Si on cherche Fanny de Chaillé, on la trouve là où on ne l'attend pas. On s'attend à de la danse, suite logique de son précédent spectacle Choeur où c'est le mouvement qui meut le texte de Pierre Alferi, et l'on se retrouve face à une forme hybride, à la fois théâtre et point de vue sur le théâtre, représentation et commentaire sur la représentation, réflexion et mise en cause de la réflexion. On passe de l'un à l'autre, d'une histoire à une Histoire, du théâtre devant nous au théâtre avant nous. Une position instable et mouvante, des corps qui changent de place et de statut au fur et à mesure de ce spectacle vu à Pôle Sud.
Pôle Sud - Une autre histoire du théâtre - Fanny de Chaillé - Photo: Marc Domage |
Spectacle qui commence d'ailleurs par une série de déstabilisations. Par exemple tout au début, la lumière reste dans la salle et l'on assiste à une discussion entre les quatre comédiens mais qui nous inclut, nous spectateurs - ou nous exclut, puisque l'on parle de nous sans vraiment nous donner la parole. Tout comme on reste "avec" les comédiens qui, une fois cerné le sujet: Non le théâtre comme histoire, comme diachronie d'un Art, mais plutôt le théâtre comme acte de jouer devant un public, un "jeu" d'acteur, mais quel jeu? Quelle relations individuelle à ce jeu, quelle implication? Et les comédiens se mettent à jouer, ou plutôt à rejouer quelque chose qui s'est déjà joué, une pièce - du répertoire - tout en prenant distance avec elle. Et puis la lumière de la salle s'éteint et, ainsi plongé dans le noir, nous sommes plongé dans notre statut de spectateur, avec le vrai sentiment de la "magie" du théâtre qui se joue devant nous. Et tous ces jeux se retrouvent mis à distance, soit par le jeu, l'expression, l'interprétation souvent décalée, ironique, à la limite du caricatural, soit par les commentaires sur le jeu ou la mise en scène, la parole "sur" ce qui est en train d'être interprété ou même - à une niveau supérieur - à une réflexion même sur ce qui se joue sur le plateau et comment ça se joue, comme autrefois, ou comme aujourd'hui, avec quels mots, avec quelle manière de jouer, avec quelle distance, quelle motivation, quelle implication.
Pôle Sud - Une autre histoire du théâtre - Fanny de Chaillé - Photo: Marc Domage |
Les quatre comédiennes et comédiens sont bons, chacun dans son style, capable d'incarner différents personnages, la dynamique et "véhémente" Margot Viala, la volontaire et décidée Valentine Vittoz, le placide et "suiveur" Tom Verschueren et le volubile, habile et labile Malo Martin. Le résultat est souvent drôle, mais le comique ou l'humour surprennent. De qui ou de quoi se moque-t-on, quel est l'enjeu de la représentation? Un questionnement de l'Histoire du Théâtre, de la représentation, des règles, des coutumes (la place des femmes dans le théâtre - ridicule dans l'histoire. Ou le rôle du metteur en scène - ce chef qui décide comme un tyran du mouvement même du corps de l'acteur - ou du collectif - quel cadre, quelles prérogatives lui/leur donner. Quelquefois cela aboutit à une impasse, à une pensée un peu brouillonne ou contradictoire, peut-être encore en gestation et qui doute elle-même. Par exemple les questions liées à la motivation des jeunes comédiens, restant au rang de l'histoire personnelle, celle du jeu d'acteur survolé dans les réflexions et les témoignages, (les leçons de Jouvet ou l'interview de Jeanne Moreau en midinette) où l'on aurait pu creuser un peu plus les différentes formes de jeu (Grotowski, Gérard Philippe, Actors Studio, Lecoq, Brecht,..).
Pôle Sud - Une autre histoire du théâtre - Fanny de Chaillé - Photo: Marc Domage |
La volonté de Fanny de Chaillé d'éclater cette histoire du théâtre en la racontant autrement ou en prenant un sujet différent, balançant entre son expérience et l'expérimentation de ses jeunes comédiens et leurs interventions, est intéressante en nous mettant en position instable face à cette pensée en marche. Les aspects danse et mouvement en relation avec le textes sont quelquefois heureux, par exemple, quand les corps "parlent", la synchronicité des comédiens sur des textes est réussie, mais se poser la question de comment l'acteur habite le corps de son rôle (en théâtre) tandis qu'un des comédien plutôt gymnaste fait le poirier est un contrepoint peu adapté. Ce décalage, sûrement voulu, apporte de la gaité sur scène, mais permet-elle de poser ces questions fondamentales que se posent la metteuse en scène et les comédiens dans cette pièce et dans leur histoire personnelle d'acteur et de metteur en scène, et qu'on demande également aux spectateurs de se poser. Peut-on ou faut-il rire de tout? Dans ce grand bazar organisé, on rit, avec plaisir, bien sûr, des fois jaune d'ailleurs, mais aussi des fois avec regret et il aurait peut-être fallu plus balancer d'un pied sur l'autre, de la mise en cause et à distance par le rire, à des esquisses ou même des raisonnements plus creusés. A l'image de ces acteurs qui, clairement, ne savent plus où est la gauche et la droite, mais qui continuent d’avancer, parce que, comme dans toute bonne pièce de Beckett, on est là pour attendre, avancer, et surtout ne jamais trouver. Mais on est là aussi pour rigoler.
La Fleur du Dimanche
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