lundi 27 mai 2019

Les Palmiers Sauvages au TNS: L'éclair blanc des corps et le vent d'amour dans la tête

Au début fut la lumière, mais une lumière faite d'éclairs, accompagnés de sourds grondements de tonnerre.
Sporadiquement l'on discerne, découvre que le plateau, vaste capharnaüm - d'aucuns diraient un vrai bordel - est peuplé, d'au moins deux personnes que l'on devine presque nues, mais qui jamais ne sont au même endroit... Dans le noir, on devine l'approche tandis que deux voix douces et tendres se font la cour: un homme et une femme se découvrent. Et, au fur et à mesure, se révèlent littéralement, dans des tableaux animés, éclairés un peu plus longuement, les effets de ce coup de foudre, le résultat concret, les étreintes, l'union physique, les corps entremêlés, liés, unis et s'aimant sans fin...


Les Palmiers Sauvages - Faulkner - Séverine Chavrier - TNS Strasbourg - Photo: Samuel Robio

Une voix off (c'est Harry qui parle) situe le contexte, celui du roman de William Faulkner "Les Palmiers Sauvages"Charlotte et Harry se rencontrent dans une brocante et c'est le coup de foudre. Elle quitte mari, enfants et vie bourgeoise. Il interrompt ses études de médecine. Ils fuguent à travers l'Amérique pour vivre un amour sans compromis qui basculera dans la tragédie. 
La pièce adaptée par Séverine Chavrier navigue entre rêve et cauchemar, entre passion amoureuse et épuisement.
Elle est construite sur ce texte, un "courant de conscience", la parole intérieure de Harry qui se raconte, peut-être se remémore, dans un grand flash-back ce qui l'a amené à la dernière scène, à son dernier acte, tragique. Et les flashes de scènes jouées devant nous sont un ultime essai de rattraper le bonheur qui s'enfuit et se délite dans cette traversée; une reconstitution de moments intenses, éblouissants ou déjà effacés, de ces scènes où la passion monte, les corps parlent, dans la lumière, la pénombre ou le noir. Et de ces scènes où, déjà la routine, les contraintes matérielles, la lassitude, le trop d'aimer - comme le dit Séverine Chavrier: "A force d'aimer trop l'amour, est-ce que l'on ne finit pas par oublier l'autre, le nier ?" - détruit leur amour, les sépare et les meurtrit. L'amour les exclue, les tue...


Les Palmiers Sauvages - Faulkner - Séverine Chavrier - TNS Strasbourg - Photo: Samuel Robio

La scénographie de Philippe Perrin, avec ses matelas mouvants, ses lits trampoline, sa bibliothèque de conserves qui se délite et ses meubles de bric et de brocante, éclairés par David Perez dans une pénombre oppressante concourent à une atmosphère de film noir soutenus par l'ambiance sonore de Philippe Perrin, complétés par le jeu au piano de Séverine Chavrier elle-même, entre bruitage, mélodies romantiques et rumba. Nous sommes ballancés au gré d'un désir qui monte et descend comme une marée inquiétante. Et le vent, qui balaye la scène est aussi là, inquiétant sur ces images où les personnages se promènent sur une jetée ou rentrent dans l'eau avec des vagues folles (une tempête sur les bords du Lac Léman) dans la vidéo de Jérôme Vernez projetée en fond de scène. Le dispositif vidéo  projetant les images de comédiens en direct, en les multipliant quelquefois concourt à les transformer en des fantômes.


Les Palmiers Sauvages - Faulkner - Séverine Chavrier - TNS Strasbourg - Photo: Samuel Robio

Cette femme, sur scène, Charlotte, sauvage, libre, osant son désir et sa tendresse, incarnée de toute sa puissance de femme par Déborah Rouach, et qui vit et exprime son envie, avec et face à - parce qu'il n'y a qu'eux qui se font face - Harry, joué par Laurent Papot, fragile et fort à la fois, qui découvrant l'amour, tombe littéralement dans ce tourbillon jusqu'à se perdre, nous bouleversent, nous emportent avec eux dans le maelström de la passion.  


La Fleur du Dimanche



Au TNS à Strasbourg, jusqu'au 7 juin

D’après le roman de William Faulkner
Mise en scène Séverine Chavrier
Avec Séverine Chavrier, Laurent Papot, Deborah Rouach
Dramaturgie Benjamin Chavrier
Scénographie Benjamin Hautin
Son Philippe Perrin
Lumière David Perez
Vidéo Jérôme Vernez
Production Théâtre Vidy – Lausanne, Compagnie La Sérénade interrompue
Coproduction Nouveau Théâtre de Montreuil – Centre dramatique national
Reprise CDN Orléans – Centre – Val de Loire
Avec le soutien de la SPEDIDAM, du ministère de la Culture et de la Communication, du Centre dramatique national de Besançon Franche-Comté, de Pro Helvetia – Fondation suisse pour la culture

Spectacle créé le 25 septembre 2014 au Théâtre Vidy – Lausanne
Le roman de William Faulkner est publié aux éditions Gallimard
  

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