Cette pièce 4.48 psychosis, long poème collage de dialogues, de monologues, de notations de prescriptions, de pensées cycliques, rythmées en saccade, en dialogue avec soi-même ou un(e) autre soi conte le désespoir, la dépression et la violence de ne pas se comprendre, de ne pas comprendre l'autre, tout en comprenant tout. Et non sans un humour noir au deuxième degré:
" - Non
- Non. Ce n'est pas ta faute
- Ce n'est pas ta faute, c'est tout ce que j'entends dire: ce n'est pas de ta faute, c'est une maladie, ce n'est pas ta faute, je sais que ce n'est pas de ma faute.
Vous l'avez dit si souvent que je commence à penser que c'est de ma faute.
- Ce n'est pas ta faute.
- JE SAIS"
Le titre parle de ce temps, de cette durée, une heure douze à partir du "top" où encore rien ne bouge, et où l'on n'est confronté qu'à soi-même dans sa propre solitude, jusuq'à ne plus la supporter, à ne plus se supporter, ni soi, ni les autres:
A 4.48
quand le désespoir fera sa visite
je me pendrai
au son du souffle de mon amour
Et la pièce nous met en face de ce "théâtre" de l'esprit divisé pendant ce moment crucial. Autour de Gwen - impressionnante Gweneth-Ann Rand, magnifique soprano qui interprète la figure centrale, personnage principal, qui soliloque en rond et en large, et Lucy - Lucy Schaufer incarnant le médecin avec qui elle dialogue, quatre autres voix féminines, toutes remarquables - Jen, Robin Allegra Parton - Suzy, Suzanna Hurrel - Clare, Samantha Price et Emily, Rachel Lloyd prennent en charge, assument les multiples identités de ce personnage qui est à la fois elle et pas elle, vivante et déjà morte, morte d'être encore vivante en attendant de mourir au bout de cette heure et quelque où nous allons à la fois avoir du plaisir et souffrir avec elle. Et à la fois vivre et mourir, se suicider et pas...
"I do not want to die
I have become so depressed by the fact of my mortality that I have decided to commit suicide I do not want to live."
"Je ne veux pas mourir
J'ai sombré dans une telle dépression du fait d’être mortelle que j’ai décidé de me suicider
je ne veux plus vivre"
"Je n'ai jamais eu de problème dans ma vie pour donner aux autres ce qu'ils veulent. Mais personne n'a jamais été capable d'en faire autant. Personne ne me touche, personne ne s'approche de moi. Mais vous vous m'avez touchée si profondément putain je n'arrive pas à le croire et je n'arrive pas à l'être autant. Parce que je n'arrive pas à vous trouver."
Cet ensemble de personnages fluctuants, dissolvant à tour de rôle les pensées, ou les chantant a capella comme un choeur antique ou avec l'orchestre (12 instrumentistes de l'Orchestre Philharmonique de Strasbourg dirigés de main de maître par Richard Baker), glissant dans l'espace clos et blanc dans une lumière changeante les transformant en fantômes ou en prédateurs, en pèlerins ou en combattants, nous envoûtent en nous faisant perdre nos repères. Le décalage est totalement efficace lors des quatre scènes où ce sont les percussions qui "disent" les mots projetés du dialogue (la création vidéo est de Pierre Martin) et l'on se prend à croire les entendre et se demander si nous ne sommes pas entré dans le rêve - ou le cauchemar - nous-même, et pour finir les entendre en partie - à moitié - avec la voix mitée de Lucy, avant de sombrer dans le silence.
L'on ne peut pas finir sans relever la rencontre - presque obligée - de Philip Venables avec le texte de Sarah Kane à la suite d'une résidence de création du Royal Opera et de la Guilhdal School of Music & Drama - et se féliciter de la richesse du résultat, d'une évidence lumineuse, tant au niveau du traitement de la voix (parlée, chantée, enregistré, filtrée, naturelle, amplifiée) que du son, de l'orchestre aux créations sonores multiples et variées (la création sonore de Sound Intermedia et Simon Hendry), et du travail sur le corps et le mouvement. Avec la mise en scène de Ted Huffman et les effets de lumière millimétrés de D.M. Wood.
Comme le dit Sarah Kane: "Il y a bien plus important que le contenu de la pièce, c'est la forme. Tout art de qualité est subversif, dans sa forme ou dans son contenu. Et l'art le plus grand est subversif dans sa forme et dans son contenu. Et souvent, la forme est l'élément qui fait le plus injure à ceux qui veulent imposer la censure."
En tout cas pour ce spectacle, c'est à plus d'une heure de voyage dans les insterstices de la pensée auxquel les interprètes, musiciens et chanteuses, nous convient en nous subjugant par tous les sens.
En tout cas pour ce spectacle, c'est à plus d'une heure de voyage dans les insterstices de la pensée auxquel les interprètes, musiciens et chanteuses, nous convient en nous subjugant par tous les sens.
Il ne nous reste plus qu'à remercier l'Opéra National du Rhin* d'avoir accueilli dans le cadre du Festival Musica cette pièce, créée en 2016 et qui a été reprise l'année dernière.
La Fleur du Dimanche
*l'Opéra National du Rhin a été élu "Opéra de l'Année 2019" par le jury du magazine OPERNWELT - l'annonce a été faite le soir de la première française de l'Opéra 4.48 psychosis de Philippe Venables d'après le livret de Sarah Kane.
4.48 psychosis
A l'Opéra National du Rhin le 18, 20, 21, 22 septembre à Strasbourg
Production du Royal Opera House, Covent Garden, Londres
Dans le cadre du festival Musica
Distribution
Direction musicale: Richard Baker
Mise en scène: Ted Huffman
Responsable de la reprise: Elayce Ismail
Décors, costumes: Hannah Clark
Lumières: D.M. Wood
Vidéo: Pierre Martin
Son: Sound Intermedia
Mouvements: RC-Annie
Les Artistes
Gwen: Gweneth-Ann Rand
Jen: Robyn Allegra Parton
Suzy: Susanna Hurell
Clare: Samantha Price
Emily: Rachael Lloyd:
Lucy: Lucy Schaufer
Orchestre philharmonique de Strasbourg
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