lundi 20 février 2023

La Voix Humaine à l'Opéra National du Rhin: Le coupable habite le 16ème mais la femme revient

 La version de La Voix Humaine, monodrame de Jean Cocteau mis en musique par Francis Poulenc présentée à l'Opéra National du Rhin est mise au goût du jour par les trois femmes qui en sont l'âme renaissante. 


La Voix Humaine - Jean Cocteau - Francis Poulenc - Patricia Petibon - Photo: Clara Beck


Nous avons d'abord la merveilleuse et talentueuse Patricia Petibon, révélée, entre autres par William Christie et qui est passée de la musique ancienne et baroque, puis dans le répertoire classique jusqu'au Lulu d'Alban Berg et bien d'autres interprétations. C'est elle donc qui joue "Elle" et incarne tous les états d'âme et toutes les infinies variations d'humeur et de jeu que la pièce de Cocteau peut receler. Elle chante aussi magnifiquement, entre les paroles tendres et séductrices et les éclats puissants quand elle donne toute la force de sa voix. Et, bien sûr, elle arrive à moduler ce débit de la voix qui "parle" presque et susurre au téléphone - ou récrimine quand c'est nécessaire ou quand la "technique" perturbe le bon déroulement de la conversation. Et surtout elle arrive à merveille à se taire et nous laisser imaginer ce que son interlocuteur "caché" dit entre ses réponses à elle. 


La Voix Humaine - Jean Cocteau - Francis Poulenc - Patricia Petibon - Photo: Clara Beck


Parce que la force de cette pièce de Cocteau, c'est bien de jouer avec nos nerfs et notre curiosité. Nous sommes spectateurs - et auditeurs - actifs de ce qui se déroule sous nos yeux, en n'entendons que ce que dira "Elle" devant nous. Et sommes bien obligés de combler les vides en essayant de "remplir les trous". C'est à la fois un jeu: vérifier si ce que l'on imagine est bien ce qui pourrait être dit "en face", "de l'autre côté", là où nous n'avons pas accès - et une torture puisque l'on nous cache cette partie du texte. Et rien n'est plus frustrant que de ne pas entendre une partie d'une conversation. N'avez vous pas fait cette douloureuse expérience dans les transports en commun par exemple quand vous n'entendez que la partie "présente" d'une conversation - ou peut-être quand vous étiez enfant que l'on ne vous disait pas tout et qu'une partie d'un récit vous échappait parce qu'il partait en chuchotement. Tout cela donne le "monologue au carré" que l'on  diviserait en deux. 


La Voix Humaine - Jean Cocteau - Francis Poulenc - Patricia Petibon - Photo: Clara Beck


Pire ! Ce que nous entendons n'est pas forcément, donc ce qui est dit n'est pas forcément ce qui est pensé. Nous nous rendons compte que les paroles dites ne sont pas forcément la vérité, et nous sommes, en plus de deviner ce qui est dit à l'autre bout du fil, obligé de nous demander si ce qu'"Elle" dit est bien vrai. Et si cela ne l'est pas dans quel but, avec quel sentiment ou quelle motivation cela est dit. Une des "alertes" les plus flagrantes est le moment où "Elle" se décrit avec "Ma robe rose... Mon chapeau noir... Oui, j'ai encore mon chapeau sur la tête..". C'est vrai que le téléphone, surtout de l'époque où la pièce avait été écrie - et jouée - permettait de maquiller la vérité. Mais pas tout non plus, preuve, le fait qu'il y a des sons "accusateurs" ("J'entends de la musique" ... "le gramophone à des heures pareilles"). Ce qui met les deux protagonistes à égalité devant la vérité. Mais pas pour nous, qui tentons, et tenterons jusqu'au bout de savoir de quel côté est le vrai et de tirer le fil de ces arguments et de ces mensonges pour savoir comment cela va finir: "Le fil autour de mon cou" ou "ta vois autour de mon cou"? Il faut dire que la chute est assez prévisible, avec tous ces "on coupe", "on m'a coupée.." "Coupe! Coupe vite!", il n'y a pas beaucoup d'espoir.


La Voix Humaine - Patricia Petibon - Photo: Clara Beck


Sauf que...,  c'est un spectacle, et comme dans les contes de fées, ou au cinéma, on peut faire dévier le cours des choses. Et Katie Mitchell, la deuxième démiurge de la pièce, qui a fait la mise en scène, a également accolé à la pièce de Poulenc une courte création d'Anna Thorvaldsdottir, Aeriality, pièce orchestrale créée en 2011 à Reykjavik. Cette pièce qui complète dans son esprit le (mono-)drame un peu trop misogyne, nous emmène dans une autre réalité où l'héroine, même si elle ne vole pas (on pourrait le croire de par le titre - et la composition musicale qui est assez aérienne et planante) brise le destin. Et le film de Grant Gee qui l'accompagne, ces images tournées dans la ville la nuit, qui encadre la pièce de Poulenc nous perturbe aussi dans notre perception de la réalité ("Elle" semble rentrer chez elle au début, ce qui contredit le texte et "Elle" rejoue la pièce à la fin). Les repères sont mouvants et nous n'avons qu'à nous accrocher. Peut-être que le chien saura nous "guider".


La Voix Humaine - Jean Cocteau - Francis Poulenc - Patricia Petibon - Photo: Clara Beck


Le guide, on l'aura de toute façon trouvé en la personne d'Ariane Matiakh, à la direction de l'orchestre philharmonique de Strasbourg. C'est elle qui nous guide au travers de ces deux pièces musicales complémentaires. Et qui nous illumine magnifiquement la sublime partition de Poulenc de sa direction précise et mesurée. Elle nous fait entendre les "silences" quand "Elle" se tait et écoute et accompagne et enveloppe ses paroles en leur laissant toute leur présence quand elle exprime sa gamme de sentiments. Et nous passons de moments de calme et de sérénité à des explosions poignantes, des épisodes de trouble et de sensualité, de douceur jusqu'à la rage et le désespoir. Et elle ne manque pas non plus de nous surprendre par les changements de tempo ou de rythme que nous réserve quelquefois Francis Poulenc.


La Voix Humaine - Jean Cocteau - Francis Poulenc - Patricia Petibon - Photo: Clara Beck


Cette musique qui nous traverse et nous transperce nous unit intimement à ce que Patricia Petibon nous transmet également avec sa voix sensible et enjôleuse. J'ai parlé des trois femmes qui sont l'âme de ce spectacle et de l'homme qui a réalisé la vidéo, il faut citer les deux autres femmes qui on fait, l'une la lumière qui nous et dans l'intimité de cette femme abandonnée, Bethany Gupwell, et l'autre qui s'est chargé des costumes, tout aussi intimes, Sussi Juhlin-Wallen, et, l'homme des décors de cette chambre de dame "abandonnée" par l'homme, dans laquelle ne restent  que des restes qui trainent dans des sacs poubelles, Alex Eales.


La Fleur du Dimanche

* Pour le titre, sachez que "Lui" habite dans le 16ème arrondissement de Paris: Son numéro de téléphone est:  Auteuil 04,7 (dans l'ancienne numérotation)


à l'Opéra National du Rhin à Strasbourg : jusqu'au 26 février 2023
à La Filature à Mulhouse : 12 et 14 mars 2023

Direction musicale: Ariane Matiakh
Mise en scène: Katie Mitchell
Décors: Alex Eales
Costumes: Sussie Juhlin-Wallén
Lumières: Bethany Gupwell
Réalisateur vidéo: Grant Gee
Orchestre philharmonique de Strasbourg

Les Artistes
Elle: Patricia Petibon


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