dimanche 31 mars 2019

Voyage, pélerinage, exploration, sans toit, et la loi ?

On a coutume de dire que les voyages forment la jeunesse... 
Il doit y avoir du vrai dans ce proverbe, mais le voyage, le déplacement, peut prendre des formes très différente, comme celle d'un "pèlerinage" et d'ailleurs pas forcément religieux.
C'est le cas pour voir, sur les collines calcaire prévosgiennes, fleurir les anémones pulsatiles et célébrer le printemps:


Anémones pulsatiles - Photo : lfdd


Faut-il rappeler que celles-ci ont été à l'origine de ce blog dominical avec "La naissance d'une fleur" que ne ferait-on pour le printemps?


Anémones pulsatiles - Photo : lfdd

Le voyage, le déplacement, c'est comme le disait Delphine Horvilleur encore récemment à Strasbourg, c'est la base de l'évolution, de la rencontre de l'autre et de l'arrêt qui fige dans le passé.

C'est aussi un des premiers mythe fondateurs grec, celui de Jason, qui part à la quête de la Toison d'or, comme en parle Andréa Marcolongo dans son livre "La part du héros. Le Mythe des Argonautes et le courage d'aimer". Dans l'entretien avec Florence Noirville à l'occasion de la sortie de son livre, dans le Monde des Livres du 22 février, elle dit:
"Le Mythe qui nous enseigne que cinquante gaillards solidaires ... peuvent accomplir l'impossible, s'emparer de la fameuse Toison et revenir en Grèce, pour peu qu'ils gardent un cap unique, ne jamais baisser les voiles, apprendre de l'épreuve (Pathei mathos) et toujours repartir." ...
"Il nous enseignent que, dans la vie, ce n'est pas la victoire qui compte."

"Ni la compétition perpétuelle, l'angoisse de la prestation, l'obligation de la perfection. Etre des héros, selon les Grecs, ne signifie pas arriver en premier, mais n'arriver jamais arriver en second par à nous-même, par rapport à ce que nous croyons."
"C'est ça Jason. Comprendre que nos vies sont faites pour être vécues pour de vrai, pas seulement racontées en gesticulations furieuses, on line et off line. Comprendre qu'on peut se laisser appeler hors des habituels "déjà vu" ou "déjà dit". Comprendre que nous sommes tous en voyage, premiers et uniques responsables de nos actions et de nos choix."


Anémones pulsatiles - Photo : lfdd


Et pour remettre au goût du jour ce mythe - et le grec , en appelle 
 à Italo Calvino qui disait à propos de "Classique":

"Classique ne veut pas dire "ancien", il désigne ce "qui n'a jamais fini de dire ce qu'il a à dire"."

Et je vous mets en "Extrait un passage du livre d'Andrea Marcolongo:




L'errance et la Grèce nous ramènent curieusement à un hommage à rendre à une fille de grec qui est partie et dont un des films s'appelle "Sans toit, ni loi". Vous n'avez pas pu passer à côté de la mort d'Agnès Varda, dont le dernier film "Visages, villages" est lui aussi un voyage à travers la France - et une expédition (ratée) en Suisse) avec JR.

Anémones pulsatilles - Photo : lfdd

Elle a aussi fait un film remarquable qui suit dans Paris en - presque - temps réel une jeune femme Cléo - Cléo de cinq à sept dont je vous propose la bande annonce:





Et la chanson du film "Sans toi" musique de Michel Legrand interprétée par l'actrice Corinne Marchand:




Et, comme Agnès est un peu une grand-mère pour nous tous, la proposition d'un ami de la chanson de Patrick Abrial "Grand-mère" peut faire office de troisième vidéo (décoiffante, certes, mais les cheveux d'Agnès n'étaient-ils pas colorés ?) :





En prime pour ceux qui auraient oublié Abrial et Marie, le voici:






Marie

Pour tes yeux d'eau claire
Et tes cheveux de brume
Bouquet de bruyère
Sous un ciel de lune
Pour tes mains de femme
Qui savent consoler
Et réchauffer mon âme
Quand je suis déprimé

Je t'aime Marie, je t'aime
Je n'ai que toi pour ciel de lit
Je t'aime Marie, je t'aime
Avec toi je ferai ma vie


Bonus pour Varda avec deux chansons:

Deux versions de "La joueuse" par Corinne Marchand puis Philippe Katerine 







Bon  Dimanche

La Fleur du Dimanche

dimanche 24 mars 2019

Etrange fruit dans une tasse printanière: drôle de récolte que ces extraits...

Ce dimanche je reprends ma plume pour au moins trois raisons... qui d'ailleurs se rejoignent.

La première est un message d'Albert Strickler qui m'annonce la sortie prochaine de son "Journal 2018: Le coeur à tue-tête" qu'il présentera à la Librairie Kléber le samedi 4 mai après-midi.
Comme par hasard, cette semaine, ce sont les magnolias qui fleurissent:


Magnolia - Photo: lfdd


Et ces magnolias me rappellent les débuts du journal dominical de La Fleur du Dimanche où je citais le Journal 2009 d'Albert "Le bréviaire de l'écureuil" avec ses "tasses de porcelaine du magnolia" en avril 2011. Cette année les magnolias fleurissent plus tôt apparemment:


Magnolia - Photo: lfdd


Et en cherchant "poeme magnolia" cette semaine quelqu'un a trouvé ce billet du 17 avril 2011  Si jamais il recherche ce sujet, il trouvera peut-être le poème du jour de Francis Ponge en TVA:

Le magnolia
La fleur du magnolia éclate au ralenti
comme une bulle fermée lentement dans un sirop à la paroi épaisse qui tourne au caramel.
(A remarquer d’ailleurs la couleur caramélisée des feuilles de cet arbre)
A son épanouissement total, c’est un comble de satisfaction
proportionnée à l’importante masse végétale qui s’y exprime.
Mais elle n’est pas poisseuse:
fraîche et satinée au contraire,
d’autant que la feuille paraît luisante, cuivrée, sèche, cassante.
Francis Ponge

Nous reviendrons sur le magnolia un peu plus tard, en attendant, en complément de TVA, des extraits variés, avec de l'humour noir ou pas.

Le premier, extrait du carnet de Libération:




Et sa biographie dans le Nouvel Obs:




Dominique Noguez qui dit de lui-même:

"Il tenait un journal depuis l’âge de dix-neuf ans. Il a parfois déclaré que c’était la seule chose qui comptait dans ce qu’il écrivait. On ne peut en décider, cet écrit étant resté introuvable.
Le meilleur de son oeuvre est postérieur à 2003. En guise d’épitaphe, il a fait graver sur sa tombe ce simple conseil : «N’écrivez jamais!»
Dominique Noguez
Notice rédigée en 2003

Quelques autres citations:

Dans Amour noir de Dominique Noguez
"Entrer dans la vie de quelqu'un d'inconnu ! Gageure des gageures, tentations des tentations, il n'y a pas de plus grand mystère."

Et dans Avec des si de Dominique Noguez
"Si le « i » se prononçait « zvchwrac », ça donnerait du tonus à la langue."


Magnolia - Photo: lfdd

Revenons au magnolia avec un poème de résistance d'Abel Meeropol

Strange Fruit

Southern trees bear strange fruit
Blood on the leaves and blood at the root
Black bodies swinging in the southern breeze
Strange fruit hanging from the poplar trees
Pastoral scene of the gallant south
The bulging eyes and the twisted mouth
Scent of magnolias, sweet and fresh
Then the sudden smell of burning flesh
Here is fruit for the crows to pluck
For the rain to gather, for the wind to suck
For the sun to rot, for the trees to drop
Here is a strange and bitter crop
Abel Meeropol

Strange Fruit      

Les arbres du Sud portent un étrange fruit,
Du sang sur les feuilles et du sang aux racines,
Un corps noir se balance dans la brise du Sud,
Étrange fruit qui pend aux peupliers.

Scène pastorale du valeureux Sud,
Les yeux exorbités et la bouche tordue,
Doux et frais parfum du magnolia
Avant l'odeur soudaine de la chair qui brûle !

C'est un fruit que les corbeaux cueillent,
Que la pluie pousse, que le vent aspire,
Que le soleil pourrit, qui tombe des arbres,
Étrange et amère récolte.


Et la chanson de Billie Holliday




Et pour finir en chanson, avec une petite devinette:
Quel est le point commun de ces deux morceaux de musique?

Les Ronettes: Be my Baby :



Et Misirlou en 1963:





En prime une version de 1995


Et un petit cours de guitare basse - pas de guitare sommaire comme dirait Boby Lapointe



Et pour finir dans les racines, l'original de Misirlou - ca calme un peu:





Bon Dimanche

La Fleur du Dimanche

lundi 18 mars 2019

John au TNS: Le silence mortel de l'Amour

Sur la scène du TNS à Strasbourg, salle Gignoux, pour John, un dispositif d'interrogatoire - projecteur et caméra pointée sur une chaise - qui se révèle en fait être une drôle de confession.
Confession forcée, crachée, éructée à mi-mots, avec des jurons, des cris et des pleurs, des "hosties", des "crisse", des "câlisse", des "tabernac" et... et des "...", des silences qui révèlent un manque, un mot qu'il parait difficile à John de laisser de sortir de sa bouche.


John - TNS - Wajdi Moawad - Stanilslas Nordey - Photo: Jean-Louis Fernandez

Ce mot, "Amour" sera ce qui manque, ce qui va, au bout de cette confession, amener vers l'irréparable et qui tend, dans toute la tension possible vers la fin....
Puisque vous l'avez deviné, ou soupçonné, le sujet et l'objet de cette pièce, c'est le suicide. Suicide de John qui devant nous, apparaît tout en tension, tension qui va ne pas nous lâcher pendant tout le spectacle, nous tient en haleine - même si de temps en temps, une petite pause nous laisser respirer. Mais, jusqu'au bout, sans répit, nous sommes tendus comme la corde d'un arc, par le jeu puissant et dense, musclé et habité de Damien Gabriac dont la performance nous cloue sur notre siège.
Son "John" nous hypnotise et nous imaginons la vidéo que devraient voir au moins son père et sa mère, sa soeur et son frère, ceux qui n'ont pas entendu le fracas de son silence, son impossibilité à dire "Amour" parce qu'il ne le sent pas non plus chez eux:
"Ma mère ce n'est pas un coeur qu'elle a dans le coeur, c'est une brique".


John - TNS - Wajdi Moawad - Stanilslas Nordey - Photo: Jean-Louis Fernandez

Et c'est cette brique qui va (dé)construire son avenir, lui barrer la route, lui boucher l'horizon. Il le sait, il l'a décidé, il ne fera pas marche arrière et ne cherchera pas d'autre issue. Cette longue confession, cette bouteille à la mer, qui telle une brique va couler sans que quiconque puisse la ratrapper, ce n'est même pas un appel au secours, c'est juste des marches en plus pour mieux tomber, pour se convaincre de ce dont il a décidé. Et qui pour nous spectateur est une alerte à l'attention. parce qu'il n'y a plus de mots dans cette situation, comme il le dit lui-même: "Quand tu n'as plus de mots pour dire que t'es nul"... La parole manque.


John - TNS - Wajdi Moawad - Stanilslas Nordey - Photo: Jean-Louis Fernandez

Surtout avec la deuxième partie de la pièce qui nous rend attentif à l'irréparable de ce qui a été décidé et exécuté, quand la soeur, Nelly, poignante Margot Segreto dans cette distribution, nous fait entrevoir dans son désespoir qu'il y aurait pu avoir une autre issue... des paroles écahngées... Si, à un moment il y avait pu y avoir un mot, un moment, un instant où... il y avait l'origine de ce mal, de cette impasse: "où commence ta mort".

John - TNS - Wajdi Moawad - Stanilslas Nordey - Photo: Jean-Louis Fernandez

Pour compléter et "éclairer" la pièce, les circonstances de sa création et des éléments complémentaires de sa diffusion (entre autre le fait que la pièce était au départ écrite pour du théâtre d'intervention (sociale) avec un questionnement sur le rejet de soi-même - et qu'elle a été "resuscitée" (elle n'avait pas encore été publiée) pour faire participer au programme "Education & Proximité" dans un but de dialogue avec des lycéens, voici une vidéo de Wajdi Mouawad son auteur":





Je vous cite deux éléments que Stanislas Nordey qui a fait la mise en scène sur le choix de la version de la pièce (monologue de John puis de sa soeur), puis une lecture possible:
"Dans la version où le personnage de Nelly est absent, à la fin, John se pend et c’est fini − et les spectateurs seraient censés applaudir juste après. Là, il y a la parole de la soeur qui interroge John : pourquoi tu ne m’as pas parlé? Pourquoi tu n’as rien dit? "
...
C’est un personnage avec lequel je n’ai pas de processus d’identification.  [...] Mais ce qui m’intéresse justement, c’est qu’il n’a rien qui puisse susciter la passion. Il a des problèmes qu’on peut qualifier d’ordinaires − le conflit avec ses parents, la rupture avec sa petite amie − il n’a pas de «grande parole ». Tout ce qu’il fait, c’est déverser sa peine, sa rage. C’est justement ce qui me touche: il y a quelque chose de vain dans sa parole.  [...] Il y a derrière tout cela une forme de vide, qui me renvoie à ce que je trouve effrayant aujourd’hui : une société qui s’éloigne de plus en plus d’une soif d’art et de culture. Peut-être que s’il avait lu Dostoïevski, il n’aurait pas eu besoin de passer à l’acte... Je dis Dostoïevski mais cela pourrait être n’importe quelle ouverture qui aurait pu lui donner à penser que son mal-être n’est pas une fin en soi."

Et, en notant que Damien Gabriac sourit en venant saluer, lui laisser le mot de la fin, en réponse à Fanny Mentré dans le livret du spectacle:
"Je ne suis pas du tout un acteur qui aime souffrir. J’ai besoin de prendre du plaisir en jouant. Et c’est le cas avec John. Il y a les trente minutes de préparation qui sont bizarres, c’est un moment particulier. Mais pendant la représentation, je prends du plaisir à le jouer, vraiment. L’écoute nourrit, donne de la force.
Je pense qu’on peut se mettre dans ces états-là et en sortir en se sentant bien.
Cette «nourriture » dont tu parles, liée à l’écoute, est-ce que ce n’est pas ce qui manque à John, qui n’a en face de lui que sa caméra?
Absolument. John ne reçoit rien en retour de ce qu’il dit. Il baigne dans ce qu’on peut appeler le «mal-être », mais ce qui est surprenant chez lui, c’est qu’il l’exprime avec une vitalité immense. 
C’est aussi cette vitalité qui me nourrit sur scène et c’est sans aucun doute ce qui fait toute la différence: ce mal-être que j’exprime à travers lui, je l’adresse à des gens, ou en tout cas des gens sont présents et l’écoutent. L’écoute crée toujours une transformation."

Il ne vous reste plus qu'à aller voir le spectacle et expérimenter cette "transformation". 

La Fleur du Dimanche


JOHN

18 mars au 29 mars 2019 au TNS à Strasbourg

PRODUCTION
Texte Wajdi Mouawad
Mise en scène Stanislas Nordey
Avec Damien Gabriac, Margot Segreto
Scénographie Emmanuel Clolus
Lumières Philippe Berthomé

Production Théâtre National de Strasbourg
Coproduction La Nef - Saint-Dié-des-Vosges
Une première étape de ce projet a été présentée dans le cadre du Programme Éducation & Proximité initié par La Colline – théâtre national, le Théâtre National de Strasbourg et La Comédie de Reims – Centre dramatique national
Cette étape a été soutenue par la Fondation SNCF, la Fondation KPMG et la Caisse d'Épargne Île-de-France

Création le 25 janvier 2019 à La Nef – Saint-Dié-des-Vosges
Le décor et les costumes sont réalisés par les ateliers du TNS

jeudi 14 mars 2019

Un Amour Impossible de Christine Angot au TNS : La preuve par trois

Un livre, un film, une pièce de théâtre. Une déclinaison par trois d'une histoire d'un amour impossible. Impossible pour les trois protagoniste, impossible pour les trois amours, encore que...
La pièce "Un Amour Impossible" que Christine Angot a écrite pour Célie Pauthe partant de son roman, nous conte dans un flash-back après la rencontre lourde et sans espoir de Christine et de sa mère à la mort de son père - "Nos relations sont foutues. OK?" - l'histoire d'un amour impossible...

La scène  est vide, Christine, que Maria de Meideros va incarner dans toutes ces années, introduit et replace l'histoire dans une vidéo projetée en fond de scène. Et le décor se construit, à partir des meubles qui appellent les souvenirs. 


Un Amour Impossible - Christine Angot - Célie Pauthe - TNS - Photo: Elisabeth Carecchio

Et l'on va, partant des huit ans de Christine, la suivre dans ses tête-à-tête avec sa mère, dans son avancée en âge, ses questions vis-à-vis des amours, amants, fiancés de sa mère. De ce père absent mais qui, par une évolution de la loi d'adoption, va revenir dans le jeu. Jeu dangereux, violent, diabolique, et destructeur. Amoral aussi, et que Christine ne pourra pas exprimer, et que la mère ne pourra ou ne voudra pas entendre. Dont elle somatisera, à la révélation par un autre, dans une inflammation des "trompes".

Ainsi, tout au long des changements de décors, d'abord lieu familial, puis appartement privé de Christine puis espaces publics - restaurants - se joueront les trois niveaux du récit: le domestique, le sentimental et le social.


Un Amour Impossible - Christine Angot - Célie Pauthe - TNS - Photo: Elisabeth Carecchio

Et ces trois niveaux vont dévoiler leur imbrication. Le détail du domestique alimentant avec subtilité les relations sentimentales et les schémas sociaux, ainsi que les structures de classe qui transparaissent dans la vie quotidienne et les choix sentimentaux.

Dans une scène digne d'une intervention télévisuelle de Christine Angot, les schémas de pensée réactionnaires et racistes sont déconstruits dans une lecture des relation d'amour et de domination, dans les attitudes du père, autant avec son ex-amante qu'avec le lien envers qu'il a construit avec leur fille.
Mais il ne faut pas se tromper, 

Pour ne pas finir dans un sombre désespoir, un semblant de réconciliation clôt la pièce, scène dans laquelle la mère, Rachel semble dire qu'elle a été aveugle à la totalité de l'histoire, avoue ne pas avoir saisi ce qui se passe, et garder intact l'amour pour cet homme qui l'a abandonné - L'Amour est aveugle... Au grand désespoir de sa fille qui essaie de se trouver un témoin ou un soutien dans son malheur implacable dont elle ne se sort pas.


Un Amour Impossible - Christine Angot - Célie Pauthe - TNS - Photo: Elisabeth Carecchio

Et une vidéo finale dans laquelle Rachel, Bulle Ogier en douceur et tendresse, apporte une touche de sérénité. 

Il y a dans la pièce quelques passages d'humour grinçant - la mention du dernier film de Woody Allen que ne peut rater la mère, - ou dans un second degré caustique: Le discours anti-juif du père à propos d'Israël dans un second degré sexuel plein de sens cachés et symbolique dans e choix du vocabulaire.

Dans ce mille-feuille de sens et de sentiments qui en se superposant les uns aux autres, s'oblitèrent, nous arrivons cependant à lire, à sentir un peu de tendresse bien cachée, que ce soit par les règles de l'éducation ou la douleur qui crie.
Mais comme le dit Célie Pauthe:
"L’écueil serait de percevoir le propos politique qui s’énonce dans cette longue séquence finale comme une parole péremptoire, une forme de leçon. Ce n’est évidemment pas le cas: tout s’origine dans une blessure inguérissable. Il ne s’agit pas de dire: «Voilà, j’ai tout compris» ou «J’en suis sortie et je vous explique.» La blessure est inguérissable mais elle refuse de s’en tenir au statut de victime et retourne sans relâche à l’endroit du crime, de la blessure, pour y puiser des outils de pensée.
Dès 2000, dans Quitter la ville, elle écrivait: « Je ne débrouille pas MON affaire. Je ne lave pas MON linge sale. Mais le drap social.»
L’oeuvre entière de Christine Angot est le contraire d’une prise de parole en surplomb, ce n’est pas un point de vue «sachant » qui viendrait apporter une sorte de lumière de compréhension. C’est un combat, c’est un débat − avec les mots et la pensée pour armes. Et rien n’est gagné.
Dans Un amour impossible, ce qui est remarquable, c’est de voir comment, à travers le temps, chacune à leur manière, la fille et la mère ont travaillé à garder un lien. Ce n’était pas acquis, loin de là. Chez Christine, on peut parler d’un «travail» au sens psychanalytique du terme." 


Et cette preuve par trois que l'amour est impossible et douloureux, ce sont quatre femmes magnifiques - Christine Angot, Célie Pauthe, Maria de Meideros et Bulle Ogier - qui en apportent la preuve en excluant du plateau tous ces hommes, pères, amants, frère qui ne peuvent que faire souffrir ou qui jugent, en n'acceptant dans leur triangle que les porteurs de plateau et les déménageurs de meubles. 


En prime pour vous remettre dans l'ambiance de l'époque, la chanson  fétiche de la pièce: "Histoire d'un amour" chantée par Dalida:
"C'est l'histoire d'un amour éternel et banal
Qui apporte chaque jour tout le bien tout le mal"





La Fleur du Dimanche

Un Amour Impossible

TNS - Strasbourg du 14 au 23 mars 2019

D’après le roman de Christine Angot adapté par l’auteure
Mise en scène Célie Pauthe
Avec Maria de Medeiros,  Bulle Ogier
Collaboration artistique Denis Loubaton
Assistanat à la mise en scène Marie Fortuit
Scénographie Guillaume Delaveau
Lumière Sébastien Michaud
Musique et son Aline Loustalot
Vidéo François Weber
Costumes Anaïs Romand

Production Centre dramatique national de Besançon Franche-Comté
Construction du décor Jean-Michel Arbogast, David Chazelet, Dominique Lainé, Pedro Noguera, Antoine Peccard
Peinture du décor Denis Cavalli, Ghislaine Jolivet- Cavalli, Sybil Kepeklian
Réalisation des costumes Margot Destrade-Loustau, Anne Versel
Réalisation des accessoires Florence Bruchon (assistée de Manon Flamion en stage), Mathias Jacques

Le roman de Christine Angot Un amour impossible est publié aux éditions Flammarion, 2015
Le spectacle a été créé avec l’ensemble de l’équipe permanente et intermittente du CDN Besançon Franche-Comté
Spectacle créé le 7 décembre 2016 au Centre dramatique national de Besançon Franche-Comté

dimanche 3 mars 2019

Ne passez pas votre chemin, mais voyagez pour rencontrer l'autre... même à côté de chez vous

Depuis janvier, je voulais vous parler de quelque chose, de quelqu'un...
J'en ai parlé à des amis, j'ai partagé ma pensée, ma réflexion, le message est passé, mais pas encore sur mon blog même si la Fleur continue son chemin...
Entretemps, le printemps pointe son nez, mais d'autres éléments fleurissent et qui font peur.
Pas cette violette qui pointe déjà son nez:


Violettes du printemps - Photo: lfdd

Ni ces crocus:


Crocus du printemps - Photo: lfdd


Que vient visiter une première abeille (c'était dimanche dernier):


Crocus du printemps - Photo: lfdd

Ou ces perce-neige de saison:


Perce-neige du printemps - Photo: lfdd


Non, ce qui me fait peur, me révolte, et en même temps m'interroge, c'est une certaine ambiance qui s'installe dans notre société et qui me rappelle les mots du pasteur Martin Niemöller:

"Quand les nazis sont venus chercher les communistes, je n’ai rien dit, je n’étais pas communiste.
Quand ils ont enfermé les sociaux-démocrates, je n’ai rien dit, je n’étais pas social-démocrate.
Quand ils sont venus chercher les syndicalistes, je n’ai rien dit, je n’étais pas syndicaliste.

Quand ils sont venus me chercher, il ne restait plus personne pour protester."

Ou l'autre version:

"Ils sont d'abord venus chercher les socialistes, et je n'ai rien dit
Parce que je n'étais pas socialiste
Puis ils sont venus chercher les syndicalistes, et je n'ai rien dit
Parce que je n'étais pas syndicaliste
Puis ils sont venus chercher les Juifs, et je n'ai rien dit
Parce que je n'étais pas juif
Puis ils sont venus me chercher, et il ne restait plus personne pour me défendre."

Oui, la question est: que faire, comment faire, comment réagir à ce qui se passe, que nous savions que cela allait se passer...
Que justement, déjà en janvier, Delphine Horvilleur expliquait dans Libération le 9 janvier dans son interview par Anne Diatkine: "L'antisémitisme n'est jamais une haine isolée, mais un premier symptöme d'un effondrement à venir" à l'occasion de la sortie de son livre "Réflexions sur la question antisémite".

Pour TVA, je vais vous proposer une blague juive citée par le magazine gratuit strasbourgeois Mix en clôture de l'interview de Delphine Horvilleur:
"Toutes les fêtes du calendrier juif peuvent être résumées en trois phrases: Un: Ils ont voulu nous tuer. Deux: On a survécu. Trois: Qu'est-ce qu'on mange?"

J'aime bien manger, mais je préfère - je dois aimer la complexité -l'autre blague juive qu'elle cite dans Libération: 
"Si vous posez une question à deux juifs, vous aurez au moins trois réponses." 

Et des réponses, c'est vrai il n'y en a pas qu'une à toutes les questions... Et des questions, il y en a...

Je pense d'ailleurs que ce qui se passe aujourd'hui, c'est qu'en général, les gens n'arrivent pas à (se) poser les questions....

Je vous rapporte quelques éléments de réponse, quelques pistes de réflexions que Delphine Horvilleur nous offre dans l'interview d'Anne Diatkine:
   
"L’antisémitisme n’est jamais une haine isolée, mais le premier symptôme d’un effondrement à venir. Il est bien souvent la première exposition d’une faille plus large, mais il est rarement interprété comme annonciateur au moment où il frappe. Les attentats de novembre 2015 suivent de quelques mois la prise d’otages à l’Hyper Cacher de Vincennes et de quelques années la tuerie à l’école juive de Toulouse. Mais, évidemment, en 2012, personne ne peut le formuler ainsi. Depuis cette date, une question me hante : pourquoi, lorsque furent assassinés des enfants dans une école, la France n’était-elle pas dans la rue ? Etait-elle anesthésiée, aveuglée ou indifférente?"

...

"On entretient une confusion en associant racisme et antisémitisme et à moins d’entrer dans une compétition victimaire, il ne s’agit pas de dire que l’un est plus grave que l’autre. Le racisme est souvent affaire de complexe de supériorité: je posséderais quelque chose qu’un autre n’a pas ou moins que moi. L’antisémitisme, au contraire, se construit sur une forme d’infériorité ressentie. On reproche aux juifs d’être plus ou d’avoir plus. Le juif est toujours accusé d’avoir un peu trop de pouvoir, ou bien d’être trop proche du pouvoir - on l’a entendu ici et là dans des slogans antisémites scandés en marge des manifestations des gilets jaunes. On soupçonne les juifs d’avoir un peu trop le contrôle, l’argent, la force et la baraka. Il y a toujours l’idée que le juif est là où je devrais être, qu’il a ce que je devrais avoir, qu’il est ce que je pourrais devenir. Peu importe que cela soit un fantasme. Peu importe qu’on puisse démontrer qu’il y a des juifs pauvres, qui n’ont ni influence ni pouvoir. Rien ne pourra ébranler cette conviction délirante, qui permet à certains de colmater les fêlures de leur existence. Dans tous les discours antisémites à travers les siècles, le juif représente la porosité ou la coupure qui empêche de se sentir en complétude. Quand un groupe ou une nation se perçoit en faillite, l’antisémitisme est l’énoncé le plus classique de sa tentative de reconstruction. C’est une consolidation identitaire qui se fait sur le dos d’un autre."

...
"S’il y a une leçon très forte du judaïsme, c’est que l’identité pure, authentique et statique n’existe pas. Tous ces récits fondateurs racontent l’histoire de gens qui partent du lieu où ils sont nés car ils ont le devoir de ne pas être identique à ce qu’ils étaient. Leur véritable identité est d’avoir quitté leur identité. Abraham accède à son destin quand il quitte la Chaldée de sa naissance. Le peuple des Hébreux naît en sortant d’Egypte. La souche de la pensée juive, c’est qu’il ne faut pas être identique à sa souche. On est soi, quand on est sorti de sa matrice, quand quelque chose en nous s’est mis en route, à partir de sa naissance. Je comprends très bien qu’en ces temps de mondialisation, la quête de la pureté soit attractive.



Bon, brassons les cultures et mettons un peu de Yiddish dans les chansons

Les années d'enfance à Cracovie pour commencer:





En passant par la Yiddishe Mama d'Aznavour




Ou la version de Billie Holliday




Puis Barbara Streisand





Et pour finir avec Ederlezi et Goran Bregovic



Bon Dimanche

La Fleur du Dimanche