dimanche 26 mars 2023

Le couronnement de Poppée à l'Opéra National du Rhin: Ascension vers l'Enfer de l'Amour

 Un énorme cylindre bleuté occupe le centre de la scène de l'Opéra National du Rhin. Grande cuve industrielle qui va changer au gré des éclairages précis de Sebastian Alphons, d'un bleuté céleste quand il s'agit de faire descendre, par un escalier longeant ses parois, les Divinités sur terre, ou couleur rouille quand on passe de l'arrière à l'avant du décor, ou carrément sombre et noir quand il s'agit du repaire de presque clochard du philosophe Sénèque qui se niche à l'abri des marches. 


Le Couronnement de Poppée - Monteverdi - Opéra national du Rin - Photo: Clara Beck


Pendant le prologue, où l'on entend toute la richesse orchestrale du petit ensemble Pygmalion, seize musiciens sur instruments anciens, dont les trilles et variations du cornet à bouquin - l'ensemble est superbement dirigé par Raphaël Pichon - trois Déesses descendent ces escaliers, les deux premières dans des costumes argentés, la Vertu en veste et pantalon sobre, la Fortune dans une robe généreuse et ouverte et l'Amour dans un grand et rond tutu rose lui donnant des airs de barpapapa. Chacune vante son pouvoir, sachant que ce sera toujours l'Amour qui triomphe. Pour Le Couronnement de Poppée, c'est effectivement l'Amour qui mène le monde, même si le monde va à sa perte et les humain, à la mort: "Il n'est coeur humain ni coeur céleste qui ne puisse oser rivaliser avec l'Amour". 


Le Couronnement de Poppée - Monteverdi - Opéra national du Rin - Photo: Clara Beck


Ainsi nous assistons pendant presque trois heures aux incertitudes du coeur et aux errements qui vont faire de Poppée, l'ancienne amante d'Othon la favorite de Néron, qui lui va répudier son épouse Octavie. Octavie, qui, voulant se venger, cherchera à faire assassiner Poppée par son ancien amant. Et Poppée, voulant se frayer une voie libre vers le pouvoir n'hésitera pas à faire bannir l'ancienne épouse et condamner Sénèque, qui fut précepteur de Néron. Les personnages sont hauts en couleur et pour ce qui est un des premiers opéras, sont caractérisé par une compexité de sentiments qui surprend. La mise en scène d'Evgeni Titov est sobre, sans fioritures. Elle ne manque cependant pas d'humour  et de surprises et de rebondissements. Transposée dans un univers contemporain, et tout comme les superbes costumes créés par Emma Ryott, elle nous parle d'aujourd'hui dans cette histoire qui pourrait être intemporelle ne seraient-ce les multiples morts qui parsèment la pièce. 


Le Couronnement de Poppée - Monteverdi - Opéra national du Rin - Photo: Clara Beck


La distribution est impeccable et l'ensemble des interprètes sont de haute tenue vocale mais aussi en terme de jeu. Que ce soient les rôles de sbires, des divinités, du Valet (pittoresque Kacper Szelazek), de Drusilla, attirante à souhait (Lauranne Oliva), de la nourrice (Emiliano Gonzalez Toro, impeccable dans ce rôle fénimin avec une tessiture très large et qui campe admirablement cette "roturière"), la belle et puissante voix de basse de Nahuel Di Pierro, le contre-ténor convaincant Othon (Carlo Vistoli) et la superbe mezzo-soprano Katarina Bradic. Et surtout la soprano Giulia Semenzato, éblouissante et belle Poppée, et son alter-ego, le contre-ténor Kangmin Justin Kim qui joue de sa voix douce et aiguë et qui donne aussi de son corps. Car, la mise en scène, jouant bien sûr la passion et de l'humour, ne craint pas de montrer toute la tension érotique que recèle le livret de Giovanni Francesco Busenello mis en musique par Claudio Monteverdi. 


Le Couronnement de Poppée - Monteverdi - Opéra national du Rin - Photo: Clara Beck


Le décor de Gideon Davey, en plus de ce mur arrondi, contient de belles inventions avec, entre autre la "cage aux fauves du sexe", ou les intérieurs, tantôt devinés, tantôt mis en scène, comme ce "théâtre des dieux" où les Divinités assistent à la vie des humains du balcon, ou celle où les "voyeurs" entrent dans le "théâtre de l'amour" et y participent en partie. La mise en espace de la dernière scène est aussi annonciateur de la suite avec cette lente montée de l'escalier par Poppée vers son couronnement, dans une robe éclaboussée de sang qui, tout en chantant en duo avec Néron "je t'étreins, je t'enlace..." s'éloigne de lui pour se retrouver seule au balcon alors que Néron se tient en bas, dans un théâtre dévasté. Une autre belle idée de mise en scène est la symétrie entre Poppée et Octavie quand cette dernière, bannie par Néron se retrouve allongée par terre à gémir de douleur tandis que Popée le fait du plaisir que lui donne Néron. 


Le Couronnement de Poppée - Monteverdi - Opéra national du Rin - Photo: Clara Beck


Et au niveau dramatique et musical, notez les deux moments de tension dramatique qu'apportent les silences des chanteurs, et de la musique, à des moments-clés du déroulement de l'histoire. On sent pour cette mise en scène du Couronnement de Poppée un vrai travail d'équipe et le résultat est superbe, autant pour l'interprétation musicale ou vocale, dans les solos ou quelques magnifiques duos,  que dans le jeu des interprètes dans ce magnifique écrin. Une très belle réussite.


La Fleur du Dimanche  


Le Couronnement de Poppée


Strasbourg - Opéra National du Rhin - 24, 26, 28 et 30 mars 2023

Mulhouse - Théâtre de la Sinne - 16 et 18 avril 2023

Colmar - Théâtre Municipal - 30 avril 2023  


Distribution

Direction musicale: Raphaël Pichon
Mise en scène: Evgeny Titov
Décors: Gideon Davey
Costumes: Emma Ryott
Lumières: Sebastian Alphons
Dramaturgie: Ulrich Lenz

Ensemble Pygmalion

Les Artistes
Poppée: Giulia Semenzato
Néron: Kangmin Justin Kim
Octavie: Katarina Bradić
Othon: Carlo Vistoli
Sénèque: Nahuel Di Pierro
Arnalta: Emiliano Gonzalez Toro
Drusilla: Lauranne Oliva
Fortune: Rachel Redmond
Amour: Julie Roset
Vertu: Marielou Jacquard
Lucain: Rupert Charlesworth
Le Valet: Kacper Szelążek
Premier Sbire: Patrick Kilbride
Deuxième Sbire: Antonin Rondepierre
Troisième Sbire: Renaud Brès

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