mercredi 2 octobre 2024

Birds au Festival Musica avec l'ensemble Maja: Les oiseaux dans la tête

 L'ensemble Maja sous la direction de Bianca Chillemi, déjà apparu sous les radars en 2014, resurgi fin 2018 semble avoir pris un véritable envol avec Birds en 2023 après avoir remporté le trophée Jean-Claude Malgoire. C'est le spectacle présenté ce soir à la Cité de la Musique et de la Danse pour le Festival Musica qui a eu le prix Emergence Musical.


Festival Musica 2024 - Ensemble Maja - Ligeti - Aventures et Nouvelles Aventures - Photo: Robert Becker

Festival Musica 2024 - Ensemble Maja - Ligeti - Aventures et Nouvelles Aventures - Photo: Robert Becker


En première partie, si l'on peut dire, c'est les Aventures et Nouvelles Aventures (1962-1965) de György Ligeti qui sont non seulement jouées, interprétées sur les instruments, mais c'est à un véritable théâtre musical que l'on assiste. Le résultat est fantastique. Les musiciens sont grimés, habillés de superbes costumes (création Ninon Lechevallier) - costumes noirs, magnifiques robes pour les deux "divas" et ce n'est pas une pâle interprétation, ni même colorée, mais carrément à une vraie pièce de théâtre, à du cinéma, à du cirque auquel on assiste avec une direction artistique assurée par Bianca Chillemi et une scénographie de Cécilia Galli. 

Festival Musica 2024 - Ensemble Maja - Ligeti - Aventures et Nouvelles Aventures - Photo: Robert Becker

Festival Musica 2024 - Ensemble Maja - Ligeti - Aventures et Nouvelles Aventures - Photo: Robert Becker

Festival Musica 2024 - Ensemble Maja - Ligeti - Aventures et Nouvelles Aventures - Photo: Robert Becker


Et surtout des interprétations de chaque musicien qui inscrit cette partition dans une intentionnalité dramatique une vraie histoire que la musique semble porter en elle. Les sons ont un sens, les silences aussi, les bruits de même et nous avons devant nous un immense capharnaüm, un cirque époustouflant, du cinéma muet avec du son et des bruitages, des ralentis, des ruptures, du montage, des changements de plans et d'action, des surprises, de l'humour, de l'absurde, des clins d'oeils, des scènes d'amour, de bagarre, des décalages, des collages, des emprunts (trois coups de fil sur portable délicieusement ironique, des mégaphones de combat, un batteur à tapis comme baguette de chef, bref du grand Barouf en opéra bouffe.

Festival Musica 2024 - Ensemble Maja - Ligeti - Aventures et Nouvelles Aventures - Photo: Robert Becker

Festival Musica 2024 - Ensemble Maja - Ligeti - Aventures et Nouvelles Aventures - Photo: Robert Becker

Festival Musica 2024 - Ensemble Maja - Peter Maxwell Davies - Eight Songs for a Mad King - Photo: Robert Becker



La deuxième pièce est la composition de Peter Maxwell Davies, Eight Songs for a Mad King (1969), pièce qu'il a composé sur un livret de Randolph Stow sur des paroles qu'aurait prononcées le roi Georges III qui est devenu fou. Les airs s'inspirent de mélodies de ses boites à musiques que le roi avait tenté de faire apprendre à ses bouvreuils. 

Festival Musica 2024 - Ensemble Maja - Peter Maxwell Davies - Eight Songs for a Mad King - Photo: Robert Becker

Festival Musica 2024 - Ensemble Maja - Peter Maxwell Davies - Eight Songs for a Mad King - Photo: Robert Becker


Elle était écrite au départ pour l’acteur anglais Roy Hart et à l’origine les musiciens étaient dans des cages à oiseau. Ici la cage à oiseau métaphorique est suspendue en l’air – elle descendra au cours de la pièce pour se transformer d’abord en couronne et à la fin en une cellule pour ce roi dément. C’est Vincent Bouchot qui interprète magnifiquement le rôle, autant par le texte superbement réaliste en personnage sénile et grâce à sa large tessiture (plus de quatre octaves). 

Festival Musica 2024 - Ensemble Maja - Peter Maxwell Davies - Eight Songs for a Mad King - Photo: Robert Becker

Festival Musica 2024 - Ensemble Maja - Peter Maxwell Davies - Eight Songs for a Mad King - Photo: Robert Becker


La partition, quelquefois graphique (sur une des pages, les notes dessinent (aussi) une cage à oiseau, est interprétée avec brio par les six interprètes, alternant des airs dansés, menuet, écossaise, marche espagnole…) et des accompagnements de transition. A un certain moment d’ailleurs, dans un passage d’extrême tension, le Roi casse le violon d’une musicienne. Le spectacle est prenant, tendu, et nous compatissons avec le malheur de ce pauvre roi fou que la mise en scène, le jeu d’acteur de Vincent Bouchot et le jeu des musiciens nous font totalement revivre. 


La Fleur du Dimanche


mardi 1 octobre 2024

Musica au Maillon avec Singing Youth - le chant et le sport font-ils bonne mélodie: Le stade oral

 Musica revient au Maillon avec Singing Youth, un spectacle de Judith Böröcz, Bence Guörgy Pàalinnkàs et Màté Szigeti. Le spectacle a tout à fait sa place dans la programmation du Festival Musica, car c'est dansé et chanté. Et de plus il y a une interrogation partagée avec le Festival sur la philosophie de la musique.

Festival Musica - Singing Youth - Photo: Robert Becker

Le projet prend son origine dans une statue "Singing Youth" représentant un groupe de trois personnes jouant de la musique et chantant, qui était placée devant le Népstadion, le "Stade du Peuple" inauguré en 1953 et démoli en 2016 pour être remplacé par un nouveau stade qui devait montrer la puissance du pays (67.889 places au lieu de 38.652 places assises - à l'origine il avait une capacité de 104.000 places). La statue a été gardée. Les six chanteurs et chanteuses, en short et maillots blancs réincarnent sur scène ces "jeunes espoirs" de la Nation et ressuscitent par le chant et une chorégraphie minimaliste les chants de l'époque en y confrontant des discours mis en musique par Maté Szigeti, un beau challenge.

Festival Musica - Singing Youth - Photo: Sari Ember

Ce qui pourrait être un exercice de style est un vrai spectacle chanté et dansé, à la fois ironique et terriblement lucide. Construit sur une série de chapitres qui pourrait rappeler une conférence politico-sociale avec des thèmes comme la construction du stade, "Les ressources Humaines", "La Guerre Culturelle", "Le sculpteur grec", "Aux Hongrois", "Unit", il démarre avec humour pour donner le ton avec une mélodie alerte et enfantine "Lili billi bon bon" mais très vite l'ion se rende compte que les chants sont soit des chants de propagande des temps bénis du socialisme (années 1950 ou de son renouveau (1990) à écouter avec une oreille critique ou encore des textes de discours de propagande socialistes de cette époque là ou franchement nationaliste de la nouvelle période de Victor Orban et de ses troupe. 

Festival Musica - Singing Youth - Photo: Zsófia Sivák

Le choix des textes est judicieux et l'on se rend compte qu'à travers les années, le discours se trouvent des similitudes come l'unité de la nation ("réveillez votre esprit national endormi"), la solidarité entre les vrais Hongrois, l'appel à l'unité, à l'effort. On glorifie l'autosuffisance et la grandeur du pays (par exemple pour la construction du Stade, le fait d'avoir récupéré les matériaux d'origine et d'avoir fabriqué en interne toutes ces briques qui sont presqu'aussi longue mises bout à bout que la largeur de l'Europe). On note les renversements d'amitié - les Grecs, réfugiés bienvenus chez eux après la guerre (dont le sculpteur Makrisz Agamemnon, autrefois loué, plus vraiment désiré "Grecs, retour au pays d'origine"). On devient belliqueux et agressif, les discours se durcissent, sous des aspects qui semblent très humains, mais on fait des différences selon les origines ou la vision du monde ou du pays. 

Festival Musica - Singing Youth - Photo: Zsófia Sivák

Les textes chantés allègrement semblent agréable et passent apparemment, mais en grattant un peu, en creusant le sens on se met a se poser quelques questions sur le chemin qui est pris sur l'ouverture d'esprit et l'orientation du discours, sa fermeture, sa fermeté. Et on se met à faire la parallèle entre le sport, le chant, la danse qui devient martiale - caricaturale pour l'épisode grec - et l'on se demande si dans la réalité, le chant et le sport ne sont pas en réalité des armes de combat. Le chant comme arme collective contre l'ennemi intérieur et bien sûr aussi extérieur. 

Festival Musica - Singing Youth - Photo: Zsófia Sivák

Bien sûr pas celui que nous avons face à nous, nous n'allons pas y adhérer sans réfléchir, d'ailleurs la scénographie, le choix des extes et la composition font que nous prenons suffisamment de distance 'à priori) pour y trouver là où ça grince et analyser les mécanismes, tout en prenant plaisir à cette "comédie" musicale qui nous ouvre les oreilles ... et le yeux sur ce qui se passe pas loin de chez nous. D'aucuns diraient "Réveillez-vous !"

En tout cas ne vous endormez pas. Ecoutez bien ! Ah j'oubliais, les chanteurs et les chanteuses sont superbes, de très belles voix, que ce soient les deux voix féminines (l'une plus cristalline, l'autre plus chaude mais très agréables et les hommes aussi avec de belles basses et des registres plus aigus et leurs voix en canon est d'une très belle facture. La plaisir du chant ne gâche en rien l'analyse du texte et c'est tant mieux. Et le public est ravi.

Festival Musica - Singing Youth - Photo: Robert Becker


La Fleur du Dimanche