jeudi 2 mars 2023

Un pas de chat sauvage de Marie NDiaye au TNS: L'ombre d'un double

 Ecrire sur une photographie, surtout un portrait "historique" de Nadar présentant une femme noire et nommée "Maria l'Antillaise" est une gageure pour Marie NDiaye. Ce l'est d'autant plus que cette photographie selon certaines sources serait le portrait d'une guitariste et chanteuse noire Ana María Loreto Martínez née à Cuba et active en Espagne et en Angleterre avant de venir en France puis de repartir en Espagne quand le succès l'a abandonné au mitan du 19ème siècle. Ce l'est surtout parce que Marie NDiaye se refuse à inventer une vie à la femme photographiée ou à supperposer son identité à celle de la chanteuse, aussi appelée la "Malibran noire" et à en romancer cette existence. 


Un pas de chat sauvage - Marie NDiaye - Blandine Savetier - Nancy Nkusi - Photo: Jean-Louis Fernandez


Au risque de perdre le lecteur - et au final le spectateur de théâtre - puisque ce texte, Un pas de chat sauvage écrit au départ pour l'exposition "Le Modèle Noir - de Géricault à Matisse" en 2019 au Musée d'Orsay, est mis en scène par Blandine Savetier en collaboration avec Waddah Saab et présenté au TNS jusqu'au 10 mars. L'autrice s'invente donc un double de fiction, universitaire et blanche, qui narre son impossibilité d'écrire sur ce (même) sujet tout en tissant une étrange relation avec une inconnue, noire, que l'on va aussi découvrir chanteuse, Marie Sachs (un écho à Maurice Sachs?). 


Un pas de chat sauvage - Marie NDiaye - Blandine Savetier - Nancy Nkusi - Photo: Jean-Louis Fernandez


Cette créature sera comme un Deus Ex Machina qui, tout en permettant à l'écrivaine d'avancer dans ses investigation sur María Martínez (la photographie est mise de côté temporairement - on a des chances de la voir en fond de décor à la fin de la pièce) dans un jeu du chat et de la souris, permet aussi par un parallèle de trois "concerts" de retrouver la Malibran noire dans trois étapes de son trajet de concerts parisiens, l'Alhambra en pleine gloire, chez de riches Germanopratins, pour finir dans un sombre bouge Porte de la Chapelle avant de disparaître des radars. Ces trois "tours de chant" sont l'occasion d'apprécier toute la voix et l'interprétation de Nancy Nkusi qui interprète Maria Sachs avec fouge et une voix magnifique. 


Un pas de chat sauvage - Marie NDiaye - Greg Duret - Nancy Nkusi - Photo: Jean-Louis Fernandez


Elle est accompagnée pour ces concerts par le comédien, musicien, DJ, chanteur et danseur, Greg Duret, qui a aussi composé la musique, mixant les rythmes africains et l'électronique dans une version "portable". Natalie Dessay qui interprète "la narratrice" pousse aussi de la voix, et nous offre un très beau tango chanté dans son faux piano. Ce piano, échoué contre le bord des gradins dont on se demande s'il fait lui aussi partie d'un naufrage (venant des Iles Caraïbes) ou si c'est un "tombeau" - hommage à ces chanteuses et d'autres (noires) qui ont dû subir le jugement raciste inscrit dans la culture et dont on nous donne des extraits (historiques) via la citation des critiques des gazettes des années 1850 et des extraits des lettres de María Martínez et de son admirateur Théophile Gautier. Natalie Dessay, qui est redevenue comédienne (on l'a déjà vu dans la pièce Hilda de Marie NDiaye en 2010 au TNS) n'a pas perdu sa voix - elle la pousse quelquefois un peu fort dans le très écrit - et riche - texte de Marie NDiaye dont on apprécie le style mais qui noie un peu le propos de cette histoire dont il est vrai nul ne maîtrise vraiment la réalité. 


Un pas de chat sauvage - Marie NDiaye - Blandine Savetier - Natalie Dessay - Photo: Jean-Louis Fernandez


Mais il faut se laisser perdre pour reconnaitre dans les yeux dans le noir ce chat sauvage qui n'est vraiment lui même que dans sa solitude. Et accepter le renversement des règles de la narration, en écrivant sa volonté de ne pas vraiment parler du sujet, de renverser le théâtre jusque sur la scène avec cette vue de la salle de l'Odéon qui fait toile de décor en déconstruction et laisser les actrices se perdre comme modèles. De beaux modèles en fait, avec de magnifiques costumes crées par Simon Restino et Blandine Savetier sous les lumières précises de Louisa Mercier. Et quand on s'est bien perdu, quand même revenir aux faits, à la réalité première, cette "capture" par Nadar de cette "Maria" et les lettres* de Maria Martinez, lues - et vues - qui appelle à l'aide quand se carrière se brise.


Maria l’Antillaise entre 1856 et 1859 - portrait par Nadar ©RMN-Grand Palais


La Fleur du Dimanche


*Certaines lettres sont reproduites dans le livre de Marie NDiaye Un pas de chat sauvage est publié en coédition par Flammarion / Musées d’Orsay et de l’Orangerie, 2019.


Un pas de chat sauvage


CRÉATION AU TNS

Texte Marie NDiaye*
Mise en scène Blandine Savetier*
Adaptation Waddah Saab, Blandine Savetier*
Avec
Natalie Dessay
Nancy Nkusi
Et le musicien Greg Duret
Musique live Greg Duret
Dramaturgie et collaboration artistique Waddah Saab
Scénographie Simon Restino
Musique Greg Duret 
Lumière Louisa Mercier
Costumes Simon Restion, Blandine Savetier
Assistanat à la mise en scène Julie Pilod
Régie générale Zelie Champeau
Régie son Vincent Dupuy 
Régie lumière Louisa Mercier
Responsable de production Marie Cassal 


* Marie NDiaye et Blandine Savetier sont artistes associées au TNS.

Production Compagnie Longtemps je me suis couché de bonne heure
Coproduction Théâtre National de Strasbourg, La Maison de la Culture de Bourges Scène nationale

La Cie Longtemps je me suis couché de bonne heure est conventionnée par le ministère de la Culture Direction régionale des affaires culturelles Grand Est et bénéficie du soutien de la Région Grand Est et de la Ville de Strasbourg.

Crédits d’éléments scéniques : impression sur toile de la salle de l’Odéon - Théâtre de l’Europe © Benjamin Chelly ; costumes, impression de Maria l’Antillaise tenant un éventail, portrait par Nadar © Paris BNF, Maria l’Antillaise entre 1856 et 1859, portrait par Nadar ©RMN-Grand Palais (musée d'Orsay) / Hervé Lewandowski


 

  

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