dimanche 8 mai 2022

Frontalier de Jean Portante au Festival Passages Transfestival: Fils d'immigrant, nomade par filiation, saute-frontière par hasard

 Le Festival Passages Transfestival est un festival saute-frontière et il n'est pas surprenant que deux pièces (au moins), Le Chant du père (voir mon billet du 7 mai 2022) et la pièce de Jean Portante Frontalier, interprétée par Jacques Bonnaffé parle de frontières d'émigration, de voyage, d'exil.


Frontalier - Jean Portante - Jacques Bonnaffé - Frank Hoffmann - Photo: Bohumil Kostorhyz


Ici, la frontière est bien matérialisée, un rectangle blanc sur la scène qui délimite l'espace dans lequel devrait se dérouler l'action, espace dans lequel le comédien, en veste et par-dessus de voyageur devrait se placer, derrière cette table qui l'attend, sagement rangée avec ses deux chaises. Et pourquoi deux chaises? Qui attend-il? Il devrait être seul dans sa voiture, pris dans un bouchon qui quotidiennement bloque les automobilistes sur ce trajet entre France et Luxembourg. Mais rien de tout celà, ou si peu, la magie du texte, poétique et même mythique de Jean Portante mis en scène par Frank Hoffmann va nous emporter bien au-delà de cette "caisse" isolée sur la route, bien plus loin que cette portion de trajet de travailleur frontalier, au-delà des frontières et du temps. Pour nous brasser dans "l'eau qui se mélange dans le grand tonneau du temps", pour nous faire traverser et retraverser les frontières changeantes à travers les années, avant-guerre et puis après, et même pendant - pour servir le pays, l'Italie, par le père et le grand-père du narrateur qui se souvient de ses voyages, de sa famille ailleurs, qui se remémore les murs de neige blanche en 1956, des murs et des frontières qui tombent en 1989. De ces frontières qui bougent ou qui changent, dont les conditions de traversées changent selon les années ou les conditions économiques ou politiques des pays: émigrés bienvenus  à une certaine époque, importuns à une autre, accueillis au Nord, refoulés au Sud, souhaités quand ils sont utiles, rejetés quand on les considère de trop. Jacques Bonnaffé, par la grâce de son interprétation va ainsi convoquer, son père, livrant sa dernière bataille (il n'aura pas fait naufrage, il s'est relevé invaincu par les frontières la guerre, le travail,...) et à travers ses souvenirs,  sa vie, ses exils et ses traversées ainsi que ceux de son grand-père. Il va se livrer à une lecture du paysage, et de son évolution, façonné par l'activité économique, laissant souffler le vent de l'histoire qui pousse les fumées - et les hommes - par-delà les frontières. Frontières on ne peut plus intangibles mais dont les racines semblent de temps en temps ressurgir bien solides.  Mais ce récit, à l'image du mythe d'Enée, que nous conte avec brio Jacques Bonnaffé, nous redonne un peu une direction, une boussole et un sens dans ces migrations qui ne datent pas d'hier et nous permettent de lire l'histoire d'aujourd'hui telle une fable édifiante et  bienveillante.


La Fleur du Dimanche


Frontalier


Metz - Salle de l'Esplanade - 8 mai 2022 


Texte
Jean Portante
Mise en scène
Frank Hoffmann
Assistance mise en scène
Natalia Sanchez
Musique et effets sonores
René Nuss
Costumes
Denise Schumann
Lumières
Zeljko Sestak
Avec
Jacques Bonnaffé

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