Le mariage et la mort sont souvent liés dans l'imaginaire dans les étapes d'une vie, plus qu'on le croit. Cela apparait dans les contes, les récits et se diffuse dans nos structures mentales. La coercition et la violence que le mariage et ses conséquences, réelles ou fantasmées engendrent sont des sujets dont on ne parle pas ou peu. J'ai vu récemment dans une mairie, une carte des féminicides où, à l'image des température, la carte de France affiche, non pas les degrés, mais le nombre de femmes assassinées par leur mari en les situant géographiquement. La violence des hommes sur les femmes est un sujet dont on ne parle pas ou si peu. Mais comment en parler ?
Dans son spectacle La Mariée et Bonne nuit Cendrillon, le Chapitre 1 de la Trilogie Cadela Força (Force salope) de Carolina Bianchi et son collectif Cara de Cavalo présenté au Maillon, l'approche se fait via l'histoire de l'art et la littérature mais aussi grâce à une vraie expérience vécue et partagée par les spectateurs. Même si cette expérience est introduite avec précaution, l'expérience est violente et le sujet brûlant. Et la "performance" interroge, même la principale protagoniste elle-même. Et la question des limites et de ce que l'on peut montrer - ou faire - lors d'un spectacle est une question à laquelle on n'échappe pas. Ce spectacle fait toucher du doigt la limite que souvent l'homme se permet d'outrepasser - totalement dans l'illégalité. Alors que cette limite là est trop souvent acceptée.
Après un texte de Dante, dans L'Enfer, qui nous parle de "forêt profonde" et de "chemin perdu", la dramaturge brésilienne Carolina Bianchi, toute de blanc vêtue nous présente une série de quatre tableaux de Botticelli selon l'histoire de Nastagio degli Onesti, où un prince est obligé de toujours poursuivre avec ses chiens dans la forêt son aimé qui s'est refusée à lui et de la tuer tandis qu'elle ressuscite après s'être fait éviscérer. Puis Carolina Bianchi s'installe à une table de conférence avec une très grosse pile de feuilles qu'elle commence à lire après avoir préparé son "cocktail du violeur" pour lequel on la voit discrètement écraser un comprimé qu'elle met dans le verre où les glaçons se mettent à clignoter en couleur.
Cadela Força - La Mariée et Bonne nuit Cendrillon - CAROLINA BIANCHI - Photo: Christophe Raynaud de Lage |
Suit, avec photos à l'appui, une présentation parallèle, d'une part d'énumération de meurtres de femmes et d'autre part, le pendant, avec la présentations des artistes qui dans l'histoire de l'art et de la performance se sont mises en danger ou ont porté atteinte à leur corps (Gina Pane, Marina Abarmovic et bien d'autres). En notant bien que, pour les femmes artistes, cette mise en danger est beaucoup plus courageuse que pour les hommes - à priori elle ne peuvent le faire que dans un endroit prévu pour cela, à savoir une galerie ou un espace d'art. Et cela nous mène à Pippa Bacca, autre artiste performeuse qui s'est fait assassiner lors d'une performance où elle allait de Rome à Jérusalem habillée en mariée, avec Silvia Moro. Elles venaient de se séparer sur la route en Turquie, quand un homme l'a violée et assassinée (juste après un mariage qui a eu lieu dans sa famille). Carolina Bianchi nous fait revivre d'une certaine manière ce récit, en l'entrecoupant par des réflexions sur le spectacle lui-même et ses enjeux (vais-je survivre? que vais-je oublier? quelles sont les limites du théâtre?). Nous nous trouvons à la fois en position d'observateur de ce qui lui arrive dans la réalité et face à cette mise en abime des situations de risques qui peuvent arriver à toutes les femmes. Essentiellement du fait de cette culture où l'homme pour affirmer son pouvoir, dispose du corps de la femme jusqu'à la mort. Surtout encore dans certains pays: un exemple révoltant est celui du gardien de but brésilien Bruno Fernandes de Souza qui a fait tuer son amante puis a donné son corps à ses chiens et qui après n'avoir purgé que le tiers de sa peine, a été accueilli à sa sortie de prison par des fans en délire. Et depuis il joue à nouveau dans une équipe de foot.
Nous assistons en direct aux effets de la drogue et cette situation nous met dans un drôle d'état. Nous voyons Carolina Bianchi perdre la maîtrise de son corps et se coucher sur la table avant de sombrer dans le sommeil.
Cadela Força - La Mariée et Bonne nuit Cendrillon - CAROLINA BIANCHI - Photo: Christophe Raynaud de Lage |
Puis nous passons dans la deuxième partie de la pièce où le rideau sur lequel étaient projetées les images est ôté, le large plateau est recouvert de revêtement noir et parsemé des quelques ilots de sable qui se révèleront contenir des traces de corps, d'os ou de chevelures (féminines) et au fond de la scène, une voiture noire dont la plaque d'immatriculation affiche "FUCK CATHARSIS". Après cette mise en place, les performeurs habillé(e)s de noir s'arrosent d'alcool tandis qu'un texte annonce "Quelque chose ma parait moins sûr qu'avant". Il est question de l'indescriptible, de l'impensable et du silence de ce qui ne peut être dit. A nous d'imaginer la suite et les danseurs et les danseuses de la troupe nous mettent dans une ambiance de fête. La musique et les lumières en font un moment festif nocturne, tandis que Carolina Bianchi est prise en charge par deux femme puis mise en situation sur un matelas à ras du sol (comme une des performance réalisée par une autre artiste précédemment). Cette plongée de la nuit alterne des moments dansés, des scènes plus intimes. Des poèmes projetés sur un écran - un superbe poème de Carlos Drummond de Andrade - la suite des violences faites aux femmes, en particulier dans le livre 2666 de Roberto Bolano, la mort d'Ana Mendieta ou des discussion dans la voiture (avec des blagues une peu obscures) nous amènent à un passage dans les entrailles (le coffre comme un utérus) de la voiture. Puis cette voiture, poussée sur le devant de la scène sert de "plateau" à la fois de tournage et d'opération pour une simulation symbolique de viol (sans violence, mais nous pouvons nous projeter...). Et l'on assiste au difficile "réveil" qui nous laisse un goût amer dans la bouche (celui de la "drogue du violeur). L'amertume semble aussi prendre possession de la principale protagoniste et de celui qui lui prodigue de la tendresse. Cette catharsis semble n'avoir servi à rien (à vous de prouver le contraire), la mémoire se brouille, l'amour n'existe pas il n'y a que la tendresse qui sauve, mais à la fin "la tempête de merde commence." Et nous y sommes pris, silencieux.
La Fleur du Dimanche
La Mariée et Bonne nuit Cendrillon
Au Maillon à Strasbourg du 31 janvier au 2 février 2024
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