jeudi 30 mars 2017

Christophe fait le Yanne au café Brant: Tous embarqués dans la Nef des Fous

Christophe Feltz et son Théâtre Lumière qui fête ses vingt-cinq ans cette année, a un côté ombre et un côté lumière:
D'un côté, il met en scène des auteurs contemporains, et c'est son versant lumière. Il partage cet éclairage humaniste des grands textes du théâtre: Harold Pinter, Vaclav Havel, Sam Shepard, Tennessee Williams, August Strindberg, Philippe Madral, Robert Pinget, Nathalie Sarraute, Jean Tardieu, David Mamet, Arthur Schnitzler, Paul Auster, Eugène Ionesco. Il les amène à la scène pour "explorer une certaine sensibilité théâtrale et c’est bien ce type de théâtre « humaniste » ou « de l’intérieur » qui nous touche, nous intéresse et nous fait vibrer". Lumière sur la scène.


Yvette Stahl - Christophe Feltz - L'Etre Urgent - Harold Pinter - 1992

D'un autre côté, une sensibilité qui l'amène vers un univers mélange de chansons, de cabaret, de poésie, d'absurde parfois et d'humour sera plutôt le côté ombre, ombre des projecteurs et des lumières du music-hall ou celle des petites salles, où le comédien, seul ou avec un ou deux acolytes, parfois un piano ou un autre instrument vont être plus proches du public, confrontés à la réaction immédiate, plus brute, plus contrastée, miroir du jeu du comédien en équilibre sur la salle. Ce sera le côté nocturne du café-concert, comme par exemple le Café Brant, lieu prédestiné puisqu'à la fois café, mais aussi esquif de fous (ou de clowns) navigant dans la nuit strasbourgeoise à la rencontre des clowns ou des fous du roi.
Une fois par mois, le mercredi ce sera lecture conviviale et culturelle dans une ambiance cosy.




Et la dernière de la saison 2016/2017, ce mercredi 30 mars, après, entre autres Boris Vian, Raymond Devos et Jacques Prévert, aura été l'occasion de redécouvrir une facette un peu oubliée (malheureusement) de Jean Yanne: Ses textes - et quelques chansons.
Parce que Jean Yanne, plus connu comme comédien et réalisateur surtout, homme de radio - il a commencé comme journaliste mais très vite il fera du cabaret et de la radio avec Jacques Martin, Roger Pierre et Jean-Marc Thibault et Pierre Dac. Mais cet homme, dont l'image au cinéma de Français moyen, râleur, vachard, égoïste et roublard va lui coller à la peau, va cultiver cet esprit critique, anar et caustique - c'est lui qui est a l'origine du slogan "Il est interdit d'interdire" - et ne va pas se priver de faire de l'humour "vache".



C'est cet humour-là que Christophe Feltz va distiller sur scène, en savant dosage et dans la bonne posologie, au point justement que le public, sollicité et confronté à son beauf en miroir - même si le public présent ne se considère pas comme tel - va prendre plaisir et rire de ces autoportraits et séquences de vies ou aphorismes que nous sert sur un plateau le comédien plein d'entrain alors que derrière lui, comme sur scène, sur le trottoir (ah les trottoirs, promis par tous les candidats aux élections) passe un serveur - un vrai - avec son plateau rempli haut au dessus de la tête, comme dans un film comique, Buster Keaton involontaire. Et l'on rit, naïf et simple à l'écoute de ces "conneries", parce que comme le dit Jean Yanne: "La connerie, c'est comme le judo, il faut utiliser la force de l'adversaire".
Mais ce ne sont pas que des conneries, et l'on se rend compte que Jean Yanne a une sagesse de vieux gourou quand il nous apprend que:
"Il faut commencer à se méfier le jour où l'on a plus de souvenirs que de projets." et qu'"Il faut faire des enfants quand on est vieux, parce qu’on les emmerde pas longtemps". 
D'ailleurs "Il faut commencer à se méfier le jour où l'on a plus de souvenirs que de projets."
C'est là que l'on se dit qu'"En fait l'important ne serait pas de réussir sa vie, mais de rater sa mort."

Mais pour ne pas finir sur une pensée triste, je vous laisse une porte de sortie:
"Il faut qu'une porte soit ouverte ou d'une autre couleur".

Bon Spectacle

La Fleur du Dimanche

P.S. Pour vous remettre en mémoire le talent de Jean Yanne, à défaut - ou en attendant d'aller voir le spectacle de Christophe Feltz (Restez au courant des prochaines dates sur son site ou en lui envoyant un mail : info@theatre-lumiere.com) je vous propose un pot-pourri sellectionné de chansons de Jean Yanne.

D'abord une de celle entendue dans le spectacle (vers la fin bien sûr): Si tu t'en irais:





Une autre découverte à cette occasion, version ingnorée de la Marseillaise: Saint Rock





Le Tube que vous avez peut-être entendu quand vous étiez très petits (c'était juste après mai 68) Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil





Une chanson coquine et courte: Si tu n'en veux pas



Et une encore plus courte (écoutez bien, elle est déjà terminée:
Choucroute Saucisse (hommage à l'Alsace ?) - Pas de quoi en faire un procès): 





Un petit intermède publicitaire - quelques fausses pubs, autre talent de Jean Yanne - extraits de son film "Je te tiens tu me tiens par la barbichette"





Et pour finir, un extrait du film "Moi y'en a vouloir des sous" avec une prestation du groupe Magma qui est passé fin de l'an dernier à la Laiterie à Strasbourg dans le cadre de sa tournée du 45ème anniversaire:



Bon Yanne

dimanche 26 mars 2017

Le Soleil a rendez-vous avec la Nuit après la Pluie

Un arc en ciel de fleurs sous la pluie, c'est ce que je vous offre aujourd'hui après quelques jours d'absence de soleil... 
On n'est pas maître du ciel, ni des heures me diront certains.

Primevères sous la pluie - Photo: lfdd

En ce jour de passage à l'heure d'été - rappelez-vous, vous vous êtes déjà levé une heure trop tard, il va falloir vous coucher plus tôt même s'il fait jour plus longtemps. Vous êtes perdus ? Le dessin de Philippe Geluck publié le 22 octobre 2012 ne sert plus, étant donné que le passage à l'heure d'été a été avancé d'avril à mars. Mais il faut toujours avancer la montre d'une heure (même en mars) - en ce jour de passage à l'heure d'été disais-je donc, je voulais vous parler de la nuit et de la pluie, et du soleil revenu bien sûr... car tout le monde le sait, "Se coucher tard nuit."

Chatons sous la pluie - Photo: lfdd

Attention, c'est bien "Chatons sous la pluie", à ne pas confondre avec "Chantons sous la pluie" (voir plus bas..).

La nuit, le terme vient, entre autre du mot égyptien "Nout" qui était le nom de la déesse du ciel. Elle était la petite fille du dieu-soleil Atoum. Et elle était à la fois la soeur jumelle et la femme de Geb, le dieu de la terre... Sa mère Shou, pas très sympa ne vit cette union pas d'un très bon oeil et sépara Nout et Gem pendant 360 jours.... Mais Nout joua aux dés avec Thot, le dieu du temps et gagna 5 jours (360 + 5 = 365 !) et prit ces 5 jours pour s'unir avec Gem et avoir 5 enfants - Osiris, Horus l'Ancien, Seth, Isis et Nephtys. Et les larmes de Nout, dieu du ciel, c'est la pluie....

Jonquilles sous la pluie - Photo: lfdd

Nout, en passant par la Grèce, devint Nyx, déesse de la nuit, Nox en latin et puis Nacht, night, nuit, même Nótt, déesse nordique de la nuit:
"Þá tók Allföðr Nótt ok Dag, son hennar, ok gaf þeim tvá hesta ok tvær kerrur ok setti þau upp á himin, at þau skulu ríða á hverjum tveim dœgrum umhverfis jörðina."
Bon, je mets la traduction pour ceux qui ne comprendraient pas:
"Alfadr (Odin - Wotan) prit alors Nótt et Dag, son fils : il leur donna deux chevaux et deux chars, et les plaça en haut dans le ciel en leur enjoignant de chevaucher chaque jour autour de la terre."


Jonquilles sous la pluie - Photo: lfdd

Louis Poterat l'a écrit: "Comme l'Arc en ciel, après la pluie, comme le soleil après la nuit, serais-je celle qui chassera vos peines?"
C'est Georges Guétary qui le chante, sur cette valse en la bémol, opus 39, N° 15 de Johannes Brahms:



En voici les paroles:

La valse des regrets

L'orgue de la nuit

Au clair de lune gémit

La brise fait
De son archet
Chanter la valse des regrets

Mon bel amour
Au bois dormant
Quittez vos rêves troublants
Vous éveillant
Tout doucement
Venez vers moi qui vous attends

Venez vers moi
Il est grand temps
Calmer l'émoi d'un cœur qui bat
Devant l'effroi d'une prière vaine

L'ombre s'alanguit
Des formes glissent sans bruit
Et du passé
Vestiges usés
Nos souvenirs s'en vont danser

Comme l'Arc en ciel après la pluie
Comme le soleil après la nuit
Serais-je celle
Qui chassera vos peines?

L'orgue de la nuit
Au clair de lune gémit
Dans mon coeur lourd
Qui n'attend plus que votre amour."

Et ici une version interprétée par Françoise Hardy et Hélène Grimaud:




Restons avec Françoise Hardy avec le Soleil:

Et c'est toujours lui le soleil 
qui fera mes réveils 
chaque matin 
soleil d'hiver ou d'été 
il voit les amours passer 
et les chagrins.





Françoise en duo avec Alain Souchon:




Et une version de Sunshine, l'original de Soleil par Sandy Alpert:




Bon Dimanche

La Fleur du Dimanche

dimanche 19 mars 2017

Cueco n'a plus la patate, et Parra? Chut ! mais Gracias à la vida et vole l'hirondelle rouge

Les nouvelles tombent (tombe), Henri Cueco et Angel Para chutent, et Jean-Michel Maulpoix  - dont je citais "L'instinct de ciel" dimanche dernier dans mon TVA - vient de terminer  un livre "L’Hirondelle rouge" sur son père qui vient de mourir en novembre. Mais tout d'abord, place à la fleur (aux fleurs) du jour...

Les premiers crocus sont sorti sous le soleil printanier, blancs comme neige:


Crocus blancs de printemps - Photo : lfdd

 Ils se colorent de bleu du ciel (comme l'aime Maulpoix):


Crocus blanc et bleus de printemps - Photo : lfdd

Allons, un peu de hauteur !

Crocus blanc et bleus de printemps - Photo : lfdd

Mais ne montons pas trop haut (au ciel)!

Cela nous amènerait à notre TVA du jour: 
Eric Chevillard qui tient un feuilleton littéraire dans le Monde des livres titre sa chronique: "Une histoire de noir" dans laquelle il révèle: "En cette seule rentrée, trois auteurs consacrent un livre à leur père disparu : Pierric Bailly (L’Homme des bois, POL), Philippe Le Guillou (Novembre, Gallimard) et Jean-Michel Maulpoix, lequel évoque aussi sa mère dans ce poème d’adieu, L’Hirondelle rouge, qui emprunte son titre à un tableau de Joan Miró." il rajoute "Le père de Jean-Michel Maupoix s'est éteint en novembre, comme celui de Philippe le Guillou, et comme le mien, si je peux me permettre cette confidence".
Plus loin, à propos du titre du livre de Maulpoix:
"Et plutôt que le corbeau et les autres oiseaux de malheur, il préfère suivre suivre le vol de l'hirondelle, "joueuse et pressée de revivre après les pluies froides"".
Sa leçon de ce deuil: "Apprendre à disparaître n'est en définitive rien d'autre qu'apprendre à aimer ce monde jusqu'au bout. Je ne veux pas d'une vie dont il manquerait un morceau."


Donc croquons la pomme (de terre) de Cueco jusqu'au bout !

"Les pommes de terre ne répondent jamais, disait Cueco, elles opposent un silence paisible aux question qu'on leur pose..."
Le suite est ici:
https://soundcloud.com/search?q=cueco%20pomme%20de%20terre

Après Cueco, silence...

Silence pour Angel Para, qui fait chut et qui s'est trouvé une nouvelle patrie "Yo tuve una patria"




Yo tuve una patria,
también tuve un cielo,
tuve lluvia y cobre,
trabajo y desierto.

Hoy tengo una guitarra,
tengo un canto nuevo,
tengo un gran hermano
que se llama Pueblo.

Tengo unos amigos,
pocos, pero buenos,
tengo mi aguardiente,
lápiz y cuaderno.

Con ellos dibujo
ardientes infiernos,
caminantes solos
y rosas de invierno.

Tengo algunos libros,
de historias y cuentos,
que de tarde en tarde,
a mis hijos leo.

Tengo una esperanza,
noches de desvelo,
tengo un dolor grande
por lo que no tengo.


J'ai eu une patrie,
J'avais aussi un ciel,
J'ai eu la pluie et le cuivre,
travail et désert.

Aujourd'hui, j'ai une guitare,
J'ai une nouvelle chanson,
J'ai un grand frère

Il a appelé Pueblo.


Nous n'avons plus rien à rajouter que "Gracias à la vidaavec sa mère Violetta: 




Bon Dimanche

La Fleur du Dimanche

vendredi 17 mars 2017

Salomé, la mécanique de la chute et l'effondrement d'un monde

Salomé sous le signe de la Lune

L'opéra de Richard Strauss "Salomé" est indubitablement placé sous le signe de la Lune. Dès la deuxième réplique, elle est citée comme une prophétie: "Regardez la lune. La lune a l'air très étrange. On dirait une femme qui sort du tombeau."


Salomé - Olivier Py - Onr - Photo:Nys&For

Et il n'y aura pas que cette femme - Salomé - qui va mourir, deux autres hommes aussi, avant elle. L'un parce qu'il l'aime - Narraboth - l'autre parce qu'il ne l'aime pas (ou dit ne pas l'aimer)- Jochanaan. Et toute la pièce va voir la lune et ses effets éclairer cette inéluctable descente au tombeau prédite par le Page d'Héroidade. Pour en arriver à la disparition de la Lune, et même des étoiles et donc à la mort. Mais, c'est pour révéler que "Le mystère de l'amour est plus grand que le mystère de la mort".
Le mystère n'est pas dans le côté religieux qui nous est présenté: La venue du Messie annoncée par Jochanaan (Jean-Baptiste), mais bien dans cette relation qui va au-delà du désir (eros) dans une séduction plus mystérieuse qui va se jouer entre Salomé et les trois hommes qui vont entrer dans son piège. Et surtout avec Herodiade et Jochanaan. Pour Hérode ce sera, tout le monde le sait, la danse, langage du corps sublimé. Et Olivier Py met en scène cette danse, que l'on attend érotique, plutôt comme un passage vers un autre espace, un autre univers: "une expression du sacré, manifestant un cosmos et une hyper conscience". Le côté sexuel est délégué aux tableaux décrivant la décadence romaine. Notre époque pouvant d'une certaine manière mieux s'y comparer - avec un côté "fin du monde"? - que la période de création de la pièce. Même si le sujet - et le personnage - toujours d'actualité - ont commencé à surgir lors de cette fin du "Monde d'hier", au tournant du siècle. Mais les moeurs n'étaient pas celles d'aujourd'hui.


Salomé - Olivier Py - Onr - Photo:Clara Beck

Le mécanique de la chute et l'effondrement d'un monde.

Pour Jochanaan le mystère est dans une séduction ou plutôt une non-séduction, un refus même de la regarder "Je ne veux pas te regarder. Tu es maudite." qui aura l'effet inverse: un coup de foudre violent et profond. Pour en arriver à cette demande de sacrifice pour pouvoir jouir de l'organe qui l'a séduite: la bouche ("Parle encore Jochanaan, ta voix m'enivre") et pouvoir la baiser. Et nous pouvons déceler dans cette scène un autre côté lunatique, la versatilité de Salomé, qui ne se fixe pas et se contredit dans l'objet de son amour face à la tête de Jochanaan, exprimant le doute, le manque de certitude que partage également Hérode à d'autres moments. 
Et tous ces personnages, qui doutent, se contredisent, vont à leur perte ou craignent le futur (Hérode dit dans une de ses dernières répliques: "Je commence à avoir peur") sont la traduction de cette perte des repères et du doute de cette période de fin d'un monde que traduit bien la mise en scène d'Olivier Py. 
La peur, c'est aussi toute une atmosphère, une lumière lunaire - et Bertrand Killy le rend très bien - mystérieuse, sourde, angoissante - qui "fait froid ici" - et un mystérieux "battement d'ailes" qui augure du malheur qui plane et qui s'abat sur la scène.


Salomé - Olivier Py - Onr - Photo:Clara Beck


Il faut aussi saluer l'inventivité et la qualité des décors créés par Pierre-André Weitz, compagnon d'Olivier Py sur de nombreux spectacles déjà - une mention spéciale au décor de la danse des sept voiles à la fois réaliste et irréel pour le palais d'Hérode.



Salomé - Olivier Py - Onr - Photo:Clara Beck



C'est d'ailleurs le lieu qui marque le plus la perte des certitudes et la question du sens, puisque c'est là que les cinq juifs (qu'Olivier Py a étendu aux autres religions) débattent de la réalité du Messie. Et c'est également le moment musical le plus novateur par son traitement atonal. Rappelons que Richard Strauss a créé cet opéra en 1905 et qu'il arrive après Wagner et annonce la musique du XXème siècle. 


Salomé - Olivier Py - Onr - Photo:Clara Beck


Son traitement musical et vocal la contient en germe. Saluons les rôles principaux pour leur performance: Salomé (Helena Juntunen), Hérode (Wolfgang Ablinger-Sperrhacke), Hérodiade (Susan Maclean), Jochanaan (Robert Bork), Narraboth (Julien Behr) ainsi que l'Orchestre Philharmonique de Strasbourg et la direction de Contantin Trinks (qui sera remplacé par Manfred Mayrhofer pour la représentation du 31 mars). Une mentiont aux artistes chorégraphiques qui donnent d'eux-mêmes: Charlotte Dambach, Clément Debras, Andreas Grimaldier, Régis Kiefer, Jean-François Charles Martin, Ivanka Moizan, Armando Neves Dos Santos et Laura Ruiz-Tamayo).

Après cela le monde peut s'effondrer. Je vous laisse la surprise de le découvrir.



Bon spectacle.

La Fleur du Dimanche

Providence d'Olivier Cadiot au TNS: Le ventriloque du cerveau

L'aventure d'Olivier Cadiot avec Laurent Poitrenaux et Ludovic Lagarde est l'histoire d'un long compagnonnage et d'une fidélité. Même l'histoire d'une équipe puisque ces trois mousquetaires, depuis "Le colonel des Zouaves", en 1998, le premier de la série des trois monologues, se sont entouré de compétences qui ont emmené le théâtre vers de nouveaux horizons. Pour "Le colonel des Zouaves", ce fut surtout Gilles Grand et les studios de l'IRCAM avec un traitement révolutionnaires du son et la chorégraphe Odile Duboc pour un travail sur l'immobilité, le corps et les os. Le deuxième "seul en scène" de Laurent Poitrenaux fut "Un mage en été" en 2010 en Avignon.

Providence - TNS - Olivier Cadiot - Ludovic Lagarde - Laurent Poitrenaux - Photo: Jean-Louis Fernandez


Avec "Providence", actuellement au TNS, c'est le troisième roman qui sera ainsi mis en scène avec comme seul acteur le magnifique Laurent Poitrenaux. Car, pour incarner sur scène plusieurs personnages d'un roman en quatre parties de quelques deux-cent cinquante pages, qui oscille entre une vieillard qui ne comprend plus rien, une jeune fille qui monte à la capitale, et un jeune homme qui devient soudain une vielle dame, il faut toute la densité et la variété de jeu de ce comédien, tant au niveau de l'expression physique, que de l'interprétation. Et là, il devient un véritable chef d'orchestre, autant de sa voix, avec bien sûr toutes les variétés de médium sonore: voix seule - du chuchotement  à la déclamation, voix amplifiée, avec différentes sortes de micro - micro de présentateur ou micro de studio d'enregistrement ou micro invisible qui va accompagner une voix intériorisée ou rapprochée en zoom sonore, voix enregistrée qui devient musique, comme un hommage à Cage, mais aussi de morceaux de musique - de Schubert et de Robert Ashley - mais aussi de textes, de bruitages, de chants d'oiseaux, sur un dispositif sonore "quadriphonique" assez magique. 

Providence - TNS - Olivier Cadiot - Ludovic Lagarde - Laurent Poitrenaux - Photo: Jean-Louis Fernandez


Le décor et les lumières, assez "2001, l'Odyssée de l'espace" participent à créer cette ambiance intemporelle où l'on a l'impression de voyager dans un cerveau en même temps que dans le temps. Les deux Revox et l'écran de télévision futuriste presque holographique devenant les symboles de cette évolution technologique où le narrateur se projette en être bionique. La parti-pris de Ludovic Lagarde de prendre à rebours la structure du roman en commençant par le chapitre de fin "Providence", clin d'oeil au film d'Alain Resnais et de son panoramique qui accélère en un plan le temps et les saisons, et où on  va retrouver Darwin malade observant la croissance des plantes pour finir avec l'écran qui construit un texte évolutif est le bon en nous emmenant dans un voyage dans le temps et qui nous procure bonheur et satiété:

"Pareil
que pluie et neige descendent du ciel

Le décor suivra en tirant un bout de tissu

De même la parole 
qui sort de ma bouche

Ne doit pas me revenir vide."

Providence - TNS - Olivier Cadiot - Ludovic Lagarde - Laurent Poitrenaux - Photo: Jean-Louis Fernandez


Bon spectacle

La Fleur du Dimanche


PROVIDENCE

Au TNS à Strasbourg jusqu'au 25 mars

Texte Olivier Cadiot
Mise en scène Ludovic Lagarde
Avec Laurent Poitrenaux

Dramaturgie Marion Stoufflet
Scénographie Antoine Vasseur
Lumière Sébastien Michaud
Costumes Marie La Rocca
Maquillage et coiffures Cécile Kretschmar
Conception image Cédric Scandella
Réalisation informatique musicale Ircam Sébastien Naves
Son David Bichindaritz
Travail corporel Stéfany Ganachaud
Assistanat à la mise en scène Céline Gaudier

Production La Comédie de Reims - Centre dramatique national
Coproduction Théâtre National de Strasbourg, Centre dramatique national Orléans/Loiret/Centre, Ircam - Centre Pompidou, MC93 Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis

Création le 8 novembre 2016 à La Comédie de Reims


Le roman Providence est publié aux éditions P.O.L

mercredi 15 mars 2017

Sombre Rivière de Lazare au TNS: construire des ponts où l'on y chante

Lazare est un personnage de théâtre.... qui fait du théâtre... à part.
Son parcours est instructif : Ayant appris tard à lire et écrire, vivant dans la cité de Bagneux, il découvre le théâtre via le Théâtre du Fil (théâtre de la Protection judiciaire de la jeunesse).
Et ce sera Stanislas Nordey qui lui ouvrira les portes du théâtre en l'embauchant comme... ouvreur !
Et le pied à l'étrier, il crée, écrit et joue depuis les années 2000.


Sombre Riviere - Lazare - TNS - Photo: Jean-Louis Fernandez


Son triptyque - Passé – je ne sais où, qui revient (2008), Au pied du mur sans porte (2011), qui passe au festival d'Avignon en 2013 et Rabah Robert, '2012), pièces qui interrogent et parlent à la fois de ses proches, son environnement, son passé et son histoire et l'histoire de son pays, l'Algérie, mais également les auteurs qui l'ont marqué (Pessoa, Büchner, Beckett, Tchekhov, Maeterlinck,..) lui a apporté une reconnaissance à la foi critique et publique.


Sombre Riviere - Lazare - TNS


Sa dernière pièce, "Sombre rivière" qui passe actuellement au TNS*, marque une conclusion et un changement dans ce cycle. On y sent encore un retour à cette histoire, avec l'histoire de l'Algérie, les massacres de Sétif et Guelma en 1945, sa mère, et les personnages récurrents, Libellule, entre autres, mais aussi une rupture, conséquence de l'actualité aussi.

D'une certaine manière, Lazare est un visionnaire, il annonçait les événements les crises qui ont fini par avenir, mais en réaction, il crée ce spectacle dans lequel il refuse cet état de "séparation" dans lequel nous sommes arrivé. Il veut construire des ponts. Permettre de rencontrer l'autre dans la joie.
Et de la joie il y en a. Le spectacle est enjoué, festifs, ludique, entraînant, rythmé, léger quelquefois et surtout musical, même dans sa théâtralité. De par son style presque surréaliste, de collage slam de poèmes, scandés, dansés, rythmés ou chantés, il nous entraîne dans une farandole qui cherche à nous faire oublier la différence et nous entraîne dans des tableaux et des scénettes qui passent à toute allure en nous rendant joyeux. Même s'il nous rappelle les morts - cette mort qui vient nous hanter et nous emmener sans qu'on soit d'accord - qu'ils soient de 1945 ou que ce soient les victimes récentes, dont l'ombre planent sur la pièce, il fait de ce spectacle une catharsis.



Sombre Riviere - Lazare - TNS - Photo: Jean-Louis Fernandez

Comme le dit Lazare:
"Le théâtre est avant tout une manière de peupler les solitudes des mondes à venir ou des mondes déjà passés et de réentendre des voix du temps passé qui se mélangent avec celles du présent. C'est l'endroit où l'on fait parler les morts, les disparus. C'est l'endroit aussi d'une fête où le poème se donne en partage et peut être entendu parce qu'il est posté par des êtres vivants."
Et vivants, ils le sont grâce à la poésie débridée et iconoclaste, grâce à une troupe magnifique et multi-talent - dont le moindre est de savoir chanter en nous remuant les tripes - et de musiciens qui nous entraînent dans leurs chansons au rythme de la danse.


Sombre Riviere - Lazare - TNS - Photo: Jean-Louis Fernandez

Pour conclure, je laisse la parole à Lazare:
"Je suis fils de pauvre je devrais m'éclairer au soleil, non je veux être joué dans les salles, je me suis cramponné, j'ai glissé, je suis revenu... jeté, rejeté... Un lac dans le désert, mes paupières sont ouvertes vers l'immense amour, je suis du sexe des formes rêvées, tantôt simple profil de l'avenir, tantôt acte final pour trouver la contention d'un soleil couchant."    


Sombre Riviere - Lazare - TNS - Photo: Jean-Louis Fernandez

Et pour vous donner un avant-goût de ce qui vous attend, la bande annonce:





Petit bonus (qui n'est pas dans le spectacle, bien sûr, mais Olivier et Mourad de La Rue Ketanou y sont, une prestation qu'ils ont faite lors d'un précédent passage en Alsace au festival Basse Zorn en 2013: "Les mots":





Bon Spectacle

La Fleur du Dimanche


Sombre Rivière
Au TNS à Strasbourg, 
Jusqu'au 25 mars 2017

PRODUCTION

Texte et mise en scène Lazare
Avec Anne Baudoux, Laurie Bellanca, Ludmilla Dabo, Julie Héga, Louis Jeffroy, Olivier Leite, Mourad Musset, Veronika Soboljevski, Julien Villa
Collaboration artistique Anne Baudoux, Marion Faure
Lumières Christian Dubet
Scénographie Olivier Brichet en collaboration avec Daniel Jeanneteau
Costumes Marie-Cécile Viault
Son Jonathan Heig
Vidéo Lazare
Chef opérateur Robin Fresson
Direction de chœur Samuel Boré
Assistanat général Marion Faure
Assistanat musical Laurie Bellanca
Assistanat à la scénographie Émile Fofana

Régie générale Hugo Hazard
Régie vidéo Romain Tanguy

Avec la participation filmée d’Ouria et d’Olivier Martin-Salvan

Production Théâtre National de Strasbourg, Compagnie Vita Nova
Coproduction MC93 - Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis, Le Grand T – Nantes, Le Liberté - scène nationale de Toulon, Théâtre de Gennevilliers, centre dramatique national de création contemporaine
Avec le soutien du Canal 93  et de La Colline - théâtre national pour les résidences de création
Remerciements au Festival d'Avignon

Création le 14 mars 2017 au Théâtre National de Strasbourg

mardi 14 mars 2017

2666 de Julien Gosselin: le théâtre de l'expérience de la violence

2666, oeuvre testamentaire, si l'on peut dire, de Roberto Bolano est en soi une "épreuve", une odyssée dans la violence de la civilisation du XXème siècle. Des crimes nazis aux meurtres de femmes de Ciudad Juárez - devenus Santa Teresa dans le roman - en dévoilant également toute la perversion du système politique gangréné par le trafic des narcotiques en Amérique Centrale, du Sud et même au Sud des Etats-Unis, le tableau brasse large. 
Mais le livre n'est pas que cela, c'est également un questionnement sur l'identité, sur la création, sur l'écriture, sur la littérature et ses réseaux, sur l'amour et le sexe. Sur tous les types de relations et leur organisation.


2666 de Julien Gosselin - Photo: Simon Gosselin


Julien Gosselin, metteur en scène associé au TNS - Il intervient également à l'école - est de ceux qui défendent l'écriture contemporaine et qui mène courageusement des chantiers qui seraient à priori "irréalisable". Après le roman de Michel Houellebecq, "Les particules élémentaires", créée en Avignon en 2013, avec son collectif "Si vous pouviez lécher mon coeur*", il s'attaque à la "masse" que représente l'oeuvre de Roberto Bolano.


2666 de Julien Gosselin - Photo: Simon Gosselin


Le résultat: une pièce fleuve de plus de 10 heures et demie (avec les entractes) qui reprend la structure du roman, mais qui est une vraie oeuvre multimédia dans une réalité de théâtre augmentée de vidéo et de musique qui participent à un univers et une ambiance de tension et de violence qui ne vous lâche pas, même après la fin du spectacle. 


2666 de Julien Gosselin - Photo: Simon Gosselin


Il garde la structure de l'oeuvre en cinq parties:

La partie des critiques
Quatre critiques se lient d'amitié en raison de leur intérêt pour l'oeuvre d'un écrivain allemand Benno von Archimboldi, auteur qui cultive le secret.


2666 de Julien Gosselin - Photo: Simon Gosselin


La partie d'Amalfitano
Óscar Amalfitano, un professeur de philosophie quitte Barcelone pour le Mexique avec sa fille Rosa. Il occupe ses journées à méditer sur la géométrie et bascule dans une folie douce. Rosa fréquente un malfaiteur local, Chucho Flores.

La partie de Fate
Fate, journaliste afro-américain est chargé de couvrir un combat de boxe au Mexique lorsqu'il entend parler des assassinats de femmes dans la ville où se déroule le combat (vite expédié). Il s'y intéresse et rencontre une journaliste qui lui propose une collaboration.

La partie des crimes
C'est la liste des assassinats de femmes dans la ville de Santa Teresa. Les meurtres sont décrits les uns après les autres et on suit les différentes investigations, dont celles de Klaus Haas, accusé et emprisonné pour ces crimes.

La partie d'Archimboldi
C'est l'histoire, de l'enfance et la carrière militaire de Hans Reiter durant la Seconde Guerre mondiale, ainsi que sa vocation littéraire où il prend le nom d'Archimboldi.


2666 de Julien Gosselin - Photo: Simon Gosselin


Les cinq parties bien que liées - ne serait-ce que par la ville de Santa Teresa et le destin des personnages qui se croisent - ou non - sont pourtant autonomes et les liens sont quelquefois des leurres.
Elles permettent cependant de traiter et de décrire un environnement à la fois artistique, politique, sociologique historique à travers ces destins variés.
La grande force de la pièce de Julien Gosselin, c'est d'arriver aussi par la force de la scénographie, autant que des narrations différenciées, à nous immerger dans ce chaos de fin du monde en nous le faisant toucher du doigt - ou plutôt - en nous y plongeant jusqu'au cou. 


2666 de Julien Gosselin - Photo: Simon Gosselin


La scénographie originale et très inventive (les décors ont été produits dans les ateliers du TNS) nous transporte d'un lieu à un autre sans temps mort. La musique, créée en direct par Rémi Alexandre et Guillaume Bachelé contribuent à renforcer les atmosphères de violence et de tension ou à quelques rares moments nous laissent respirer un peu. La lumière de Nicolas Joubert est à l'avenant. Et il faut vraiment saluer l'ensembles des comédiennes et des comédiens - Rémi Alexandre, Guillaume Bachelé, Adama Diop, Joseph Drouet, Denis Eyriey, Antoine Ferron, Noémie Gantier, Carine Goron, Alexandre Lecroc, Frédéric Leidgens, Caroline Mounier, Victoria Quesnel, Tiphaine Raffier - certain(e)s qui faisant partie du voyage de la compagnie depuis sa création en 2019 - pour le magistral exploit de jouer plusieurs rôles sur cette durée de spaectacle. D'autant plus qu'il ne font pas que jouer au théâtre, la vidéo en direct s'invitant sur le plateau, ils se retrouvent à faire de la télévision en direct - grâce aux magnifiques cadrages de Jérémie Bernaert et Pierre Martin.


2666 de Julien Gosselin - Photo: Simon Gosselin


Ils nous offrent tous une "expérience à vivre" et nous ne sommes pas près de l'oublier. Si vous ne l'avez pas encore vécue, courrez-y !

Bon Spectacle

La Fleur du Dimanche

*Si vous pouviez lécher mon coeur: le nom de la troupe vient de la phrase de Claude Lanzmann (dans le film Shoah): "Si vous pouviez lécher mon coeur, vous mourriez empoisonné", citée par Stuart Seide, ancien professeur de théâtre de Julien Gosselin.

2666 de Julien Gosselin - Photo: Simon Gosselin

Prochaines représentations: 
Avec le TNS au Maillon à Strasbourg
18 mars 2017 11:00
19 mars 2017 11:00
25 mars 2017 11:00
26 mars 2017 11:00 

A la Filature à Mulhouse
6 mai 2017 11:00 

Stadsschouwburg à Amsterdam
17 au 21 Mai 2017 

2666

D’après le roman de Roberto Bolaño
Adaptation et mise en scène: Julien Gosselin
Traduction: Robert Amutio
Avec: Rémi Alexandre, Guillaume Bachelé, Adama Diop, Joseph Drouet, Denis Eyriey, Antoine Ferron, Noémie Gantier, Carine Goron, Alexandre Lecroc, Frédéric Leidgens, Caroline Mounier, Victoria Quesnel, Tiphaine Raffier

Scénographie: Hubert Colas
Musique: Rémi Alexandre et Guillaume Bachelé
Lumière: Nicolas Joubert
Vidéo: Jérémie Bernaert et Pierre Martin
Son: Julien Feryn
Costumes: Caroline Tavernier
Assistanat à la mise en scène: Kaspar Tainturier-Fink

Un spectacle de: Si vous pouviez lécher mon coeur
Production: Si vous pouviez lécher mon coeur, Le Phénix - Scène nationale de Valenciennes, Théâtre National de Strasbourg, Odéon - Théâtre de l’Europe, Festival d’Avignon, TNT - Théâtre national de Toulouse, MC2: Grenoble - Scène nationale, Stadsschouwburg Amsterdam, La Filature - Scène nationale de Mulhouse, Le Quartz - Scène nationale de Brest
Avec l'aide à la production du Dicréam et de la SACD Beaumarchais 
Avec le soutien de La Friche de la Belle de Mai, Marseille Montévidéo - Centre de créations contemporaines, Marseille - Le Grand Sud, la ville de Lille, le ministère de la Culture et de la Communication

Création le 18 juin 2016 au Phénix - Scène nationale de Valenciennes
Based on the book 2666 / Copyright © 2004, The Heirs of Roberto Bolaño - All rights reserved
Le texte est publié aux éditions Christian Bourgois
Le décor est réalisé par les ateliers du TNS