Les vagues du féminisme n'ont pas encore réussi à submerger les hommes et leurs attitudes phallocrates. Et le SCUM Manifesto de Valérie Solanas, même s'il a fait quelques émules, n'a pas éradiqué la gent masculine de la civilisation. Le collectif FASP (qui n'a rien à voir avec la Police) par contre nous offre au TNS avec Beretta 68 une pièce fraîche et enlevée. Elle est annoncée terrible pour les hommes (on leur indique les issues de secours pour débuter), mais elle arrive à traiter ce sujet délicat de la domination masculine, de la soumission féminine, du consentement, de la révolte des femmes et de la violence avec de l'humour et de l'imagination.
TNS - Beretta 68 - Photo: Jean-Louis Fernandez |
Il y est bien sûr question de ces écrits de Valérie Solanas, SCUM Manifesto et autres citations et également de certaines autrices contemporaines plus ou moins connues qui sont engagées plus ou moins violemment (Christiane Rochefort, Virginie Despentes) dans le combat "féministe". On y cite même Louise Thompson Patterson et Jacqueline Sauvage pour justifier l'éradication de tous les hommes cis. Et nous tomberons de haut à la fin du récit de l'éducation d'une jeune fille bien rangée qui sait découper son poulet et blanchir les carreaux de sa salle de bain à l'eau de Javel, quand un de ses réveils, un matin, débute sans consentement. Mais le collectif FASP, qui s'est constitué à partir de huit élèves, comédiennes mais non seulement, certaines ayant suivi le cursus technique, du groupe 47 de l'école du TNS sur le projet même de faire un spectacle à partir du texte de Valérie Solanas.
TNS - Beretta 68 - Photo: Jean-Louis Fernandez |
Le contexte imaginé par le groupe, ces rencontres entre les membres d'une sorte de gang, dans une laverie désaffectée (humour féministe au deuxième degré) constitué de personnalités hétérogènes (un peu à l'image aussi du collectif) qui vont à la fois réfléchir et essayer de mettre en place des actions militantes, va permettre de balayer de manière large les champs de réflexion et les matériaux qu'elles ont constitués et sélectionnés. Et ce n'est pas triste. Cela chante (en rap et en mélodies jouées et chantées en direct), cela bouge tout le temps et passe d'un niveau à un autre, cela discute et rejoue de diverses manières (des harangues, des coups de téléphone échangés, des scènes réactualisées) dans une mise en scène sans temps mort. Il y a même des références picturales avec le tableau d'Artemisia Gentilesci Judith et Holopherne, débordant de violence, dans lequel Judith incarne cette vengeresse - ou libératrice - féminine, avec en fond l'histoire personnelle d'Artemisia, cloitrée et otage de son père puis abusée et abandonnée par un ami de celui-ci. Quelques comédiennes émergent du lot, Jade Emmanuel avec toute son énergie qui incarne magnifiquement Solanas dans son côté brut, violent et cassant, Manon Poirier, qui telle un caméléon change de peau et à vue d'oeil et Manon Xardel qui nous susurre des chansons pas si douces que cela.
TNS - Beretta 68 - Photo: Jean-Louis Fernandez |
Le texte, savant mélange de quelques citations de Solanas et de son histoire, également de lectures que l'on devine instructives et d'écriture de plateau dont l'évolution au fil de l'élaboration de la pièce a permis également d'avoir en face de nous des personnages bien vivants et changeants. Mais c'est ça aussi qui est intéressant dans ce spectacle, que chacun(e) de sa position peut se trouver questionné(e), interrogé(e), confronté(e) à des prises de position pas toujours ou forcément défendables, mais que cela mette en marche une petite réflexion à son niveau. Et pourquoi pas, à se retrouver bousculé(e) dans ses repères et poussé hors de son repaire de tranquillité. Bref, une pièce qui fait bouger les lignes, tout comme ce personnage un peu en marge a aussi réussi de part ses actes (surtout celui qui l'a rendue célèbre) a décontenancer ses interlocuteurs. Et comme la pièce le rend bien dans quelques scènes bien troussées, si l'on ose dire ainsi.
TNS - Beretta 68 - Photo: Jean-Louis Fernandez |
Avec Beretta 68, le féminisme n'est pas un coup d'épée dans l'eau et le théâtre des filles du collectif FASP fait mouche.
La Fleur du Dimanche
[Conception, texte]
Collectif FASP et extraits du SCUM Manifesto de Valerie Solanas
Collectif FASP – Loïse Beauseigneur, Léa Bonhomme, Jeanne Daniel-Nguyen, Jade Emmanuel, Valentine Lê, Charlotte Moussié, Manon Poirier, Manon Xardel
ProductionThéâtre national de Strasbourg
Avec la participation artistique du Jeune théâtre national (JTN)
Création le 8 octobre 2024 au Théâtre national de Strasbourg
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