Cette citation d'Ernesto 'Che" Guevara en exergue du spectacle "Al Gran Sole Carico d'Amore" (Au grand soleil d’amour chargé) de Luigi Nono, présenté en première suisse au Grand Théâtre de Bâle dans le cadre du Festival Musica 2019 donne le ton et l'orientation de la pièce:
Il n'est nullement question de faire un spectacle moche, et la mise en scène de Sebastian Baumgarten, les décors de Janina Audick, la vidéo de Chris Kondek et les costume de Chritina Schmitt font de cette pièce un "beau spectacle" avec une esthétique un peu rétro et tout cela se regarde très agréablement.
Musica 2019 - Theater Basel - Luigi Nono - Al Gran Sole Carico d'Amore - Photo: Birgit Hupffeld |
Pour cette pièce, plus "Action scénique" qu'Opéra, comme le définit lui-même Luigi Nono, les deux parties jouent beaucoup sur des "tableaux" de toute beauté, autant dans le choix des vidéos ou des photos de fond de scène qui nous immergent dans les différents lieux de l'histoire (la nature, les usines ou les sites industriels) que des décors et la disposition spatiale de la scène et de son occupation. La masse des figurants est quelquefois impressionnante jusqu'à une cinquantaine de personne sur scène.
Musica 2019 - Theater Basel - Luigi Nono - Al Gran Sole Carico d'Amore - Photo: Birgit Hupffeld |
Le choix de l'orchestration est également dans une certaine virtuosité et une ampleur autant pour la partie orchestrale que pour la partie vocale - que ce soient les choeurs, les solos ou les parties dédiées aux différents personnages interprétés par des quatuors.
Musica 2019 - Theater Basel - Luigi Nono - Al Gran Sole Carico d'Amore - Photo: Birgit Hupffeld |
Il faut dire que la pièce ne suit pas une narration linéaire et le déroulement d'une histoire, mais elle est à la fois circulaire et faite de collages de textes, de citations et d'éléments divers.
Luigi Nono, avec la collaboration de Juri Ljubimow, fait la construction du "livret" à partir de textes et de citations de Karl Marx à Che Guevara, de Cesar Pavese à Arthur Rimbaud, de Gramsci à Castro, de Brecht à Gorki, dont la "mère" est un des personnages de la pièce.
Les femmes ont d'ailleurs le rôle principal, autant dans la première partie, qui s'intéresse plus particulièrement à deux d'entre elles, Louise Michel, l'héroïne de la Commune de Paris et "Tania" - Tamara Bunke, une Allemande partie aux côtés de Che Guevara dans sa révolution et qui a été assassinée.
Musica 2019 - Theater Basel - Luigi Nono - Al Gran Sole Carico d'Amore - Photo: Birgit Hupffeld |
Ces deux figures symboliques de révolutions échouées sont la base, le sens même de la pièce de Luigi Nono.
Dans la deuxième partie, il va rendre compte plus anonymement - bien qu'il cite toujours des "héros" de révolutions déchues, des destinées d'anonymes, ou de personnages de romans (Gorki, Pavese) ou de poésies (Rimbaud avec "Les Mains de Marie-Jeanne" qui donnent son titre à la pièce):
L'éclat de ces mains amoureuses
Tourne le crâne des brebis !
Dans leurs phalanges savoureuses
Le grand soleil met un rubis !
Une tache de populace
Les brunit comme un sein d'hier ;
Le dos de ces Mains est la place
Qu'en baisa tout Révolté fier !
Elles ont pâli, merveilleuses,
Au grand soleil d'amour chargé,
Sur le bronze des mitrailleuses
À travers Paris insurgé !
Ah ! quelquefois, ô Mains sacrées,
À vos poings, Mains où tremblent nos
Lèvres jamais désenivrées,
Crie une chaîne aux clairs anneaux !
Et c'est un soubresaut étrange
Dans nos êtres, quand, quelquefois,
On veut vous déhâler, Mains d'ange,
En vous faisant saigner les doigts !
Musica 2019 - Theater Basel - Luigi Nono - Al Gran Sole Carico d'Amore - Photo: Birgit Hupffeld |
Ce sera Déola, la prostituée qui, à Parme assiste impuissante à l'arrivée du fascisme en Italie, ou Pawel, exploité, qui essaie de se révolter, en vain contre le directeur de l'usine. Ce seront tous ces inconnus de la Commune, de la guerre du Vietnam, des révoltes d'Amérique du Sud ou d'ailleurs qui se battent pour la justice et la fraternité. Et ce seront pour finir, la foule qui essaie de résister à la "machina represiva" - Unterdrückungsmaschine - La "Machine de répression", qui, comme une épée de Damoclès, support du pouvoir (l'on voir Nixon à la télévision justifier l'engagement au Vietnam), écrase la foule qui pourtant résiste et gagne.
Musica 2019 - Theater Basel - Luigi Nono - Al Gran Sole Carico d'Amore - Photo: Birgit Hupffeld |
L'objectif de Nono n'est pas de construire un monument à la "Révolution", aux révolutions, mais de montrer des situations "pour l'exemple" et la réflexion, dans une distanciation brechtienne (à noter sa présence "orale" sur la bande magnétique qui défile sur le magnétophone tout au long du spectacle), et une leçon d'humanité, à l'exemple de Louise Michel qui a gagné son "exil".
"Für dieses weite und hilfsbereite Herz, trunken von Solidarität, ist die einzig atembare Luft die Menschenliebe"
"Pour ce coeur immense et généreux, ivre de solidarité, le seul air respirable est la bonté"
Jules Jouy über/à propos de Louise Michel
Ou la paroles des sud-américains qui disent:
"La nature était notre amie
La forêt notre maison".
Musica 2019 - Theater Basel - Luigi Nono - Al Gran Sole Carico d'Amore - Photo: Birgit Hupffeld |
C'est le message du révolutionnaire Nono, "l'Orphée de gauche" qui s'est engagé dans ce spectacle à rendre vivant une pensée de progrès, incarnée par ces personnages et relayée par ces paroles, du passé, du présent et du futur pour nous rendre sensible à l'engagement et à la générosité humaine, pour un futur meilleur.
C'est par ailleurs également l'intention de Sébastian Baumgarten, soutenu à la direction de l'orchestre par Jonathan Stockhammer de rendre actuel ce message, de l'inscrire dans une problématique de notre temps, non comme une nouvelle révolution mais comme une prise de conscience de notre responsabilité supragénérationelle étendue (erweiterte generationsübergreifenden Verantwortung) de notre être, pas seulement par rapport à l'autre mais par rapport aux animaux, aux plantes et à la matière, de penser en incluant les "marges" (Ränder) dans la durée.
Musica 2019 - Theater Basel - Luigi Nono - Al Gran Sole Carico d'Amore - Photo: Birgit Hupffeld |
La pièce à la fois très belle, mais également dangereuse, parce qu'elle ne nous laisse pas en paix (alors que, comme le dit Sébastian Baumgarten, nous vivons depuis plus de soixante-dix ans dans un monde en paix et que nous avons peur de changer), c'est donc avec raison que cette création suisse se justifie - qui n'est que la huitième production depuis la création à Milan en 1975.
Et comme le dit Rilke:
"Car le beau n'est rien d'autre que le commencement du terrible que nous supportons encore avec peine et nous l'admirons, parce qu'il possède suffisamment de flegme pour renoncer à nous détruire."
La Fleur du Dimanche
Al Gran Sole Carico d'Amore
A voir encore à Bâle au Theather Basel les 28 et 30 septembre et 12, 16 et 29 octobre 2019
Orchestre Symphonique de Bâle
Choeur du Theater Basel
Direction musicale Jonathan Stockhammer
Mise en scène Sebastian Baumgarten
Scénographie Janina Audick
Costumes Christina Schmitt
Vidéo Chris Kondek
Direction de chœur Michael Clark
Son Cornelius Bohn
Dramaturgie Pavel B. Jiracek
avec Sara HershkowitzCathrin LangeSarah BradyKristina StanekRainelle KrauseNoa FrenkelKarl-Heinz BrandtDomen KrizajAndrew MurphyAlin AncaAntoin Herrera-Lopez KesselPaull-Anthony KeightleyCarina Braunschmidt
MUSIKALISCHE LEITUNG Jonathan Stockhammer
INSZENIERUNG Sebastian Baumgarten
BÜHNE Janina Audick
KOSTÜME Christina Schmitt
CHOREOGRAFIE Beate Vollack
VIDEO Chris Kondek
LICHT Roland Edrich
CHOR Michael Clark
KLANGREGIE Cornelius Bohn
DRAMATURGIE Pavel B. Jiracek
Ensemble
SOPRANO 1 Sara Hershkowitz
SOPRANO 2 Cathrin Lange
SOPRANO 3 Sarah Brady
SOPRANO 4 Kristina Stanek
TANIA Rainelle Krause
CONTRALTO Noa Frenkel
TENORE Karl-Heinz Brandt
BARITONO Domen Križaj
BASSO 1 Andrew Murphy Alin Anca
BASSO 2 Antoin Herrera-Lopez Kessel Paull-Anthony Keightley
UFFICIALE Ingo Anders
SOLDATO Constantin Rupp
VOCE DI DONNA Carina Braunschmidt
Kammerchor des Theater Basel
Chor des Theater Basel
Statisterie des Theater Basel
Es spielt das Sinfonieorchester Basel.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire