Appeler Mirlitons un spectacle qui est programmé dans le cadre du Festival Musica, même s'il est déporté à Metz, pose quelques questions aux spectateurs dont nous sommes. Et ce n'est sûrement pas pour déplaire à la nouvelle (plus si nouvelle que cela maintenant) direction (dans les deux sens du termes) du Festival. Et ce d'autant plus qu'il y a aussi une double décision de programmation du fait que le spectacle est accueilli à Metz dans le cadre de la programmation de la Cité Musicale à l'Arsenal. Ce qui amène encore un nouveau sens à Mirliton (cf: Cntlr - "Mirliton 3. HIST. MILIT. Shako des soldats et des cavaliers pendant la Révolution. Sous la Révolution, les hussards portèrent un bonnet ou shako cylindrique, à cône tronqué, garni d'une flamme agrafée et pouvant pendre à volonté. On nomma cette coiffure mirliton (Leloir1961).").
Nous nageons en plein sens "obtus", comme dirait Roland Barthes. Mais revenons à notre première question: Musique ou danse? Il est évident que ce devrait être de la musique, étant donné que le spectacle est programmé dans le cadre du festival des musiques d’aujourd’hui Musica comme il est noté dans le programme de la Cité Musicale. Mais il y est aussi question de "danse", "beatbox", et "ring", alors que dans le programme de Musica il est juste précisé "spectacle" sans prendre position. Il est évident que François Chaignaud est plutôt reconnu comme danseur (et primé comme danseur et chorégraphe) et qu'il propose surtout des spectacles de danse. Mais il est aussi connu comme chanteur (et comme écrivain) et nous l'avions vu à la fois danser et pu apprécier son chant en 2019 lors du Festival Musica avec Symphonia Harmoniæ Cælestium Revelationum sur des textes et des musiques d'Hildegarde von Bingen. Le terme de "beatbox" lui fait référence à Aymeric Hainaux, qualifié de beatboxeur et de danseur (anciennement dessinateur).
Dans le spectacle, comme nous allons le voir, il est plutôt du côté de la musique (même s'il danse aussi "presque" comme François Chaignaud - qui lui va également chanter (un peu, mais juste ce qu'il faut pour nous transporter ailleurs). Et François Chaignaud, si l'on fait bien attention, nous l'entendons "jouer" du mirliton dans le spectacle. Mirliton qu'il défend bec et ongle (d'où, en partie, l'explication de "ring", mais pas que, parce qu'il y a aussi quelque chose de l'ordre du "battle", de la bataille dans ce spectacle ).
Mais revenons à l'origine - ce que dit François Chaignaud de Mirlitons, c’est une sorte de sifflet pour enfants,
c’est un poème sans prétention,
c’est un Louis d’or marqué du chiffre 2,
c’est un couvre-chef militaire,
c’est aussi une pâtisserie (un roulé à la crème).
Curieusement les dernières recherches linguistiques de Hans Mattauch (2001) ont trouvé un autre sens plus ancien, à savoir "un tulle de gaze". Et également, ce qui est rarement écrit dans les dictionnaires, c'est le déplacement de sens de tissus vers un sens sexuel, pour citer Mattauch:
"Mirliton, mot créé en 1723 par les marchands de mode parisiens, connut tout de suite un succès foudroyant. Les chanteurs du Pont-Neuf l’utilisèrent dans des couplets, raillant d’abord la coiffure de gaze pour femmes comme une « ineptie », attaquant ensuite la vie libertine des dames de la cour ainsi que les dirigeants politiques. Dans ce dernier type de couplets comme aussi dans un flot de poésies grivoises, dont quelques parodies d’Inès de Castro de La Motte, le mot servit généralement de pseudo-euphémisme pour l’organe génital, surtout féminin. Les auteurs du Théâtre de la Foire, A. Piron en tête, l’exploitèrent également, pendant plus d’une décennie, assurant ainsi aux couplets mirlitonesques une actualité prolongée. Quelques témoignages postérieurs démontrent que l’acception badine avait encore cours au XIXe siècle." Il existe aussi, curieusement, un glissement du féminin au masculin pour désigner le sexe masculin.
Le glissement se fait lui aussi de l'objet musical "mirliton", qui, au départ désignait la membrane de la "flûte à mirliton" ou "flûte à oignon" ou "flûte eunuque" à "mirliton".
Muni des ces explications, nous pouvons allez sur le ring, où, curieusement aussi, dans un premier temps, François Chaignaud fait "glisser" Aymeric Hainaux sur un couverture. Ce dernier a la tête couverte non pas d'un mirliton mais d'un genre de "cotte de maille" fait non de Louis d'or, mais de pin's et porte-clés - glissement matériel de pièces de monnaie.... Où va(vont) se cacher le(s) sens obtus ?
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Festival Musica - Chaignaud - Hainaux - Mirlitons - Photo: Robert Becker |
Le titre de la pièce étant au pluriel, nous cherchons le deuxième mirliton... Mais nous n'avons pas à chercher longtemps. Ce que nous aurions pu prendre pour une radio qu'Aymeric aurait dans sa bouche (fermée) d'où on entend sortir une rythmique sophistiquée, n'est en fait que la mise en oeuvre de ses nombreuses et surprenantes techniques vocales phonatoires et rythmiques. Il va ainsi au milieu du public aux premières loges, sur et autour d'un mini-plateau qu'il partage avec François Chaignaud.
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Festival Musica 2024 - François Chaignaud - Aymeric Hainaux - Mirlitons - Photo: Robert Becker |
Ce plateau, le "ring" est d'une certaine manière la "tablao" cette tablette pour faire résonner les claquettes, les zapateados que François Chaignaud va faire à foison, jusqu'à presqu'épuisement, accompagné d'Aymeric Hainaux. Pieds nus et en plus de ses beatboxes, il réalise toute une variété de percussions corporelles, se collant le micro sur son corps, ses pieds, son crâne, sa poitrine. Et se sert également d'un bâtons harnaché de clochettes en tous genres pour compléter ses percussions corporelles.
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Festival Musica 2024 - François Chaignaud - Aymeric Hainaux - Mirlitons - Photo: Robert Becker |
François Chaignaux, lui aussi s'affuble d'un bâton et chaussé de chaussures de flamenco et entame avec lui une danse à de possédés de plus en plus frénétique. Des fois, cela s'arrête, mais cela recommence de plsu belle, Aymeric amplifie les chocs qui traversent sa jambe. François lui se lance dans d'étourdissantes danses flamenca jusqu'à plus saoul à l'instar des plus grands danseurs flamenco espagnols. Après une nouvelle montée en puissance, une pause amène un peu de calme. Les corps sont exténués et l'on attend à ce que cela s'arrête, ils enlèvent une couche de vêtements, François Chaignaud enfile des chaussettes blanches sur ses chaussures spéciales flamenca et se met une cotte de maille en médailles.
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Festival Musica 2024 - François Chaignaud - Aymeric Hainaux - Mirlitons - Photo: Robert Becker |
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Festival Musica 2024 - François Chaignaud - Aymeric Hainaux - Mirlitons - Photo: Robert Becker |
Il démarre une danse glissée presque classique amis très vite mixe le classique et le simili flamenco qui va à nouveau repartir sur des transes chamaniques pour arriver à un nouveau sommet. La lumière baisse doucement et dans un nouvel épisode réparateur il chantonne une sorte de berceuse italienne.
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Festival Musica 2024 - François Chaignaud - Aymeric Hainaux - Mirlitons - Photo: Robert Becker |
Ils repartent pour un dernier tour de piste, jamais fatigué apparemment et disparaissent en coulisse en nous laissant assommés, submergés par toute cette énergie libérée à la fois dans la danse et dans les percussions ininterrompues. Impressionnant !
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Festival Musica 2024 - François Chaignaud - Aymeric Hainaux - Mirlitons - Photo: Robert Becker |
Alors, Musique ou Danse ?
La Fleur du Dimanche
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