mercredi 1 mars 2023

I am 60 de Wen Hui à Pôle Sud: Du petit rat des champs à la grande danseuse de la ville qui voile et dévoile

La scène pour Wen Hui est un champ de bataille, le lieu de ses combats, à la fois personnels et socio-politiques. La danseuse aime les dates, les chiffres, les anniversaires et les hommages, le travail de mémoire. 

I am 60 - Wen Hui - Photo; Li Yinjun


Dans I am 60, présenté à Pôle Sud avec Le Maillon, elle rassemble et assemble à l'occasion de ses soixante ans une multitude de documents (il semble que son nom signifie "document" en chinois) qui s'inscrivent à la fois dans son histoire familiale, dans la société où elle navigue et dans l'histoire constitutive du cinéma chinois, à savoir un certain âge d'or au début des années 30 à Shanghai. Elle tisse ainsi sa toile entre ses ancêtres rêvés, ces stars du muet et du parlant naissant, entre la bonne société policée et son manuel du savoir vivre qui plonge dans les souvenirs des starlettes de ce temps, la divine "Goddess", mère de famille exemplaire et prostituée dan le destin tragique arrache des larmes dans ce film de Wu Yonggang dont elle montre en extrait le destin le raccourci de sa chute. 

I am 60 - Wen Hui - Photo; Li Yinjun


Ces extraits de films en noir et blanc, complétés de vues d'époque du pays et de photos de la famille (surtout ses parents et son frère, elle-même n'ayant été que très peu photographiée), alternent avec des vidéos qu'elle a elle-même réalisés pour documenter cette recherche-bilan où elle cherche à la fois à explorer ses racines, sa famille et son histoire. On la voit avec cette troisième grand-mère qu'elle découvre à la fin de sa vie dans le Yunnan et à laquelle elle s'attache - il y a de quoi, elle est bien haute en couleur, nature et directe, telle qu'on peut la voir au début de la pièce, qui domine la petite-fille qui revient la voir à la campagne, dans un ingénieux dispositif scénique. 

I am 60 - Wen Hui - Photo; Li Yinjun


Car Wen Hui est agile et se faufile entre les différents écrans et voiles où sont projetés ses images, ces voiles qui montrent en même temps qu'ils cachent les récits et narrations, comme les moustiquaires de son enfance qui lui servaient de cachette et terrain de projection, tout comme son corps. 

I am 60 - Wen Hui - Photo; Li Yinjun


Elle en joue encore dans cette pièce en leur donnant une matérialité dansante, extension de ses mouvements à elle qui animent la scène. Elle montre aussi sa mère, la laissant exposer cette envie de danse et de mouvement qui l'habite comme ses parents qui l'ont "poussée" en quelque sorte sur ce chemin de la chorégraphie et lui dédiant un hommage dansé pour son anniversaire. Elle traite également de la douloureuse question du statut des femmes, et de l'inégalité (salaire, temps de travail, situation et reconnaissance) que subissent les femmes, surtout en Chine (sa mère qui répond qu'elle s'est mariée pour "s'appuyer sur quelqu'un dans la vie") - et aussi de la violence qu'elles subissent dans le couple et dans les institutions et la santé (épisode de l'avortement). 

I am 60 - Wen Hui - Photo; Li Yinjun


Wen Hui traverse tous ces épisodes en les accompagnant "habitant" de ses mouvements, de sa danse, variée, qui s'inspire à la fois des gestes simples du quotidien expression des sentiments, et réminiscences des danses traditionnelles et des ses expériences chorégraphiques dans son parcours autant aux Etats-Unis auprès de José Limon et de Trisha Brown, en Modern Dance, exprimant les sentiments et les mouvements naturels. De même que l'aspect plus théâtralisé qu'elle a côtoyé auprès de Pina Bausch à Wuppertal. 

I am 60 - Wen Hui - Photo; Li Yinjun


On apprécie sa ductilité et sa flexibilité, sa grâce et ses gestes ondoyants et l'on est un peu étonné quand, dans un clin d'oeil (?) elle se lance dans une version presque disco de "People have the power" en se demandant si c'est du premier ou du second degré. Tout comme quand elle lance le slogan maoïste " Les femmes portent la moitié du ciel". D'autant plus qu'après avoir défendu la femme et ses libertés, elle relate un épisode privé (sa séparation d'avec son mari cinéaste Wu Wenguang parce qu'elle apprend qu'il l'a trompée) et que les images qu'elle projette des images de femmes plutôt riches et belles sur l'écran pour conclure son récit.... A méditer....



La Fleur du Dimanche  




A Pôle Sud - Strasbourg: du 1er au 3 mars 2023 - 20h30 


Chorégraphie et danse : Wen Hui
Dramaturgie et conseil : Zhang Zhen
Musique : Wen Luyuan
Vidéo : Rémi Crépeau et Zou Xueping
Création lumière : Romain de Lagarde
Régie générale : Francisco Linares
Régie lumière : Jean-Pierre Legout


Diffusion : Damien Valette / Coordination : Louise Bailly
Production : Théâtre de la Ville, Living Dance Studio et Damien Valette Prod
Coproduction : Théâtre de la Ville – Festival d’automne à Paris
Wen Hui a bénéficié d’une résidence au Théâtre de la Ville – Les Abbesses (remerciement tout particulièrement à l’équipe technique du théâtre) et a bénéficié de la mise à disposition de studio au CND Centre national de la danse et à micadanses.
Lauréate du programme de résidence de L’Institut français à la Cité internationale des arts à Paris
Avec le soutien de l’Institut français de Chine et du Goethe-Institut à Pékin

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