le chemin est rude.

Mais la pièce, très généreuse et positive de Sonia Chiambretto et Yann Thommerel nous présente une suite de chapitres sur des thématiques: suspicion, laïcité,...,  le lieu: la salle de classe, le bureau (une journée comme une autre), le groupe de paroles, l'arbre,..., ou des focus sur quelques jeunes (Yamoutou, Samba, ...) dans un dialogue constant comme une partie de ping-pong entre les deux auteurs-comédiens. Ils nous présentent quelques aspects de cet univers sous une forme légère et positive, accumulant des constatations décalées et incongrues, des questionnements surréalistes et des échanges acerbes et pessimistes tout autant que des moments de bonheur, des ilots de plaisir, montrant aussi les aspects positifs et heureux que peuvent vivre ces jeunes - et par ricochet les éducateurs. Même si c'est dur de travailler dans ce contexte.


Mineur non accompagné - Sonia Chiambretto - Yoann Thommerel - Photo: Alban vanWassenhove



Sur la scène, représentant symboliquement un terrain de foot, cet espace où ces jeunes sont les maîtres selon les règles du jeu qu'on leur laisse jouer (dans une certaine limite, Malherbe peut aussi être autre chose qu'un écrivain), ils se sentent forts et reconnus et en même temps ils apparaissent (un moment) à l'image (via de grands tirages de photos qu'ils ont faites eux-mêmes). Ils gagnent ainsi une visibilité grand format. Cette visibilité, début d'une insertion qui n'est pas qu'un acronyme anonyme: MNA. Même si les ballons de foot pour l'entraînement ne sont pas de toute jeunesse.  


Mineur non accompagné - Sonia Chiambretto - Yoann Thommerel - Photo: Alban vanWassenhove


Et lors du débat qui suit la représentation et fait presque partie intégrale de ce spectacle dans son idée, en ce soir de première, la conclusion, après quelques éclaircissements complémentaires qui ont été demandés par le public, la conclusion heureuse nous vient d'un jeune, lui-même ancien "MNA" venant d'un pays d'Afrique qui s'en est sorti, ayant d'une part réussi à intégrer un parcours diplômant dans le domaine commercial (il est actuellement en deuxième année de BTS Commerce) et, ce n'est presque pas une surprise, il a également pu participer au programme 1er Acte initié par Stanislas Nordey au TNS en 2014 et qui promeut plus de diversité sur les plateaux de théâtre et permet à des jeunes issus de milieux éloignés de la culture de profiter d'une formation professionnelle dans différentes structures partenaires.

La preuve par l'exemple!

 

La Fleur du Dimanche


Mineur non accompagné


Au TNS jusqu'au 25 mars 2023


Texte, conception et mise en scène Sonia Chiambretto, Yoann Thommerel
Avec
Sonia Chiambretto et Yoann Thommerel
Scénographie Marine Brosse
Lumière Neills Doucet
Régie générale Simon Anquetil
Photographie Maxence Rifflet et Michaël Quemener
Production/Administration Fanélie Honegger
 
Production Le Premier épisode, La Comédie de Caen - Centre dramatique national
Avec le soutien de la Direction régionale des affaires culturelles
Spectacle crée le 7 décembre 2022 à la Comédie de Caen - Centre dramatique national.

jeudi 16 mars 2023

Gli Anni (Les Années) de Marco D'Agostin dansé par Marta Ciappina à Pôle Sud

 Le titre ressemble et rend hommage à un livre d'Annie Ernaux: Les Années. Une citation de ce livre qui parle de deux axes (l'un horizontal: ce qui est arrivé et l'autre vertical: juste quelques images) positionne à la fois le spectacle et la danse, elle aussi qui se joue des axes et des directions.

Quand nous entrons dans la salle, le studio de danse de Pôle Sud, nous voyons Marta Ciappina, en chemise blanche brodée et pantalon bleu marine qui semble répéter ou construire son spectacle sans s'inquiéter de nous. Elle prend des notes sur un cahier qu'elle tient dans la main. Au mur un tableau, presque romantique, paysage avec forêt et clairière qui se transforme en écran vidéo sur lequel apparaissent des textes, référence à une oeuvre en cours de production.


Gli Anni - Marco D'Agostin - Marta Ciappina - Photo: Michelle Davis


Nous allons, tout au long du spectacle participer à construire, en nous aussi, le spectacle en nous mettant en empathie avec la danseuse qui ravive notre mémoire en passant des chansons, italiennes et françaises empreintes de nostalgie. Puis, elle nous plonge complètement dans le passé avec un jeu enfantin: compter les citrons: "Un limone, due limoni, tre limoni,..". Ce virelangue qu'elle mène jusqu'à épuisement (mille), en passant quand même quelques étapes ous silence avant de faire marche arrière et de rembobiner le décompte. 


Gli Anni - Marco D'Agostin - Marta Ciappina - Photo: Michelle Davis


Mais rassurez-vous, les chiffres vont faire sens et elle sort de son sac (à dos) au fur et à mesure des objets (indices et témoins silencieux) qui vont parsemer la scène du crime et se retrouvant affublé d'un de ces numéros jaunes (2, 8, 16, 18, 20, 24): la statuette en céramique d'un "schnauzer", un téléphone à cadran (jaune), une bouteille en verre, un casque audio (jaune), le sac à dos, une carte du Parti Communiste Italien (Numéro 2016) et un pistolet jouet qui fait "Bang". 


Gli Anni - Marco D'Agostin - Marta Ciappina - Photo: Michelle Davis


Elle parsème aussi la scène de pièces (lettres) de scrabble, à nous d'en tirer des mots ou de lire la lettre d'adieu de son amoureux qui l'a quittée. Tout cela bien sûr en dansant, d'une danse souvent disloquée et toute en cassure, brisure, faisant ressurgir des mouvements et passages chorégraphiés ou exercices passés (par exemple une pronosupitation ou divers exercices d'articulations, bras, coude, omoplate,...). 


Gli Anni - Marco D'Agostin - Marta Ciappina - Photo: Michelle Davis


En une petite heure, elle va ainsi nous mener à travers cette enquête d'une enfance rêvée à un univers plus clinique, scientifique puis politique pour arriver à des moments plus intimes puis une explosion de danse exubérante et explosive passée à toute vitesse, pour revenir au souvenirs d'enfance qui s'inscrivent sur l'écran sous forme de film de famille. Un juste balancement entre les années qui passent, s'inscrivant dans le corps et les images qui émergent tel le "Rosebud" du Citizen Kane. A vous de résoudre l'énigme.


La Fleur du Dimanche 

mercredi 15 mars 2023

Candide au Palais U: Un voyage en terre d'optimisme avec humour et Bernstein

 Faire de la philosophie avec humour, Voltaire l'a fait avec Candide. Le faire en chantant, et dansant - le tango, entre autres - c'est grâce à Léonard Bernstein que c'est possible. Celui-ci a bondi sur la proposition de Lillian Hellman qui lui a soufflé le sujet et écrit le premier livret sur lequel Bernstein a travaillé en même temps que West Side Story. West Side Story a eu plus de succès, mais l'Ouverture de Candide en a eu aussi. Et les versions suivantes (avec le livret réécrit) ont été plus appréciées. 

Candide - Lambert Wilson Photo: Igor Shabalin


La version de Candide présentée au Palais Universitaire de Strasbourg pour cette première* réservée aux étudiants, est une version de concert avec le livret (plus fidèle au texte de Voltaire) de 1994. Il y a un récitant, rôle qu'assume avec brio Lambert Wilson qui incarne aussi les deux rôles de Pangloss et Martin, qu'il chante avec tout son talent. Rappelons qu'il a fait une école de théâtre à Londres et qu'il est aussi, en plus d'acteur de cinéma et comédien de théâtre, chanteur - Il a enregistré le disque Musicals avec des standards de la comédie musicale mais il chante aussi du classique et du baroque. C'est d'ailleurs un vrai plaisir de le voir - et de l'entendre - raconter cette histoire un peu surréaliste de Candide, partant d'un château du Wurtemberg après une guerre qui a exterminé la famille Thunder-Ten-Tronck et les amis, pour arriver au Portugal où il subit une éruption de volcan et un tremblement de terre ainsi que la perte de son maître Panglos. Suite à cela il embarque pour l'Amérique du Sud et Buenos Aires où il retrouve le baron Thunder-Ten-Tronck puis découvre l'Eldorado, dont il s'enfuit en emportant des moutons dorés dont les survivants lui permettent de retourner en Europe, Paris, Venise et Constantinople aux environs de laquelle il finit par marier Cunégonde après moultes péripéties et où il cultive modestement son jardin. L'opérette se déroule en deux actes ponctués de rebondissements tous plus incroyables les uns que les autres. Et l'on rit allègrement. 

Candide - Lambert Wilson - Leonard Bernstein - Opéra National du Rhin


La partition de Bernstein est vive et sautillante, les airs de valse, polka, gavotte, et autres danses s'adaptent aux pays et aux différents épisodes. Le jeune chef Samy Rachid insuffle toute son énergie par sa direction précise à l'Orchestre Symphonique de Mulhouse, soutenu par les choeurs de l'Opéra National du Rhin. Les différents personnages, en dehors de Lambert Wilson, sont toutes et tous membres de l'Opéra Studio, la structure de formation complémentaire et d'insertion professionnelle de jeunes chanteuses et chanteurs. Damian Arnold, le ténor qui interprète avec talent le naïf Candide y est également passé. La soprane Floriane Derthe est une adorable Cunégonde,  malicieuse et pleine d'entrain. La mezzo-soprano Liying Yang qui nous vient de Chine est une imposante Vieille Dame, pleine d'énergie et ses danses espagnoles nous ravissent. Les autres chanteuses et chanteurs, la mezzo-soprano Brenda Poupard en Paquette, le baryton-basse Oleg Volkov dans le rôle de Maximilien, le baryton Andrei Maksimov pour Le Capitaine, le ténor Iannis Gaussin en Vanderlendur et le ténor Glen Cunningham en Gouverneur sont tous d'une grande qualité et arrivent à nous faire oublier que nous n'assistons qu'à une version concertante de cette opérette - comédie musicale menée de bon train. Et le public, ravi, salue la prestation de longs applaudissements.


Candide - Leonard Bernstein - Lambert Wilson - Opéra National du Rhin - Photo: lfdd


La Fleur du Dimanche


*C'est à l'occasion des trente ans du dispositif Carte Culture, un programme soutenu par l'université et de nombreux partenaires institutionnels en Alsace et qui permet aux étudiants un accès à prix réduit ou gratuit à des spectacles, films et expositions que les étudiants se sont vus offrir une place pour ce concert, une première qui voit l'Opéra National du Rhin proposer un spectacle au sein de l'Université, dans l'Aula du Palais Universitaire de Strasbourg

Une autre représentation (publique) a lieu le 17 mars à Strasbourg (complet à priori)

Et à Mulhouse à la Filature, le 19 mars à 15h00 (encore quelques places).


Candide

Direction musicale: Samy Rachid
Opéra Studio de l'Opéra national du Rhin, Chœur de l'Opéra national du Rhin, Orchestre symphonique de Mulhouse
Les Artistes
Pangloss et Martin : Lambert Wilson
Candide : Damian Arnold
Cunégonde : Floriane Derthe
La Vieille Dame : Liying Yang
Maximilien : Oleg Volkov
Paquette : Brenda Poupard
Le Capitaine : Andrei Maksimov
Le Gouverneur : Glen Cunningham
Vanderdendur : Iannis Gaussin 

samedi 11 mars 2023

Mary Poppins avec l'OPS: un voyage immersif qui vous fait vous envoler dans les airs.... chantés

 Mary Poppins a sûrement bercé, et émerveillé votre jeunesse. Que ce soit le livre de Pamela L. Travers dans la Bibliothèque Rose (avec le bandeau rouge!) - l'original est sorti en 1934 à Londres) ou le film des Studios Walt Disney, réalisé en 1964 par Robert Stevenson avec la belle Julie Andrew et le dansant et bondissant Dyck van Dike. Alors pourquoi ne pas prendre un bain de jouvence et revoir cette petite merveille à l'occasion du ciné-concert  Mary Poppins proposé par l'Orchestre Philharmonique de Strasbourg sous la direction de Dirk Brossé. C'est l'occasion d'y emmener vos enfants, petits-enfants ou neveux et nièces pour leur faire faire un voyage immersif et enchanteur. L'idée des "ciné-concerts" de l'OPS qui s'est répandue depuis quelques années - rappelez-vous le "Matrix" pour les 10 ans du Zénith ou le "Chaplin" en 2021- )  a cela de bon qu'elle permet de profiter à la fois du film et de l'expérience de l'orchestre "en vrai". Et de sensibiliser ce jeune public à la musique, qu'elle soit classique ou la musique de films. Il faut rappeler que ce travail de sensibilisation auprès du public "jeune" se déroule toute l'année avec des concerts dans le programme comme L'Apprenti Sorcier de Paul Dukas, Casse-Noisette de Tchaïkovski ou "Le Voleur de Mélodie" avec Claire Trouilloud (dont les 3 concerts de mai sont déjà complets). 


Marry Poppins - Ciné-Concert - Orchestre Philharmonique de Strasbourg - Dirk Brossé - Photo: lfdd


Ces expériences sont intéressantes et enrichissantes parce qu'elle permettent, tout en appréciant la musique, de se rendre compte que dans un film par exemple, la musique que l'on entend est jouée, interprétée par de vrais musiciennes et musiciens en chair et en os et qu'elle l'est sur des instruments divers et variés. C'est d'ailleurs un des intérêts de ce genre de spectacle, à savoir essayer, si l'on arrive à détourner le regard de l'écran, de voir au moment où l'on entend un son, de trouver l'interprète ou les interprètes qui participent à la concrétisation de ce(s) sons et de voir à quoi ressemble l'instrument qu'ils utilisent.  Cela peut être, dès le début, l'accordéon de Marie-Andrée Jeorger ou, pour le manège, la harpe et le glockenspiel, ou la contrebasse et son rythme dansant, la caisse claire qui marque les pas, les cordes (violon, alto, violoncelle et contrebasses qui nous emportent dans des vagues mélodiques, la flûte ou la clarinette, entre autres pour le chant ou l'orchestre à l'unisson pour faire monter la tension ou l'émotion. Parce que la musique, surtout si elle est interprétée en direct apporte un complément appréciable à l'émotion qui nous submerge dans le recit qui se déroule devant nous sur l'écran.


Marry Poppins - Robert Stevenson


Et l'histoire est passionnante et en même drôle et instructive. Les multiples péripéties qui surviennent et emportent les deux enfants Banks, Jane et Michael, grâce à cette nouvelle nurse arrivée par les airs, Mary Poppins, et Bert, le poète des rues, nous transportent entre rire et joie, surprise et tristesse, nostalgie et réconfort. Le film, à la fois moralisateur et un brin iconoclaste, presque anarchisant, est une leçon de vie et d'amour filial doublé d'une belle humanité. Et c'est du grand spectacle. Un spectacle total avec les magnifiques scènes de danse - entre autres le ballet des ramoneurs sur les toits de Londres - des scènes d'anthologie - le rangement de la salle de jeu ou les passages traités en dessin animé pleins de poésie et de rêverie, et même de suspense et d'humour. Le film n'a pas volé ses cinq Oscars récoltée en 1965:  celui de la meilleure actrice pour Julie Andrews; les meilleurs effets visuels (Peter Ellenshaw, Hamilton Luske, Eustace Lycett) avec toute l'inventivité et la poésie visuelle du film, le meilleur montage , la meilleure musique originale par Richard M. Sherman et Robert B. Sherman et la meilleure chanson originale Chim Chim Cher-ee, chanson qu'il est donné aux enfants et aux grandes personnes de chanter en choeur à la fin du film ave l'orchestre sous la direction du chef de chœur de l’OPS, Jean-Philippe Billman ainsi que Un morceau de sucre et Supercalifragilisticexpialidocious


Parry Poppins - Robert Stevenson


Pour ne pas fourcher dans la chanson il y avait quelques répétitions préalables. Parce que tout cela est de haute volée, les chansons et la musique. C'est qu'a fait remarquer le chef Dirk Brossé, en pointant le fait que l'orchestre avait la difficile tâche de rester "calé" sur le déroulé du film puisque les paroles sont enregistrées et ce sont ces paroles qui donnent le tempo! Il n'est pas question d'en dévier.  Dirk Brossé lui-même, coiffé de son casque et aidé d'un écran de contrôle pour la projection et le déroulé de la bande son du film est en quelque sorte un "spécialiste" de l'exercice. Musicien et compositeur de musique classique et variée ainsi que de comédies musicales et de musiques de films (il a été eu un Emmy Award), il a enregistré plus de 100 disques et a créé en 2001 le Festival de Musique de Films à Gand et a mené la tournée "Star Wars en concert" à partir de 2009.  Et nous avons pu apprécier pour ce concert sa précision et son engagement qui a porté le film au-delà de l'écran. Une superbe expérience.


La Fleur du Dimanche

vendredi 10 mars 2023

Grand Palais au TNS: Lit vide et trône blanc

  La peinture de Francis Bacon, qui ne la connaît ? Ses corps écorchés, déformés, souffrants... Ses sujets revisitant l'histoire de la peinture et mettant à nu le corps et l'âme. Les geules grandes ouvertes, gémissants ou criants, assis sur des trônes de roi, de  cardinal ou des supports ressemblant à des cuvettes de toilettes. C'est une de ces cuvettes qui apparaît derrière le voile-miroir qui fait frontière et déforme tout corps qui se déplace derrière, à l'image de ses tableaux. Et pour couronner le tout, ces quatre miroirs qui, sur le mur du fond que l'on devine et vont réfléchir et déformer également ceux qui s'y retrouve prisonnier en un triptyque augmenté, écho de nombreuses de ses oeuvres.

Sur ce mur, miroir sans tain, en didascalie introductive de la pièce Grand Palais, l'information tombe comme un couperet: en octobre 1971, deux jours avant la grande rétrospective de Francis Bacon au Grand Palais à Paris (Il n'y a eu que Picasso avant lui ayant eu droit à une rétrospective en ce lieu de son vivant), son amant, George Dyer est retrouvé mort sur la cuvette des toilettes, un filet de bave jaunâtre sur ses lèvres, mort d'une overdose médicamenteuse.


Grand Palais - Julien Gaillard - Frédéric Vossier - Guillaume Costanza - Photo: Géraldine Aresteanu


Et nous allons assister à ce "tombeau", hommage et essai de reconstitution de ces cinq ans d'amour-non amour entre ces deux êtres si dissemblables que furent Francis Bacon et George Dyer, à travers leurs souvenirs, composés en long poème parallèles, avec un bref passage où ces deux êtres vont dialoguer - et même esquisser une rencontre dansée, séparés bien sûr par ce symbolique mur transparent dans une chorégraphie simple mais juste sous le regard chorégraphique de Thierry Thieû Niang. La scénographie est à l'image de l'oeuvre de Bacon et du texte co-écrit par Julien Gaillard et Frédéric Vossier dans un caché-découvert énigmatique et poétique.


Grand Palais - Julien Gaillard - Frédéric Vossier - Arthur Nauzyciel - Photo: Géraldine Aresteanu


La partie Bacon, écrite par  Julien Gaillard est interprétée par Arthur Nauzyciel* qui assure une fausse sérénité, un calme et une douceur d'apparence dans une partition poétique fleurie, parsemée de dahlias et de réminiscences de couleurs et de peintures (Rembrandt, Botticelli, Grünewald, Holbein,...) ou de photographie (Muybridge surtout pour la nature et la décomposition du mouvement des corps marchant, projetés sur l'écran de verre...), tout en explosant quelquefois dans des éclats de violence. 


Grand Palais - Julien Gaillard - Frédéric Vossier - Guillaume Costanza - Arthur Nauzyciel - Photo: Géraldine Aresteanu


Il n'est pas seul, quelquefois hélé, perturbé par des personnages secondaires qui l'interrompent, l'interrogent, ou par lui-même qui se secoue et surtout il a son "double" Sybillin (Guillaume Costanza) enfermé dans un couloir de verre qui l'incarne dans ses "citations" non pas sibyllines mais mystérieuses et "augmentées" - la culture de Bacon - où l'on trouve Eschyle, Shakespeare et T.S. Elliot. Des poèmes de ce dernier sont d'ailleurs chantés par Richard Comte qui a composé quelques chansons qu'il chante s'accompagnant à la guitare. Il improvise également  à la guitare l'accompagnement sonore, ponctuant et contreponctuant le jeu des acteurs d'éclats de cordes qui s'éteignent pour faire ressurgir le silence qui est un élément important dans la dramaturgie et la tension qui habite la pièce. Le texte de George Dyer a été écrit par Frédéric Vossier qui est à l'origine du projet. Il met à nu l'écorché dans toute sa souffrance et sa simplicité et son infortune. Sa dépossession, sa place hors du monde, en tout cas hors de ce monde, de l'art et du pouvoir. 


Grand Palais - Julien Gaillard - Frédéric Vossier - Vincent Dissez - Photo: TNS


C'est Vincent Dissez qui l'incarne à merveille, autant dans ses moments de souffrance, de perte de repère, d'essai de reconnaissance, au moins par Bacon, dans toute sa simplicité et sa naïveté. Il lui offre un moment de nostalgie, de bonheur rêvé, mais qui se brisé et éclate vers la fin de la pièce lorsqu'il est en costume, ayant enfin passé le mur de verre, une fois qu'il est vraiment mort. La pièce, mise en scène par Pascal Kirsch, n'est pas un voyage d'agrément, elle est plutôt déstabilisante, mais elle a l'intérêt d'essayer de nous emmener dans la tête d'un artiste hanté par le suicide de son compagnon de vie. Et l'on peut dire que cette expérience ne nous laisse aucunement indifférents.


La Fleur du Dimanche

*Arthur Nauzyciel nous avait proposé  en 2016 une mise en scène de Jan Karski au TNS


Grand Palais


Du 10 au 16 mars 2023 au TNS à Strasbourg

Texte Julien Gaillard, Frédéric Vossier
Conception et mise en scène Pascal Kirsch
Avec:
Guillaume Costanza
Vincent Dissez*
Arthur Nauzyciel
et le musicien Richard Comte (musique live)
Composition musicale Richard Comte
Scénographie Sallahdyn Khatir
Lumière Nicolas Ameil
Son Julien Podolak
Costumes Virginie Gervaise
Vidéo Thomas Guiral
Régie générale Clément Séclin
Administration / Production Réjane Michel
* Vincent Dissez est artiste associé au TNS.
Production Compagnie Rosebud
Coproduction Théâtre National de Strasbourg, Théâtre national de Bretagne, Comédie de Reims, Comédie de Béthune, Espace Marcel Carné à Saint-Michel-sur-Orge

mercredi 8 mars 2023

Droit des Femmes et primevères du huit mars: trois femmes (plus deux) témoignent à travers les siècles

 La journée de la Femme, une "vieille histoire" que la Fleur du Dimanche essaie de revoir d'année en année... Enfin pas toutes...

Tout au début de l'aventure de la Fleur du Dimanche en 2011 et 2012, cette journée - et les femmes  (et les hommes) - eurent droit à des fleurs - et des TVA !  

En 2022, j'offris une rose et un récapitulatif que je vous invite à parcourir. Mais en 2021, il n'y eut rien. 2020, année chamboulée il y eut quand même un texte sur le "féminisme et le féllinisme".

Cette année, je vous dois des fleurs, des primevères, premières fleurs du Printemps:


Primevères du 8 mars 2023 - Photo: lfdd


Et comme promis, en TVA je laisse trois femmes vous parler de leur condition qui n'a que peu changé. Une amie me disait que "Rien ne change"... Si les choses bougent et les textes vont mettre ce (ces) changement(s) en perspective. Alors, lisez:


D'abord, une féministe qui l'est dans sa vie mais refuse de l'être, répondant à Maurice Dekobra, l’auteur de la Madone des sleepings :

"Ah ! non ! Les suffragettes me dégoûtent. Et si quelques femmes en France s’avisent de les imiter, j’espère qu’on leur fera comprendre que ces mœurs-là n’ont pas cours en France. Savez-vous ce qu’elles méritent, les suffragettes ? Le fouet et le harem…"

Elle insiste au sujet de la politique:

"Il y a trois parures qui me vont très mal, a-t-elle dit : les chapeaux empanachés, les idées générales et les boucles d’oreilles."

Ce qui ne l'a pas empêchée d'être l'autrice la plus citée dans le livre de Simone de Beauvoir "Le Deuxième Sexe" (voir l'article de Johanna Luyssen dans Libération le 15 février 2023 " Sidonie-Gabrielle Colette, féministe sans le vouloir".


Primevères du 8 mars 2023 - Photo: lfdd


Autre figure féminine, dont les "Nouvelles Lettre retrouvées" ont paru (cité par le Monde des Livres du 3 février 2023) et George Sand écrit au jeune clerc de son avoué. Je vous mets un '"extrait":


Plus près de nous, Gloria Steinem qui voir paraître la nouvelle traduction de son livre paru en 1990 "Une révolution intérieure, renforcer l'estime de soi" et qui répond à Sophie Benard dans le même supplément du Monde des Livres:

...
...


Une deuxième fleur, symbole de ce chemin qu'il reste encore à faire...


C'est le bouquet du 8 mars 2023 - Photo: lfdd


Et pour finir et dans le domaine de la fiction, très actuelle, en l'occurrence Natascha Brown, qui, avec son premier roman Assemblage (160 pages) a été comparée à Virginia Woolf et qui après avoir réussi dans la finance en a eu assez, entre autre  de l'intersectionnalité et la met en scène dans son roman, disant par exemple:

"Pliez vos os jusqu'à ce qu'ils craquent, se fendent, jusqu'à ce que ça rentre. Forcez-vous à épouser leur forme. Assimilez-vous, voilà à quoi ils vous exhortent. Et toujours en ligne de basse, sous le vocabulaire insistant de la tolérance et de la convivialité - disparaissez!". 

Si je vous précise qu'elle est d'origine jamaïcaine, vous allez peut-être mieux comprendre le sens de cette exhortation.

Et comme pour faire avancer le droit des femmes il faut aussi des chansons (pour réfléchir), je vous en offre quatre, de Colette ... Renard:


Mon Homme est un vrai guignol



Mon Homme (tout court):


Et Les Nuits d'une demoiselle:



Et pour finir, sur la même pente Le doigt gélé:



Bonne Fête des Droits de la Femme..... tous les jours à venir


La Fleur du Dimanche