La première partie de la trilogie Cadela Força de Carolina Bianchi La Mariée et Bonne nuit Cendrillon - Chapitre 1 a été présentée au Maillon en janvier 2024 après avoir été créé au Festival d'Avignon en 2023. Elle y présentait sa propre histoire relative à un viol suite à la prise de la "drogue du violeur". Son l'approche se faisait par le biais l'histoire de l'art et de la littérature Et elle partageait avec les spectateurs la vraie expérience vécue sur scène de la prise de cette drogue. Même introduite avec précaution, l'expérience était violente et le sujet brûlant. Et la "performance" interrogeait l'acte "théâtral". Pour ce deuxième chapitre que l'on peut qualifier de suite, The Brotherhood, l'approche est aussi mesurée et l'on peut dire qu'elle creuse et élargit le sujet. Et surtout elle partage avec nous les conséquences, les suites, les séquelles, physiques et psychiques de cet évènement.
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| Carolina Bianchi - Cadela Força Trilogy - Chapter II The Brotherhood - Photo: Mayra Azzi |
Pour y arriver, un cheminement conséquent est nécessaire, le travail qu'elle-même a fourni est énorme. Pas moins de 500 pages d'études, de réflexions, de recherches autour de cette thématique du viol, du rapt, de la violence envers les femmes lui ont permis de poser les choses et de construire son spectacle.
Cela commence par l'art et la mythologie, le léger voile, rideau représentant le tableau de Rubens L'enlèvement de Proserpine - le rapt, (qui en anglais a donné rape - viol) tombe. On dévoile le mythe de Perséphone - Proserpine (enlevée - et mariée - par son oncle Pluton, dieu des enfers et recherchée par sa mère Cérès ou Demeter) qui est est à l'origine du rythme des saisons. Suit Dante et une citation du Purgatoire puis plusieurs Prologues qui interrogent la violence masculine, les références théâtrales, dont Shakespeare, Kantor et La Mouette de Tchekov avec cette terrible phrase de Nina "Si un jour tu as besoin de ma vie, viens et prends là". Il est question de violence et de vengeance avec cette réflexion "Nous devenons ceux que nous combattons".
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| Carolina Bianchi - Cadela Força Trilogy - Chapter II The Brotherhood - Photo: Mayra Azzi |
La première partie démarre vraiment avec l'interview du célèbre metteur en scène Klaus Haas qui surgit du public et que Carolina Bianchi interroge sur son parcours, ses motivations, ses choix artistiques et ses relations avec les acteurs et les actrices. Ce jeu, presque dangereux, apporte une certaine tension, entre sensualité, érotisme, jeu de domination et de pouvoir et réserve quelques surprises. La confrontation entre ces deux personnages met à jour une attitude et un discours dominant très finement déconstruit dans le déroulé de l'échange. Elle révèle aussi la prédominance masculine dans le monde du théâtre et de la culture
Une deuxième partie The Brotherhood avec son collectif Cara de Cavalo amène les sept comédiens performeurs dans une succession de séquences à dessiner par touches multiples dans des tableaux variés la "fraternité" et la solidarité des hommes, leur position de pouvoir et de puissance dominatrice, excluant la parole des femmes. La situation est ambiguë, à la fois faussement inclusive et jouant également sur l'opposition fascination/rejet, balançant entre pouvoir et conflit. Jouant sur l'incertitude, illustrée par la chanson Let the boy cry.
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| Carolina Bianchi - Cadela Força Trilogy - Chapter II The Brotherhood - Photo: Mayra Azzi |
La troisième partie, avec les sept hommes alignés à une grande table qui nous lisent des extraits des 500 pages des notes très documentées de Carolina Bianchi va nous faire faire un parcours très instructif de l'histoire, de l'histoire de la littérature et de l'histoire de l'art, relatif à la violence faite aux femmes, avec des exemples précis, partant du viol de Lucrèce à #metoo de la domination masculine et de la violence sexuelle et sexiste dans le monde à travers les siècles. Ils nous éclairent autant sur Gunther Brus et les activistes viennois que sur le gang des Bukkake, sur la vie, l'oeuvre très engagée et la mort d'Ana Mendieta, l'épouse de Carl André ou encore Roman Polanski, Jan Fabre et Gisèle Pélicot. D'autres pages décrivent l'état d'esprit et les réflexions artistiques de Carolina Bianchi ou encore des recherches sociologiques et scientifiques sur le viol, la violence et le suicide. Une party festive sur une sound machine Dirty Pathos continue de cultiver la position ambivalente entre séduction, plaisir, vengeance et regrets nous emmène aux tréfonds de la nuit, des rêves et des cauchemars puis à une certaine rédemption ou acceptation via un passage plus doux avec des chansons dont Birds on the Wire et Sweet Dreams. Carolina Bianchi se rappelle - et nous montre - son penchant pour les armes, épées, et armures dans ses premières oeuvres et l'influence de Jan Fabre. Et elle conclut - mais est-ce une conclusion? - en réactivant la violence subie de Lavinia dans Titus Andronicus avant d'essayer de se réconcilier avec le personnage de Heathcliff dans une fantomatique Catherine sortie des Hauts de Hurlevent.
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| Carolina Bianchi - Cadela Força Trilogy - Chapter II The Brotherhood - Photo: Mayra Azzi |
Elle nous laisse ainsi avec cet antagonisme, le balancement constant entre vengeance et pardon, horreur, dégoût et attraction envers ce qu'elle a subi, la laissant comme morte, âme errante, a essayer de trouver sa place, ici devant nous, sur le plateau de théâtre, mais aussi sûrement dans la vie. Et elle nous offre à notre réflexion ce noeud gordien que ni elle ni nous n'arrivons à résoudre, mais qui, comme elle l'avait annoncé au début en citant Lacan et sa "tuché", cet essai de rencontrer le réel pour en sortir mais nous fait "tourner autour" sans pouvoir la nommer. Avec cette pièce The Brotherhood elle nous fait à la fois vivre cette divergence et en démontrer la complexité, par la démonstration et la réflexion. Une expérience immersive dans les tréfonds de l'âme humaine et sa complexité qu'elle nous fait appréhender et expérimenter avec les moyens d'un théâtre d'aujourd'hui, comme un coup de poing dans le sternum, si ce n'est un peu plus bas.
La Fleur du Dimanche




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