samedi 30 septembre 2023

A Musica, un concert pour soi, rien que pour soi, empreint de mystère et de nostalgie

 Une formule de concert qui avait eu du succès l'année dernière à Musica (voir le rétro ici), c'est le Concert pour soi qui, cette année, après les lieux insolites et secrets s'invite chez les musiciens, dans leur univers mis en scène pour cette occasion rare. C'est donc par sms que nous sommes prévenus de l'adresse dans l'appartement privé d'un quartier résidentiel de Strasbourg. En bas de l'immeuble, une hôtesse de Musica nous accueille, nous emmenant au troisième étage d'un bel immeuble de l'allée de la Roberstau et quatre coups discrètement frappés à la porte préviennent de notre arrivée. 


Musica - Concert pour soi - Paola Bodin Navas - Photo: lfdd


Au bout de quelques instants, une jeune femme en noir nous ouvre et emmène au bout d'un (très) long couloir dans une pièce sur cour à la lumière tamisée.  Sur une table, un livre ouvert avec une peinture de John Martin Sadak à la recherche des eaux de l'oubli, oeuvre romantique que l'on va découvrir par surprise plus tard de manière bien mystérieuse et à côté, entre autres objets, la photo d'un jeune homme "en souvenir" et au mur quelques dessins et gravures, en particuliers un petit dessin de Véronique Boyer de la série "Les yeux fermés".

 

Musica - Concert pour soi - Photo: lfdd


Installés dans des fauteuils, nous entendons venant de la pièce adjacente un disque qui "gratte": un phonographe sur lequel tourne un disque noir. Soudain une voix masculine qui nous dit "Vous m'entendez" émerge de la pièce et semble surgir du pavillon. Un fantôme nous parle et nous ne pouvons lui répondre. Nous nous désaltérons d'un verre d'eau et la jeune femme en noir revient nous chercher et nous mène au bout du long couloir qui va vers l'obscurité encore au bout d'un autre couloir à angle droit vers une pièce qui semble donner sur la rue mais dont les volets sont fermés. Nous nous installons dans une pièce meublée de bibliothèques, face à une grande armoire avec de grands miroirs sur laquelle s'étale langoureusement une plante verte. 


Musica - Concert pour soi - Paola Bodin Navas - Photo: lfdd

La jeune fille s'installe avec son violoncelle dans un coin devant une lampe à grand abat-jour sur une des deux chaises et  nous annonce le programme: Elle va démarrer par les Sacher Variations de Witold Lutoslawski puis des extraits de la Suite N° 2 en si mineur de J.S. Bach. 


Musica - Concert pour soi - Paola Bodin Navas - Photo: lfdd


Les variations Sacher ont été composées pour Msitslav Rostropovitch pour les soixante-dix ans de Paul Sacher. L'interprète Paola Bodin Navas en fait une interprétation très sensible et le son du violoncelle nous pénètre au plus profond.

 

Musica - Concert pour soi - Paola Bodin Navas - Antoine Martynciow - Photo: lfdd


Elle continue avec les extraits de Bach. Pendant qu'elle joue, une présence arrive derrière nous, un jeune homme pieds nus s'assied à côté d'elle et la rejoint sur quelques extraits de la Suite sur laquelle ils se complètent à merveille. Puis la jeune femme, discrètement s'éclipse tandis que le jeune homme continue seul la Suite.


Musica - Concert pour soi -  Antoine Martynciow - Photo: lfdd

 Ensuite, ouvrant les portes de la grande armoire il cherche une partition puis laisse les portes ouvertes. La porte centrale découvre en un surprenant effet d'optique le tableau déjà vu en reproduction à l'arrière de l'armoire. 


Musica - Concert pour soi -  Antoine Martynciow - Photo: lfdd

La pièce suivante est la composition Sept papillons de 2010 de Kaija Saariaho, hommage posthume à la compositrice qui vient de nous quitter. Dans la pièce nous entendons les papillons frapper contre une vitre et, à la fin s'en aller au loin.  


Musica - Concert pour soi -  Antoine Martynciow - Photo: lfdd

Musica - Concert pour soi -  Antoine Martynciow - Photo: lfdd


Un court et sympathique échange avec Antoine Martynciow et l'heure est venue de repartir dans les rues de la ville où le soleil est encore bien présent. C'était une parenthèse enchantée et un peu magique, surnaturelle. En tout cas une très belle expérience.


La Fleur du Dimanche

Le Quatuor Arditti prend la machine à remonter le temps et cela dure pour notre plus grand plaisir

 Une fidèle spectatrice de Musica fait la programmation et choisit de faire revivre le programme du mardi 17  septembre 1985 pour partager l'émotion qu'elle avait ressenti à l'époque. 


Musica - Musica 84 - Quatuor Arditti - Photo: lfdd


Le Festival Musica qui fête cette année ses 40 ans avait lancé un appel à ses spectateurs "historiques" et quelques-uns ont répondu à l'appel, qui programmant des musiciens et danseurs palestiniens (Alain Harster), qui un compositeur méconnu, jamais joué: Olivier Greif (Bernard Pfister), qui un mini récital de violoncelle pour les enfants, une proposition de Françoise et Vincent Barret et de leur petit-fils Mathis ou encore une soirée expérience avec l'ensemble Itinéraire dans le nouveau bâtiment des Compagnons du Devoir à Koenigshoffen (l'architecte Louis Picon).


Musica - Musica 84 - Quatuor Arditti - Photo: lfdd

Il y avait aussi bien sûr la proposition graphique de Véronique Boyer de nous faire revivre grâce à ses milliers de dessins dans les carnets de sa grand-mère qu'elle a rempli année après année, à chaque concert depuis les débuts du Festival Musica et où elle "croquait" dans le noir de la salle les musiciens pour leur rajouter la couleur du souvenir. Des centaines de dessins magnifiquement reproduits (scannés et nettoyés) ont été exposés dans le "lieu" du Festival, avec les carnets originaux qui iront dans les archives de Musica, pendant toute la durée du Festival dans le bâtiment de l'ancienne Poste place de la Cathédrale. 


Musica - Musica 84 - Quatuor Arditti - Boulez - Photo: lfdd

Et donc ce concert "17 Septembre 1984" à l'église Sainte Aurélie à Strasbourg qui reprend le programme Boulez, Xenakis et Ligetti d'origine, revoit Irvine Arditti, le fondateur du quatuor en 1974 qui en 1985 était accompagné d' Alexander Balanescu au violon, Garth Knox à l'alto et Rohan de Saram au violoncelle, mais aujourd'hui, ce sont Ashot Sarkissjan au violon, Ralf Ehlers à l'alto et Lucas Fels au violoncelle qui l'entourent. Et bien que la scène ait été installée comme en 1985 à partir de photos d'archives, pour Violaine Bouttier, à l'origine de cette " reconstitution ", tout comme pour ceux - il y en a quelques-uns- qui ont assisté au concert "original" et tous les autres qui sont venus voir cette "commémoration",  ni le concert, ni la disposition (le soleil de midi gênant un moment les musiciens; les forçant à bouger un peu - il est vrai qu'en 1985 le concert s'est tenu le soir) ne sont les mêmes.

 

Musica - Musica 84 - Quatuor Arditti - Boulez - Photo: lfdd

Et alors que Violaine se souvient des "crins qui volent" pour le Ligetti, ce seront deux cordes cassées qui interrompront le concert de ce jour. Et vu l'heure (début à 11h00) et la durée du concert (plus de deux heures et demies avec les pauses et les interruptions) certains spectateurs ont suivi leur estomac. Mais celles et ceux qui sont restés ne sont pas pour autant restés sur leur faim, si l'on peut dire. La prestation était magnifique et le programme consistant. A commencer par le long Livre pour quatuor de Boulez avec cinq des six mouvements - ou "feuillets" qui dans des manières différentes expérimentent les rapports entre sons ponctuels et sons sons tenus. C'est une pièce très intériorisée, contenue, dense et légère à la fois.


Musica - Musica 84 - Quatuor Arditti - Boulez - Photo: lfdd

Le premier mouvement joue plutôt sur les silences et les attaques de sons. Sur l'ensemble, les instruments sont très indépendants tout en se répondant et dialoguant dans une belle intelligence, souvent tout en douceur et délicatesse. Des glissades sonores, une fois avec une fin très surprenante et abrupte, ainsi que nombre de pizzicato ponctuent la pièce. Cette pièce de Boulez datant de 1949, la première où il n'intègre pas de piano est s'inscrit avec succès dans une lignée historique de quatuors dont elle n'a pas à rougir, surtout avec des interprètes remarquables qui ont ressorti cette pièce dans leur répertoire.


Musica - Musica 84 - Quatuor Arditti - Photo: lfdd

La deuxième pièce est la commande de la fondation Gulbekian à Yannis Xenakis en 1983 Tétras dédiée au Quatuor Arditti. Il explore le glissando qu'il fait varier en hauteur et en rythmique, en attaque également, ainsi qu'en volume. Irvine Arditti introduit le mouvement avant d'être rejoint par l'alto puis ses deux autres partenaires. La pièce alterne des grosses masses sonores et également des pizzicati et se termine en s'éteignant dans un sont tenu qui s'achève dans un souffle discret.


Musica - Musica 84 - Quatuor Arditti - Xenakis - Photo: lfdd

Musica - Musica 84 - Quatuor Arditti - Xenakis - Photo: lfdd

Le concert s'achève avec le Deuxième quatuor à cordes de Ligeti (1968). La pièce est composée d'une même idée de structure musicale qui est traitée de manière différentes dans les cinq mouvements. De longues et lentes glissades musicales tout en finesse alternent avec des moments de presque pizzi et des sons violents. Des moments de silence également et une longue montée en puissance tout en gestes brusques et puis la sérénité. A un moment, de légers pizzicatos, genre tic-tacs qui émergent et s'accélèrent, enflent et prennent corps et volume.  Une opposition continuelle entre silence et éclats.


Musica - Musica 84 - Quatuor Arditti - Ligeti - Photo: lfdd

Une très belle matinée bien remplie, qui permet de découvrir ou de réentendre ce mythique quatuor avec de très belles pages de musique chambriste de compositeur qui ont marqué le XXème siècle. Un grand moment de bonheur.


Musica - Musica 84 - Quatuor Arditti - Photo: lfdd


La Fleur du Dimanche


vendredi 29 septembre 2023

Avec le Quatuor Arditti, Jenifer Walshe nous dit "Everything is important" elle nous le chante et nous le joue et le montre

 En création française à Musica à la Salle Ponelle, la pièce de 2016 "Everything is important" pièce pour voix, cordes et vidéo composée par Jennifer Walshe pour le Quatuor Arditti, en collaboration avec Irvine Arditti nous arrive avec un petit décalage, ce qui en fait une pièce importante et curieuse mais aussi un peu datée, les images et les technologies vieillissant rapidement. Bien sûr le message est toujours d'actualité et Keith Haring (déjà) quand il disait "Nothing is important...so everything is important." “Rien n'est important...donc tout est important.” était dans le vrai: On peut parler ( chanter, disserter, montrer) de tout. Car dans la pièce de Jennifer Walshe, l'on (elle et un moment le violoniste Ashot Sarkissjan dans un mégaphone et bien sûr à certain moments dans la vidéo) parle, chante (elle aussi), joue de la musique (tout le Quatuor Arditti), écrit (sur l'écran) et montre des images (même empilées les unes sur les autres. 

Musica - Jennifer Walshe - Quatuor Arditti - Photo: lfdd


Jennifer Walshe ne se contente pas de chanter et de parler, elle fait aussi des vocalises des cris et des chuchotements, à un moment dans un entonnoir qui a aussi serve de longue vue. La vidéo ou plutôt les vidéos qui passent en fond de scène comportent des images spatiales, d'éruptions solaires ou de la Lune, ou du système solaire, mais aussi de mer enragée de paysages désertifiés, de mode et de livres technique, ou de cuisine ou de fleurs. Il y a aussi des passages où l'on caresse du doigt les nuages et l'horizon. On assiste aussi à une séance de maquillage de camouflage. Le texte qu'elle agglomère en un collage un peu surréaliste traite de tous ces sujets, à la fois scientifiques, botaniques, techniques, dans un savant mélange et une partition extraordinaire et versatile, traités en des collisions verbales et sonores.

Musica - Jennifer Walshe - Quatuor Arditti - Photo: lfdd


Le Quatuor Arditi est entraîné dans ce maelström, passant de passages lents à des accélérés faramineux de citation musicales classiques - qu'il ralentissent en changeant de gamme. Arrivant à simuler un jeu silencieux en ne touchant pas les cordes - et également chanter en silence, certains musiciens se frottant l'archer au cou. En tout cas la "performance" est réussi dans ce mélange détonant des arts et de la critique sociale pas triste pour un sou.

La Fleur du Dimanche       

jeudi 28 septembre 2023

Musica à Saint Paul - Deuxième: C'est la Lutte pour la libération des sons au 5ème Sonic Temple

 Depuis la première soirée Sonic Temple en 2019 où nous avons pu entendre, entre autres, Phill Niblock à l'orgue et Erwan Keravec à la cornemuse, cette soirée "à la marge" du Festival Musica est devenue une sorte de phare, de repère dans la programmation des musiques d'aujourd'hui qui rassemble les spectateurs "rajeunis" de Musica. Il y a bien sûr encore des têtes argentées qui en insatiables curieux vont découvrir ce menu "à prix libre" que nous propose le festival en explorateur de cette musique un peu nocturne. Le concert qui commence à 21h00 se terminant à minuit sonnante.


Musica - Sonic Temple - Méryll Ampe - Photo: lfdd


Le combat ayant déjà commencé avec Lucha Libre de Méryll Ampe (Lutte en français) qui a débuté le 1er round avec ses mélanges de sons de foule de manifestation sportives - bruits et brouhaha de supporters plutôt dans des stades de foot mixés avec d'autres sons dans une belle énergie et un gros volume (quelquefois les bouchons d'oreilles sont installés pour la protection.


Musica - Sonic Temple - Méryll Ampe - Gilles Oltz - Photo: lfdd

Musica - Sonic Temple - Gilles Oltz - Photo: lfdd

Musica - Sonic Temple - Gilles Oltz - Photo: lfdd


Le son ne s'éteint pas totalement lorsque Gikkes Oltz joue sa Pasacalles de 1er tono et son Estacio Lacerna Tento de 6eme tono . 


Musica - Sonic Temple - Daniel Zea - François Papirer - Photo: lfdd

Musica - Sonic Temple - Daniel Zea - François Papirer - Photo: lfdd

Musica - Sonic Temple - Daniel Zea - François Papirer - Photo: lfdd

Par contre, la cloche sonne pour annoncer la pièce de Daniel Zea et François Papirer Primitivo en création mondiale. Ce sera pendant un grosse demi heure un festival de maracas "augmentés" joués par le bien connu à Strasbourg musicien des Percussions François Papirer qui nous emmène dans des variations de rythme et de  frappe, transformés derrière son ordinateur par le musicien Daniel Zea que nous avions déjà pu voir l'année dernière. C'est à une transformation fine et variée du son produit par le percussionniste, que le musicien procède. Ainsi, il va avec une grande précision transmettre la finesse d'interprétation pour aller, par exemple dans le passage Brian Eno Pop arriver à des moment percutants équivalents à des frappes sur une grosse caisse avec un son spatialisé sur les différents micros qui captent le son en le renvoyant sur des haut-parleurs disséminés au quatre coins de l'église. Il y mélange des sons électroniques, d'autres fois il joue sur les échos ou les boucles ou des scratches et la pièce se termine dans une grande délicatesse dans un long décrescendo de petites graine de son qui s'envolent.


Musica - Sonic Temple - Vica Pacheco - Photo: lfdd

Musica - Sonic Temple - Vica Pacheco - Photo: lfdd

Musica - Sonic Temple - Vica Pacheco - Photo: lfdd


Méryll Ampe revient pour un deuxième round de sa Lucha Libre, toujours dans son mélange de foule sportive dans de grands rassemblements, mixés et soutenus d'autres sons et Vica Pacheco, elle nous emmène avec Animacy - or a breath manifest pour un long voyage dans une ambiance rêveuse, emplie de sons aigus et quelques uns semblables à des chants d'oiseaux qui de répètent en boucle et de respirations, de chuchotement, de crissements pour arriver à des ambiances plus graves et des sons qui ralentissent vers la fin.

Troisième et dernier round pour Méryll Ampe, cette fois-ci une Lucha Libre dans une sonorité plus proche de la boxe et des coups de poings pour se transformer en bruits de fusillades et de guerre avec des bombes qui explosent au loin.

 


Musica - Sonic Temple - Julien Desprez - Photo: lfdd

Musica - Sonic Temple - Julien Desprez - Photo: lfdd

Musica - Sonic Temple - Julien Desprez - Photo: lfdd


Puis, c'est Julien Desprez qui était déjà venu pour l'édition Musica de 2017 nous offre avec Simply Are son jeu très original de la guitare où entre grattage, frottage, bruit blanc et bruits d'arcs électriques, il nous propose une superbe prestation en solo où l'on sent qu'il maîtrise totalement l'instrument qu'il frappe, triture et tord entre ses mains pour en sortir des sons très originaux mais cependant très intéressant. Entre échos, distorsion, larsen maîtrisé et notes tenues sur la distance tout en y posant d'autres notes ou accord, il arrive aussi à chanter un air haché et à faire entendre le pur son acoustique des cordes dans d'étranges mélanges. Une belle performance, qui a aussi un très intéressant aspect visuel.


Musica - Sonic Temple - Mario de Vega - Photo: lfdd

Musica - Sonic Temple - Mario de Vega - Photo: lfdd

Musica - Sonic Temple - Mario de Vega - Photo: lfdd

Musica - Sonic Temple - Mario de Vega - Photo: lfdd

Musica - Sonic Temple - Mario de Vega - Photo: lfdd


Visuellement, la dernière pièce l'est aussi, intéressante car Mario de Vega joue avec nos sens et, donc pour El llamado (l'appel) il nous plonge dans un univers curieux de sifflements qui rappellent ces siffleurs de la Gomera et leur langage codé. De plus, se déplaçant à couvert (presque) dans le noir sur une terrasse derrière une balustrade dans le choeur, ce son qui se multiplie part en écho, et qui envahit l'église sans que l'on sache d'où cela provient. Des nappes sonores s'y ajoutent et tous cela se clôt dans un magma sonore qui noie tout et qui devient une image sonore qui enfle.


La Fleur du Dimanche 


mardi 26 septembre 2023

Enno Poppe à Musica avec l'Intercontemporain: Extension, réduction... et la créativité fleurit de micro à macro

 Deuxième soirée Musica avec l'Intercontemporain et c'est Enno Poppe qui prend les rênes de l'Ensemble pour diriger deux de ses dernières oeuvres. 

Pour commencer, c'est la création française de sa pièce Blumen (2023) - Fleurs, une pièce qu'il a écrite à l'opposé de ses précédentes où il partait sur le concept d'expansion - l'autre oeuvre présentée dure cinquante minutes et elle est composée de neuf parties dont la première ne dure que deux minutes et demie et la dernière plus de dix minutes.


Musica - Enno Poppe - Blumen - Photo: lfdd

Pour Blumen il part sur l'idée de faire court et il nous présente donc cette pièce constituée de quinze mouvements allant de quinze secondes à trois minutes. Certains sont portés par des mélodies, d'autres sont des suites d'accords et chacun des mouvements est traité différemment. Et c'est l'ensemble qui fait l'unité dans cette différence. C'est très frais et vivifiant, on ne s'ennuie pas, les pièces se suivent et c'est à chaque fois une surprise en terme de jeu, de traitement et de mode. Le challenge est de trouver une manière originale à la fois pour les introductions et le final mais aussi pour tout ce qui se passe entre, fut-ce très court. La réussite de ce pari est évidente et le résultat est plaisant et souvent plein d'humour. 


Musica - Enno Poppe - Blumen - Photo: lfdd

Nous y entendons, ici le cri des vents, là des gammes descendantes, ici encore de petits sons brefs, des micro-sons qui s'accumulent, s'allongent et s'étendent. Là encore le trombone qui pleure, gémit ou s'excite (souvent, superbe Lucas Ounissi), un moment soutenu par des clochettes qui virevoltent. Ici une flûte qui miaule avec douceur, ou les violons qui entrecroisent les résonances, ou qui pleurent à d'autres moment. Le trombone fait son solo dans la pièce N° 9; la 10 voit des impacts et des trémolos très courts et la 15 est réduite à presque des "grains de poussière". De temps en temps, une mélodie émerge ou alors la musique part d'un instrument, s'étale et se répand, infuse et se diffuse à l'entour. Le résultat est une très belle expérience sonore que la vue du compositeur dirigeant l'orchestre de ses gestes élancés et généreux ne fait qu'augmenter le plaisir.


Musica - Enno Poppe - Prozession - Photo: lfdd

La deuxième partie, plat de résistance par excellence, voit donc la pièce que le compositeur avait commencée en 2015 (il en avait écrit 8 minutes) et qu'il a pu compléter pendant le confinement en quatre mois: Prozession (2015-2020), c'est donc une pièce qui s'épanche et s'étend. Elle démarre avec de petites frappes de percussion, telles des goutes de pluie, qui continuent et se transforment et vont ainsi prendre le pouvoir dans la pièce pendant une bonne trentaine de minutes pour arriver à de grand éclats et des frappes vigoureuses obligeant les musiciens à se boucher les oreilles. 


Musica - Enno Poppe - Prozession - Photo: lfdd

Les sons, comme quelquefois dans Blumen migrent d'une instrument à l'autre, ils se superposent et s'étendent par vague, quelquefois se distendent, déraillent ou encore se rassemblent en de formidables masses sonores où les différentes familles - vents, cordes,... - installent des harmonies curieuses. 


Musica - Enno Poppe - Prozession - Photo: lfdd

Pour la fin de la pièce, la présence d'une guitare électrique (Benjamin Garson) et deux orgues Korg BX3 (Hidéki Nagano et Sébastien Vichard) créent une ambiance nappée de vagues sonores ondulantes et tournoyantes qui nous emportent dans une douce sérénité. Et la conclusion de la pièce avec ces sons qui décroissent, complétés par le frottement de plus en plus léger de brosses sur les caisses claires, jusqu'à en devenir imperceptible sont un très bel atterrissage après ce voyage de presqu'une heure dans l'univers de ce compositeur allemand de talent.


La Fleur du Dimanche  

lundi 25 septembre 2023

Avec l'Ensemble Intercontemporain à Musica, la musique s'ébranle et va de l'avant avec Pierre Bleuse

 La venue à Strasbourg au Festival Musica de l'Ensemble Intercontemporain, créé par Pierre Boulez en 1976 grâce au soutien de  Michel Guy n'est pas rare. Rappelez-vous leur "Hommage à Klaus Nomi" réorchestré par Olga Neuwirth en 2020. Les objectifs et la passion de la musique contemporaine les réunit et Pierre Bleuse nouvellement nommé à la tête de l'ensemble a concocté un programme pour les quarante ans de Musica mettant en avant deux compositeurs habitués au Festival, Michaël Levinas et Hughes Dufourt qui a choisi Strasbourg comme résidence en regard d'une encore jeune compositrice australienne Liza Lim.


Musica - Ensemble Intercontemporain - Michaël Levinas- Photo: lfdd

Pour cette soirée intitulée L'ébranlement, c'est la créati0n de Michaël Levinas Les Voix ébranlées cherche à nous faire entendre les "larmes des sons", l'ébranlement de la voix dans l'orchestre. Ainsi dans cette pièce en deux sections, la première s'appuyant sur une passacaille bien dansante et roulante qui voit la musique du contrebasson, s'étendre dans les registres très graves au piano et à la contrebasse puis aux cordes pour envahir tout l'orchestre en roulements et éclats. Et pour la deuxième section ces roulements tournoyants voyant surgir quelques éclats puis repartir inexorablement dans un mélange des son polyphoniques.


La Horde (C) Amsterdam - Stedelijk Museum Amsterdam

Pour La Horde d'après Max Ernst (2022), Hugues Dufourt nous offre des sons bruts et des coups d'archets, des superpositions et des disharmonies qui nous emmènent dans un environnement sauvage et inquiétant. Les vents démarrent en soufflant à blanc, installant un tapis de bruits légers que viennent soutenir les maracas. Ce sont ensuite les cordes qui construisent cette atmosphère de frottements bruts qui se propagent à la harpe pendant que les vents tiennent des sons qui se superposent, s'entrecroisent et se multiplient. Le tuba, le basson, la trompette, le trombone sonnent et la clarinette vibre,  tandis que la flûte, la clarinette et le hautbois superposent leurs couleurs. Et, dans une dernier élan, la flûte lance un dernier crissement.


Musica - Ensemble Intercontemporain - Hugues Dufourt - Photo: lfdd

Avec The Tailor of Time, Liza Lim nous offre une pièce d'inspiration soufie, elle aussi entre le désir et l'ébranlement. Avec les deux solistes, le virtuose Philippe Grauvogel avec ses trois hautbois et la céleste Valeria Kafelnikov qui nous enchante, nous ensorcelle avec sa harpe, nous sommes dans une pièce qui oscille entre désir et anéantissement. La musique se construit et s'effondre pour mieux repartir. 


Musica - Ensemble Intercontemporain - Liza Lim - Photo: lfdd

Les deux solistes introduisent la pièce et régulièrement proposent de beaux solos ou des duos où ils se répondent, avant que l'orchestre monte en puissance ou encore, que de manière inopinée et surprenante les percussions dans un raffut du tonnerre perturbent par plusieurs fois le cours de la pièce par des écroulements bien sonores de boites empilées en déséquilibre. La compositrice a un très bon sens de l'humour (même visuel) au point que vers la fin de la pièce, le percussionniste dans une mise en scène mesurée, accroche divers objets au dessus de ses percussions - une poêle, une cloche, une trompette jouet, une pierre,... sur lesquels il ne va pas frapper mais les "arroser" de grains de riz. 


Musica - Ensemble Intercontemporain - Liza Lim - Photo: lfdd

L'Ensemble Intercontemporain, très à l'aise et très précis dans ces trois compositions montrent encore une fois tout le talent de cette superbe équipe sous la houlette de leur nouveau chef.

Nous attendons avec impatience leur deuxième concert ce mercredi, au même endroit autour des oeuvres d'Enno Poppe. 


Le Fleur du Dimanche