vendredi 17 mars 2017

Salomé, la mécanique de la chute et l'effondrement d'un monde

Salomé sous le signe de la Lune

L'opéra de Richard Strauss "Salomé" est indubitablement placé sous le signe de la Lune. Dès la deuxième réplique, elle est citée comme une prophétie: "Regardez la lune. La lune a l'air très étrange. On dirait une femme qui sort du tombeau."


Salomé - Olivier Py - Onr - Photo:Nys&For

Et il n'y aura pas que cette femme - Salomé - qui va mourir, deux autres hommes aussi, avant elle. L'un parce qu'il l'aime - Narraboth - l'autre parce qu'il ne l'aime pas (ou dit ne pas l'aimer)- Jochanaan. Et toute la pièce va voir la lune et ses effets éclairer cette inéluctable descente au tombeau prédite par le Page d'Héroidade. Pour en arriver à la disparition de la Lune, et même des étoiles et donc à la mort. Mais, c'est pour révéler que "Le mystère de l'amour est plus grand que le mystère de la mort".
Le mystère n'est pas dans le côté religieux qui nous est présenté: La venue du Messie annoncée par Jochanaan (Jean-Baptiste), mais bien dans cette relation qui va au-delà du désir (eros) dans une séduction plus mystérieuse qui va se jouer entre Salomé et les trois hommes qui vont entrer dans son piège. Et surtout avec Herodiade et Jochanaan. Pour Hérode ce sera, tout le monde le sait, la danse, langage du corps sublimé. Et Olivier Py met en scène cette danse, que l'on attend érotique, plutôt comme un passage vers un autre espace, un autre univers: "une expression du sacré, manifestant un cosmos et une hyper conscience". Le côté sexuel est délégué aux tableaux décrivant la décadence romaine. Notre époque pouvant d'une certaine manière mieux s'y comparer - avec un côté "fin du monde"? - que la période de création de la pièce. Même si le sujet - et le personnage - toujours d'actualité - ont commencé à surgir lors de cette fin du "Monde d'hier", au tournant du siècle. Mais les moeurs n'étaient pas celles d'aujourd'hui.


Salomé - Olivier Py - Onr - Photo:Clara Beck

Le mécanique de la chute et l'effondrement d'un monde.

Pour Jochanaan le mystère est dans une séduction ou plutôt une non-séduction, un refus même de la regarder "Je ne veux pas te regarder. Tu es maudite." qui aura l'effet inverse: un coup de foudre violent et profond. Pour en arriver à cette demande de sacrifice pour pouvoir jouir de l'organe qui l'a séduite: la bouche ("Parle encore Jochanaan, ta voix m'enivre") et pouvoir la baiser. Et nous pouvons déceler dans cette scène un autre côté lunatique, la versatilité de Salomé, qui ne se fixe pas et se contredit dans l'objet de son amour face à la tête de Jochanaan, exprimant le doute, le manque de certitude que partage également Hérode à d'autres moments. 
Et tous ces personnages, qui doutent, se contredisent, vont à leur perte ou craignent le futur (Hérode dit dans une de ses dernières répliques: "Je commence à avoir peur") sont la traduction de cette perte des repères et du doute de cette période de fin d'un monde que traduit bien la mise en scène d'Olivier Py. 
La peur, c'est aussi toute une atmosphère, une lumière lunaire - et Bertrand Killy le rend très bien - mystérieuse, sourde, angoissante - qui "fait froid ici" - et un mystérieux "battement d'ailes" qui augure du malheur qui plane et qui s'abat sur la scène.


Salomé - Olivier Py - Onr - Photo:Clara Beck


Il faut aussi saluer l'inventivité et la qualité des décors créés par Pierre-André Weitz, compagnon d'Olivier Py sur de nombreux spectacles déjà - une mention spéciale au décor de la danse des sept voiles à la fois réaliste et irréel pour le palais d'Hérode.



Salomé - Olivier Py - Onr - Photo:Clara Beck



C'est d'ailleurs le lieu qui marque le plus la perte des certitudes et la question du sens, puisque c'est là que les cinq juifs (qu'Olivier Py a étendu aux autres religions) débattent de la réalité du Messie. Et c'est également le moment musical le plus novateur par son traitement atonal. Rappelons que Richard Strauss a créé cet opéra en 1905 et qu'il arrive après Wagner et annonce la musique du XXème siècle. 


Salomé - Olivier Py - Onr - Photo:Clara Beck


Son traitement musical et vocal la contient en germe. Saluons les rôles principaux pour leur performance: Salomé (Helena Juntunen), Hérode (Wolfgang Ablinger-Sperrhacke), Hérodiade (Susan Maclean), Jochanaan (Robert Bork), Narraboth (Julien Behr) ainsi que l'Orchestre Philharmonique de Strasbourg et la direction de Contantin Trinks (qui sera remplacé par Manfred Mayrhofer pour la représentation du 31 mars). Une mentiont aux artistes chorégraphiques qui donnent d'eux-mêmes: Charlotte Dambach, Clément Debras, Andreas Grimaldier, Régis Kiefer, Jean-François Charles Martin, Ivanka Moizan, Armando Neves Dos Santos et Laura Ruiz-Tamayo).

Après cela le monde peut s'effondrer. Je vous laisse la surprise de le découvrir.



Bon spectacle.

La Fleur du Dimanche

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