mardi 18 novembre 2025

Boat People de Marine Bachelot Nguyen au TNS - La quête des origines ou Soulever la chape du silence

 Marine Bachelot Nguyen est une autrice metteuse en scène franco-vietnamienne qui, dans ses précédentes pièces s'est déjà penchée sur l'histoire du Viêtnam. Elle s'intéresse avec la pièce Boat People, présentée au TNS, à cette période qui marque la fin de la guerre du Viêtnam en 1975. Elle-même a eu ses grands-parents qui ont fui le pays après 1954 à la fin de la guerre d'Indochine. 


TNS - Boat People - Marine Bachelot Nguyen - Photo: Caroline Ablain


La pièce est construite comme un long travelling avant dans l'âme des personnes qui ont vécu cet exode et cette émigration. Pour commencer, en toile de fond une vaste mer dont on entend le bruit des vagues sert de décor symbolique à quelques "témoignages" vivants d'exilés dans un dispositif original. Successivement, plusieurs personnes font un récit brut, un casque sur les oreilles, parlant français avec leur accent (entre autres un Vietnamien et une Laotienne). On constatera par la suite que ce sont des comédiens, français, mais issus de ces pays. Et ils vont par la suite incarner une famille qui s'appuie sur ces caractéristique. Ces témoignages, réalisés en 2024, ont servi à poser les bases du récit qui va suivre. La pièce continue à développer le contexte et pose des éléments d'actualité, dont des extraits d'informations télévisées d'époque et les discours, attitudes et réactions de personnalités du monde politique (Sartre, Raymond Aron, Valéry Giscard d'Estaing,..). Sur l'écran de fond de scène arrivent aussi de temps en temps des citations et proverbes caractéristiques de l'âme du pays.


TNS - Boat People - Marine Bachelot Nguyen - Photo: Caroline Ablain


Puis nous basculons dans un intérieur, le salon d'une famille en France profonde. Une couple, Cathy et Michel et leur fils Christian, famille engagée qui accepte d'accueillir et de loger un enfant vietnamien. Cet enfant ne vient pas seul mais avec ses deux parents et c'est l'occasion de d'observer les conséquences de cet engagement et la confrontation de deux statuts et deux cultures dans un presque huis-clos où les échappées viennent de la télévision qui souligne aussi les différences entre ces deux familles. Le lien le plus direct sera, à ce moment-là construit par la figure des deux enfants, avec cette complicité dans les jeux et la naissance d'une amitié, sinon plus. Cette partie de la pièce, plus fictionnelle, permettra de rendre compte au plus sensible d'un certain nombre de situations et d'attitudes que peuvent engendrer le choc des cultures et les conditions matérielles de l'accueil de réfugiés. Il faut rappeler (et la pièce le révèle) que plus de 130.000 réfugiés ont été accueillis en France dans plus de 69 Centres provisoires d'hébergement (CPH) disséminés dans un quarantaine de départements, dont certains dans des familles. 


TNS - Boat People - Marine Bachelot Nguyen - Photo: Caroline Ablain


Marine Bachelot Nguyen brosse ainsi un portrait pittoresque et bien observé d'une famille d'anciens communistes, lui devenu courtier en assurances et elle encore catholique, avec en face un couple mixte (vietnamien-laotien), bouddhistes diplômés avec une petite fille et un secret. L'opportunité de poser quelques touches féministes (déjà), de révéler les préjugés et les résistances, mais aussi de prouver les chemins que l'on peut faire ensemble, et l'ouverture à l'autre possible, bien qu'elle ne soit pas évidente. On y découvre aussi la loi du silence et le besoin d'éclaircissement, la recherche de la vérité et la peur d'être trompé, en particulier avec le personnage du fils (adoptif, lui aussi, enfant du Biafra, autre point chaud à cette époque). 


TNS - Boat People - Marine Bachelot Nguyen - Photo: Caroline Ablain


Les épisodes où le monde extérieur arrive dans ce microcosme via la télévision sont aussi des moments de mise en lumière de certains procédés, que ce soit l'élection de François Mitterrand et son effet sur les Vietnamiens ou les reportages sur les camps de Pulau Bitong, cette horreur équivalente à Auschwitz avec ses plus de 250.000 réfugiés qui est l'occasion d'une dérisoire mise en scène d'action humanitaire - que ce soit sur le terrain ou en France (même si elle a été utile, mais si infime, et justifiant la bonne conscience occidentale). L'annonce de la mort de Joe Dassin sur une autre île (Papeete) en est un amer contrepoint. Sont pointés également la mauvaise foi des décideurs qui favorisent cette immigration, prenant le relais de la précédente (d'Afrique du Nord), avec une population à priori malléable et sous-qualifiée et pour laquelle on ouvre les vannes de la naturalisation. Cette partie de "représentation" arrive à nous dévoiler tout cela sans en avoir l'air et également à nous interroger, tout en nous attacher à ces deux familles. Un bel exemple de rapprochement est la partie chorégraphiée, où les délicats gestes des main de la danse traditionnelle du pays se fondent et se mélangent avec les figures de danse occidentale.


TNS - Boat People - Marine Bachelot Nguyen - Photo: Caroline Ablain


Un pré-épilogue qui nous projette dans les temps présents - avec un parallèle avec la situation des migrants d'aujourd'hui - va nous faire sentir que les conséquences de ces situations et le vécu des protagonistes est lourd à porter et que les retrouvailles entre les amis d'hier peuvent avoir une issue amère. Mais, pour finir, la représentation prend de la hauteur et change de style. Nous partons dans le symbolique et d'une certaine manière vers le conte, le symbolique avec une très réussie animation en direct où, sur la table familiale qui se transforme en studio d'animation, voguent sur les flots bleus les bateaux qui traversent les années tandis que résonne la chanson nostalgique et symbolique à souhait que chantaient les réfugiés de l'ile de Pulau Bitong pour survivre et essayer de se sauver. Fondu au noir pour clore le voyage et nous laisser nous remémorer ces témoignages. 


TNS - Boat People - Marine Bachelot Nguyen - Photo: Caroline Ablain 


Saluons le formidable travail des comédiens et comédiennes, capable de changer de rôle, d'âge et d'identité et de porter cette histoire que nous a écrit et mis en forme Marine Bachelot Nguyen, une révélation qui nous a fait vivre un grand moment d'émotion et de prise de conscience.


La Fleur du Dimanche 


Boat People


Au TNS du 18 au 28 novembre 2025

[Texte et mise en scène] Marine Bachelot Nguyen

[Avec] Clément Bigot, Charline Grand, Arnold Mensah, Paul Nguyen, Dorothée Saysombat, Angélica Kiyomi Tisseyre-Sékiné

[Assistanat à la mise en scène] Linh Tham
[Scénographie] Kim Lan Nguyen Thi
[Vidéo et régie générale ] Julie Pareau
[Lumière] Alice Gill -Kahn
[Écriture marionnettique] Dorothée Saysombat
[Son] Yohann Gabillard
[Costumes] Laure Fonvieille
[Production] Gabrielle Jarrier
[Administration] Marie Ruillé-Lesauvage

Diffusion En votre compagnie
Presse Maison Message

Production Lumière d’août
Coproduction Le Quartz – Scène nationale de Brest / Mixt – Terrain d’arts en Loire-Atlantique (Nantes) / Théâtre du Nord - CDN Lille Tourcoing Hauts-de / Théâtre de Choisy-le-Roi - Scène Conventionnée d’intérêt national art et création pour la diversité linguistique / Théâtre de Lorient – Centre Dramatique National / Théâtre National de Strasbourg / Scène Nationale de l’Essonne / La Passerelle, Scène Nationale de Saint-Brieuc / Théâtre National de Bretagne, Centre Dramatique National (Rennes)

Autres partenaires Textes en l’air (Saint-Antoine l’Abbaye)

Avec le soutien du Dispositif d’Insertion de l’ÉCOLE DU NORD, financé par le Ministère de la Culture et la Région Hauts-de-France

La compagnie Lumière d’août est conventionnée par le Ministère de la culture Bretagne, et subventionnée par le Conseil Régional de Bretagne, le Département d’Ille, la Ville de Rennes.

Création 7 octobre 2025 au Théâtre du Nord, Lille / Tourcoing

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