lundi 27 février 2023

Comme tu me veux de Pirandello au TNS: L'inconnue mène le bal d'une symphonie de mots dits et à analyser

 Le théâtre s'inscrit dans l'histoire et Comme tu me veux de Pirandello présenté au TNS n'y échappe malheureusement pas. Les informations entendues à la radio et à la télévision qui parlent des exactions commises par les soldats (violences et viols) en Ukraine se répètent en écho dans cette histoire qui se situe dix ans après la Première Guerre Mondiale. Pirandello l'a écrite à Berlin après avoir quitté l'Italie où Mussolini était déjà au pouvoir et la didascalie projetée en introduction de la pièce sur des images de ruines de guerre indique et alerte sur la montée du fascisme en Europe. Et l'on se prend à vouloir conjurer le sort et espérer que l'histoire ne bégayera pas en reproduisant le même processus aujourd'hui. 


Comme tu me veux - Pirandello - Braunschweig - Photo: HL J. Parisot


Mais nous sommes au théâtre, et chez Pirandello, c'est du magnifique théâtre: un texte ciselé - la traduction faite par le metteur en scène Stéphane Braunschweig lui-même - est d'une justesse et d'une vivacité virtuose. La parole rebondit d'un comédien à l'autre et les surprises et les coups de théâtre ou changements de points de vue fusent. La pièce est construite comme une intrigue policière où l'on recherche des indices pour savoir où se niche la vérité et quels faits seraient réels. C'est tout l'enjeu de la pièce et la présence d'un psychanalyste parmi les personnages démontre bien que les faits mais surtout ce qui est dit est sujet à interprétation. Et la pièce est une vaste démonstration que tout est interprétation et que, même la dernière scène, la dernière parole - et celle d'avant - ne sont pas à prendre pour argent comptant. Au point qu'elle nous fait revoir la pièce avec une lecture nouvelle qui nous donne envie de revenir pour une nouvelle soirée et la passer au tamis de ce noveau point de vue.


Comme tu me veux - Pirandello - Braunschweig - Photo: HL J. Parisot


Mais rassurez-vous, vous allez déjà être comblé(e)s par la chronologie première où le doute s'instille à chaque moment et où les mots dits par l'inconnue (magnifique et flamboyante Chloé Réjon débordante d'énergie) vous amènent à échafauder de multiples pistes et leur contraire. Car c'est presque elle, cette inconnue, dont on soupçonne un double (sinon trouble) passé qui décide presque comme une magicienne de la dynamique de l'ensemble de la pièce. Dès la deuxième scène, quand une facette de son portrait est tracée, elle énonce une vérité qui la met en porte-à-faux sur qui elle est - ou pourrait être. Et tout au long de la pièce, elle se joue à la fois de nous et de tous ses interlocuteurs qui semblent manipulés par elle, ses paroles, sa présence, ses apparitions - ou son absence. Et les autres personnages jouent avec elle cette partition de mots dits, échangés, rebondissants, dans cette perpétuelle interrogation, cette recherche d'une - illusoire - vérité. 


Comme tu me veux - Pirandello - Braunschweig - Photo: HL J. Parisot


Tous les comédiens, subtilement distribués par Stéphane Braunschweig sont à l'harmonie des uns des autres: Claude Duparfait en écrivain sans souflle ni passion tout en virevoltes, Sharif Andoura qui campe un photographe volontaire qui croit en sa mission de la ramener au bercail, le superbe couple oncle et tante, Alain Libolt, délicat et Annie Mercier, puissante et nature, Pierric Plathier en mari déboussolé et l'impressionnante performance de Clémentine Vignais en folle. La symbolique des ruines et de la reconstruction qui sous-tend la pièce, et la vidéo de Maïa Fastinger projeté sur le magnifique mur de fond de scène en brique de la salle Koltès, en parallèle à la thématique douloureuse du "retour" à la maison des "disparus" et de leur reconstruction qui nourrit l'esprit de la pièce, tout comme celle des souvenirs ruinés et "reconstruits" (par quels moyens ?) est également une facette très bien mise en lumière dans cette mise en scène où le théâtre est en abyme. Et où l'on peut s'y perdre. Avec plaisir...


La Fleur du Dimanche


Comme tu me veux 


Au TNS Jusqu'au 4 mars 2023

A la Coursive - scène nationale, La Rochelle - le 1 et 16 mai 2023


Texte Luigi Pirandello
Mise en scène, scénographie et traduction française Stéphane Braunschweig
Avec
Sharif Andoura
Jean-Baptiste Anoumon - Alexandre Pallu
Claude Duparfait*
Alain Libolt
Annie Mercier
Thierry Paret
Pierric Plathier
Lamya Regragui Muzio
Chloé Réjon
Clémentine Vignais
Collaboration artistique Anne-Françoise Benhamou
Collaboration à la scénographie Alexandre de Dardel
Costumes Thibault Vancraenenbroeck
Lumière Marion Hewlett
Son Xavier Jacquot
Vidéo Maïa Fastinger
Archives vidéo Catherine Jivora
Coiffures / Maquillage Karine Guillem Michalski

2 commentaires:

  1. STINTZY Maxime3 mars 2023 à 12:17

    Voici un bel article, aussi pertinent qu'intelligemment composé, sur un spectacle qu'il sert comme il convient. On aimerait en effet voir plus souvent à Strasbourg du théâtre (parisien) de cette lisible profondeur et de cette très homogène qualité, voué au respect d'un grand auteur (Pirandello), sans trahison ni provocations inutiles, et défendu par une troupe de comédiens de haut vol où se côtoient, au même niveau, grands noms de la scène et/ou de l'écran (Alain Libolt, Annie Mercier, Claude Duparfait et Sharif Andoura) et plus jeunes révélations (Chloé Réjon et Clémentine VIgnais). Rien de plus conformiste, au fond, que les fort stériles effets d'avant-garde (la nudité des corps ou la baignoire obligée, par exemple), comme l'avait déjà perçu, en son temps, Eugène Ionesco ! Ici, tout fait sens avec autant d'évidence (celle du talent et de l'humble simplicité) que d'élégance (celle du questionnement sans réponse réductrice assénée). Mention spéciale, pour finir, à l'aîné et à la benjamine de la distribution : le si juste Alain Libolt, 79 ans (qui fut François Seurel, l'ami du Grand Meaulnes au cinéma en 1967, puis l'un des plus précieux compagnons de route d'Eric Rohmer et de Patrice Chéreau), qu'on s'émeut de pouvoir applaudir en notre ville, et Clémentine Vignais, juvénile remplaçante d'exception qui, dans un double rôle et le registre final difficile de la folie, terrifie et attendrit à la fois, captant, spectrale, l'attention d'un public conquis par sa gestuelle mécanique improvisée et son regard halluciné où se lit, avec la pérenne horreur du monde, toute la détresse de l'innocence meurtrie

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  2. Merci Maxime pour ton commentaire et tes remarques - et les précisions sur les acteurs dont la qualité est effectivement appréciable.

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