dimanche 30 août 2020

La mémoire et la mère... à minuit, lever le masque, serein

 Après un petit silence estival, j'aurai pu vous faire le coup de l'incipit de "L'étranger" de Camus, mais je vous en offrirai plutôt en TVA un texte de 1955 mitonné avec du Wilde et du Kierkegaard, pas triste.

Mais place à la Fleur du Dimanche de l'été:

Chardon - Photo: lfdd


La mémoire, elle, nous joue des tours, on ne se souvient plus de ce dont il faudrait se souvenir, il reste un petit havre (port d'attache) au bord du Rhin, disparu lui aussi dans les travaux de canalisation et d'électrification, caché dans des bois, des jours d'été comme cette année où l'on cueillait les papillons sur les fleurs*:

Les deux papillons dans un Silence incandescent - Photo: lfdd


Pour en arriver au TVA, ce sont des extraits d'une conférence d'Albert Camus à Athènes le 26 avril 1955, dans un article du Monde du 25 août intitulé "Albert Camus, tout en équilibre. J'en ai picoré des bouts pour vous, toujours d'actualité et à méditer:

"Aujourd'hui on dit d'un homme: "C'est un homme équilibré", avec une nuance de dédain. En fait l'équilibre est un effort de tous les instants. La société qui aura ce courage est la vraie société de l'avenir."

"Quel est le mécanisme de la polémique? Elle consiste à considérer l'adversaire en ennemi, à le simplifier par conséquent et à refuser de le voir. Celui que j'insulte, je ne connais plus la couleur de son regard, ni s'il lui arrive de sourire et de quelle manière. Devenus aveugles par la grâce de la polémique, nous ne vivons plus parmi des hommes, mais dans un monde de silhouettes."

"Nous étouffons parmi des gens qui pensent avoir raison."

"Dans tous les cas, je n'insulte pas les gens qui ne sont pas avec moi. C'est ma seule originalité." 

"Intellectuel? Oui. Et ne jamais renier. Intellectuel = celui qui se dédouble. Ca me plait. (...). "Je méprise l'intelligence" signifie en réalité "Je ne peux supporter mes doutes"."

Et pour finir:

"Je n'ai jamais cru au pouvoir de la vérité par elle-même (première Lettre à un ami allemand). Mais 'est déjà beaucoup de savoir qu'à énergie égale, la vérité l'emporte sur le mensonge. C'est à ce difficile équilibre que nous sommes parvenus. C'est appuyés sur cette nuance qu'aujourd'hui que nous combattons. Je serai tenté de dire que nous luttons justement pour des nuances, mais que des nuances qui ont l'importance de l'homme même."

"Notre monde n'a pas besoin d'âmes tièdes. Il  a besoin de coeurs brûlants qui sachent faire à la modération sa juste place."


Achilée milleuille - Photo: lfdd

Je vous avais annoncé Wilde et Kirkegaard, c'est dans un texte intitulé "Le Masque comme métaphore" également paru dans le Monde du 25 août où Douglas Kennedy parle de son expérience de la Covid-19 entre New-York et Paris où il s'est replié, que j'ai pioché les deux citations.

"C'est lorsqu'il parle en son nom que l'homme est le moins lui-même, donnez-lui un masque et il vous dira la vérité." Oscar Wilde

Et pour finir Soren Kierkegaard qui dit:

"Ne sais-tu pas que vient l'heure de minuit où chacun doit lever le masque; crois-tu que la vie entende toujours raillerie; crois-tu qu'on puisse s'éclipser un peu avant les douze coups pour éviter ce moment?"

Rosier ballerine - Photo: lfdd


Et pour terminer en chansons, le grand Léo nous parle dans cette magnifique et mystérieuse chanson de "La Mémoire et la mer":




Je vous en offre deux autres interprétations, celle de Catherine Lara:


Et celle de Hubert-Félix Thiéfaine (après les bavardages télé à 45"):


Et pour reste avec Ferré, Aquaserge nous chante "Si tu t'en vas":


Je vous mets bien sûr aussi la version du "maître":


Bon Dimanche

La Fleur du Dimanche


* Je vous informe de la parution du "Journal du confinement" de l'ami Albert Strickler intitulé "Un silence incandescent - Journal 17 mars - 10 mai" dont la photo des deux papillon a l'honneur d'illustrer la couverture.

Pour les commandes c'est sur le site des éditions Tourneciel, ici:

Editions Tourneciel - Un silence incandescent

vendredi 28 août 2020

Love Music - Musica Ambigua #4 - Un amour de concert dans l'adorable cour de la Ferme Bleue

Depuis longtemps, Alain Soulier et Jean-Louis Cura prennent soin de leur jolie et adorable Ferme Bleue et de son jardin remarquable à Uttenhoffen tout en proposant aux visiteurs et amis des expositions d'Art pour compléter l'accueil sympathique, la cuisine délicate et le cadre trop mignon de cette ferme secrète nichée dans le petit village des Vosges du Nord à Uttenhoffen.

Actuellement une exposition consacrée à Jean-Luc Schické et ses sculptures d'inspiration surréaliste autour de l'homme et d'une valise "Ainsi va la Valise" est encore visible jusqu'au 20 septembre. Les sculptures disséminées dans le merveilleux jardin sont des flèches qui montrent quelques désarrois ou pertes de repères de l'homme moderne en recherche du sens de sa vie, traitées non sans humour et en béton coloré. 

La cour (ou l'église du village par mauvais temps) sert aussi d'écrin à des "impromptus" musicaux ou poétiques avec des formations légères de la région. L'ensemble "LoveMusic" qui donne depuis quelques années régulièrement rendez-vous à son public nombreux dans l'amphithéâtre de la BNU à Strasbourg est également invité dans ce beau jardin.

Ce 28 août 2020, pour clore la saison, leur programme "Musica Ambigua" le quatrième numéro de la série donnait à entendre les rapports entre la musique d'aujourd'hui et celle du passé, en l'occurrence, trois compositeurs du XVIIIème siècle en regard avec les créations de trois compositrices d'aujourd'hui pour un "moment étrangement cohérent".


Lovemusic - La Ferme Bleue - G.P. Telemann - Fantaisie N° 6 - Photo: lfdd


C'est Emiliano Gavito à la flûte solo qui a ouvert le concert avec la sixième des 12 fantaisies de Georges Philippe Telemann en trois mouvements: Dolce pour une mise en bouche, un Allegro velouté et entraînant et le Spirituoso gai et joyeux.

Un chat noir a traversé la cour à la fin du morceau...


Lovemusic - La Ferme Bleue - Sinnhuber - Machinettes - Photo: lfdd


Les Machinettes (en 5 mouvements) de Claire-Mélanie Sinnhuber, une suissesse habitant maintenant Paris après être passée par Strasbourg, étaient un commande de LoveMusic et rendent un hommage éclatant au sculpteur Suisse Jean Tinguely par une admirable transposition sonore de son univers bricolé. "Volatile" nous entraîne dans la structure avec de petites touches "bancales" aves différentes flûtes (toujours Emiliano Gavito), clarinettes (Adam Starkie), le violoncelle de Lola Malique et la guitare électrifiée de Christian Lozano. Avec "Rotative", le son tourne comme les roues des constructions complexes de l'artiste bricoleur. "Excentrique" ressemble à des musiques de défilés de cliques suisses lors d'un carnaval. "Moschubi" qui ressemble à l'expression suisse alémanique "maschubbe" - fou est plein de surprises et de naïveté et pour finir "Perforeuse" semble être une "musique à trous" où l'on croit reconnaître une mélodie dont il manque des notes qui se transforment en silences.


Lovemusic - La Ferme Bleue - F.X. Richter - Duetto - Photo: lfdd


Avec Duetto (1769-1779) de François-Xavier Richter nous revenons au baroque avec une oeuvre que ce compositeur morave a écrite lors de sa période où il fut  Kapellenmeister à la Cathédrale de Strasbourg et dont LoveMusic a "traqué" la partition pendant des années après en avoir découvert le deuxième mouvement. C'est donc un duo flûte et clarinette (Emiliano Gavito et Adam Starkie) qui démarre de manière charmante et chantante pour le premier mouvement (Allegretto), puis dans une décalage entre les deux musiciens qui finalement se rejoignent dans l'Andante pour s'achever dans un Vivace entraînant et tournoyant.

Le rouge-queue qui du haut du faîte du porche assiste attentif à ce duo semble à son aise.


Lovemusic - La Ferme Bleue - M.A. Magalhaes - Migrations - Photo: lfdd


La quatrième pièce, "Migrations" (2018) de la brésilienne Michelle Agnes Magalhaes, qui vit maintenant à Paris, est une commande spécialement dédiée à la violoncelliste Lola Malique, écrite avec sa collaboration dans des pays étrangers (Brésil, Maroc,..) elle explore différentes relations à l'instrument, sur diverses parties et des modes variés (frappe, de la main du poing, frottements, cordes frottées avec ou sans archet, feuille de papier glissée entre ces cordes) et les sons émis par l'artiste (souffle, soupirs, onomatopées,...) dans une rythmique très corporelle. 


Lovemusic - La Ferme Bleue - J.J. Quantz - Sonate en trio - Photo: lfdd


Avec la Sonate en trio en Do majeur de Johan Joachim Quantz, le compositeur et flutiste baroque allemand, transposée par LoveMusic pour la formation du soir (flûte, clarinette, violoncelle et guitare), nous revenons à une musique allègre qui continue sur un mode rêveur pour finir dans un Vivace sautillant.


Lovemusic - La Ferme Bleue - - Erin Gee - Mouthpiece - Photo: lfdd


La soirée s'achève (au moins pour la partie musicale, un dîner pour les spectateurs partagé avec les artistes clôt la soirée) avec Mouthpiece 33, une création de la chanteuse et compositrice américaine Erin Gee, dont la plupart des Mouthpieces sont pour instrument et voix - et elle en assure l'interprétation vocale, mais celle-ci ne voit la voix intervenir que dans le jeu de la flûte. Emiliano Gavito est donc soumis à rude épreuve quand il doit à la fois jouer de son instrument et articuler les multiples sons et expressions. Le résultat est un surprenant dialogue entre l'ensemble des protagonistes de l'orchestre (de cour) dont le résultat subjugue et enthousiasme le public. Une prestation volubile et agile avec une bonne dose d'humour.

Je vous en offre une "version originale" avec la compositrice (Mouthpiece N° 28) pour vous donner envie d'aller voir le prochain concert.



La Fleur du Dimanche