Pour le dernier jour* du Festival Musica accueilli à Metz au Centre Pompidou et à l'Arsenal - Cité Musicale de Metz, le piano va couler de source, minimale. Ce sera un flot de notes, égrenées, frappées, répétées, variées, esquissées, caressées qui vont se répandre, surgir des pianos et nous submerger de notes.
Gay Guerilla de Julius Eastman
Cela se passe dans le cocon du Studio du Centre Pompidou Metz au centre duquel trônent quatre pianos qui se positionnent en croix, les pianistes dos au public qui les entoure. La salle est sombre, seules le dessus et les cordes des pianos sont faiblement éclairés et lorsque les pianistes sont installés une douche les découpe avec leur clavier.
Festival Musica - Julius Eastman - Evil Nigger - Centre Pompidou Metz - Photo: Robert Becker |
Festival Musica - Julius Eastman - Evil Nigger - Centre Pompidou Metz - Photo: Robert Becker |
Pas de perturbation, place à la musique, rien que la musique. Le concert débute avec l'oeuvre de Julius Eastman de 1979 Evil Niger. Progressivement un, puis deux, puis trois, puis les quatre pianistes - les mêmes que ceux qui nous proposent leurs interprétations des sessions Une histoire du piano minimaliste, à savoir dans l'ordre de leurs concerts, Melaine Dalibert, Stephane Ginsburg, Nicolas Horvath et Wilhem Latchoumia - entonnent une ritournelle tournante et rapide puis un air plus grave.
Festival Musica - Julius Eastman - Gay Guerilla - Centre Pompidou Metz - Photo: Robert Becker |
Festival Musica - Julius Eastman - Gay Guerilla - Centre Pompidou Metz - Photo: Robert Becker |
Festival Musica - Julius Eastman - Gay Guerilla - Centre Pompidou Metz - Photo: Robert Becker |
Cela ressemble à une course poursuite ou une course de relais. Parfois plus dans les graves parfois dans les aigus, une ronde avec ces phrases qui se répètent, pianissimo ou fortissimo. La musique s'enroule et fait des boucles. A un moment un silence, et cela repart de plus belle avec Stephane Ginsburg qui, avec ses "one, two, three, four" qui donne les marques et relance la machine une bonne demi-heure au bout de laquelle les notes se raréfient pour s'évanouir.
Festival Musica - Julius Eastman - Gay Guerilla - Centre Pompidou Metz - Photo: Robert Becker |
Festival Musica - Julius Eastman - Gay Guerilla - Centre Pompidou Metz - Photo: Robert Becker |
Festival Musica - Julius Eastman - Gay Guerilla - Centre Pompidou Metz - Photo: Robert Becker |
Gay Guerrilla (1979) démarre très doucement avec la répétition d'une note, puis deux, puis trois, puis quelques quelques accords qui se suivent et des variations. Très lentement, les musiciens continuent cette manière chorale qui laisse émerger puis exploser une mélodie, celle d'un cantique de Luther A Mighty Fortress Is Our God, un appel à la révolte contre l'oppression des noirs aux Etats-Unis.
Festival Musica - Julius Eastman -Crazy Nigger- Centre Pompidou Metz - Photo: Robert Becker |
Festival Musica - Julius Eastman - Crazy Nigger- Centre Pompidou Metz - Photo: Robert Becker |
Avec Crazy Nigger (1978) nous entrons dans la transe pendant une heure, une pièce très forte et cathartique. A la fois massage des oreilles quelquefois et réchauffement de celles-ci. En tout cas cela nettoie et nous submerge. La pièce démarre doucement, les notes apparaissent, de répondent d'un piano à l'autre, puis au bout d'un moment - un quart d'heure, ce sont des explosions qui montent. Puis, bien sûr cela se calme à nouveau, et toute sérénité pour repartir, comme une marée qui nous submerge, une mer toujours recommencée et de nouvelles explosions. Un silence subit, une pause, des notes frappées qui résonnent et s'éteignent en écho lointain. Puis les musiciens qui, en décalage se lancent dans un dernier tour pour un quart d'heure, qui se suivent, se dépassent dans un grand chaos et puis le dernier accord qui, longtemps résonne et s'éteint. Un moment exceptionnel.
Festival Musica - Julius Eastman - Crazy Nigger - Centre Pompidou Metz - Photo: Robert Becker |
Festival Musica - Julius Eastman - Crazy Nigger - Centre Pompidou Metz - Photo: Robert Becker |
Festival Musica - Julius Eastman - Crazy Nigger - Centre Pompidou Metz - Photo: Robert Becker |
Un concert rare avec des interprètes hors pair. Chacun a son style de jeu, mais tous sont impressionnants et l'ensemble est cohérant. Et l'occasion exceptionnelle pour ce musicien mort oublié (même l'annonce de sa mort n'a eu lieu que huit mois après son décès - et ses oeuvres pour certaines ont été perdues ou oubliées. Avec Musica, nous avions eu le plaisir de voir ce concert en 2019 à Strasbourg - il avait aussi été présenté à Metz en 2021 - et également la pièce Femenine (Masculine ayant disparu) le 27 septembre 2020. Mais les occasions sont rares.
Festival Musica - Julius Eastman - Gay Guerilla - Centre Pompidou Metz - Photo: Robert Becker |
Merci donc à Musica, à la Cité Musicale et au Centre Pompidou-Metz de nous avoir permis de revivre cet événement.
Une histoire du piano minimaliste suite et fin avec Nicolas Horvath et Wilhem Latchoumia
Nous revenons à l’Arsenal dans la salle de l’Esplanade, tout à fait adaptée pour les concerts de piano minimaliste avec sa superbe acoustique. C’est Nicolas Horvath qui débute l’après-midi à 15h00 avec une création française (presque mondiale parce la première interprétation s’est faite lors d’un concert privé au Japon), celle de Chasing Satie (2024) de Terry Riley.
Festival Musica - Piano Minimaliste - Nicolas Horvath - Photo: Robert Becker |
C’est une pièce en dix mouvements qui dure presque trois quarts d’heure et démarre comme une improvisation de jazz. Le rythme est lent en introduction, quelques répétitions, on y devine quelques touches et mélodies à la Satie, puis une montée en puissance suivie de notes délicates dans les aigus.
Festival Musica - Piano Minimaliste - Nicolas Horvath - Photo: Robert Becker |
De nouveaux accords dans les graves et la musique se met à tournoyer, le mouvement se fait plus énergique. Une énergie se construit et se répète avec des variations. Puis une envolée rapide, aux doigts agiles, un court tourbillon et à nouveau un calme généreux, presque romantique, rêveur.
Festival Musica - Piano Minimaliste - Nicolas Horvath - Photo: Robert Becker |
Cela repart en ponctuation fortes comme un finale mais la train se ralentit, un air calme, serein, se dessine et nous emmène sur un autre chemin où le paysage change, reposant, face à l’horizon qui s’élargit. Et c’est reparti pour une nouvelle course et une nouvelle pause, la dernière (note).
Festival Musica - Piano Minimaliste - Nicolas Horvath - Photo: Robert Becker |
En remerciement de l’enthousiasme du public, Nicolas Horvath nous gratifie d’un bis, une très belle étude de Philip Glass.
La dernière session du piano minimaliste avec Wilhem Latchoumia est vraiment un voyage dans le temps, à la rencontre des pionniers de ce style de composition. Il nous ramène en 1912 avec Henry Cowell (qui fut professeur de John Cage). Avec First Irish Legend – The Tides of Manaunau le jeu est assez spectaculaire, avec l’avant-bras plaqué sur le clavier, des appuis larges et le jeu avec le tranchant de la main assez violent.
Festival Musica - Piano Minimaliste - Wilhem Latchoumia - Photo: Robert Becker |
La deuxième pièce, Jazz Sonata (1922) de George Antheil, comme son nom le laisse deviner, nous découvrons une pièce jazzy, super rapide où Wilhem Latchoumia a les doigts plus rapides que les notes. Suivent des Préludes (1 à 3 pour commencer) de Ruth Crowforth, minimaliste et calme pour le premier, enlevé et vigoureux pour le deuxième et doux et mystérieux – une rêverie – pour le troisième.
Festival Musica - Piano Minimaliste - Wilhem Latchoumia - Photo: Robert Becker |
Le Tango (1983) de Colon Nascaro qui suit est en pièces détachées et les Préludes de Ruth Crowforth qui suivent (4 et 6) sont toujours aussi mystérieux. Le Set of five take-offs de Charles Yves nous ramène en 1906 avec une musique caractéristique u début du XXème Siècle que Wilhem Latchoumia de manière totalement impliqué, engagé, la troisième étant aussi pleine de rêverie.
Festival Musica - Piano Minimaliste - Wilhem Latchoumia - Photo: Robert Becker |
Après la série 6 à 9 des Préludes de Ruth Crawford qui closent le cycle avec ces mélodies simples et graves, nous avons droit à son Piano Study in mixed accents super rapide et très court.
Festival Musica - Piano Minimaliste - Wilhem Latchoumia - Photo: Robert Becker |
Et pour clore le programme, Simone’s Lullaby (1994) de Terry Riley qu’il a composé pour sa fille, nous avons une mélodie enchanteresse qui ressemble à un air de boite à musique à la Casse-Noisette qui tourne et continue presque jusqu’à l’effacement.
La Fleur du Dimanche
* Pour le programme du vendredi, c'est là: Mirlitions
Samedi c'est ici : Samedi en sept étapes
Et là pour la danse c'est une page spéciale Rosas au Centre Pompidou
Et dimanche vous y êtes !
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