dimanche 28 février 2021

Dans les vergers avec Philippe Jaccottet et Rilke et puis Marguerite et Hélène

Le printemps est là, enfin presque... Les fleurs sortent, les nivéoles, les perce-neige, les crocus de toutes les couleurs, les magnolias se préparent à fendre et éclater leurs bourgeons-carapace. 

Niveoles - Photo: lfdd


Les fleurs des vergers aussi, un peu plus au Sud. Et concernant les vergers, une pensée émue à un immense poète qui vient de nous quitter à 95 ans, Philippe Jaccottet.

Je vous avais offert un extrait de son texte "Méfie-toi des images. Méfie-toi des fleurs.extrait de son livre "A travers un verger":

"Méfie-toi des images. Méfie-toi des fleurs. Légères comme les paroles. Peut-on jamais savoir si elles mentent, égarent, ou si elles guident? Moi qui suis de loin en loin ramenées à elles, moi qui n'ai qu'elles ou à peu près, je me mets en garde contre elles. Quand on vieillit, le regard intérieur se fait myope. On rêve moins. On devient plus avide et plus avare. On vieillit quand on commence à se retourner."

En hommage, je vous offre aussi le premier poème de Verger de Rilke, un poète qu'il appréciait beaucoup.

Ce soir mon coeur fait chanter
des anges qui se souviennent...
Une voix, presque mienne,
par trop de silence tentée,
monte et se décide
à ne plus revenir ;
tendre et intrépide,
à quoi va-t-elle s'unir ?


Crocus bleu - Photo: lfdd


Il a d'ailleurs écrit un livre sur lui intitulé Rilke où il dit:

"René Rilke, c'est Rilke avant Rilke, non pas un génie précoce, mais un jeune homme sensible qui écrit par don naturel et pour s'opposer à ce qui l'a blessé : la médiocrité du milieu, la raideur de son père, la frivolité et la bigoterie de sa mère, la brutalité de l'Ecole militaire ; et puis aussi toute la détresse humaine, devinée de loin...

C'est l'adolescent qui se promène dans Prague un iris à la main, parce qu'il a l'âge maladroit où l'opposition prend volontiers les formes les plus extérieures, les plus voyantes. C'est un être meurtri, mal préparé en effet à la vie ; mais il dispose de cette arme qu'il a opposée dans son tout premier texte à l'épée : la plume."


Crocus jaune - Photo: lfdd


Et je vous offre un autre poème extrait de "A travers le Verger":

"Comment se fait-il que nous puissions fermer les yeux et garder en nous le visible ? Et ne nous serait-il pas permis, et même intimé, de faire comme l'anémone qui se referme, au soir, sur ce qu'elle a absorbé de jour, et se rouvre le lendemain un peu plus grande?"

Et Marguerite, allez-vous me dire, "Et Marguerite?", ben Marguerite, c'est Duras, et une de ses dernières interview, dans le documentaire "Marguerite Duras, l'écriture et la vie" de Lise Baron où elle dit:

"Ecrire, c'est ne rien dire...

C'est écrire.

Un écrivain, c'est muet !

C'est impossible de parler d'un livre à quelqu'un..

C'est vraiment une nuit.

C'est la nuit, un livre c'est la nuit, oui.

Ca va me faire pleurer,

Je ne sais pas pourquoi!


Bon, on ne va pas pleurer, mais je vous offre des scilles:

Scilles - Photo: lfdd



Autre hommage, c'est à Hélène Partin qui vient de nous quitter également, un peu moins connue qu'Anne Sylvestre, mais une grande femme également, la voilà qui chante Aragon - Chanson noire:



Et puis Mes amis mes amours 



Hélène Martin d'après Jean Genet - Le condamné à mort:




A suivre...


Bon Dimanche


La Fleur du Dimanche

samedi 20 février 2021

La Fleur du Dimanche - le blog - fête ses dix ans: Décade prodigieuse ou décennie décimée

 La Fleur du Dimanche, le blog, a dix ans...

Né le 20 février 2011, un dimanche (Naissance d'une Fleur : La Fleur du Dimanche), ce blog vit pendant de nombreuses années un billet tous les dimanches avec la publication d'une fleur et un ou des TVA (Texte à Valeur Ajoutée) presque chaque dimanche sans interruption - même les dimanches de vacances furent nourris de vos fleurs pour ne pas manquer de la beauté des fleurs. Il se déployât également en semaine avec des billets sur le cinéma (un temps le lundi), des expositions (en général le mercredi) et des sorties culturelles (Théâtre, danse, concerts,..).

Le 18 février 2018, (The End: c'est la fin de la Fleur du Dimanche. C'est la fin..après 7 années de fidèles rendez-vous, ce rendez-vous (un peu) contraignant fut mis en pause et les billets dominicaux plus irréguliers, les autres, à l'occasion, toujours fidèles, jusqu'à ce bizarre épisode de confinement l'année dernière.

Et le 19 octobre 2019, le cap des 1000 billets (En plein dans le Mille, je fais le 1001 avec Emile et vous conterai la suite un autre jour - une autre nuit...vit le début d'un parcours récapitulatif de toutes les photos de fleurs publiées depuis l'origine et la création du groupe 1001 Fleurs - 1001 amis (le premier) sur Facebook.

Aujourd'hui alors que ce groupe a subi deux renaissances successives, avec le nouveau groupe 1001 Fleurs - 1001 Amis, nous en sommes à 1183 Fleurs republiées: Celle-ci, la Fleur de bois pour célébrer cet anniversaire:


La fleur des dix ans de La Fleur du Dimanche - Photo: lfdd


Alors à tou(te)s les fidèles lecteur(trice)s, à tou(te)s les ami(e)s qui suivent ces aventures depuis le début ou depuis plus récemment, par mail (Eh oui! il y a des abonnés par mail, cela existe encore), directement sur le blog (1.131 billets ont été lus plus de 280.000 fois ce qui fait une moyenne de 250 vues par page - certaines ont dépassé les 2.000 vues)  ou sur facebook (1.044 amis à ce jour et 643 membres (nous en avions 890 dans un précédent groupe) dans le nouveau groupe recréée il y a 5 mois); merci de votre fidélité, de vos retours et de vos publications et commentaire.

Et à l'occasion, quand les temps seront meilleurs, nous fêterons ensemble cette décade prodigieuse...


Et pour ne pas déroger au TVA, les deux qui vont avec:

"À mesure que nous avançons, chaque année que nous avons à vivre, durant la décade qui vient, et bien au delà encore, se présente à nous avec une ampleur, une netteté, et une magnificence d'intentions qui n'étaient pas le visage du futur, quand nous étions plus jeunes

Montherlant, Les Olympiques, 1924, p. 229. 


"Je ne comprends rien au présent sinon qu'en une décennie, il nous aura éloignés définitivement de tous les millénaires passés."

Philippe Bouvard; Mille et une pensées (2005)


Bon Anniversaire La Fleur du Dimanche

dimanche 7 février 2021

J'avoue, je le confesse, vous me manquez tant, je l'avoue, je vous aime autant

Le temps passe*, le temps passe**, le temps passe***, et pour passer le temps, je vous écris...

Je vous écris pour vous dire que vous me manquez, je vous écris pour vous donner quelques nouvelles du monde, quelques nouvelles du temps et des fleurs...

Les clématites sont bien noires, les églantines sont rouges et les chatons dorés:

Clématite - Photo: lfdd


Chatons et églantines - Photo: lfdd


Le printemps arrive à petit pas même si la neige et le froid vont revenir, les bourgeons souffrir.

Rendez-vous bientôt, en attendant quelques informations sur le temps:

Mardi Gras, c'est le 16 février, le Carnaval de Bâle le 22 février est annulé comme l'an dernier et celui de Lucerne le 11 février, cette semaine aussi. L'année dernière ce fut une des premières manifestations annulées.

Voici l'image qui en reste, de Georgios Kefalas/Keystone:
  

Le Carnaval de Bâle 2020 est annulé - Photo: Georgios Kefalas / Keystone

Restons en Suisse pour une autre information relative au temps:

Des portraits de femmes ornent les façades des bâtiments de Berne en commémoration du 50ème anniversaire du droit de vote pour les femmes suisses. 53 ans après l’Allemagne, 52 ans après l’Autriche, 27 ans après la France.

Pour le TVA je vais être bref et factuel. Il concerne Michel Leyris (et par ricochet Jouhandeau) cité dans l'article "Facettes méconnues de Michel Leiris" par Jean-Louis Jeannelle dans le Monde des livres du vendredi (5 février 2021) à l'occasion de la parution du livre "Correspondance 1923 - ­1977, de Michel Leiris et Marcel Jouhandeau"

Parlant de ce qui les motive à écrire, il(s) avoue(nt), "le principe chrétien de la confession" (Journal, 17 mai 1929) et considèrent que ce travail ne doit "« porter la trace d’aucun choix quant aux événements relatés », (au) risque de virer en simple sténographie; la contradiction est insoluble: «relater est peut-être nécessairement égal à frelater »), et celui de la mauvaise foi (vouloir être sincère, c’est déjà introduire un biais, comme si toute littérature de confession favorisait la duplicité : « Quand on se confesse, c’est moins pour dire la vérité que pour jouer au personnage touchant », notait le diariste en janvier 1938)."

Ils en arrivent aux « ana » (recueils de propos ou d’anecdotes), qu’il assimile aux matériaux que lui-même accumule dans son journal de voyage durant la mission Dakar-Djibouti (future Afrique fantôme): « C’est, ajoute-t­-il, la forme d’écriture la plus humaine, parce que celle qui présente les événements humains à l’état le plus brut et le plus dépouillé. »  

Sur ce, je vous laisse, mais ne vous abandonne pas, je vous offre, en hommage à ce long cheminement pour l'égalité des droits de la femme (à ce propos je ne peux me retenir de vous citer une parole de féministe qui disait: "Savez-vous que dans (votre ville) pour cent hommes la moitié sont des femmes?") quelques voix féminines qui nous chantent la vie,  la mort, les regrets, l'ennui, la peur, la joie, la libération, la nostalgie, l'amour,...


Pour commencer par Pomme, croquons une version acoustique tranquille avec "Ceux qui rêvent"


Et pour elle avoue "Je ne sas pas danser"


 Pour changer un peu, Alice Phoebe Lou - She (Live)

 

Puis Arlo Parks - Caroline - intéressante narration:


Puis Aldous Harding - Fixture Picture - intéressant aussi au niveau de l'image:



Revenons en France avec "Les Yeux Noirs" de Pomplamoose:


Avec Yseult et Corps cela redevient très très sérieux:


Un peu de soleil avec Canen (prononcer canon) une jeune chanteuse de douze ans qui chante Ain't No Sunshine


A propos de chanteuse qui a commencé jeune, voici une chanson d'elle "Ces mots simples" de Vanessa Paradis dans un clip de Jean-Baptiste Mondino


Restons avec Vanessa qui rend hommage à une comédienne chanteuse Jeanne Moreau
Le tourbillon de la vie Vanessa Paradis et Jeanne Moreau:


 

Laissons la place à Jeanne dans ce tourbillon entre Jules et Jim:



Autre moment d'émotion, entre deux chanteuses, la mère et la fille, Jane et Charlotte: La Chanson de Prévert

 

Et pour finir, un dernier hommage à un chanteur homme qui a une sensibilité toute féminine et un engagement itou, et qui vient de nous quitter: Morice Benin avec "Les insurgés"


 

La Fleur du Dimanche


* Premier temps: Le temps, et pourtant, la tendresse, l'existence... Exit vs existe

** Deuxième temps: Le temps, encore, suspendu, pour le conjurer et sauver le moment où: Ils ont aimé !

*** Troisième temps: J'avoue, je le confesse, vous me manquez tant, je l'avoue, je vous aime autant

mercredi 3 février 2021

AMOUR-S de Radhouane El Meddeb: Après le Lac, l'Amour fait signe... à Pôle Sud

Radhouane El Meddeb aime à se frotter aux "monuments". Après "son" Lac des cygnes" où il se référait à Rudolf Noureev (voir mon billet du 10 janvier 2019 Le lac des cygnes de Radhouane El Meddeb déborde d'émotion), le voici s'inspirant d'un des plus célèbres poètes arabes modernes Khalil Gibran et de son magnifique poème "L'Amour"*. Ce poème, dans son livre "Le Prophète", dont Radhouane El Meddeb a mis en sous-titre le premier vers: "Lorsque l'amour vous fait signe suivez-le,..." peint l'amour, pas forcément innocent, ni tendre, ni doux, (Bien que ses chemins soient escarpés et sinueux. / Et quand ses ailes vous étreignent, épanchez-vous en lui, / En dépit de l'épée cachée dans son plumage qui pourrait vous blesser.). Et surtout montre qu'il faut "s'engager" avec l'Amour (Mais si dans votre crainte vous ne recherchiez que la paix et le plaisir de l'amour, / Alors il serait préférable pour vous de couvrir votre nudité, de quitter l'aire de battage de l'amour,..). 




Mais les voies de l'Amour sont diverses, et vous l'aurez peut-être remarqué, un "S" lui est rajouté dans le titre pour faire pluriel, comme sont plurielles les trois interprétations des danseurs et de la danseuse qui se succèdent sur le plateau, plateau qu'occupe d'ailleurs dès l'entrée en salle le pianiste, compositeur et improvisateur Nicolas Worms, présent jusqu'à toute presque la fin du spectacle. Son jeu, fluide et aérien, sa présence sonore, toute en retenue, en douceur, son doigté de velours nous emmènent dans ce merveilleux voyage de l'amour où, pour commencer, William Delahaye s'installe dans ce nid sonore, embrasse l'espace et se laisse envahir par le flux, les pulsions de la passion.


 Ses mains serpentent, accueillent, enserrent, enveloppent, caressent, s'élèvent, font des friselis, s'envolent en ailes délicates, tandis que les pieds, le corps fonctionnent au ralenti, en gestes saccadés  et en hoquettements. La sensation est intériorisée et une prière muette est jetée au ciel. L'union avec la musique délicate et ruisselante, délicatement ouvragée comme une dentelle nous élève vers un absolu qui nous inclut. Un salut symbolique et l'on tourne la page. 



Chloé Zamboni, haut de soie chair transparent et pantalon noir vient en miroir faire sa prière à l'amour à son tour, plus véhémente, des gestes plus énergiques, plus charnelle, elle joue à sa manière les transports de l'amour le plaisir et la souffrance, la joie et l'extase. Un geste vers la pianiste, sur lequel elle se penche tendrement et la revoilà partie convulsivement, elle aussi je jette en arrière, renversée, possédée et se retrouve même à terre tout en lançant une quête au ciel. 



Le troisième danseur dans cette déclinaison multifacette de (ou cet hommage à) l'Amour, Philippe Lebhar va présenter une version plus mystique de cette passion en nous proposant une interprétation enjouée et virevoltante de l'élévation extatique dans une performance incroyable de derviche tourneur. Une prestation impressionnante. 



Avec Amour-s, Radhouane El Meddeb a totalement réussi à nous faire ressentir, carrément "incorporer" via ces trois danseurs, les ressentis intimes et les bouleversements que l'amour, cette passion qui peut passer d'une extrème tendresse et une grande délicatesse à une énorme souffrance. Il nous emmène avec ses trois interprètes et le magnifique pianiste Nicolas Worms dans un voyage passionnant, et nous le suivons avec plaisir.


Remarque en marge: Nous aurions aimé partager ce spectacle avec un vrai public, plein de spectateurs autour de nous, dans cette salle de Pôle Sud qui a offert il y a deux ans un "accueil studio" au chorégraphe pour lui permettre de créer cette pièce. Les conditions actuelles ont empêché de garder les représentations publiques prévues ce 3 et 4 février. 

Nous étions quelquefois un peu "décalé", dans un étonnement un peu bizarre, à la limite de l'inquiétude quand, reprenant conscience que nous étions, spectateurs un peu isolés, dans une salle vide, mais quand même dans une relation totalement physique avec la scène - rien à voir avec une diffusion "live" telle que nous sommes obligés pour le moment à "subir" le spectacle vivant "en boite".   

Comme vous n'avez pas pu voir le spectacle, je vous en offre quelques extraits, en vous souhaitant de bientôt y assister et vrai:


La Fleur du Dimanche



Conception et chorégraphie : Radhouane El Meddeb
Interprètes : William Delahaye, Philippe Lebhar, Chloé Zamboni
Composition et interprétation musicale : Nicolas Worms
Collaboration artistique : Philippe Lebhar
Création lumières : Manuel Desfeux
Régie générale : Bruno Moinard
Administration Thomas Godlewski / Diffusion Gerco de Vroeg et Laurence Larcher
Photographies du spectacle: Agathe Poupeney

Production : La Compagnie de SOI
Coproduction : Rencontres chorégraphiques internationales de Seine-Saint-Denis / Theater Freiburg (Allemagne) /
Accueil studio : POLE-SUD, CDCN Strasbourg / CCN de Tours, Direction Thomas Lebrun
Action financée par La Région Île-de-France
Avec le soutien du Centre national de la Danse à Pantin et de la Briqueterie CDCN du Val-de-Marne
La Compagnie de SOI est subventionnée par la DRAC Île-de-France / Ministère de la Culture


* Je vous offre à la lecture le magnifique poème "L'Amour"

L'Amour

Lorsque l'amour vous fait signe suivez-le,
Bien que ses chemins soient escarpés et sinueux.
Et quand ses ailes vous étreignent, épanchez-vous en lui,
En dépit de l'épée cachée dans son plumage qui pourrait vous blesser.
Et dès lors qu'il vous adresse la parole, croyez en lui,
Même si sa voix fracasse vos rêves, comme le vent du nord saccage les jardins.

Car comme l'amour vous coiffe d'une couronne, il peut aussi vous clouer sur une croix.
Et de même qu'il vous invite à croître, il vous incite à vous ébrancher.
Autant il s'élève au plus haut de vous-même et caresse les plus tendres de vos branches qui frémissent dans le soleil,
Autant cherche-t-il à s'enfoncer au plus profond de vos racines et à les ébranler dans leurs attaches à la terre.
Pareilles à des brassées de blé, il vous ramasse et vous enlace.
Il vous bat au fléau pour vous mettre à nu.
Il vous passe au tamis pour vous libérer de votre balle.
Il vous moud jusqu'à la blancheur.
Et il vous pétrit au point de vous assouplir.
Puis il vous livre à son feu vénéré, afin que vous deveniez pain sacré pour le saint festin de Dieu.
Voilà tout ce que l'amour fera en vous afin que vous puissiez déceler les secrets de votre coeur et devenir ainsi un fragment du cœur de la Vie.
Mais si dans votre crainte vous ne recherchiez que la paix et le plaisir de l'amour,
Alors il serait préférable pour vous de couvrir votre nudité, de quitter l'aire de battage de l'amour,
Et de vous retirer vers un monde sans saisons,
Où vous pourrez rire sans laisser jaillir tous les éclats de votre rire,
Où vous pourrez pleurer sans jamais libérer toute l'amertume de vos larmes.
L'amour ne donne rien que lui-même et ne prend rien que lui-même.
Il ne peut posséder et ne peux être possédé.
Car l'amour suffit à l'amour.
Lorsque vous aimez, ne dites pas : "Dieu est dans mon cœur."
Dites plutôt : "Je suis dans le cœur de Dieu."
Et ne croyez pas que vous puissiez diriger le cours de l'amour.
Car si l'amour vous trouve digne, lui-même guidera votre cœur.
L'amour n'a point d'autre désir que de s'accomplir.
Mais si vous aimez et devez éprouver des désirs, que ceux-ci soient les vôtres :
Fondre en un ruisseau qui chante sa mélodie à la nuit.
Connaître la douleur d'un flot de tendresse.
Être blessé par votre propre perception de l'amour ;
Et laisser couler votre sang volontairement et joyeusement.
Vous réveiller à l'aube avec un cœur ailé et rendre grâce à Dieu pour cette nouvelle journée d'amour.
Vous reposer à midi et méditer sur l'extase de l'amour.
Regagner votre foyer au crépuscule en remerciant le ciel.
Puis vous endormir avec une prière pour l'être aimé en votre cœur et un chant de louange sur vos lèvres.

Khalil Gibran