samedi 24 février 2024

Weepers Circus au PréO : Tous ensemble en fanfare, ce n'est pas du cirque

Le groupe Weepers Circus a l'habitude de brasser large. On leur connait des collaborations avec des artistes, des chanteuses (Olivia Ruiz, Juliette, Juliette Gréco, Caroline Loeb,...), des chanteurs rock (Mathias Malzieu, Serge Bégout, Jean Fauque,...) des comédiens (Jean Rochefort, Jean-Claude Carrière,..) des auteurs, et même des politiciens (Michel Rocard). Ils ont fait des concerts, des spectacles pour petits et grands, des disques, des livres-disques, des hommages à des musiciens (dont Brassens). Ils ont fait des tournées avec l'Orchestre Symphonique des Jeunes de Strasbourg et même avec l'Orchestre Symphonique de Strasbourg.


Weepers Circus - le Préo - Photo: Robert Becker


Pour cette soirée au PréO, c'est dans une configuration originale également que nous les retrouvons. Avec l'Harmonie municipale de Reichshoffen dirigée avec élan par Marc Albert, le mariage est heureux. Ce sont les vents, les cuivres et quelques percussions qui donnent le ton, un ton enjoué, envoutant même. Les musiciens amateurs (comme l'a énoncé avec humour Christian Houllé, "entre deux concerts, eux travaillent") nous ont emmenés dans une bonne ambiance, rejoints par le saxophone de Denis Léonhardt, la basse de Franck George et le synthé de Christian Houllé.


Weepers Circus - le Préo - Photo: Robert Becker


Et c'est parti pour une bonne heure et demie de concert, enchaînant les morceaux récents, plus contemporains, un peu électro, ou franchement rythmés avec des bonnes variations de synthé, ou des chansons plus anciennes, avec, entre autres L'oiseau de Paradis, L'ombre et la demoiselle, Tout le monde chante, Le président de la Lune, et bien d'autres encore. Pour les reprises - presque timide - des "anciennes", l'on retrouve le côté plus folk ou musique ethnique ou festive, les airs plus dansants ou même orientalisants.


Weepers Circus - le Préo - Photo: Robert Becker

Weepers Circus - le Préo - Photo: Robert Becker


Les trois mousquetaires se relaient pour alterner les chansons ou les solos et même le batteur Alexandre Goulec Bertrand a droit à son tour de chant avec une composition rythmée et rapide. Denis Léonhardt nous envoûte de ses magnifiques variations à ses saxophones. Franck George jonglant entre basse et violoncelle, fait de même au chant, entre des confidences plus graves et des airs chantés plus dans les aigus. 


Weepers Circus - le Préo - Photo: Robert Becker

Weepers Circus - le Préo - Photo: Robert Becker


On sent vraiment une très belle complicité et une unité dans la troupe, même avec le discret Mathieu Pelletier à la guitare. C'est aussi à l'ukulélé que Franck George commence tout seul une très belle chanson émouvante, rejoint par le groupe, et l'Harmonie pour finir. Belle montée en puissance. 


Weepers Circus - le Préo - Photo: Robert Becker

Weepers Circus - le Préo - Photo: Robert Becker


L'équilibre entre l'orchestre d'Harmonie et le groupe est impeccable, la distribution de jeu, ensemble ou chacun pour leur tour de piste, est impeccable et fait de cette soirée un moment mémorable qui a même permis au public jeune et moins jeune de pousser également la chansonnette ou plutôt des variations pour lesquelles il s'est très bien débrouillé. 


Weepers Circus - le Préo - Photo: Robert Becker


Les textes des chansons passent d'une style qui pourrait presque être des comptines à des textes de pure poésie, quelquefois un peu ténébreux ou énigmatique. Mais les spectateurs sont comblés et pour le rappel ils ont droit non pas à une ou deux, mais à toutes une série de chansons qui ainsi terminent la soirée en apothéose, pas en pleurant mais dans une joie contagieuse.


La Fleur du Dimanche   

vendredi 23 février 2024

Ukraine, triste anniversaire: Guernica - Ukraine comme réponse à la violence

 Le 24 février 2022 marque la date du déclenchement de l'invasion par la Russie du territoire ukrainien. Cette guerre a déjà fait des dizaines de milliers de morts à ce jour et nous n'arrivons pas à en voir la fin.  La presse en parle de moins en moins et les commémorations ou cérémonies sont discrètes. Il est pourtant important de s'opposer à cette guerre et à la guerre en général. Il est important de parler de l'Ukraine et de la terrible situation dans laquelle se trouvent ses habitants. Il est important de soutenir, encore, d'une manière ou d'une autre, ce pays qui en a besoin.

C'est pour cela que l'éditeur de livres d'art, Baudouin Jannink a, suite à l'appel du président Volodymyr Zelenski lors de la Biennale de Venise 2022 adressé aux artiste du monde entier pour soutenir son pays, sollicité l'artiste français mondialement reconnu Jean Pierre Raynaud, pour réaliser une oeuvre. 




Cette oeuvre, que Baudouin Jannink a pensé comme l'écho de l'oeuvre de Pablo Picasso, Guernica - elle a les mêmes dimensions (7.70 m x 3.49) - Jean Pierre Raynaud l'a conçue en utilisant son vocabulaire habituel de signes, lisibles et universellement compréhensibles: le panneau de sens interdit et des bandes verticales noires. Ce sera une image directe, qui ne peut que faire réagir et interroger. Nul besoin d'exégèse. Il suffit de regarder l'oeuvre et le sens, même s'il peut interroger, coule de source. Effectivement ce sens n'est pas unique, univoque. Comme le dit lui-même l'auteur: "Le sens interdit c'est un mur, un mur c'est fait pour vous protéger ou vous enfermer". Mais pourquoi y a-t-il un demi sens interdit à côté du premier ? A chacun d'en trouver sa propre explication. Tout comme ces deux bandes noires, qu'y voit-on ? A vous de jouer... 




Cette oeuvre a été offerte à l'Ukraine via son ambassadeur à Paris S.E Vadym Omelchenko en présence de Viktoriia Goulenko, conseillère culturelle à l'ambassade d'Ukraine à Paris et directrice du Centre culturel ukrainien lors de l'inauguration de l'exposition le 24 février 2023, premier anniversaire du début du conflit. Cette exposition, dans la cour d'honneur de l'Université de  Paris - Sorbonne a vu ces deux oeuvres dialoguer l'une face à l'autre dans cette cour prestigieuse. A l'instar de l'oeuvre de Picasso qui a voyagé dans le monde entier avant d'être enfin accueillie en 1981 dans l'Espagne républicaine pour être exposée au Musée de la Reine Sofia, ces deux oeuvres sont destinées à voyager partout pour rappeler cette guerre et aider à ce qu'elle finisse, mais aussi pour sensibiliser le plus grand nombre de personnes possible, dans un dialogue constructif et humain, aux enjeux de la Paix dans le monde. 



Cela a déjà été le cas lors de la Foire d'Art Contemporain de Strasbourg où plus de 13.000 visiteurs ont pu voir les oeuvres et où il a eu une performance de Geneviève Charras et Baudouin Jannink Aphorismes Dansés en face de l'installation Guernica - Ukraine dans le hall d’entrée (voir plus ici). En plus de l'exposition, une conférence animée par Robert Becker avec Baudouin Jannink, et Jean Pierre Raynaud en direct de Paris, ainsi que le Président du Rotary Club de Kiev qui témoignait en direct de la ville qui se faisait bombarder ce jour-là a permis de recontextualiser le projet. le direct avec Kiev a été rendu possible grâce à Jean-Pierre Wacker de Rotary Club de Strasbourg. Et avec l'aide de Viviane Beoletto, l'événement a aussi vu la première diffusion du clip Marioupol de Voix de Stras' de Catherine Bolzinger et Sophie Rosengart.




La troisième étape du périple de ces deux oeuvres s'est faite en l'Hôtel de Ville de Schiltigheim, ville en bordure Nord de Strasbourg, où elle a été accueillie du 23 janvier au 16 février. Le vernissage a vu la présence, en plus de la Maire Danielle Dambach et son adjointe à la Culture Nathalie Jampoc-Bertand, de l'ambassadeur d'Ukraine auprès du Conseil de l'Europe M. Borys Tarasyuk et de son homologue pour la France M. Pap Ndiaye qui ont tous les deux prononcé un discours très intéressant. La performance de Geneviève Charras et Baudouin Jannink en éclairage artistique de l'oeuvre a été suivie par un récital de deux artistes ukrainiennes réfugiées en Alsace, la chanteuse de l'Opéra de Kiev Hanna Koval accompagnée au piano. par Olga Fekete.




Une quatrième étape hautement symbolique, puisque c'est au Conseil de l'Europe,  huat lieu de la Défense des Droits de l'Homme, là où Volodymyr Zelenski a lancé sa demande de soutien aux pays européens, que l'oeuvre est exposée.  C'est lors d'une  journée dédiée à l’Ukraine avec une commémoration à 9h00 le matin sur le parvis du Conseil de l’Europe et suite à des rencontre internationales destinées à soutenir le pays que l'oeuvre a été inaugurée. Sous la présidence de la commission des Ministres du Liechtenstein via son ambassadeur, la cérémonie a vu la prise de parole par la Secrétaire Générale du Conseil de l'Europe, la croate Marija Pejčinović Burić.



Puis il y a eu les interventions successives de l'Ambassadeur d'Ukraine auprès du Conseil de l'Europe M. Borys Tarasyuk, ainsi que de l'Ambassadeur d'Espagne M.Juan Ignacio Morro et pour finir Baudouin Jannink qui a lu un texte de Jean Pierre Raynaud que je vous offre ici: 

"Je suis un artiste, engagé pour l’art.

 Je suis aussi un homme face à la menace – à la fois réelle et imaginaire –, l’art est ma réponse à la violence, au drame. La violence n’est acceptable que dans l’art, j’ai simplement voulu réagir à la brutalité du monde.

Ma particularité, je travaille avec les signes. La simplicité de la signalétique, qui a toujours été mon vocabulaire, est déterminante car elle permet de rencontrer tout le monde. L’art est universel, il est l’être humain. Il faut aller à l’essentiel. 

Depuis 1962, c’est le but que je me suis donné. Il s’agit toujours pour moi de développer mes rêves pour échapper à la violence du monde."




L'exposition se tiendra jusqu'au 18 mars 2024. L'entré est libre mais il faut s'inscrire auprès du Conseil de l'Europe pour participer à une visite guidée de groupe (plus de renseignements ici).




Je vous transmets aussi le message de Baudouin Jannink, son appel à contribuer à diffuser cette installation et à contribuer à son déploiement:

"Vous pouvez aussi aider l’art à remplacer la guerre en contribuant à faire circuler dans votre pays, dans votre ville ces deux œuvres. A leur trouver l’espace d’exposition qu’elles méritent. A créer un événement artistique et humanitaire majeur, comme celui d’aujourd’hui. J’espère, ainsi que Jean Pierre Raynaud, pouvoir compter sur vous. J’espère que l’Ukraine peut compter sur vous aussi.

C’est un geste fort. Et ce geste peut être le vôtre."

Pour terminer, je vous dirai simplement que l’art est non seulement un instrument de guerre, mais grâce à vous surtout, un instrument de paix.




Les étapes suivantes sont en train de se mettre en place, revenez ici régulièrement pour savoir si l'oeuvre sera visible près de chez vous.

Et si vous souhaiter participer ou aider à la diffusion de ce projet, ou si vous avez des questions, merci de faire un mail à lafleurdudimanche [at] gmail (point) com


La Fleur du Dimanche



mercredi 21 février 2024

Ca va bien se passer (J'espère) de Robert Bouvier au TAPS: C'est drôle, si ça se passe mal on rigole bien

 C'est rare qu'un directeur de théâtre aille sur scène autrement que pour annoncer qu'il faut éteindre son téléphone portable avant le spectacle. D'ailleurs, Olivier Chapelet l'a fait; il a également annoncé la pièce Ca va bien se passer (J'espère) en précisant qu'elle serait interprétée par Robert Bouvier, ancien élève (diplômé) de l'école supérieure du Théâtre National de Strasbourg. Mais que ce comédien, devenu directeur d'un théâtre se mette en scène et commence par remplacer à lui seul les quelques 35 danseuses du Ballet du Kirov en attendant qu'elles arrivent, c'est plus rare. 


Ca va bien se passer (J'espère) - Robert Bouvier - TAPS


Bon, cela se passe bien parce que ce n'est pas trop long, et qu'en plus c'est drôle. Drôle, en fait cela le restera jusqu'au bout, le temps qu'elles arrivent, mais ça c'est une autre histoire. Une histoire mise en scène par le comédien-directeur de théâtre avec la collaboration de sa cousine Joëlle Bouvier (bien connue comme chorégraphe (sûr qu'elle a mis sa patte au Lac des cygnes du début, entre autres) et à Simon Romang, avec très peu d'accessoires sur la scène mais tous très judicieusement utilisés. Mais, en attendant que les danseuses n'arrivent et que le public, lui va partir, de digression en digression, nous aurons réussi, ou plutôt le directeur aura réussi à nous passer en "revue" sa vie. Qu'elle soit familiale - de sa naissance à ses amitiés - dans sa petite ville au bord du lac, qu'il quitte pour la retrouver en fin de parcours - ou professionnelle - avec cet amour et cette vocation pour le théâtre qu'il attrape très jeune et dont il suit - ou plutôt creuse et creuse sans relâche le chemin.

 

Ca va bien se passer (J'espère) - Robert Bouvier - TAPS


Il nous offre quelquefois avec quelques surprises inattendues qui font le suc de la pièce. Ainsi pour son premier rôle - qui lui a ouvert la vocation, quand dans la représentation de la crèche mise en scène par son institutrice, il devait incarner non le "ravi" mais Balthazar et que dans un élan improvisé et pour faire plus "vrai" (anagramme de ravi), il se barbouille le visage en noir et se retrouve rétrogradé à faire le bœuf. Ca fait de l'effet effectivement. J'en connais d'autres qui, ayant, à défaut d'accessoires - par exemple d'un chapeau pour figurer les champignons dans le conte de Blanche Neige, se sont retrouvés à faire des arbrisseaux et ont détesté le théâtre toute leur vie. Notre apprenti comédien lui, ne s'est pas découragé, qui bien plus tard s'est retrouvé Black Face prédestiné chez Matthias Langhof. Il lui en a fallu du courage et de la persévérance, et de la chance. Entre autre de connaître la coiffeuse de la mère d'un comédien local qui a fait carrière à Paris, ou d'essayer de faire partie de la troupe de Patrice Chereau. Rien ne l'a découragé, et grâce à son obstination il a grimpé les échelles des rôles du cinéma, passant de figurant "mort" à figurant "vivant" puis "à onomatopée" puis à figurant "parlant" par la grâce du quota "suisse" sur une coproduction internationale, il a gravi le "Pic Blanc" pour arriver à son rôle idéal "Lorenzaccio".


Ca va bien se passer (J'espère) - Robert Bouvier - TAPS


Ca ne l'a pas empêché non plus, cet homme toujours en retard avec des "confettis" dans la tête, de postuler à la direction du futur nouveau théâtre de sa ville, et d'être sélectionné... et embauché. Cet entretien d'embauche nous vaut quelques portrait hauts en couleur de quelques personnages typiques, comme l'entrepreneur du bâtiment gestionnaire de cet équipement, et d'autre profils impliqués plus pittoresques les un(e)s que les autres. 


Ca va bien se passer (J'espère) - Robert Bouvier - TAPS


Il y aura quelques situations absurdes ou drolatiques, d'autres surréalistes et également un regard sur les coulisses surprenantes du fonctionnement de ce type de structure. Et encore des notations gratinées sur les lubies, travers et excentricités du milieu artistique. On s'en délasse et on rit de bon coeur. On ne se rend même pas compte de la virtuosité d'adaptation du comédien Robert Bouvier qui arrive à incarner et faire prendre chair à tous ces personnages, passant de l'un à l'autre sans effort, jouant de la voix ou du geste ou de l'attitude pour nous plonger dans cette réalité qu'il nous conte sans faiblir et avec humour. Une belle performance. Cela s'est très bien passé.


La Fleur du Dimanche


Ca va bien se passer (J'espère)

Au TAPS Scala - Strasbourg, le 21 et 22 février 2024

de Robert Bouvier, Joëlle Bouvier, Simon Romang

Mise en scène Joëlle Bouvier, Simon Romang

Compagnie du Passage, Neuchâtel (Suisse)

Avec Robert Bouvier

Lumières Pascal Di Mito Musique et univers sonore Matthias Yannis Babey Musique originale Lucas Warin Costumes Faustine Brenier Décor et accessoires Yvan Schlatter Régie générale Pascal Di Mito Production et diffusion Sandrine Galtier-Gauthey Administration Danielle Junod

mardi 20 février 2024

Fajar d'Adama Diop au TNS: Une étrange traversée

Avec son spectacle Fajar présenté au TNS, Adama Diop nous convie à une étrange traversée. Ce très bon comédien qui a déjà joué, entre autres avec Julien Gosselin, Tiago Rodrigues et Jean-François Sivadier, est retourné à ses origines, son pays, mais aussi la poésie et le texte. Et, période de Covid aidant, il a commencé à se plonger dans son histoire par l'écriture qui a peu a peu pris forme. Cette forme était d'ailleurs plutôt cinématographique, s'appuyant sur un court-métrage, mais allant plus loin au fur et à mesure de ce travail.


Fajar - Adama Diop - TNS - Photo: Simon Gosselin


Et ce qu'on voit ici, sur scène, ce sont plusieurs traversées. Traversée des modes de narration et des médias, traversée de différentes étapes d'une vie et traversée de pays, de continents et également traversée de la mer pour arriver d'Afrique en Europe.  Nous allons suivre l'histoire de Malal, un jeune sénégalais dont la mère vient de mourir, à travers ses errements, ses relations difficiles avec le monde, ses amis, sa compagne Jupiter et ses angoisses qui se traduisent par des rêves surprenants et inquiétants. L'histoire commence, après un poème qui s'inscrit sur la toile tendue sur toute la largeur de la scène, par une voix off qui nous explique la tradition des contes et leur rituel en Afrique où, quand le conteur dit "Il était une fois", l'audience répond "Il était cette fois". 


Fajar - Adama Diop - TNS - Photo: Simon Gosselin


Puis, de manière surprenante, nous plongés dans un film extralarge en noir et blanc, comme un documentaire qui va suivre la vie de notre "héros" Malal. Nous le suivons dans sa vie, indécise, inquiète, avec sa sa femme, ses amis, ses interrogations, ses pensées et les séquences oniriques, rêves, cauchemars ou visions qui apparaissent en couleurs, en particulier sa mère ou une inconnue blonde qui semble le connaître et qui dit s'appeler Marianne. Ce sont de magnifiques images, une très belle réalisation en collaboration avec Rémi Mazet et Pierre Martin Oriol, superbement filmée et bien sûr Adama Diop dans le rôle principal. 


Fajar - Adama Diop - TNS - Photo: Simon Gosselin


A un moment, pour la partie intitulée Interlude, (nous avons déjà eu entre autre La Mère et La plongée, relatives à la mort de la mère et à son épisode dépressif)  l'écran se lève, et l'on voit les trois musiciens que l'on entendait depuis le début, sur scène. la violoniste Anne-Lise Binard, la violoncelliste Léonore Védie et le joueur de ngoni - une sorte de guitare traditionnelle - Dramane Dembélé. Plus tard il va aussi jouer de la flûte mandingue, curieux instrument où il chante aussi en jouant. Leurs airs et improvisation, complétés par la musique électronique composé par Chloé Thévenin, accompagnent à merveille le déroulé de cette histoire. 


Fajar - Adama Diop - TNS - Photo: Simon Gosselin


Le dialogue entre scène et écran se renforce. Sur l'écran, les épisodes se succèdent, une envolée céleste (L'Ascension) et une transformation (L'Exuviation) plus périlleuse, avec la rencontre aussi d'un sage sur le bord de la mer (hiératique Frédéric Leidgens). Suit une fantomatique traversée des eaux dans la brume, belle image théâtrale pleine d'onirisme. Et l'on se réveille dans le camp des réfugiés, où nous attend le cataclysme et l'incendie. A se demander si le personnage n'est pas poursuivi par le sort qui s'abat sur lui et surtout sur les êtres qu'il côtoie. 


Fajar - Adama Diop - TNS - Photo: Simon Gosselin

Et nous arrivons à la dernière étape de la traversée, où, pour ce qui est de la narration, nous passons d'abord à des images d'actualité où, à la faveur d'une bavure policière dont Malal est la victime, nous voyons des images de manifestations anti-raciale et contre les violences policières qui semblent faire le tour du monde pour basculer dans un univers postapocalyptique dans lequel un conteur - un vrai avec masque et costume traditionnel - va, en litanie, lister les morts et blessé des victimes du racisme et de la xénophobie. 


Fajar - Adama Diop - TNS - Photo: Simon Gosselin


Puis le conteur reprend les apparences du poète pour faire le bilan de cette traversée de presque trois heures, traversée d'une vie, traversée risquée et dangereuse, dont on ne sait jamais où elle vous mène et où la morale pourrait être : "Si tu vas jusqu'à ne plus savoir où tu vas, retourne d'où tu viens." Et l'on pourrait ajouter que ce qui est important n'est pas le but mais le chemin pour y arrive. Et nous sommes très heureux d'avoir pu cheminer ainsi, accompagné de ce verbe beau et riche, cette belle prose poétique qui nous a merveilleusement décrit cette odyssée aventureuse et émouvante. Un destin parmi tant d'autres que nous avons côtoyé au plus près.


La Fleur du Dimanche


Fajar


Au TNS Strasbourg - du 20 au 24 février 2024

Texte et mise en scène
Adama Diop
Avec
Adama Diop
et les musicien·nes
Anne-Lise Binard (alto, chant, guitare électrique)
Dramane Dembélé (ngoni, flûtes mandingues)
Léonore Védie (violoncelle)
Scénographie
Lisetta Buccellato
Son
Martin Hennart
Lumière
Marie-Christine Soma
Vidéo
Pierre Martin Oriol
Costumes
Mame Fagueye Ba
Conception des masques
Étienne Champion
Musique électronique
Chloé Thévenin
Collaboration artistique
Sara Llorca
Écriture et réalisation du film
Adama Diop
À l’image
Emily Adams
Adama Diop
Cheikh Doumbia
Marie-Sophie Ferdane
Frédéric Leidgens
Sara Llorca
Boubacar Sakho
Fatou Jupiter Touré
Issaka Sawadogo
Joséphine Zambo
Chef opérateur
Rémi Mazet
Montage 
Adama Diop
Pierre Martin Oriol
Mixage son
Françis Berrier 

vendredi 16 février 2024

Ben Duke et le Ballet Rambert avec Cerberus et Goat au Théâtre de la Ville: Entre la chèvre et le chien, c'est très électrique et éclectique

 Le Ballet Rambert presque centenaire s'est résolument tourné vers le contemporain en invitant de nombreux chorégraphes contemporains de renom pour dynamiser leurs créations. Avec Ben Duke, étoile filante de la scène, qui mélange les genres avec une pincée de théâtre, de poésie et d'humour, une première création Goat devenue un succès en appelle une deuxième Cerberus. Les deux sont présentées lors d'une même soirée au Théâtre de la Ville Sarah Bernhardt.


Ballet Rambert - Ben Duke - Cerberus - Photo: Camilla Greenwel


Cerberus revisite le mythe d'Orphée dans une longue et incessante traversée du plateau de jardin à cour par les seize danseuses et danseurs de la troupe. Elle démarre sur des roulements de batterie par la difficile naissance d'Euridice (Aishwarya Raut) avec une longue guinde symbole du cordon ombilical qui la mène directement aux Enfers, faisant le malheur d'un Orphée moderne  (Antonelle Sanigardi) tentant de la rechercher tandis que continue cette longue et lancinante traversée. La musique électro de Moderat concourt à rendre pesant ce défilé sans fin, objets de multiples et intéressantes variations chorégraphiques. 


Ballet Rambert - Ben Duke - Cerberus - Photo: Camilla Greenwel


L'arrivée des fumigènes qui baigne la plateau dans une atmosphère plus apaisante, des duos qui se forment et semblent augurer d'une issue heureuse, accompagnés d'une douce musique ressemblant à un air irlandais, laissent un petit espoir qui, bien sûr, connaissant le mythe, sera contrecarrée. N'empêche, nous avons pu assister à toute la virtuosité de ces danseuses et danseurs mise en avant par Ben Duke dans ce spectacle qui mérite bien son succès.



Ballet Rambert - Ben Duke - Goat - Photo: Camilla Greenwel


Après une mise en place pour la deuxième partie, dont le début d'une simili émission de télévision à laquelle les spectateurs se prennent au jeu, déboule Alex, un animateur télé se réclamant d'Arte TV, entre le naïf et le niais (Miguel Altunaga), en faisant parfois (volontairement) trop et apportant une distanciation pas très brechtienne. La troupe en costumes des années cinquante procède à des rituels inspirés de la mise à mort du bouc émissaire (que l'on peut voir sur le téléviseur, entre les image du reportage).


Ballet Rambert - Ben Duke - Goat - Photo: Camilla Greenwel


Dans cette salle de fêtes légèrement désuète, sur la scène un trio de jazz, piano, batterie et contrebasse  Les danseuses et danseurs se lancent dans des danses tribales, un masque de chèvre est coiffé, tous se lancent dans des mouvements endiablés, soit seuls, soit dans de superbes et virtuoses chorégraphies rythmées par la batterie,  par vagues, sans relâche, comme pour un marathon de danse d'où l'on ne sortira pas vivant. 


Ballet Rambert - Ben Duke - Goat - Photo: Camilla Greenwel


Et pour finir, la magnifique chanteuse Nya Ling nous interprète de magnifiques chansons de Nina Simone, mais aussi My Way et Feelings à vous faire dresser les poils. Et Conor, 28 ans sera sacrifié. La chorégraphie est prenante et engageante et le dénouement tragique, souligné par la magique voix de Nya Ling nous séduit et nous glace.


La Fleur du Dimanche


Goat et Cerberus

du 14 au 20 février 2024

Ben Duke
Ballet Rambert Ballet Rambert
Cerberus
Costumes Eleanor Bull Assistants chorégraphie Pip Duke & Winifred Burnet-Smith Musique Moderat, ASMZ, Monteverdi
Goat
Décor Tom Rogers Vidéo Will Duke Assistante chorégraphie & nouvelle mise en scène Winifred Burnet-Smith Arrangements musicaux Yshani Perinpanayagam Musique Newley - Bricusse, MacDermot, François - Revaux - Anka, Dylan, Albert - Gaste
Chorégraphie Ben Duke Lumière Jackie Shemesh
Avec 16 danseurs : Adél Bálint, Aishwarya Raut, Alex Soulliere, Angélique Blasco, Hannah Hernandez, Antonello Sangirardi, Cali Hollister, Conor Kerrigan, Dylan Tedaldi, Jonathan Wade, Joseph Kudra, Max Day, Musa Motha, Naya Lovell, Simone Damberg-Würtz, Seren Williams


jeudi 15 février 2024

Locomotion Templar el templete d'Israel Galvan au Théâtre des Abbesses: le Fou en son Temple

 Israel Galvan, nous le savions déjà, a une tendance vers le divin (voir le billet sur FLA.CO.MEN vu en 2016). Avec sa dernière création Locomotion Templar el templete, Israel Galvan nous offre un détour vers le son et continue de balayer de manière iconoclaste son approche du flamenco. C'est vrai qu'il a, au départ eu plus de reconnaissance en France que dans son pays, porteur de la tradition de cette danse. Et son approche décoiffante de la tradition surprend, et c'est pour cela qu'on l'apprécie. Il a une conception originale de la danse, l'incarnant d'une manière particulière, la vivant totalement dans son corps, mais il met aussi l'accent sur le son, tous les sons, la musique, le rythme, la frappe des pieds et des mains, et les variations qui sont partie intrinsèque de sa danse. Avec cette création qui tire son origine d'une expérience réalisée à Rome au Tempietto de San Pietro in Montorio où il dansait à l'intérieur de ce petit temple, mais où le public ne le voyait pas, étant à l'extérieur, il a continué à explorer ce rapport sonore à la danse. En la menant presque à une expérience limite. 


Locomotion Templar el templete  - Israel Galvan - Photo: Laurent Philippe 


Car, ce danseur aux chaussures de flamenco arrive en pantoufles et commence à se déchausser et à danser sur un matelas pneumatique dont il nous a, au départ, fait entendre le son, le souffle du gonflage. Comme s'il insufflait la vie dans cet objet qu'il rend vivant devant nous. Et ce sont les très discrets bruits de ses pas qui sont les prémices de son "concert dansé" car c'est bien de cela qu'il s'agit au départ. Une fois qu'il nous a installé dans ce presque silence, fait de petits frottements sur le sol et la matière, puis de sa frappe sur ce matelas gonflable, un peu comme ce templar, cette attente du début, dans la danse, qui dure et qu'il fait s'étirer, le son qui va être amplifié et envahir l'espace sonore. Un peu comme si nous rentrions avec lui dans cet univers étrange surprenant, vide de son son habituel. Il nous propose une magnifique danse, habité de sa prestance, altier et expressif, déconstruisant l'image traditionnelle du flamenco. 


Locomotion Templar el templete  - Israel Galvan - Photo: Laurent Philippe 


Puis vient une  jeune comédienne du Théâtre de la Ville, Ilona Astoul, qui pour commencer lit des textes surprenants comme cette recette pour faire fondre le chocolat, autre temps d'attente... Tout doucement, et le percussionniste, Antonio Moreno, et Juan Jimenez Alba au saxophone posent un tapis sonore discret, tandis qu'Ilona Astoul continue à nous lire des textes dont la Métamorphose de Kafka, textes soit en français, soit en espagnol et Israel Galvan dialogue des pieds avec eux. Et nous embarque dans son voyage du rythme et du son, dégonflant le matelas, il va ainsi passer sur des sonorités variées après avoir enfin chaussé ses bottines à talon, une grille métallique, un genre de frottoir en lames de bois et pour finir une plaque noire sur laquelle il va nous montrer tout l'art de son flamenco personnel, dans une longue montée en puissance. 

Locomotion Templar el templete  - Israel Galvan - Photo: Laurent Philippe 


Autant par le geste, altier entier, puissant et habité, que par les frappes répétées, hypnotisantes, appuyées par la montée en tension également des percussions et du saxophone, saxophone échangé à un certain moment par une corne qui gémit et pleure un son ininterrompu. Surgissent aussi au loin des sons de fanfares populaires qui dérivent vers une version adaptée ressemblant aux fanfares et sonneries du concerto d'Aranjuez. Et le maitre nous emmène dans un jeu de rythme où l'on est fasciné à la fois par le son et les frappes du pied et de tous son corps perché sur con cercle sonore. Une expérience extatique qui nous laisse exténués et comblés.


La Fleur du Dimanche


Locomotion Templar el templete


Au Théâtre des Abbesses

du 15 au 24 février 2024 


GALVÁN COMPANY
Conception & chorégraphie Israel Galván
Locomoción Templar el templete
Son Pedro León / Félix Vázquez
Lumières Valentin Donaire
Direction technique Pedro León
Régisseur de plateau Balbi Parra
Management Rosario Gallardo
Avec
Israel Galván
Antonio Moreno, percussions
Juan Jimenez Alba, saxophone et instruments à vent
Ilona Astoul

mercredi 14 février 2024

Simple d’Ayelen Parolin et le chantier Trois nuits de Louise Vanneste à Pôle Sud : Le simplicisme et la simplicité

Commençons simplement par la fin de la soirée à Pôle Sud qui offrait encore une soirée en deux partie, le travail en chantier de Louise Vanneste dans le Studio à 19h00 et le spectacle Simple chorégraphié par Ayelen Parolin à 20h30. Ce dernier spectacle est très attendu, précédé d’une belle réputation et d’un succès au Festival d’Avignon Off. 


Ayelen Parolin - Simple - Photo: François Declercq


Le public, très nombreux et que l’on devine très large est d’abord très discret, en attente, quand un grand énergumène blond, les yeux hagards, arrive sur scène l’air de se demander où il est. Son costume, un justaucorps à dominante rose tacheté de couleurs pastel se détache de la toile de fond recouverte de bandes inégales de couleurs plus franches qui coulent de haut en bas de manière irrégulière. Ses gestes, mélange de danse classique et de mouvements libres à la Merce Cunningham sont irréguliers, ponctués de pauses impromptues. Un deuxième danseur, plus petit et encore plus inquiet, les yeux noirs perçants et fixes, exécute des gestes désordonnés. On sent dans leur attitude qu’ils recherchent le rire. Mais il ne vient pas. 


Ayelen Parolin - Simple - Photo: François Declercq


Ce n'est que quand le troisième larron, habillé pareil que les deux autres déboule de derrière le rideau, mimant le pas du cheval que le public lâche ses premiers rires. Curieux mécanisme que celui du rire, celui qu’on cherche, qu’on force quelquefois. Comme le clown, ce que ne sont pas les danseurs, mais rôle qu’ont sent qu’ils recherchent ardemment, dans leur emphase, dans leur exagération, dans le fait de surjouer leur danse et leurs expressions. L’air presque toujours ahuris ou surpris. Le côté « m’as-tu-vu » de la monstration, comme dans ces « tableaux posés » qu'ils réitèrent en avant-scène en position d’offrande, bras écartés et qui appellent aux applaudissements et qu’ils réactivent régulièrement comme pour un comique de répétition. La répétition est souvent appelée, un peu trop, et l’on essaie de se retrouver dans le chemin de leur narration faite de gestes un peu décalés de la réalité, abstraits. 


Ayelen Parolin - Simple - Photo: François Declercq


Leur danse et leurs mouvements sont maitrisés, et les trois interprètes sont de qualité. Il y a du potentiel. Et les costumes, bien qu’un peu irréels font de beaux effets dans leurs variations en écho avec le fond coloré et que les lumières transforment. Quelquefois on se croirait dans un rêve avec des figures imaginaires qui se déplacent dans un monde parallèle, mais très rapidement on se retrouve dans un ressassement alors que l’on aimerait aller plus loin ou ailleurs. Des pistes sont ouvertes, quelques-unes bienvenues et  qui apportent un peu de mystère comme ces parties où le chant essaie de sortir sans vraiment y arriver. Et là l’effet est intéressant, dans cette pièce sans musique, ou encore les moments où le rythme arrive avec le puis les bâtons frappés au sol, mais là encore, au lieu de rester dans un humour ou une narration simple, cela dérape vers un exutoire un peu fou qui, dans une violence gratuite et destructrice, agitation gratuite et défouloir enfantin qui nous laisse aussi ahuri que les interprètes. 


Ayelen Parolin - Simple - Photo: François Declercq


Le public quant à lui applaudit et semble satisfait, au moins en partie, de ce qu’on lui a proposé qui semble correspondre à ce qui était annoncé. Comme quoi, il ne faut jamais avoir trop d'espoir. D’autant plus que le parcours de la chorégraphe Ayelen Parolin, passée entre autres chez Mathilde Monier et ayant travaillé avec Louise Vanneste pouvait laisser espérer autre chose. On verra une autre pièce pour vérifier son travail.

Celui de Louis Vanneste, vu juste avant, lui, semble prometteur. Sur le plateau nu du studio, elle nous présente une étape du chantier de Trois nuits suivi d’un échange autour de son chantier. Son travail et son univers sont très intéressants. Basé au départ sur l’idée de géologie, de tectonique, sur un texte poétique soutenu par une musique envoutante et marqué par des battements sourds installent une atmosphère enveloppante. Elle-même toute de noir vêtue, recouvre le visage également de sa longue chevelure noire et part dans des mouvements intériorisés semblables à une danse chamanique. Les mains remuent, balancent en répétition tandis que le corps plie un peu. Les bras, un moment battent à l’horizontale, puis semblent vouloir s'envoler. Mais ce sont essentiellement ses mains qui dans de superbes variations de soulèvement, de brassage, de frottements, de caresses, nous plongent dans la matérialité de cet univers. Elle danse toute en diagonales en avant en arrière, toujours le visage caché dans sa chevelure, ce qui crée une impression d’étrangeté irréelle d’être sans tête. Le rythme s’accélère, le texte et la musique aussi, le feu crépite et les mains continuent leurs mouvements mécaniques et organiques. On perçoit en écho les paroles « des cendres se posent sur ta peau électrique ». Une pause se fait, et, changement de situation, elle s’accroupit et se retrouve extatique en attente, comme pour une annonciation. Sous le crépitement d’un feu de bois le texte se fait plus présent, parlant de mains, de glace, de braises... Après la montagne et la maternité, où cela va-t-il aller ? Rendez-vous au spectacle à venir…


La Fleur du Dimanche

dimanche 11 février 2024

Polifeno de Porpora à l'Opéra National du Rhin: Peplum, Amour et Fantaisie

Nicola Porpora, né à Naples en 1686, compositeur et pédagogue - il a eu comme élève le célébrissime castrat Farinelli - a écrit de nombreux opéras (plus de 40). Après Rome, Vienne et Venise, il est allé à Londres sur les terres de Haendel, où il oeuvre dans une compagnie concurrente, l'Opera of the Nobility avec le chanteur Senesino. C'est avec cette compagnie qu'il crée en 1735, avec également Farinelli, l'opéra Polifeno qui obtint un très grand succès. La pièce est malheureusement tombée aux oubliettes, de même que nombre de ses composition. 


Polifeno de Porpora - Opéra National du Rhin - Le Concert d'Astrée - Photo: Clara Beck


Le renouveau de l'intérêt pour la musique baroque l'ont remis sur le devant de la scène et grâce à l'initiative d'Alain Perroux, directeur de l'Opéra National du Rhin et la collaboration d'Emmanuelle Haïm et de son ensemble Le Concert d'Astrée, qui reconstitue cette pièce, Polifeno est présenté à Strasbourg, Colmar et Mulhouse dans une distribution éblouissante avec, entre autres la "star" des contre-ténors Franco Fagioli dans le rôle d'Aci et Paul-Antoine Bénos Djian dans celui d'Ulisse. 


Polifeno de Porpora - Opéra National du Rhin - Le Concert d'Astrée - Photo: Clara Beck


L'opéra de Nicola Porpora intègre dans sa narration deux récits indépendants concernant le cyclope Poliphène, d'une part la mésaventure d'Ulysse fait prisonnier avec ses compagnons dans la grotte du monstre, et d'autre part l'histoire d'amour d'Acis et de Galatée que convoite aussi le cyclope. Comme ce n'est pas assez compliqué, le metteur en scène Bruno Ravella a eu la très ingénieuse idée d'y superposer le tournage d'un film du temps du Peplum italien et de mélanger la vie du tournage avec les séquences du scénario en train de se faire filmer. Mais ne vous inquiétez pas, entre réalité et fiction, mythe et musique, tout cela s'ordonne bien et les airs chantés étant répétés moult fois ajoutés aux sous-titres en français et en allemand permettent de s'accrocher à la trame de l'histoire qui se déroule devant nos yeux et ne manque pas de rebondissements. 


Polifeno de Porpora - Opéra National du Rhin - Le Concert d'Astrée - Photo: Clara Beck


Le traitement  à travers cette mise en abîme qui risque de surprendre un peu les puristes apporte une note humoristique bienvenue et légère. Elle n'enlève rien aux prestations vocales des différents interprètes, toutes et tous d'un très bon niveau. En tout premier lieu, Franco Fagioli, dont la voix balayant les octaves a une capacité à chanter les plus hautes notes sans aucun problème, qu'il arrive en plus à tenir. Il se plait également à chanter des ornements, des trémulations et même quelques chevrotements. 


Polifeno de Porpora - Opéra National du Rhin - Le Concert d'Astrée - Photo: Clara Beck


Non content de chanter comme un dieu, il se permet aussi d'être très à l'aise dans son corps, esquissant avec ravissement d'agréables et grâcieux pas de danse. Pour lui et son rôle c'est une vraie performance que cette pièce de presque trois heures. Du côté féminin, la soprano Madison Nonoa que nous avions déjà vu à l'OnR dans le rôle de Maria dans West Side Story est une impeccable Galatée à la voix magnifique et toute en clarté, tandis que la contralto Delphine Galou incarne une Calypso maîtresse femme. Elle est rompue au répertoire baroque et elle habite divinement la scène. Alysia Hanshaw, membre de l'Opéra Studio et interprète une Nérée tout en finesse. Pour le personnage d'Ulysse, le contreténor Paul-Antoine Bénos Djian, apporte toute la puissance de sa voix, même si elle n'a pas à monter pas autant que celle d'Acis. 


Polifeno de Porpora - Opéra National du Rhin - Le Concert d'Astrée - Photo: Clara Beck


Son costume, plutôt Hercule des péplums qu'Ulysse a un petit côté comique, tout comme celui du monstre Polifeno. Pour le cyclope, les deux versions en "plan américain" et en "plan rapproché", en l'occurrence quand, il est perché en majesté sur un volcan avec Ulysse et ses compagnons réduits à la taille des petits soldats et l'autre où il est symboliquement réduit à sa tête - énorme avec un oeil unique et sa main, toute aussi énorme cherchant son vin ou essayant d'attraper les compagnons, sont une belle invention qui dénotent d'un regard cinématographique. Cette option de mise en scène apporte de la couleur et de la fraîcheur dans le déroulé de l'action. 


Polifeno de Porpora - Opéra National du Rhin - Le Concert d'Astrée - Photo: Clara Beck


La vie d'un plateau de tournage et les petites intrigues que l'on discerne, l'assistante- scripte genre Mary Poppins avec une touche comique et les mouvements incessants sur le plateau entre les "prises" éclairent agréablement le déroulement de la pièce. Les toiles décor - l'impressionnant volcan qui se dresse dans le ciel et la plage lumineuse avec l'île d'Ogygie au fond - apportent le rêve et l'évasion, même l'exotisme. En particulier avec une adorable séquence de danse baroque en costume de vahiné. Le "rêve" d'Ulysse et ses effets spéciaux est également un beau clin d'oeil. 


Polifeno de Porpora - Opéra National du Rhin - Le Concert d'Astrée - Photo: Clara Beck


Les séquences de "tournage" à proprement parler ne sont pas trop "lourdes" - même si un gros projecteur se transforme symboliquement en un énorme rocher meurtrier.  Et les différentes variations autour de l'Amour permettent aux interprètes de le chanter dans toutes les couleurs. Une mention spéciale pour Le Concert d'Astrée qui joue sur des instruments anciens, dirigé toute en retenue Emmanuelle Haïm.


Polifeno de Porpora - Opéra National du Rhin - Le Concert d'Astrée - Photo: Clara Beck


La sonorité particulière convient tout à fait à ces airs renouvelés et répétés qui nous parlent d'amours lancinantes, d'absence, d'attente et de douleur pour finir dans un double duo d'amour libérateur d'autant plus agréable. Et le mot Fin peut s'afficher sur l'écran.


La Fleur de Dimanche


A Strasbourg, du 5 au 11 février à l'Opéra National du Rhin

A Mulhouse au Théâtre de la Sinne le 25 et 27 février 2024

A Colmar au Théâtre Municipal le 10 mars 2024