Pour clore les concerts de la saison 2024/2025 - avant la présentation de saison prochaine le 4 juin et le Concert des Deux Rives le 28 juin - l'Orchestre Philharmonique de Strasbourg et son chef Aziz Shokhakimov nous offrent la Symphonie N° 2 en do mineur de Gustav Mahler, appelée aussi "Resurrection". Cette symphonie marque un tournant, sinon une rupture métaphysique et stylistique dans l'oeuvre du musicien. Sa composition s'est étalée sur quelques années à partir de 1888 et ce n'est qu'en 1994, aux obsèques du musicien et chef d'orchestre Hans von Bülow où il entend le choral de Friedrich Gottlieb Klopstock Aufersteh’n (Ressusciter) qu'il conçoit la forme définitive de la symphonie dont il n'avait que le premier mouvement, sous forme d'un poème symphonique intitulé Todtenfeier (Cérémonie funéraire), d’après un poème épique d'Adam Mickiewiczt et une ébauche des deux courts mouvements suivants.
La symphonie appelle un effectif assez impressionnant, plus de cent musiciens sur scène et les choeurs à la fois de l'Opéra National du Rhin et le Choeur Philharmonique de Strasbourg ainsi que la mezzo-soprano Anna Kissjudit et la soprano Valentina Farcas pour la partie chantée du quatrième mouvement pour la première et des deux pour le dernier mouvement.
Le premier mouvement, Allegro maestoso démarre sur une tonalité grave, avec les contrebasses et les violoncelles qui attaquent dans un rythme lancinant, suivis des cors et des vents qui montent en gamme. L'orchestre prend de la puissance et nous prend et nous bouscule. Une tension s'installe et nous saisit, les cuivres se font éclatants et alternent avec des ambiances plus funèbres. Les deux harpes instillent un semblant de douceur tout comme les flûtes, mais le mouvement passe alternativement de moments plus calmes mais sombres, comme une marche funèbre à des passages impétueux pour s'éteindre doucement avant de finir dans un dernier sursaut.
Avec le deuxième mouvement, précédé d'une pause, l'Andante modérato - Sehr gemächlich ( très modéré), est une forme de danse paysanne, assez lente qui se suspend et repart plus sautillante. Comme un air de boite à musique un peu nostalgique, qui se diffuse, suivi de quelques dissonances et ruptures harmoniques.
Le troisième mouvement, un Scherzo, In Ruhig fliessender Bewegung (En un mouvement tranquille et coulant) est une réécriture de son Lied Des Antonius von Padua Fischpredig - le sermon aux poissons de Saint Antoine de Padoue. C'est une série de mouvements tournoyants, comme une valse, les vents apportant des éclats colorés et apportant un éclat fougueux final et puissant, soutenus par les cymbales et le gong.
Le quatrième mouvement Uhrlicht (Lumière primaire) - Sehr Feierlich, aber schlicht (Très solennel, mais modeste) démarre très doucement avec la voix posée et presque d'outre tombe d'Anna Kissjudit qui, accompagnée tout doucement par l'orchestre, chante le récit populaire de Des Knaben Wunderhorn , cet enfant qui souhaite accéder aux cieux: Ich bin von Gott und will wieder zu Gott - Je viens de Dieu et je retournerai à Dieu. Cette prière, très simple fait la bascule vers le dernier mouvement, le Finale.
Ce dernier mouvement, de plus d'une demi-heure, est une vaste fresque musicale, appelant choeurs, orchestre, orgue, et tout l'orchestre, dont une partie (les vents, trompette, cors et bassons) va jouer à l'extérieur - ce qui apporte une impression étrange d'au-delà à l'écoute. Quelques vents jouant également avec des sourdines. Elle commence dans un éclat total, un jaillissement puissant, pour poser tous les éléments et amener dans une tension croissante à l'arrivée des choeurs mystérieux, surprenants au bout de plus de vingt minutes après le début du mouvement, après une tension des flûtes et des cymbales tenue et ténue. C'est comme une apparition, une lente émergence, mystérieuse, comme d'outre-tombe: "Lève-toi, oui, tu te lèvera à nouveau, Ma poussière, après un court repos ! La vie éternelle, celui qui t'a appelé va te la donner à nouveau.". Il prend une valeur presque métaphysique, s'élargissant vers le cosmique. Une lente montée vers al lumière, que l'orchestre avec les cuivres éclatants accompagne avec des forts éclats de cloques brutes. Et la mezzo et la soprano, de concert chantent la délivrance de la douleur et de la mort, et le choeur lance en puissance son message "Bereite dich zu leben - Prépare-toi à vivre" dans un puissant élan final.
![]() |
OPS - Aziz Shokhakimov - Mahler - Symphonie N° 2 - Photo: Robert Becker |
Une incroyable prestation, saluée comme il se doit par le public qui applaudit longuement le chef, Aziz Shokhakimov pour sa performance de direction à la fois de l'orchestre et des choeurs, magnifiquement entraînés par Hendrik Haas et Catherine Bolzinger et des deux solistes, toutes les deux magnifiques et sans excès, Anna Kissjudit et Valentina Farkas. Et bien sûr tous les membres de l'orchestre et les solistes qui sont très sollicités, que ce soient les violoncelles au début, et les contrebasses, les timbales et les percussions (les petits coups de clochettes et les gros coups de marteau sur les cloches plates, les clarinettes et hautbois ou les bassons, le trombone les flûtes et l'orgue en final et bien sûr, j'en ai déjà parlé les deux harpistes. Car il est vrai que dans cette symphonie, Gustav Mahler arrive à passer d'une puissance d'ensemble à des coups de projecteur et des détails musicaux d'une extrême précision. Cette symphonie faisant un pont entre Beethoven, Wagner et la modernité de la musique du XXème siècle. Et ce concert nous en a donné toutes les sensations, de la plus infime à la plus puissante.
![]() |
OPS - Aziz Shokhakimov - Mahler - Symphonie N° 2 - Photo: Robert Becker |
La Fleur du Dimanche