mardi 31 mai 2022

Services de la Cie Quai N° 7 à Démostratif: On redresse le plateau et on se dresse contre l'ordre établi

 La cinquième édition du Festival Démostratif à Strasbourg, présente les jeunes talents avec 37 propositions dans divers lieux à Strasbourg, surtout sur le campus de l'Université (Village du Festival et Magic Mirrror, BNU, Salle d'évolution) ou encore à l'église Saint Guillaume et dans la toute nouvelle salle La Pokop. Il est placée sous le mot d'ordre "Inévitables révoltes". 


Services - Cie Quai n° 7 - Photo: Michel Grasso

C'est totalement l'esprit de la pièce "Services" de la compagnie Quai numéro 7 qui ouvre la programmation à la salle de La Pokop. S'inspirant de la pièce de Jean Genet "Les Bonnes" - l'intrigue se passe lors de la préparation de la scène avant une représentation de cette pièce - l'équipe technique nous joue un épisode qui pourrait être la transposition de cette pièce aujourd'hui, dans le monde du spectacle. On y assiste, à divers niveaux à de prises de pouvoir et de révolte, que ce soit les "techniciennes" qui fomentent un soulèvement envers la comédienne principale "Madame" Clémence ou l'équipe elle-même vis-à-vis de la régisseuse générale, qui représente un "petit caporal" dans cette organisation censée fonctionner de manière égalitaire.

 

Services - Cie Quai n° 7 - Photo: Michel Grasso

Avec le texte écrit par Olivier Sylvestre à partir d'improvisations de plateau, on sent du vécu et de l'expérience. Autant dans les relations entre le personnel de plateau et la comédienne qui se joue la "Diva" que dans les détails de relations interpersonnelles ou les rôles techniques (lumière, son, accessoires, nettoyage,...). Les différents rôles un une bonne épaisseur de caractère, mais pas que, les interprètes prouvent aussi leur qualité de jeu en imitant soit la comédienne absente, soit des situations présentées ou racontées qui en gagnent en corps et en dynamisme. Elles prouvent leur capacité à être à la fois techniciennes, comédiennes et créatrices, en pointant un moment de magie lumière (Ondine Trager), inventant des sons et de la musique (Ludmila Gander) et participant à des chorégraphies enlevées ou humoristiques. 


Services - Cie Quai n° 7 - Photo; Malu Franca

Il faut particulièrement saluer la performance vocale de Naëma Tounsi dans ses divers airs lyriques et son interprétation-adaptation de la chanson "Malade" de Serge Lama - cela ne nous étonne pas qu'il l'ait appelée pour la féliciter. De même Ruby Minard assure complètement ses multiples rôles de contremaître qui doute, de confidente (et de double) de Clémence et aussi  de servante en extase, avec cette fois-ci Naëma Tounsi en "Maitresse". Et n'oublions pas Camille Falbriard qui ose se mettre à nu dans un monologue très sensible. 


Services - Cie Quai n° 7 - Photo Malu Franca

La pièce suit un rythme bien enlevé, passant de scènes qui pointent quelques travers et mauvaises habitudes dans les relations humaines, n'oubliant pas la psychologie, à des moments de joie débordante ou des scènes d'humour franc ou au deuxième degré et l'on n'a pas le temps de s'ennuyer quand  on passe sur scène de moments dansés ou chantés, à des montages ou démontages de décor. Parce que le décor et les accessoires sont à eux seuls un personnage, transformiste à souhait et plein de surprises. L'on soupçonne l'énergie débordante et l'inventivité de la jeune metteuse en scène Juliette Steiner dont le parcours, alliant une formation à la HEAR et de nombreuses formations au théâtre, dans les Conservatoires de Strasbourg et de Colmar (d'où elle sort avec la mention très bien) amis aussi avec de nombreuses troupes professionnelles d'y être pour une bonne part. 


Services - Cie Quai n° 7 - Photo: Michel Grasso

Et l'on pourrait dire à la suite de Lavoisier "Rien ne se perd, tout se crée, tout se transforme". Car les accessoires, sous l'action conjuguée de ce quintette de filles ont une capacité de nous devenir autre chose en très peu de temps. Et elles en nous font le service comme si elles se renvoyaient la balle au bond sans coup férir. Du beau jeu. Et l'on souhaite à la compagnie encore de beaux voyages dont nous attendons avec impatience la prochaine étappe.


La Fleur du Dimanche  


Services


Mise en scène Juliette Steiner
Assistanat à la mise en scène Malu França
Textes à partir du plateau Olivier Sylvestre
Création lumière Ondine Trager
Création son Ludmila Gander
Scénographie et masques Violette Graveline
Costumes Juliette Steiner
Soutiens à la confection Zoé Nehlig et Camille Nozay
Avec Camille Falbriard, Ludmila Gander, Ruby Minard, Naëma Tounsi, Ondine Trager
Administration Myriam Peuckert
Communication et diffusion Emmanuel Dosda
Production Compagnie Quai n°7

Co-productions
Comédie de Colmar, Centre Dramatique National de Colmar (68)
La Filature, Scène Nationale de Mulhouse (68)
Espace 110, Illzach (68)
13e Sens - scène et ciné, Obernai (67)
Le Nouveau Relax, Chaumont (52)
La Coupole, Saint Louis (68)
Soutiens
Projet soutenu par Quint’Est, réseau spectacle vivant Bourgogne Franche-Comté Grand Est.

Projet accueilli par la Chartreuse à Villeneuve-léz-Avignon dans le cadre d'une résidence d'écriture de plateau.

Projet soutenu dans le cadre du Festival Scène d'Automne en Alsace 2021.

Avec le soutien du Fonds d’insertion de L’éstba financé par la Région Nouvelle-Aquitaine.

Avec le soutien de la SPEDIDAM


Projet soutenu par :
la Drac Grand Est
la région Grand Est
le département Bas-Rhin
la ville de Strasbourg
l'Agence Culturelle Grand Est

dimanche 29 mai 2022

Oublier... les mères. La rancoeur, le ressentiment,... les pères... liberté

 Aujourd'hui, jour de la fête des mères et que l'on lui offre une rose, je reprends le fil de ce billet dominical. J'ai "oublié" de vous envoyer (et même d'écrire) ce billet pour le rendez-vous dominical qui en justifie le titre depuis le 1er mai qui cette année était un dimanche. D'ailleurs le précédent jour férié , le 8 mars, journée de la femme fut la date de publication du pénultième billet "dimanche et fêtes".

Mais, pour les fidèles vous savez bien depuis le 18 février 2018 (déjà) que je ne vous saluais plus chaque dimanche pour ce rendez-vous hebdomadaire institué en 2011. Eh oui! Et vous savez aussi que je continuais à l'occasion, et surtout pour des spectacles, de publier mes billets sporadiquement ou de manière plus fournie. A ce propos, parmi les derniers, "mauvaise" (une histoire de famille a dépassé en nombre de lectures(plus de 500 vues) "Bajazet" (plus de 400) et parmi les derniers spectacles "Le chant du père" et "Frontalier" qui racontent des histoires de pères se lisent bien.   Sachez que depuis le début du blog, le nombre de lecteurs a régulièrement augmenté. d'une vingtaine par page au début, nous en somme à plus de 430.000 pour les 1272 billets publiés ce qui fait une moyenne pour l'ensemble de presque 340 pages vues par billet publié. Merci à vous, fidèles lectrices et lecteurs ou visiteurs et visiteuses ocasionnel(le)s.  Cela fait plaisir.

Mais trêve de mots, voici la fleur du jour, une orchidée blanche que j'ai découverte pour la première fois:

Orchidée sauvage blanche - Photo: lfdd

Enfin j'imagine que c'est une orchidée...

Puisse-t-elle comme une colombe de la paix, faire que le monde se reconstruise dans la considération de l'homme (de la femme) et la paix: 


Orchidée sauvage blanche - Photo: lfdd


A propos de paix, je vous cite deux auteurs "ex-yougoslaves", le bosnien Semezdin Mehmedinovic, dans son livre "La Matin où j'aurais dû mourir" qui parle de son pays et de la mémoire et de l'oubli:

"Je ne pense pas qu'il y ait eu lieu dans ma vie d'évènements si importants qu'il faille absolument s'en souvenir. D'ailleurs, on ne se souvient pas de sa naissance, alors que ce devrait être un des événements les plus importants."

Et en "Extrait", le Serbe Dragan Velikic, qui curieusement complète et rejoint son confrère dans la réflexion sur la vie:



Paix et nazisme sont des sujets qui redeviennent d'actualité et je vous offre une réflexion d'un auteur néerlandais Menno ter Braak qui a écrits en 1935 et 1937 deux textes qu'il est utile de ne pas oublier, et surtout de relire à l'aune des informations de ces derniers jours.

Marianne Dautray dans l'article "Conjurer toujours la catastrophe" dans le Monde des Livres du 13 mai 2022 sur le livre "Le National-socialisme, doctrine de la Rancune suivi de Discours sur la Liberté" de Menno ter Braak souligne que la rancune, le ressentiment sont le lit du fascisme. Elle nous en présente la réflexion: "En choisissant de suivre le cheminement des mots, ter Braak révèle la part d'impensé dans leur usage et fait éclater au grand jour les dissensus volontairement tus. Ainsi explique-t-il, à l'aune de la notion de ressentiment, ce paradoxe monstrueux: le national-socialisme procède directement de la démocratie et n'en est qu'une "perversion" - c'est la promesse d'une égalité jamais réalisée qui suscite chez les citoyens rancune et haine. Si la démocratie sait contenir ce type d'affects, voire les utiliser dans une dynamique sociale constructive, les nationaux-socialistes, eux, les laissent s'exprimer sous leur forme la plus pure, la plus débridée. D'où l'expression paradoxale à laquelle ter Braak d'"émancipation du ressentiment", où le terme "émancipation" prend le sens de "déchaînement". Cet outrage fait aux mots induit celui infligé par l'idéologie nazie à l'ensemble des valeurs et pratiques qui assurent la vitalité et la cohésion du tissu social, ici réinvestis par les affects nihilistes les plus destructeurs. L'égalité sociale revendiquée par la démocratie devient égalité au sein d'une "communauté du peuple" qui suppose l'exclusion de tous ceux qui lui sont dits "étrangers". De même, dans son discours, une rapide généalogie des usages du mot "liberté" permet à ter Braak de rappeler que le sens du terme, tel que revendiqué par les nationaux-socialistes, en inverse la portée libérale, de sorte que "liberté s'oppose à liberté".  

Je vous en offre un "extrait":


Pour finir en chanson, je vous offre deux chansons pour ce jour de mama, d'abord Phil Collins et Genesis qui nous jouent "mama":


Et puis en nostalgie, notre maman Colette Magny et son poignant "Mélocoton":



Et pour finir, en hommage à Andrew Fletcher, cofondateurs de Depeche Mode qui vient de nous quitter à 16 ans, leur tube de 1981: I Just Can’t Get Enough:




Bon dimanche

La Fleur du Dimanche


P.S. Ne vous trompez pas sur le titre...

mercredi 18 mai 2022

Siri de Marco Da Silva Fereira et Jorge Jacome à Extradanse: La danse ondulante des crabes

 Que deviendra la danse dans mille milliards d'années, quand nous n'aurons plus de corps et que nous ne serons plus que de l'énergie et des ondes? C'est le défi de représentation auquel se sont confrontés Marco Da Silva Fereira et Jorge Jacome avec Siri présenté à Pôle Sud dans le cadre du Festival Extradanse qui continue à égrener ses propositions.


Siri - Marco Da Silva Fereira & Jorge Jacome - Extradanse - Pôle Sud - Photo: Jose Caldeira

Incidemment, la question nous est posée via un texte d'Isac Asimov "Les yeux ne servent pas qu'à voir", un dialogue entre Brock et Ames, énoncé en anglais et projeté sur un écran sur la scène. Il semblerait que le lisent et l'écoutent aussi, comme nous, une douzaine de robot éparpillés sur la scène, des robots petits et replets, tournant sur eux-mêmes ou autour de leurs bras-axes, soit individuellement, soit tous ensemble, soit par groupes de trois, parce que l'on devine, proches d'eux allongés, quatre corps immobiles. 


Siri - Marco Da Silva Fereira & Jorge Jacome - Extradanse - Pôle Sud - Photo: Jose Caldeira

Leurs mouvements, souples et ronds sont touchants, même s'ils sont à priori désincarnés, nous pouvons les imaginer en petits êtres vivants, avec leurs petits yeux et leur ventre arrondi, ou, comme des cyclopes inquiétants si l'on considère leur oeil éteint sur le crâne, car ces robots sont des projecteurs détournés de leur fonction, des robots dansants. 


Siri - Marco Da Silva Fereira & Jorge Jacome - Extradanse - Pôle Sud - Photo: Jose Caldeira

Ce sont eux qui sont les premiers éclairés par des douches lumineuses qui les transforment en entités douées de vie.  Cette vie qui se transmet aux autres corps qui sont à leurs pieds, corps qui se soulèvent, bougent des bras en ondulant, d'abord. Ils frémissent en touchant les robots qui tremblent eux aussi, puis les danseurs se lèvent pour frémir de tout leur corps. 


Siri - Marco Da Silva Fereira & Jorge Jacome - Extradanse - Pôle Sud - Photo: Jose Caldeira

Ces quatre danseuses et danseurs, habillé(e)s de vêtements hétéroclites, un haut futuriste et bigarré et le bas vintage, également coloré - short en fourrure, pantalon panthère, noir ou en tissu éponge bleu, costumes créés par Ricardo Andrez - progressivement bougent de tout leur corps, et en des ondoiements désarticulés investissent l'espace, en émettant des sons, des borborygmes et onomatopées, des cris, tandis qu'une chanson rétro chantée par un crooner semble arriver de très loin et baigne la scène. 


Siri - Marco Da Silva Fereira & Jorge Jacome - Extradanse - Pôle Sud - Photo: Jose Caldeira

Ils se retrouvent ou se séparent, dans leur curieuse danse, entre un "danse du crabe" (Siri, un terme qui va chercher du côté des technologies futuriste, signifie aussi "crabe" en portugais) et des mouvements de danse indienne, dans des chorégraphies surprenantes mais pourtant très cohérentes. Les relations entre les interprètes sont bien senties et l'énergie passe. Elle passe d'ailleurs pour la fin sur l'écran où, dans un montage stroboscopique animé, l'ensemble des interprètes se réunifie avec soi-même enchevêtré avec les autres pour une explosion de couleurs tel un feu d'artifice.


La Fleur du Dimanche


Siri 

A Pôle Sud le 17 et 18 mai 2022

Direction artistique : Jorge Jácome, Marco da Silva Ferreira
Interprètes : Alina Folini, Eríc Santos, Marco da Silva Ferreira, Mélanie Ferreira
Création lumières : Rui Monteiro
Robotique : Teresa Antunes
Création son : Rui Lima, Sérgio Martins
Costumes : Ricardo Andrez
Chargée de production : Joana Costa Santos
Assistante de production : Mafalda Bastos
Diffusion : ART HAPPENS

Coproduction : Teatro Municipal do Porto/DDD ‐ Festival Dias de Dança / CCN de Caen en Normandie / POLE ‐SUD CDCN, Strasbourg / Théâtre de la Ville Paris
Coproduction en résidence : o espaço do tempo
Résidence artistique : CCN de Caen en Normandie / Alkantara / Teatro Municipal do Porto
Avec le soutien financier : Direção Geral das Artes / Fondation d’entreprise Hermès ‐ New Settings Program
Marco da Silva Ferreira est soutenu par : “Associate Artisit Residency” – Centre Chorégraphique, National de Caen, Normandie ‐ directeur Alban Richard / o espaço do tempo

mardi 17 mai 2022

Mont Vérité au TNS: Le Groupe 44 dans une dynamique pour inventer la vie (d'après)

 La pièce Mont Vérité n'existerait pas sans le Groupe 44 de l'école supérieure d'art dramatique du Théâtre National de Strasbourg. Cette promotion, entrée en septembre 2016 et dont la sortie s'est faite le 30 juin 2019 s'est retrouvée au coeur de l'écriture de la pièce de Pascal Rambert. On connait un peu le principe de production de certains de ses textes, à savoir créer des personnages pour les comédiens qui les interprètent, personnages qui portent leurs prénoms (voir Deux amis en 2021 au TNS, également Deux soeurs et plus loin, Architecture). 


Mont Vérité - Pascal Rambert - Groupe 44 - Photo: Jean-Louis Fernandez

Le Groupe 44 a donc eu un long compagnonnage, non seulement avec Pascal Rambert mais aussi avec la comédienne Audrey Bonnet (actrice associée au TNS et qui a joué certaines de ses pièces, celles citées précédemment ainsi que Répétition et Actrice) qui a fait un suivi très proche avec les jeunes comédiens et Yves Godin qui travaille avec des variations discrètes et infinies les lumières pour rendre cette ambiance de lieu extérieur, sauvage et en pleine nature dans le Hall Grüber du TNS. Egalement Alexandre Meyer dont la musique discrète qui nous enveloppe sans que nous nous en rendions compte et qui sait créer les atmosphères propices à chaque scène. 


Mont Vérité - Pascal Rambert - Groupe 44 - Photo: Jean-Louis Fernandez

Autre artiste dont le travail s'est fait en continuité sur la pièce, le chorégraphe Rachid Ouramdane qui a réussi à créer des danses qui s'inspirent par leur simplicité et leur naturel des danses que l'on imagine pour les artistes du Monte Verita version Rudolf Laban (puis Suzanne Perrottet et Mary Wigman) quand leur troupe de théosophes a suivi l'installation de la communauté des utopistes (et anarchistes et végétalien) dont Bakounine, Lénine et Trotsky. Ces mouvements dansés, légers et gracieux (les comédiens savent aussi bouger) ainsi que les déplacements sur le plateau - une immense roselière dans laquelle se meuvent les personnages - apportent à la fois une dynamique et un côté mystérieux (grâce aux éclairages) au déroulé de la pièce. 


Mont Vérité - Pascal Rambert - Groupe 44 - Photo: Jean-Louis Fernandez

Celle-ci commence sur un rythme presque ralenti, posé, presque comme un rêve, même pour le jeu des comédiens, pour s'accélérer dans un foisonnement final. Au début, les comédiens habillés de tissu blanc (encore une référence aux théosophes) construisent leur groupe et leurs relations, comme une communauté, elle aussi idéaliste qui se cherche un avenir, une vie idéale, rêvée (Certains rêves qui avaient été envoyés à l'auteur sont diffusés comme des messages divins). Ils vont "faire circuler la parole ... dénouer les ventres", essayer de s'inventer un futur possible, réel, comme le dit Stanislas Nordey:

"Comment s’inventer, à plusieurs, une liberté ? Ce sont des gens qui s’aiment, aiment l’art, s’opposent violemment parfois, cherchent à se construire un langage commun, avec les mots, avec le corps. Ils s’exposent les uns aux autres pour tenter de composer un ensemble à partir de toutes leurs singularités. Est-ce possible ?"


Mont Vérité - Pascal Rambert - Groupe 44 - Photo: Jean-Louis Fernandez

Dans une autre partie, celle des "monologues", chacun.e ayant retrouvé.e un costume actuel, va ainsi raconter ce qui le.la motive ou le.la surprend ou lui donne la force de vivre et de se battre, de lever la tête, de sourire, de s'opposer ou de se révolter que ce soit dans la famille, à l'école ou dans la vie. Chacun.e avec son passé, son expérience, son caractère, ses mots poétisés par Pascal Rambert. Et nous allons découvrir ces individualités riches et fortes, avec leur volonté et leurs passions. Se renforçant au contact des autres, multipliant leurs énergies et leur lumière. Mais aussi leurs oppositions, leur solidarité et leur complicité dans une scène qui présente une séance de leur travail de création. 


Mont Vérité - Pascal Rambert - Groupe 44 - Photo: Jean-Louis Fernandez

Tout cela finit dans un environnement hostile plein de bruit et de fureur, des dangers, où "ça tire dans tous les sens" et cela court aussi dans tous les sens. On imagine ce que cela a pu être lors de la création en plein air en mai 2019 au Printemps de Comédiens à Montpellier, la scène pourtant très grande déjà ici étant un peu à l'étroit entre les murs pour les comédiens qui jaillissent de partout. En tout cas il faut saluer la qualité et l'énergie de toutes et tous ces jeunes comédiennes et comédiens (et les autres aussi d'ailleurs qui occupent des postes techniques (régie, scénographie,costumes,...) ou de mise en scène. De belles personnes dont nous avons pu voir le professionnalisme ces trois dernières années dans des pièces au TNS: Océane Caïraty, Houédo Dieu-Donné Parfait Dossa, Paul Fougère, Romain Gillot, Romain Gneouchev, Elphège Kongombé Yamalé, Estelle Ntsende, Ysanis Padonou,  Mélody Pini, Ferdinand Régent-Chappey, Yanis Skouta, Claire Toubin, Aliénor Durand, Édith Biscaro, Lisa Petit de la Rhodière et Clémence Delille. Et n'oublions pas Romain Pageard qui a remplacé Yanis Skouta pour cette première à Strasbourg


La Fleur du Dimanche


Mont Vérité


Au TNS du 17 au 25 mai - attention spectacle à 19h00 - dimanche 22 mai à 16h00

Texte et mise en scène Pascal Rambert
Chorégraphie Rachid Ouramdane
Collaborations artistiques
Audrey Bonnet* − Jeu
Yves Godin − Lumière
Alexandre Meyer − Musique
Avec Océane Caïraty, Houédo Dieu-Donné Parfait Dossa, Paul Fougère, Romain Gillot, Romain Gneouchev, Elphège Kongombé Yamalé, Estelle Ntsende, Ysanis Padonou, Romain Pageard, Mélody Pini, Ferdinand Régent-Chappey, Yanis Skouta, Claire Toubin
Scénographie Aliénor Durand
Lumière Édith Biscaro, Germain Fourvel
Son Enzo Patruno Oster, Lisa Petit de la Rhodière
Costumes Clémence Delille
Assistanat à la mise en scène Aliénor Durand
Dramaturgie Baudouin Woehl
Collaboration technique Édith Biscaro , Vincent Dupuy
Spectacle créé avec les artistes issus du Groupe 44 de l’École du TNS en mai 2019 au festival du Printemps des Comédiens
Pascal Rambert, Audrey Bonnet et Eddy D’aranjo sont artistes associé·e·s au TNS
Le décor et les costumes sont réalisés par les ateliers du TNS
Le texte sera publié aux Solitaires Intempestifs (avril 2020).
Production Théâtre National de Strasbourg
Coproduction Printemps des Comédiens, CCN2 - Centre chorégraphique national de Grenoble
Avec l’aimable collaboration de structure production et en partenariat avec le Théâtre National de Chaillot
Remerciements à Anaïs Romand (costumes) et à Pauline Roussille – structure production  
* Artiste associée au TNS

jeudi 12 mai 2022

Festival Extradanse (Suite) à Pôle Sud: workpiece et Either way - le mouvement dans des directions opposées

 Suite du Festival Extradanse à Pôle Sud avec une soirée en deux parties.

Pour commencer, workpiece de et avec Anna-Matija Adomaityte, danseuse et chorégraphe née en Littuanie qui s'est formée en Suisse et qui propose une réflexion sur le mouvement; le corps et son exploitation au travail dans une démarche très conceptuelle et symbolique. Elle nous accueille sur un tapis de marche, déjà en route vers son futur à notre entrée. dans sa tête, des mots qui résonnent:

"Ce mal de dos est mon dinosaure de compagnie. Mes collègues sont pleins d’optimisme. La meilleure employée du mois sourit sur la photo au mur, entre elle et moi il y a un nuage de parfum bon-marché. Le travail consume mon corps ; love is stronger than hatred. Les lendemains passent en drive-in, je m’en souviens."

Festival Extradanse - Pôle Sud - Anna-Marija Adomaityte - Photo: Carlos Tago


Tandis qu'elle marche, de plus en plus vite et que le bruit de ses pas enflent, cette question de la marche forcée, sa tête se tourne à droite et à gauche au rythme de ses pas, imperturbable, les mains se relèvent et font des gestes mécaniques, par saccades et l'on imagine la souffrance endurée de cette torture subie. Nous, spectateurs nous demandons quand cela va cesser, tout en admirant le stoïcisme de l'interprète. Une rupture de l'escalade du son suivi de variations de petits sauts secs et une accélération du rythme nous ramène dans le droit chemin. La "danseuse" elle varie, va à l'amble et module ses pas et ses gestes. On attend la chute, l'exténuation dont elle nous fait grâce. En spectateur secrètement sadique, nous en aurions demandé plus.... Mais la question s'insinue dans notre esprit: "Allons-nous nous inscrire dans un club de fitness?"


Festival Extradanse - Pôle Sud - Sarah Cerneaux - Photo: CHA Production


Deuxième volet avec Either Way de Sarah Cerneaux qui nous attends sur la grande scène vide (un grand sac posé au fond à droite nous intrigue cependant), apparue comme par mystère, bougeant imperceptiblement, s'avançant doucement vers le public, le regard profond.  Son corps musclé et bien proportionné d'athlète trahit la pratique de l'exercice physique, du hip-hop aussi par lequel elle est entrée en danse (née à la Réunion et qui a déjà travaillé avec des chorégraphes au niveau international). Elle maîtrise les mouvements infimes, les arrêts brusques, les gestes liés et coulants qu'elle démarre des épaules, vagues infimes qui partent vers le bout des bras, nus sortant d'un chemisier blanc griffé de noir, les pieds, nus également sous son jean bougent avec grâce. Elle avance, recule, hésite, revient, tourne, reprend  son exploration de l'espace, ralentit, fait une pause et recommence. Elle se retrouve à terre, de dos, les mains qui se cherchent, se joignent. 


Festival Extradanse - Pôle Sud - Sarah Cerneaux - Photo: CHA Production

Et soudain, changement de programme, elle se retrouve à aménager sur le plateau un certain nombre de projecteurs divers qu'elle dispose avec soin et avec lesquels elle va nous jouer une autre partition de l'espace et de son corps. Toujours avec une intensité d'incarnation de tous les gestes, même les plus imperceptibles, stupéfiante. Qu'elle traverse l'espace en marchant ou en dansant, elle est toute entière dans cette action, totalement présente. 


Festival Extradanse - Pôle Sud - Sarah Cerneaux - Photo: CHA Production

Comme quand, après avoir libéré une ampoule suspendue et quelle vide le sac (celui du début) rempli de vêtements divers pour se les fixer, lentement, avec des pinces bleues autour de son corps en une robe de princesse des faubourgs, qu'elle glisse à terre du trône (une simple chaise) sur laquelle elle s'est assise et qu'elle se fait son "défilé" parmi tout cet éclairage, tandis qu'une voix douce nous conte cette histoire de princesse ou de nomade avec beaucoup d'amour et de tendresse. Et l'on applaudit cette première création chorégraphique de cette danseuse qui a déjà travaillé avec de grands chorégraphes à l'international. En lui souhaitant bon vent.


La Fleur du Dimanche


A Pôle Sud le 12 et 13 mai 2022


workpiece


Conception et interprétation : Anna-Marija Adomaityte
Création sonore et lumière : Gautier Teuscher
Production :  Cie A M A
Coproduction : Emergentia – temps fort pour la création chorégraphique émergente réalisé par L’Abri, le TU et l’ADC Genève. Avec le soutien : Ville de Genève / Loterie Romande / Fondation Fluxum
Résidence : Dansomètre – espace de création chorégraphique
Projet accompagné par le Réseau Grand Luxe.


Either Way



mercredi 11 mai 2022

Mémoires de Formes de Découflé et Nosfell à la Filature: une revue des revues et des spectacles en pleine forme pour se souvenir de toutes ces belles danses

 Pour le spectacle Mémoire de Formes de Découflé et Nosfell à la Filature, les trois mousquetaires de la musique et de la danse, Nosfell, complice de la Filature, Pierre le Bourgeois, complice de Nosfell et Philippe Découflé nous ont concocté un savant mélange de saveurs du passé lointain et de morceaux choisis du passé récent dont Octopus (2011) et Contact (2014) pour lesquels Nosfell a déjà collaboré avec le chorégraphe. 

Mémoire de formes - Philippe Découflé - Photo: W. Baeriswyl

Pour commencer le ballet, ils vont plonger dans la mémoire de la piscine de Rennes avec Iris un tragique ballet nautique pour plongeurs inexpérimentés avec ce défilé tout autour de la salle de la Filature jusqu'à la scène avec l'ensemble des dix danseurs, ponctué de petits sauts. Des scuptures en moucharabiehs bordent les deux côtés de la scène et Nosfell, avec ses instruments est placé à Cour, et de l'autre côté de la scène se trouve Pierre le Bourgeois, sa batterie, son violoncelle et le piano qu'il partage avec Jean-Claude le meneur de cette revue bien emportée et déjantée, et surtout dansante, de toutes les sortes de danse. Justement, le rideau s'ouvre sur un morceau de pantomime, avec un numéro de claquettes silencieux et magique, avec des apparitions de "doubles" du danseur et continue avec un duo "mixte"  sur fond jaune d'une grande beauté sur une très belle chanson folk de Nosfell suivi d'une danse serpentine des mains et du corps. L'ensemble de la troupe est constituée d'excellents danseurs, dont certains sont dans la troupe DCA depuis très longtemps et dont les corps sont à la fois très beaux et souples (une mention spéciale pour le danseur dont le corps semble être de caoutchouc). Il faut rappeler que Philippe Découflé lui-même dans sa carrière a fait le grand écart entre les formes de spectacle, des manifestations géantes pour des événements exceptionnels (souvenez-vous de la Danse des sabots pour le bicentenaire de la révolution de 1789, l'ouverture des Jeux Olympiques d'Albertville en 1992 ou la coupe du Monde de rugby en 2007,...), des spectacles intime, avec la revue du Crazy Horse, du cirque avec Cyrk (2001), ou avec le Cirque du Soleil (2011),  de multiples chorégraphies, des films ou des vidéo-danse et des clips (Caramba, Le p'tit bal perdu). Certains de ces films sont projetés sur l'écran de fond de scène (une pensée à Christophe Salengro, un de ses danseurs fétiches), entre autre la "Bagarre" qui se passe à la fois sur l'écran des années plus tôt et sur scène en ordre rangé! Son amour du cinéma, en particulier le côté trucages et animations transparaît dans quelques pièces où il fait danser des pieds sur scène ou lorsque des squelettes s'escaladent et se mélangent sur l'écran vidéo en direct. Ou encore, poussant la magie de la vidéo pour faire disparaître les interprètes pour ne projeter que les élastiques avec lesquels ils dansent. Les duos alternent avec des mouvements d'ensemble dans une belle variation. 

Mémoire de formes - Nosfell - Photo: Frank Loriou

De son côté, Nosfell avec sa voix qui arrive à passer du grave à des notes très aiguës accompagne ces chorégraphies ou nous offre de merveilleuses chansons en anglais ou dans sa langue imaginaire (le klokobetz), accompagné avec grâce au violoncelle par Pierre le Bourgeois qui s'occupe aussi de la section rythmique. Ce panorama nostalgique et festif se clôture par une dernière revue sur tapis déroulé, la danse des gnous (des frigos sur pattes) ou les danseuses et les danseurs monté(e)s sur des chaussures à (très hauts) talons font un splendide mouvement d'ensemble magnifiés par des costumes noirs entre la plume et le poil jais. Une performance qui clôture avec bonheur une soirée bien remplie de surprises, de joies et de plaisir.

Mémoire de formes - Philippe Découflé - Nosfel - Photo: Olivier Siméola

La Fleur du Dimanche


Mémoire de Formes 


A Mulhouse à la Filature (création) le 10 et le 11 mai 2022

de et avec Flavien Bernezet, Meritxell Checa Esteban, Ashley Chen, Stéphane Chivot, Eric Martin, Sean Patrick Mombruno, Alexandra Naudet, Aurélien Oudot, Violette Wanty, 
Musique originale, interprétation live Nosfell, Pierre Le Bourgeois
chorégraphie Philippe Decouflé, 
lumières Patrice Besombes, Begoña Garcia Navas, Gregory Vanheulle, 
vidéo Laurent Radanovic, 
costumes Jean Malo, Laurence Chalou, 
construction Pierre Jean Verbraeken, Guillaume Troublé, 
régie plateau Léon Bony, 
régie son Édouard Bonan, 
assistante chorégraphique Daphné Mauger, 
direction technique Lahlou Benamirouche, 
direction de production Frank Piquard,
assisté de Julie Viala et Salomé Farge, 
photos © Nosfell : Frank Loriou, Philippe Decouflé : V. Baeriswyl. 
Production Compagnie DCA / Philippe Decouflé. 
Coproduction La Filature, Scène nationale de Mulhouse. 
Le spectacle comprend, notamment, des extraits des spectacles Octopus (2011) et Contact (2014), tous deux créés au Théâtre National de Bretagne. La Compagnie DCA est une compagnie indépendante soutenue par le ministère de la Culture (DRAC Île-de-France), le département de Seine-Saint-Denis et la Ville de Saint-Denis, où elle est implantée.


mardi 10 mai 2022

Trottoir - Volmir Cordeiro à Pôle Sud: Sculpture de rue à niveau

 Sur la scène de Pôle Sud, pour ce nouveau spectacle dans le cadre du festival ExtradanseTrottoir de Volmir Cordeiro à Pôle Sud, cela s'agite sur scène.


Trottoir - Volmir Cordeiro - Pôle Sud - Extradanse - Photo: Fernanda Tafner

C'est clinquant et coloré, des morceaux de musique gaie et entraînante, coupés nets et des sculptures humaines qui se figent en de multiples position plus ou moins symboliques. Les costumes dont les collants, maillots, cagoules dans des couleurs primaires et franches éclatent. Des couvre-chefs variés - képi, bombe, casque, casquette et large chapeau de paille - surmontent les têtes des danseuses et danseurs. Le résultat est assez hétéroclite et les airs lancinants qui stoppent net nous frustrent d'une vraie dynamique et d'une envie de mouvement. En même temps les pauses, les moments d'immobilité nous laissent dans une certaine quiétude que la gesticulation générale et frénétique romp à nouveau. Tout cela se passe sur une bande de lumière à l'avant de la scène.


Trottoir - Volmir Cordeiro - Pôle Sud - Extradanse - Photo: Fernanda Tafner

Arrive Anne Sanogo, micro en main, tantôt chantant, d'une très belle voix., tantôt, en racontant des histoires, des bribes de phrases, elle va plus ou moins animer ce joyeux bordel et essayer de lui donner une direction. S'ensuit une métamorphose des costumes, des shorts, moins colorés, noirs, apparaissent, des bouts de tissus s'échangent à partir d'un totem, les chapeaux tournent, les corps défilent, la joie se mue en carnaval (un peu) organisé. 


Trottoir - Volmir Cordeiro - Pôle Sud - Extradanse - Photo: Fernanda Tafner

Et alors que la musique se fait plus rythmée, sombre et grave, les visages se dévoilent. A nouveau, une pause silencieuse, les trois danseuses se tiennent devant le micro face au public, une respiration bienvenue. Une dernière série de litanies sur les corps et les organes une dernière sculpture molle à terre et un dernier audieu: "...moi, je ne suis personne...". Qui sont donc ces personnes, ces danseuses et ces danseurs, ces personnages? La question reste ouverte...


Trottoir - Volmir Cordeiro - Pôle Sud - Extradanse - Photo: Fernanda Tafner


La Fleur du Dimanche


Trottoir 

A Pôle Sud le 10 mai 2022


Chorégraphie : Volmir Cordeiro
Interprétation : Volmir Cordeiro, Martin Gil, Isabela Santana, Marcela Santander Corvalán, Anne Sanogo, Washington Timbó
Lumière : Abigail Fowler
Design sonore : Arnaud de la Celle
Conception costumes : Volmir Cordeiro avec la participation des danseurs
Couturière : Vinca Alonso

Production : Donna Volcan
Coproduction : CND Centre national de la danse / Le Musée de la Danse – CCN de Rennes et de Bretagne, dans le cadre de la mission Accueil-studio / Charleroi Danse – Centre Chorégraphique de la Fédération Wallonie – Bruxelles / Ateliers Médicis – Clichy-sous-Bois – Montfermeil / King’s Fountain / Le Dancing CDCN Dijon Bourgogne-Franche-Comté / La Place de la Dance, CDCN Toulouse – Occitanie / ICI – CCN Montpellier – Occitanie / Direction Christian Rizzo
Avec le soutien : École Nationale Supérieure d’Art de Dijon / Actoral, festival international des arts et des écritures contemporaines / Département de la Seine-Saint-Denis / DRAC Île-de-France au titre de l’aide à la structuration

dimanche 8 mai 2022

Frontalier de Jean Portante au Festival Passages Transfestival: Fils d'immigrant, nomade par filiation, saute-frontière par hasard

 Le Festival Passages Transfestival est un festival saute-frontière et il n'est pas surprenant que deux pièces (au moins), Le Chant du père (voir mon billet du 7 mai 2022) et la pièce de Jean Portante Frontalier, interprétée par Jacques Bonnaffé parle de frontières d'émigration, de voyage, d'exil.


Frontalier - Jean Portante - Jacques Bonnaffé - Frank Hoffmann - Photo: Bohumil Kostorhyz


Ici, la frontière est bien matérialisée, un rectangle blanc sur la scène qui délimite l'espace dans lequel devrait se dérouler l'action, espace dans lequel le comédien, en veste et par-dessus de voyageur devrait se placer, derrière cette table qui l'attend, sagement rangée avec ses deux chaises. Et pourquoi deux chaises? Qui attend-il? Il devrait être seul dans sa voiture, pris dans un bouchon qui quotidiennement bloque les automobilistes sur ce trajet entre France et Luxembourg. Mais rien de tout celà, ou si peu, la magie du texte, poétique et même mythique de Jean Portante mis en scène par Frank Hoffmann va nous emporter bien au-delà de cette "caisse" isolée sur la route, bien plus loin que cette portion de trajet de travailleur frontalier, au-delà des frontières et du temps. Pour nous brasser dans "l'eau qui se mélange dans le grand tonneau du temps", pour nous faire traverser et retraverser les frontières changeantes à travers les années, avant-guerre et puis après, et même pendant - pour servir le pays, l'Italie, par le père et le grand-père du narrateur qui se souvient de ses voyages, de sa famille ailleurs, qui se remémore les murs de neige blanche en 1956, des murs et des frontières qui tombent en 1989. De ces frontières qui bougent ou qui changent, dont les conditions de traversées changent selon les années ou les conditions économiques ou politiques des pays: émigrés bienvenus  à une certaine époque, importuns à une autre, accueillis au Nord, refoulés au Sud, souhaités quand ils sont utiles, rejetés quand on les considère de trop. Jacques Bonnaffé, par la grâce de son interprétation va ainsi convoquer, son père, livrant sa dernière bataille (il n'aura pas fait naufrage, il s'est relevé invaincu par les frontières la guerre, le travail,...) et à travers ses souvenirs,  sa vie, ses exils et ses traversées ainsi que ceux de son grand-père. Il va se livrer à une lecture du paysage, et de son évolution, façonné par l'activité économique, laissant souffler le vent de l'histoire qui pousse les fumées - et les hommes - par-delà les frontières. Frontières on ne peut plus intangibles mais dont les racines semblent de temps en temps ressurgir bien solides.  Mais ce récit, à l'image du mythe d'Enée, que nous conte avec brio Jacques Bonnaffé, nous redonne un peu une direction, une boussole et un sens dans ces migrations qui ne datent pas d'hier et nous permettent de lire l'histoire d'aujourd'hui telle une fable édifiante et  bienveillante.


La Fleur du Dimanche


Frontalier


Metz - Salle de l'Esplanade - 8 mai 2022 


Texte
Jean Portante
Mise en scène
Frank Hoffmann
Assistance mise en scène
Natalia Sanchez
Musique et effets sonores
René Nuss
Costumes
Denise Schumann
Lumières
Zeljko Sestak
Avec
Jacques Bonnaffé