mardi 4 novembre 2025

Barber Shop Chronicles au TNS: Le miroir du coiffeur comme image de soi et du monde

 Il y a une sacrée agitation dans la salle Bernard-Marie Koltès et surtout sur la scène du TNS le soir de la première de la pièce Barber Shop Chronicles produite par le Théâtre de Liège avec, entre autres le TNS de Strasbourg. Le plateau est en quelque sorte désacralisé et réseausociabilisé. En pratique, une partie du public, essentiellement jeune, se presse pour des selfies avec la "troupe" en situation chez le coiffeur que l'on imagine alimenter les réseaux. Et l'on se donne à coeur joie dans cette cérémonie pré-spectacle. Jusqu'à ce qu'un comédien nous annonce que nous devons "étreindre n(v)os téléphones portables ou les mettre en mode "avion" ou "sous-marin" sous peine d'une coupe-à-zéro immédiate". Mais cela ne plombe pas l'ambiance et la joie reste présente dans ce salon, lieu d'échange et de convivialité.




 Effectivement, il est quelquefois affirmé qu'un passage chez le coiffeur équivaut à une séance chez le psychologue ou le psychanalyste. Ici, et pendant plus de deux heures, mais qui passent à toute vitesse, grâce à un récit qui jongle entre les destins croisés à la manière des contes des mille et une nuits, nous suivons les histoires individuelles de quelques personnages, entremêlés à la destinée de leur pays d'origine en Afrique (République démocratique du Congo, Burkina Faso, Cameroun, Sénégal, Côte d'Ivoire) via des plongées dans les salons de coiffure de leurs capitales (Kinshasa, Ouagadougou, Douala, Dakar, Abidjan), et également Bruxelles, point de chute des émigrés de ces pays qui se retrouvent dans un salon de coiffure (de Molenbeek ?). Le tout est ponctué par un match de finale de la Ligue des Champions PSG - Barcelonne où apparemment le PSG a gagné et parmi le public, un seul (pays?) était pour l'Espagne... 




Autre ponctuations, des interludes pour annoncer l'heure et le lieu du déroulement de l'action (qui se déroule sur une seule journée à partir de six heures du matin - avec un réveil précoce du coiffeur) qui se fait dans le coin des musiciens Priscilla Adade (voix - et qui joue Fiston, la fille de Keeba) et BATGAME (Basse et claviers) qui animent bien la soirée par quelques chansons également et des chorégraphies enlevées, magnifiquement boostées par le Bourkinabé de Belgique Serge Aimé Coulibali. L'histoire principale autour de laquelle se tressent les échappées au pays suit des chemins tortueux d'amitié, de fraternité, d'honnêteté et de fidélité avec quelques beaux personnages dont on découvre la richesse et la complexité au fur et à mesure, avec comme axe central le patron Keeba (discret mais efficace Hippolyte Bohouo), le fils de son ami et ancien associé Assane (Salif Cissé magnifique de présence - nous l'avions déjà apprécié dans Je suis venu te chercher de Claire Lasne Darcueil). 




Tous les comédiens sont formidables et bougent incroyablement avec une expressivité très gestuelle, assurant d'ailleurs plusieurs rôles, en particuliers Yoli Fuller (espiègle et facétieux), Junior Akwety, Souleymane Sylla (très convaincant dans son personnage "détruit" en RDC), José Mavà, Martin Chishimba, Aristote Luyindula et Clyde Yeguete. C'est ici qu'on comprend, au travers des discussions, les destinées individuelles de ces personnages. On découvre et on comprend les habitudes, les mentalités et les traditions, comment elles s'adaptent et se transforment, comment les idées changent et s'échangent, comment on relit le passé, le sien celui de sa famille mais aussi en relation avec le pays d'où l'on vient. 




Et comment on "s'arrange" également avec la situation politique de ces pays colonisés qui n'ont pas fini de l'être, qui s'en sortent plus ou moins bien. Et, en filigrane on a droit à un petit rappel d'histoire différencié qui nous concerne aussi, autant pour l'histoire passée (coloniale) que pour le présent qui en découle (décolonisation et fausse décolonisation, luttes de pouvoirs et de territoires, dictatures et forces d'opposition politiques ou religieuses...).




Mais c'est aussi une leçon de vie, de l'être ensemble, de l'émancipation (racisme, colonisation ou féminisme) non pas militant et revendicatif, mais pensé et pesé dans des prises de conscience individuelles, amicales et de proximité. Mieux qu'une psychanalyse, un bon bain de bien-être et de soins (care) qui nous chatouille notre conscience et masse notre esprit tout en massant notre corps par les rires qu'ils provoquent en nous. Une petite cure à se prescrire pour une soirée agréable et réussie.


La Fleur du Dimanche