Le double se cultive quelquefois très bien et, en ce qui concerne le duo Pauline Leurent et Logan Person, leur duo en tant qu'artistes associés au TAPS - Théâtre Actuel et Public Strasbourg a débouché sur la commande, sous la bénédiction d'Olivier Chapelet, directeur du TAPS, de deux textes à deux autrices, Fermer le Livre de Mélie Néel et Sous la route de Catherine Monin. Ces textes ont été créés en diptyque dans une mise en scène d'Olivier Chapelet au TAPS Scala en janvier 2025. Suite au succès rencontré, les pièces sont reprises pendant quatre jours du 4 au 7 novembre 2025 au TAPS Laiterie dans une soirée Cortex / Diptyque, l'occasion de les découvrir dans une nouvelle configuration.
![]() |
| TAPS - Cortex/Diptyque - Fermer le livre - Phot: Benoit Linder |
Le dispositif bifrontal dans lequel les deux pièces sont présentées convient tout à fait aux sujets de ces deux pièces qui parlent de l'intime et permettent une proximité et une implication forte du public. Dans la deuxième pièce nous plongeons même dans le cerveau du personnage. Et pour commencer, la surprise du décor - si l'on peut parler de décor - est totale. Cela pourrait être Une accumulation d'Arman remise à plat et "soignée" par Eric Dietman à qui l'on aurait donné non du sparadrap rose mais noir. Nous avons donc soigneusement étalés sur tout le tapis de scène noir des objets domestiques: poêles, douche, casseroles, couvercles, rape, chaise, casque de vélo et audio, frigo..., ce dernier bord par un sac poubelle dont débordent des papiers et emballages alimentaires, dont des pots de crème vanille qui seront avalés fébrilement durant la pièce. Celle-ci Fermer le livre de Mélie Néel s'ouvre par la lecture d'une certaine Lucile qui se fait appeler L.C. (interprétée par Pauline Leurent) d'un "journal intime" d'un certain Michel Stoboli (?) dont les notes successives, qui commencent en janvier et s'achèvent par les dernières réflexions de l'auteur vont le faire apparaître sur scène (incarné par Logan Person) partageant l'énonciation de c(s)es mémoires. Connaissant le passé d'organisation au TAPS de l'organisation et de la coordination des Actuelles, nous nous attendons à une séquence de lecture, mais nous sommes très rapidement rassurés quand, se détachant du texte et du livre Logan Person et surtout Pauline Leurent incarnent leurs personnages mais en plus le jouent avec finesse et en imitent d'autres.
![]() |
| TAPS - Cortex/Diptyque - Fermer le livre - Phot: Benoit Linder |
Surtout le personnage féminin que Pauline Leurent campe dans toute les variations de ses états d'âme de personne sensée être dépressive et suicidaire, "folle", comme elle se fait appeler, autant dans ses moments dépressifs, expansifs, tristes, exubérants, touchants, tristes, boulimiques, courageux, violents, cinglants ou atones. Ainsi, tout en "rangeant la maison", ce qui se traduit par déplacer les objets au sol et libérer un chemin parmi ces éléments du passé pour pouvoir vendre la maison de sa mère, elle va également faire cette sorte de "ménage" dans son propre passé et s'interroger sur son "héritage" psychologique aussi pour débroussailler ses pensées, et nettoyer ses craintes, angoisses et barrières pour surmonter ses fantômes personnels et familiaux et ne plus avoir besoin de la béquille d'un référent artistique et littéraire - fermer la porte et aller sur son propre chemin dans une pluie de feuilles. Le texte de Mélie Néel est superbe, sensible, délicat, mais peut aussi basculer dans une vision caustique ou critique, même comique et les deux comédiens jouent très bien avec ces différents niveaux en impliquant même le public. Je profite de cette pause, faux entracte pour citer le superbe travail musical et de création sonore d'Olivier Touratier (sauf pour la musique de l'entracte - je plaisante).
![]() |
| TAPS - Cortex/Diptyque - Sous la route - Phot: Benoit Linder |
Pour la deuxième pièce de ce diptyque, Sous la route, de Catherine Monin, le ton et le style sont totalement différents, le traitement de mise en scène et de costumes sont à l'avenant. Le personnage masculin, celui qui dans le bus 54 commence à avoir la "tête trop lourde" et finit par s'endormir et passer "sous la route" pour explorer les circonvolutions de son cerveau devient presqu'un jeune garçon en culotes courtes et son "double" et "guide" s'incarne dans une silhouette d'oiseau curieux et multicolore, le visage peinturluré et les cheveux jaunes hirsutes. Le texte, et donc le vocabulaire des deux personnages, navigue entre une sorte de cadavre exquis semé des mots savants dans une syntaxe décalée, chaotique. Nous naviguons sans trop savoir dans un bain surréaliste qui pourrait aussi être de l'ordre du délire (verbal,et psychique) ou de troubles dys lorgnant du côté d'Asperger. L'importance du jeu, que ce soit le côté ludique de l'exploration de l'espace, incluant l'espace des spectateurs ou le plaisir des mots (savants ou le collage aléatoire de leur énonciation) rend la mise en scène plus démonstrative et appuyées et l'équipe a trouvé ici un bon équilibre pour ne pas nous perdre dans les synapses et les circonvolutions de ce cerveau bien allumé, voire éclaté. Et le passage à travers ce "cimetière de mots" au sens propre comme au figuré (les feuilles de la fin de la première partie encore au sol) arrive quand même, heureusement à nous "faire sortir" définitivement, même si c'est un peu "sonnés". Les jeux de mots n'étant pas toujours innocents. Mais dans ce "grand écart" dans ce cortex vu en double, comme le disait je ne sais plus qui: "Chaque idée qui traverse le cortex laisse une étincelle : certaines s’éteignent, d’autres deviennent des révolutions."
Mais qu'importe la révolution, en l'attendant, allez voir ces deux spectacles qui vont vous réconcilier avec la folie et vous ôter votre dépression.
La Fleur du Dimanche
Au TAPS Laiterie du 4 au 7 novembre 2015
Textes Fermer le livre de Mélie Néel / Sous la route de Catherine Monin
Mise en scène Olivier Chapelet
Avec Pauline Leurent et Logan Person
Assistanat mise en scène Malo Brielles
Production Artenréel



Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire