lundi 27 mai 2019

Les Palmiers Sauvages au TNS: L'éclair blanc des corps et le vent d'amour dans la tête

Au début fut la lumière, mais une lumière faite d'éclairs, accompagnés de sourds grondements de tonnerre.
Sporadiquement l'on discerne, découvre que le plateau, vaste capharnaüm - d'aucuns diraient un vrai bordel - est peuplé, d'au moins deux personnes que l'on devine presque nues, mais qui jamais ne sont au même endroit... Dans le noir, on devine l'approche tandis que deux voix douces et tendres se font la cour: un homme et une femme se découvrent. Et, au fur et à mesure, se révèlent littéralement, dans des tableaux animés, éclairés un peu plus longuement, les effets de ce coup de foudre, le résultat concret, les étreintes, l'union physique, les corps entremêlés, liés, unis et s'aimant sans fin...


Les Palmiers Sauvages - Faulkner - Séverine Chavrier - TNS Strasbourg - Photo: Samuel Robio

Une voix off (c'est Harry qui parle) situe le contexte, celui du roman de William Faulkner "Les Palmiers Sauvages"Charlotte et Harry se rencontrent dans une brocante et c'est le coup de foudre. Elle quitte mari, enfants et vie bourgeoise. Il interrompt ses études de médecine. Ils fuguent à travers l'Amérique pour vivre un amour sans compromis qui basculera dans la tragédie. 
La pièce adaptée par Séverine Chavrier navigue entre rêve et cauchemar, entre passion amoureuse et épuisement.
Elle est construite sur ce texte, un "courant de conscience", la parole intérieure de Harry qui se raconte, peut-être se remémore, dans un grand flash-back ce qui l'a amené à la dernière scène, à son dernier acte, tragique. Et les flashes de scènes jouées devant nous sont un ultime essai de rattraper le bonheur qui s'enfuit et se délite dans cette traversée; une reconstitution de moments intenses, éblouissants ou déjà effacés, de ces scènes où la passion monte, les corps parlent, dans la lumière, la pénombre ou le noir. Et de ces scènes où, déjà la routine, les contraintes matérielles, la lassitude, le trop d'aimer - comme le dit Séverine Chavrier: "A force d'aimer trop l'amour, est-ce que l'on ne finit pas par oublier l'autre, le nier ?" - détruit leur amour, les sépare et les meurtrit. L'amour les exclue, les tue...


Les Palmiers Sauvages - Faulkner - Séverine Chavrier - TNS Strasbourg - Photo: Samuel Robio

La scénographie de Philippe Perrin, avec ses matelas mouvants, ses lits trampoline, sa bibliothèque de conserves qui se délite et ses meubles de bric et de brocante, éclairés par David Perez dans une pénombre oppressante concourent à une atmosphère de film noir soutenus par l'ambiance sonore de Philippe Perrin, complétés par le jeu au piano de Séverine Chavrier elle-même, entre bruitage, mélodies romantiques et rumba. Nous sommes ballancés au gré d'un désir qui monte et descend comme une marée inquiétante. Et le vent, qui balaye la scène est aussi là, inquiétant sur ces images où les personnages se promènent sur une jetée ou rentrent dans l'eau avec des vagues folles (une tempête sur les bords du Lac Léman) dans la vidéo de Jérôme Vernez projetée en fond de scène. Le dispositif vidéo  projetant les images de comédiens en direct, en les multipliant quelquefois concourt à les transformer en des fantômes.


Les Palmiers Sauvages - Faulkner - Séverine Chavrier - TNS Strasbourg - Photo: Samuel Robio

Cette femme, sur scène, Charlotte, sauvage, libre, osant son désir et sa tendresse, incarnée de toute sa puissance de femme par Déborah Rouach, et qui vit et exprime son envie, avec et face à - parce qu'il n'y a qu'eux qui se font face - Harry, joué par Laurent Papot, fragile et fort à la fois, qui découvrant l'amour, tombe littéralement dans ce tourbillon jusqu'à se perdre, nous bouleversent, nous emportent avec eux dans le maelström de la passion.  


La Fleur du Dimanche



Au TNS à Strasbourg, jusqu'au 7 juin

D’après le roman de William Faulkner
Mise en scène Séverine Chavrier
Avec Séverine Chavrier, Laurent Papot, Deborah Rouach
Dramaturgie Benjamin Chavrier
Scénographie Benjamin Hautin
Son Philippe Perrin
Lumière David Perez
Vidéo Jérôme Vernez
Production Théâtre Vidy – Lausanne, Compagnie La Sérénade interrompue
Coproduction Nouveau Théâtre de Montreuil – Centre dramatique national
Reprise CDN Orléans – Centre – Val de Loire
Avec le soutien de la SPEDIDAM, du ministère de la Culture et de la Communication, du Centre dramatique national de Besançon Franche-Comté, de Pro Helvetia – Fondation suisse pour la culture

Spectacle créé le 25 septembre 2014 au Théâtre Vidy – Lausanne
Le roman de William Faulkner est publié aux éditions Gallimard
  

dimanche 26 mai 2019

La Cabane, dans les arbres, au fond du jardin, une zone à défendre

Aujourd'hui ce sera court!

Qui n'a rêvé de vivre dans une cabane dans un arbre, ou au fond du jardin...

Ce jardin par exemple, où travaillent deux artistes dans la cabane du fond et dans lequel fleurissent des iris magnifiques:

Iris du jardin d'artistes - Photo: lfdd


Iris du jardin d'artistes - Photo: lfdd

Le jardin, l'abri, la cabane, "Nos cabanes" sont l'origine de ce TVA, le livre de Marielle Macé dont Jean Birnbaum nous parle dans le Monde des livres de cette semaine en faisant des liens.

Apparemment les cabanes sont le lieu de liens, le sont-ils toujours?  Peut-être pas à en croire l'expérience vécue - et racontée hier - par un ami qui disait que, dans l'abri-cabane qu'il avait construit à bord de l'étang n'a servi qu'à abriter des jeunes qui jouaient sur leur Play-station. Mais peut-être qu'elles peuvent l'être encore si on en croit Marielle Macé ou Roland Barthes:
"Enfant je m'étais fait une retraite à moi, cabane et belvédère, au palier supérieur d'un escalier extérieur, sur le jardin: j'y lisais, écrivais, collais des papillons, bricolais."

Jean Birnbaum: "La cabane de Barthes mais aussi la cabane de chaque lectrice ou lecteur, nos cabanes à tous, c'est le havre où l'amour même des mêmes texte coïncide avec le désir d'autre chose." 

Et il continue plus loin:
"Quel « nous » s’est noué dans les dizaines de cabanes surgies à travers cette zone humide des « Noues » ? A quels gestes quotidiens, à quelle espérance pour demain ont donné refuge ces baraques agricoles, ces cahutes-bibliothèques?"
Et il cite encore Marielle Macé:
 « Les noues, les noës comme autant d’arches, arches d’eaux vives et de pratiques, où conserver non pas des choses mais des ­forces, où faire monter des inquiétudes, des pensées, des combats », écrit Marielle Macé, elle-même née dans ce bocage en bout de Loire."

Ces noues sont dans la Zone à Défendre de Notre-Dame-des-Landes, elle en parle et curieusement, un des TVA auxquel vous avez échappé concernait un livre, plutôt une bande dessinée de l’auteur italien de romans graphiques Alessandro Pignocchi,"La recomposition des Mondes" dont le Monde des livres curieusement parle aussi. Je voulais en parler par le biais de Philippe Descola, l'anthropologue  dont Libération avait une interview le 30 janvier sur les indiens d'Amazonie. Et en complément de cette interview, il y avait un article sur Alessandro Pignocchi, chercheur et philosophe. Parce  ce que c'est la lecture des livres de l’anthropologue, qui l'a inspiré et fait partir dessiner les Jivaros en Amazonie. Et c’est encore Philippe Descola qui l’a orienté vers la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, sujet de cette BD. Comme quoi, les liens se nouent.... par delà les matières.
Et Alessandro Pignocchi cherchait, dans cette ZAD à étudier une "révolution cosmologique (en cours, à travers un espace) où l'on commence à imaginer des mondes ouverts aux relations de sujet à sujet avec les animaux, les plantes et le territoire."

Pour inventer l'après-anthropocène ?  

Iris du jardin d'artistes - Photo: lfdd

 Pour compléter avec les cabanes, celles-ci sont aussi des lieux de créations, des ateliers et comme aujourd'hui encore vous pouvez rendre visite à ces artistes dans le cadres des "Ateliers Ouverts", je vous en conseille quelques-uns, qui sont dans des cabanes, ou l'équivalent. Y aurait-il un certain besoin à celà?

Donc, non exhaustif et dans le désordre:
L'atelier des hautes plaines - 33 rue du Maréchal Lefèvre à la Meinau, 
L'atelier de Pascale Duanyer à Geispolsheim.(malheureusement fermé cet après-midi)
L'Atelier du Verger à Saint Nabor 
Preview Image Maker à Oberhausbergen avec Melissa Decaire, Cathy Gangloff, Michel Déjean, Sandro Weltin.
L'Atelier Perché de Pascal Poirot à Neuve-Eglise
La Weber's Hütte à Hilsenheim

Et à Schweighouse-sur-Moder, d'où viennent ces beaux iris, l'atelier de Corine Kleck et Dominique Haettel.

Bon Dimanche à toutes et à tous

La Fleur du Dimanche

vendredi 24 mai 2019

Vous reprendrez bien une tranche de Musique: Lovemusic, Jazzdor et Panamix et bientôt Musica 2019

Strasbourg est une tranche napolitaine pour qui est curieux de musique.
Il y aura toujours certaines personnes qui vont pleurer parce qu'il n'y a pas assez de...   (au choix).
Mais ce vendredi, par exemple, il y avait au moins 10 concerts et j'ai tranché pour trois:

Lovemusic

A 19 heures à la BNU, Lovemusic, le collectif formé autour d'Emilliano Gavito et d'Adam Starkie et qui travaille depuis quelques années maintenant avec comme centre l'auditorium de la BNU (Bibliothèque Nationale Universitaire de Strasbourg à faire connaître la musique d'aujourd'hui proposait son avant-dernier concert de la saison.




Leur parti-pris est dire que l'on n'a pas besoin d'un bagage historique et d'une lourde formation musicale classique pour écouter - ou jouer - la musique d'aujourd'hui. Et c'était le cas pour ce  concert "Time Flies", à l'issue duquel le public (dont des spectateurs venant pour la première fois écouter la musique d'aujourd'hui) a pu échanger avec les interprètes et les compositeurs. Puisqu'il y avait pour ce concert deux créations: Une nouvelle version de la pièce "Le Malheur adoucit les pierres" de Samuel Andreyev (en référence au tableau éponyme d'Yves Tanguy, et "Trois Visages" de Nicolas Marty. La ligne directrice de cette soirée était de travailler sur l'infime, le silence, la tension, avec des pièces pour duos ou trios de vents (flute, clarinette, hautbois, cor). Le concert a d'ailleurs commencé avant l'heure laissant entrer le public lors de "Hotel Deutsches Haus 2" de Peter Ablinger lors duquel, sur des images du tram devant la BNU et du bruit de circulation, le trio (Emilliano Gavito et d'Adam Starkie auquel s'est joint Niamh Dell) ponctue de quelques phrases répétées en mémoire de cet hôtel de Berlin-Kreutzbeg. La vidéo (avec la participation de David Brunner et Noe-Christophe Nya) dialogue avec quelques pièces, dont "Fliegen Fliegen ?" où sur l'écran les mouches ne volent pas encore, puisqu'elle sont à l'état de larves, des asticots, mais les sons volent haut et créent des résonnances dissonances. Pour "Le Malheur adoucit les pierres", la vidéo nous fait "sentir" la matière de ces pierres. Pour clore ce concert d'une intense qualité d'écoute, un "presque classique", puisque "Triplum" de Franco Donatoni, écrit en 1955 et qui a donné au trio l'occasion  d'un dialogue plus vif et "Muro d'orizonte" de Salvatore Sciarrino dont l'histoire du titre résume bien l'intitulé du concert: "Mur d'horizon" était une note-oxymoron de Franco Donatoni écrite en 1993 au-dessus d'une phrase de Michel Serre: "Sans autre protection que le ciel, sans autre mur que l'horizon". Le temps passe, s'envole, mais nous sommes là à partager la sensation que la musique est vivante dans l'instant, le présent.

Le prochain rendez-vous avec Lovemusic sera en juillet, le 12 à 19 heures, toujours à la BNU avec un programme intitulé "Oustside of you... including me"..... à partager


Jazzdor

A 20h30, après quelques échanges post-concert, direction le Centre Culturel du Fossé-des-Treize où a lieu le dernier concert de la saison de Jazzdor (pour le précédent du 10 mai voir mon billet "Concert Nord-Sud et Est-Ouest pour briser les frontières").
Le concert est placé sous le signe de l'Europe, avec la Belgique.
Ce sont deux formations flamandes qui se partagent le plateau.
Pour commencer, De Beren Gieren dont le pianiste Fulco Ottervanger a expliqué que le nom pouvait se traduire autant par "Les ours vautours" que par "les ours qui rient" ou "Les ours qui ont peur".
La poésie efficace, également dans les titres (leur traduction française sonne comme "la vie de l'eau", "Le poids de l'air", "la valse des promesses" ou "jour provisoire"),  nous emmène dans un voyage harmonieux aux sonorités rêveuses. 


De Beren Gieren - Jazzdor 2019 - Photo: lfdd


Avec le pianiste Fulco qui jour plus vite que son ombre et, en plus se dédouble, avec ses boucles électroniques et ses triturations sonore, le bassiste rieur Lieven van Pee qui pose son tapis sonore bien tempéré, et le batteur, Simon Segers, messie maître du rythme, nous sommes bercés au gré d'un voyage romantique au long cours, entre valse enjouée et rêveries hypnotiques avec un film où défilent des forêts baignées dans des bancs de brumes. La musique hypnotique très bien maîtrisée de ce trio belge uni et complice nous captive et nous emporte au pays du Jazz. Ils sont fous, ces Belges, mais qu'est-ce qu'ils jazzent bien...
Comme vous avez sûrement raté le concert, je vous en offre un extrait (pour ceux qui y étaient cela sera un souvenir):




Pour la deuxième partie de la soirée, le grand ensemble Imaginary Band de et avec Lynn Cassiers est aussi fou, surtout elle, bidouilleuse multitâche, entre borborygmes, chuchotis et mélopées triturées par l'électronique et mélangés avec des bruitages qui ponctuent des chansons romantiques et bien rythmées. Elle nous propose une série de pièces et de chansons très bien écrites, qui permettent à tous les membres de son big band bien dialoguer et d'avoir quelques espaces de liberté pour des solos virtuoses. Ses chansons, se posant le plus souvent vers la douceur et les mélopées, nous propose aussi un morceau de style comédie musicale ou dessin animé américain avec des pointes d'humour. Elle nous fait aussi penser à une Nico du Jazz. Son grand ensemble rassemble autour d'elle en plus de ses compères habituels, Erik Vermeulen au piano, Manolo Cabras à la contrebasse et Marek Patrman à la batterie, Sylvain Bebaisieux au saxophone, Nieles van Heertum à l'euphonium et Ananta Roosens au violon. 


Lynn Cassiers - Jazzdor 2019 - Photo: lfdd


Cette dernière soirée de la saison de Jazzdor fut donc l'occasion de découvrir un jazz proche de nous géographiquement mais qui n'aura pas encore traversé les frontières... C'est chose faite et nous en sommes heureux.


CAFE DE LA BIENNALE 

Après ce concert bien décoiffant, direction le "Café de la Biennale" dans la cour de l'ancienne Poste centrale avenue de la Marseillaise dans lequel se tenait la Biennale internationale d'Art de Strasbourg et à laquelle le café a survécu quelques mois (au moins 3, et jusqu'à quand ?). 
En tout cas, c'est là que Don Nino présente son dernier album, The Keyboard Songs, un recueil de morceaux composés aux claviers, aux textures inédites, aériennes et intimes, complété avant et après par les mixes de Panimix (Till, Mickael Dard et Emmanuel Dsd) qui passent des vrais disques.

MUSICA

La veille, ce même lieu a accueilli à midi la présentation du programme du festival Musica (du 20 septembre au 5 octobre) et le soir la fête pour annoncer le virage de la programmation sous la nouvelle direction de Stéphane Roth, avec une soirée festive et des extraits de trois spectacles:
- "Musique de tables" de Thierry de Mey interprété par trois musiciens des Percussions de Strasbourg, pour la "Journée Thierry de Mey" au Point d'Eau à Ostwald le 22 septembre 
- Le guitariste Julien Desprez qui donnera un concert dans les jardins du Palais Universitaire le 1er octobre
- François Chaignaux, chorégraphe, chanteur et danseur qui, pour la pièce "Symphonia Harmoniae Caelestium Revelationum" interprètera la Symphonie des harmonies célestes de la bénédictine mystique Hildegarde von Bingen, le jeudi 3 octobre dans la salle de la Bourse.   


Musica 2019 - Percussions de Strasbourg - Musique de table - Thierry de Mey - Photo: lfdd 

Pour vous donner un avant-goût de Julien Desprez, voici l'extrait d'un précédent concert.




La Fleur du Dimanche

mercredi 15 mai 2019

Le Colonel des Zouaves au TNS: Un texte millefeuilles par un très grand acteur "augmenté"

Le Colonel des Zouaves est un texte d’Olivier Cadiot commandé par Ludovic Lagarde pour Laurent Poitrenaux à l’auteur et qui a été créé en 1997. Ce fut à la fois le début d’une aventure - théâtrale, et d’une collaboration entre les deux hommes, mais aussi celle de la compagnie  - la Compagnie 2ème nature - montée autour de ce projet et qui acte le début un long compagnonnage avec une équipe toujours présente Gilles Grand, Sébastien Michaud, Odile Duboc – dans la mémoire – et des amitiés croisées (Rodolphe Burger,…), littéraire, aussi pour Olivier Cadiot, poète et romancier largement reconnu aujourd’hui. Au point que cette pièce, rejouée dix ans après sa création est réactivée aujourd’hui pour se placer dans une trilogie – avec Un mage en été et Providence (vue au TNS en2017) – de pièces de monologues d’Olivier Cadiot et interprétées par Laurent Poitrenaux  et mises en scène par Ludovic Lagarde. 


Le colonel des zouaves - TNS - Photo: Victor Pascal

Le Colonel des Zouaves fut au moment de sa création une surprise scénique et une petite révolution du fait de l’utilisation des micros et du travail du son qui n’était pas habituels à l’époque au théâtre. Le parti-pris de scénographie et de jeu, et surtout la « chorégraphie » inspirée – dans les deux sens du terme - par Odile Duboc ont amené un choc immobile aux spectateurs de l’époque (si les spectateurs qui l’ont vu au Maillon à Strasbourg, ou ailleurs, s’en souviennent encore).


Le colonel des zouaves - TNS - Photo: Victor Pascal

La scénographie à l’Espace Grüber du TNS est fidèle à cette création – même dispositif que l’on a un peu "élargi" et à qui on a donné une profondeur scopique avec un mur-écran réfléchissant en fond de scène. La "chorégraphie" minimaliste de la pièce d’origine a pris un peu d’ampleur tout en gardant l’esprit du "mouvement" insufflé par Odile Duboc. Le jeu et la diction, ont pris de la puissance, les textes sont plus lisibles, plus démonstratifs et les effets de lumière nous font voyager dans les différents univers décrits dans cette histoire millefeuille d’Olivier Cadiot qui malaxent des souvenirs d’un majordome, à la fois en situation professionnelle – magnifiquement "incarné" et "bougé" par Laurent Poitrenaux, qui se transforme en coureur de fond ou en espion ou ancien militaire, en dragueur et qui rapetisse ou grandit sous nos yeux éberlués. 


Le colonel des zouaves - TNS - Photo: Victor Pascal

Ces multiples couches de langage, une vraie féérie de récit, magnifiquement jouées par l’acteur dont arrive à oublier la performance, tant elle est magnifiée, triturée et jetée dans l’espace par le travail "musical" du son et soulignée – ou brisée par les effets d’éclairage, nous laissent pantois en sortant de cette heure et demie où, en totale symbiose avec l’acteur, nous avons oublié de respirer, tant nous étions accrochés à ses lèvres et noué à son corps dans une étreinte presqu’amoureuse. Nous y avons vécu des dizaines de vies et fait connaissance de mille éclats de réalité.


La Fleur du Dimanche


Le Colonel des Zouaves


TNS Strasbourg 
Jusqu'au 24 mai 2019 20:00

Texte Olivier Cadiot
Mise en scène et scénographie Ludovic Lagarde
Avec Laurent Poitrenaux
Musique Gilles Grand
Lumière Sébastien Michaud
Costumes Virginie et Jean-Jacques Weil
Avec la participation artistique de Odile Duboc
Coproduction CDDB Théâtre de Lorient – Centre dramatique national, Le Carreau – Scène nationale de Forbach
Avec le soutien de La Comédie de Reims – Centre dramatique national

Spectacle créé le 6 mai 1997 au CDDB – Théâtre de Lorient

Laurent Poitrenaux est acteur associé au TNS

Le texte est publié aux éditions P.O.L.

dimanche 12 mai 2019

Nomophobie, Bigorexie ou Mixologie: à vous de choisir votre addiction et méfiez-vous des infox et des exits

Mai est le mois de l'Europe parait-il, le 8 par exemple est férié en France (il l'a été à partir de 1946, mais pas toujours, dans un objectif de réconciliation avec l'Allemagne) et le 9 est la journée de l'Europe pour commémorer la déclaration fondatrice de Robert Schuman le 9 mai 1950.
En France, les élections européennes ont lieu le 26 mai. J'ai même trouvé un site qui s'appelle "Le joli mois de l'Europe" avec 354 événements (mais aucun dans le Grand Est, et donc aucun en Alsace).

Je vais vous parler de frontières, de l'Europe, des nouveaux mots rentrés dans le dictionnaire et vous proposer une sélection de chansons "européennes" qui font la richesse de notre culture...

Et on ne va pas se laisser abattre, il reste toujours des fleurs à fêter, par exemple ces fleurs bleues - Iris de Sibérie:


Fleurs bleues - Photo: lfdd

Ou ces blanches: Ornithogale en ombelle


Fleurs blanches - Photo: lfdd

Ou ces rouges:


Fleur rouge - Photo: lfdd


Bon, n'allez pas dire que je fais du patriotisme floral, je suis plutôt supporter de l'ouverture des frontières. A ce propos, j'aurais publier le 8 mai un texte qui ravive les mémoires. Parce que je me dis que ceux qui se plaignent de l'Europe ou qui souhaiteraient un brutal "exit" sont dans cet état d'esprit parce qu'ils n'ont pas de mémoire, qu'ils ne se souviennent pas du temps, pas si lointain où l'on avait des contrôles aux frontières, qu'il fallait faire la queue et montrer ses papiers, que pour certains pays qui font partie de l'Europe aujourd'hui, il fallait un visa ou un passeport, que l'on était obligé de changer de l'argent pour payer - quand on achetait une glace en Allemagne il fallait des Deutschmarks, un expresso en Italie, des Lires, de l'essence ou des cigarettes en Belgique ou au Luxembourg, des Francs de ces pays, et toutes sortes de tracasseries équivalentes... 


Les frontières tuent

A ce propos, le premier TVA vous permettra de vous souvenir qu'il y avait des pays européens où il y avait, il n'y a pas si longtemps, une dictature. Souvenez-vous...

Et comme le dit l'écrivain Antonio Munoz Molina dans le Monde du 5 mai:
"Je me rappelle quand je n’étais pas européen. Je me rappelle m’être senti enfermé dans un pays qui semblait en marge du monde; avoir senti que j’étais né avec une malchance ou un handicap qui n’existaient pas au-delà de la frontière nord de mon pays; avoir désiré comme un rêve chimérique ce qui, de l’autre côté de cette frontière et tout du long d’un continent, était la vie normale: la liberté de se déplacer ici et là, de lire ce qu’on avait envie, et de voir des films, de choisir même ses représentants politiques et de leur demander des comptes sur leur action.
Je me rappelle avoir vécu une délégation de vie, une vie hypothétique qui n’était pas là où je vivais mais loin, toujours très loin, dans les pays où l’on publiait le plus normalement du monde les livres qui nous étaient interdits, où dans les rues pouvaient flotter au vent des banderoles et des drapeaux, ce qui, dans mon pays, aurait conduit en prison celui qui aurait osé les brandir.
Je me rappelle avoir atteint pour la première fois la frontière française à bord d’un train de nuit, être descendu du train dans l’obscurité et le froid, avoir présenté mon passeport, le premier que j’utilisais dans ma vie, avoir attendu, un peu effrayé, tandis que le gendarme l’examinait et m’observait, moi."...
...
..


Extrait- Antonio Munoz Molina

Cette gare à la frontière, c'était Portbou, la ville où Walter Benjamin s'est suicidé en 1940 en essayant de fuir le régime nazi.


Extrait- Antonio Munoz Molina

Dans certains pays, les frontières se revêtent à nouveau de barbelés, l'Europe qui se construit ne se construit pas toute seule. Cette Europe où "les citoyens jouissent de droits tangibles qui n'existent nulle par ailleurs", elle ne se fait pas toute seule. Il ne suffit pas d'attendre que tous ces changements se passent, ils peuvent aussi faire marche arrière. 


Extrait - Antonio Munoz Molina

Il faut se bouger:


Extrait - Antonio Munoz Molina


Se bouger, mais attention à la bigorexie....


Ce terme, bigorexie est entré dans la dictionnaire Larousse cette année avec 150 autre mots. Je vous en fais une patite "Revue de presse", à vous d'en tirer les remarques sur la manière de traiter l'information selon les supports.
Je vous laisse aussi deviner ou chercher les sens de ces nouveaux mots... 

Pour bigorexie, je vous aide:  addiction au sport, aussi appelée sportoolisme

Et je vous demanderai de savoir ce que signifie "dédiésélisation". Est-ce que cela a avoir avec la perte des repères religieux ou moraux? Ou les Gilets jaunes

Allez, un peu de lecture-culture:

20 minutes: Survivalisme, cryptomonnaie...
La Dépêche: Divulgâcher», «survivalisme», «locavorisme»
Les Echos: Cryptomonnaie, ubériser, darknet… 
Le Figaro: Smicardisation, Ubériser, Inclusif, Divulgâcher
Le Monde:  Adulescence, divulgâcher , bore-out, klouker,
"Klouker" (verbe venu de Bretagne pour "se goinfrer") trop de "dagoberts" (sandwich" en Belgique) vous laissera « gonfle » (adjectif provençal pour « rassasié »). Pour les personnes qui aiment faire la fête, on adoptera le mot belge "sorteur". Le "taxieur" (chauffeur de taxi) vient d’Algérie et si l’on est cycliste gare au québécois "emportiérage" (percuter un cycliste en ouvrant sans précaution une portière).
Le Parisien : Du « dégagisme » de Mélenchon au darknet en passant par l’écriture inclusive et la grossophobie, voici une petite sélection

L'Express: Divulgâcher, adulescence, inclusif
Le Point: De l'adulescence au survivalisme
Le Nouvel Obs: Dédiésélisation, adulescence, taxieur, dagobert… 
Valeurs actuelles:“Cyberdjihadisme”, “Fachosphère”

BFM: Bigorexie, slasheur, adulescence...  
France Inter: Charge mentale, dédiésélisation, hackaton, emportiérage
LCI: Charge mentale, klouker, bigorexie, mais aussi Griezmann et Mbappé.
Radio Canada: « Divulgâcher », « nounoune » et « charge mentale » 

Clubsandwich: "On se kloukerait pas un dagobert?": locavorisme dagobert stollen, 
ActuaLit: Antispécisme, télétravail, écocide”  Ne dites plus "fake news" mais "infox" 

DNA: Ubériser, survivalisme, charge mentale. 
"charge mentale", "divulgâcher", "fachosphère", "ubériser" ou encore "bioplastique".

Et aussi le Stollen

DNA : Le bredele entre dans Le Robert, après le Larousse
Le Petit Larousse et le Petit Robert, les deux principaux dictionnaires du monde francophone, ont présenté lundi leur millésime 2019 avec leur lot de mots nouveaux reflétant la diversité d’une langue qui ne cesse de s’inventer. Bredele qui n'est pas vraiment nouveau, ici en Alsace, entre (enfin) au dictionnaire Le Robert. Un an après avoir été admis dans Le Larousse


Pour finir en chanson, je vous propose une série de chansons en hommage aux Stolle, Bredele et autres délicatesses alsaciennes et pour finir un tour d'Europe des mixages et mélanges de culture de différentes pays.


Pour en faire le Hit-Parade, je vous mets un Numéro à chaque, à vous de me faire parvenir votre tiercé gagnant !
Merci

1. BREDELERS-BOMBOM STAND





2. Léopoldine HH - Blumen im Topf





3.Trio - Da Da Da 





4. Falco - Der Kommissar (Official Video)





5. Prinz Pi - Königin von Kreuzberg 





6. Johan Papaconstantino - Lundi





7. Johan Papaconstantino - Pourquoi tu cries?? 

 



8. Haamut – Tommy Lindgren Metropolis





9. Bratisla Boys - Stach Stach





10. CHATON - Sois pas gêné





Bon dimanche et Bonne écoute...
Et n'oubliez pas de voter - ou de proposer votre liste

La Fleur du Dimanche

P.S. Et attention aux infox !

vendredi 10 mai 2019

Jazzdor à Strasbourg: Concert Nord-Sud et Est-Ouest pour briser les frontières.

Le concert du 10 mai de Jazzdor qui a pris ses quartiers au Centre Socio-Culturel du Fossé-des-Treize se conjugue en deux parties: Nord-Sud et Est-Ouest.


Jazzdorr - Mika Kallio - Verneri Phojola - Photo: lfdd

Pour "Animal Image", nous avons bien le son mais nous avons aussi l'invitation de nous inventer l'image du film pour lequel cette musique a été créée par le duo Mika Kallio aux percussions et Verneri Pohjola à la trompette. La soirée peut commencer: Générique, gongs qui résonnent, trompette qui entonne, étonne, musique lancinante du fond des bois froids de Scandinavie, chuchottée au loin puis se rapproche pour sussurer un air à nos oreilles... Le gong crisse, la forêt s'éveille, le pic frappe l'arbre, non ce sont les percus magiques de Mika Kallio. La trompette bascule en boucles rêveuses, les percus aussi se mettent en boucle, la boite électronique habite l'espace, les sons s'envolent et se font ensorcelants. Le rythme s'accélère puis s'essouffle, non soudain il foisonne. Après un court répit, Verneri Pohjola entame une balade à la trompette, litanie lancinante, les bols tibétains résonnent, les cymbales aussi. Fulgurance de la trompette, Mika caresse les percus, une douce mélopée à la trompette, qui reprend vigueur. Aux percussions, Mika invente des ambiances mystérieuses et Verneri ne manque pas de souffle et de mélodie... La traversée du rêve s'achève dans un dernier bruissement de gong. Le voyage fut magique.
Pour en goûter un moment, je vous en offre un extrait - avec l'image.


azzdorr - Mika Kallio - Verneri Phojola - Photo: lfdd

Entracte ! 


Verneri Pohjola & Mika Kallio / Animal Image from Perttu Saksa on Vimeo.



Pour la deuxième partie, changement de décor, changement de style, changement de pays. "All Set" avec une formation Germano-franco-américaine, composée d'Ingrid Laubrock (d'origine allemande) et Stéphane Payen (le Français de l'étape) aux saxophones, et avec les Américains Chris Tordini à la basse et Tom Rainey à la batterie. Le projet est une écriture proche de la musique contemporaine, partagée à deux, Stéphane et Ingrid.


Jazzdorr -  All Set - Ingrid Laubrock - Stéphane Payen - Chris Tordini - Tom Rainey - Photo: lfdd

Le programme est en huit sets et un rappel.
Pour démarrer, les saxophones s'entremêlent, la frappe du batteur Tom Rainer est nerveuse et la pièce voit s'envoler les saxophones.
Le deuxième morceau est plus vif, rapide, on sent une très bonne entente dans le quatuor.
Pour le troisième morceau, la batterie envoie un rythme tournant, le geste de Tom Rainey est dansant, englobant, habité. Les deux saxophones se répondent en écho.


Jazzdorr -  All Set - Tom Rainey - Photo: Patrick Lambin

Un tic-tac de la batterie réveille la quatrième pièce, intermittence des saxophones et basse en réveil tendre. Le rythme se fait mélodie frappée sur les cercles des caisses - en contrepoint, accélère sans augmenter de volume, frottements, roulements, puis tout prends souffle et volume dans un dernier cri.


Jazzdorr -  All Set - Ingrid Laubrock - Stéphane Payen - Chris Tordini - Photo: Patrick Lambin

La cinquième pièce démarre par un unisson de brefs sons qui se cherchent, petite ritournelle de cirque, puis glop joyeux et endiablé.
La sixième pièce donne le premier rôle au bassiste Chris Tordini, qui nous joue une mélodie lancinante à la basse, reprise par les  deux saxophones. 

Jazzdorr -  All Set - Chris Tordini - Photo: Patrick Lambin

Pour la septième pièce, une mélodie amélodique sérielle et voyageuse nous promène en chemin de fer.


Jazzdorr -  All Set - Ingrid Laubrock - Stéphane Payen - Chris Tordini - Tom Rainey - Photo: Patrick Lambin

La huitième pièce est annoncée comme composition d'Ingrid Laubrock. Elle nous propose une fulgurance de sons qui se libèrent et s'échappent dans tous les sens.
Pour les rappels, les musiciens démontrent leur humour avec une pièce haïku de Stéphane Payen où comme dans une mini-mosaïque les sons s'assemblent et déjà la pièce est achevée.

La soirée, mémorable est appelée "All Set" en hommage à la création par le George Russell et Günther Schuller Orchestra featuring Bill Evans de la pièce "All Set" du compositeur Milton Babbitt en 1957.
Et cette soirée fut à la hauteur de cet évènement historique. Comme l'a dit en introduction Philippe Ochem, cela valait le coup d'attendre. Les musiciens étaient vraiment au top!
Entre les vagues nordiques et les compositions dodécaphoniques interprétées par un vigoureux quatuor qui jouait comme huit, le résultat était d'une très belle tenue. 
Et si vous avez raté la soirée, précipitez-vous à Avignon où elle est jouée ce samedi soir ....


Le Fleur du Dimanche