jeudi 18 janvier 2024

Sérénades au Ballet du Rhin: La ballade de Balanchine en noir et en Paradoxe

 L'ombre de Balanchine plane sur la soirée Sérénades du Ballet de l'Opéra National du Rhin. Non seulement c'est à lui que l'on doit la célébrité de cette pièce chorégraphique qu'il a créée en 1934, Mais tous les chorégraphes de la soirée ont soit été imprégné de son enseignement et de ses chorégraphies, ou même ont dansés cette pièce. Pour Gil Harush, c'est d'ailleurs cette pièce qui lui a fait choisir le chemin de la danse en 2006 à Tel Aviv à la Thelma Yellin School. Et Bruno Bouché, du temps où il était danseur au Ballet de l'Opéra de Paris a interprété de nombreuses création de Balanchine.


Muse Paradox - Brett Fukuda - Ballet de l'ONR - Photo: Agathe Poupeney


C'est donc cette inspiration, quoique distanciée et revisitée qui sous-tend la soirée. D'abord avec la création de Brett Fukuda que l'on connait comme magnifique danseuse mais aussi pour les belles chorégraphies qu'elle nous avait déjà offertes en 2019 (dans une Sérénade de Mozart) et en 2023 (avec Schubert). Cette fois-ci, c'est l'Apollon musagète de Stravinski qu'elle nous propose. Cette partition, commandée à Stravinski  à Washington en 2028 est chorégraphié par Balanchine avec les Ballets Russes à Paris en le 12 juin 2028, seize ans avant Sérénade. Elle raconte l'histoire d'Appolon et de trois muses Calliope, muse de la poésie, Polymnie, muse de la rhétorique et Terpsichore, muse de la danse. Dans sa chorégraphie Muse Parado , Brett Fukuda pose un regard féministe et renverse les rôles. Le personnage d'Appolon, admiré dès l'ouverture du rideau dans son attitude pensive sera un femme et les trois muses assises au sol seront des danseurs. Et tout du long de cette belle épure de ballet, les figures balanceront entre masculin et féminin dans un beau partage de féminité et de douceur, soutenu par une musique inventive interprétée par l'Orchestre Symphonique de Mulhouse dirigé par Thomas Rösner dont c'est le premier contact avec l'Orchestre et le Ballet. Le décor est sobre et clair, les éclairages discrets, quelquefois nimbés de mystères et les costumes blancs ou gris, délicats et aériens mettent en valeur les corps des interprètes.


Sérénade - Gil Harush - Ballet de l'ONR - Photo: Agathe Poupeney

L'idée de Bruno Bouché pour cette soirée était de proposer une longue soirée (deux heures, entracte compris) autour d'un formation à cordes, lien de la soirée. Ce cordes font l'objet d'un défi de la part de Gil Harush, le chorégraphe de la deuxième pièce de la soirée, la Sérénade proprement dite, celle de Tchaïkovski. Elles quadrillent littéralement, tombant des cintres et entravant les dix-sept danseuses et danseurs, comme s'il pleuvait des cordes. Il faut rappeler que dans un théâtre théâtre, par superstition, le mot "corde" n'est pas autorisé - on dit "guinde" ou "fil". Et c'est vrai que la chorégraphie et les costumes  - noirs - et les lumières - qui plongent le plateau dans un clair-obscur funèbre. Les aspects romantiques de la musique de Tchaïkosvki sont mis en avant, dans cette pièce où l'amour, la passion, la douleur sont multipliés par six car ce sont littéralement six couples de danseurs qui occupent entièrement la grande scène de l'opéra, chantant la douleur et la mort, comme le poème de Verlaine qui a introduit la pièce : 

Comme la voix d'un mort qui chanterait
Du fond de sa fosse,
Maitresse, entends monter vers ton retrait
Ma voix aigre et fausse.
Ouvre ton âme et ton oreille au son
De ma mandoline:
Pour toi, j'ai fait, pour toi, cette chanson
Cruelle et câline.

Sérénades - Ballet de l'ONR - Photo: Agathe Poupeney


C'est aussi le noir et un histoire de mandoline qui ouvre et clôt la dernière pièce, de Bruno Bouché, Pour le reste, et cette même interrogation sur l'amour et la solitude. En quatre mouvements, elle débute par un version classique d'une chanson de Connie Converse qui raconte la distance entre un couple, qui marche, dans le noir, continue avec un air pour s'endormir le soir et puis sur une pièce de Tchaïkovski Souvenir de Florence, dédié à un amour impossible. Cela donne un très bel hommage à la robe balanchinienne, immense et protectrice. Mêmes s'ils ne sont pas aussi nombreux que chez Gil Harush, les danseuses et les danseurs incarnent ici également ce côté romantique et désespéré, où chacun se côtoie, plongé dans son univers, sa trajectoire, l'un plus déséquilibré, l'autre plus incertain, d'autres plus volontaires. Chacun avec son caractère et ses gestes, se frôlant souvent, se rencontrant par accident. 


Pour le reste - Bruno Bouché - Ballet de l'ONR - Photo: Agathe Poupeney

Pour l'acmé de la soirée, ce sera la très belle chanson de Nina Simone Wild is the Wind qui verra les deux danseurs, volant et se touchant, se cherchant et s'accrochant, cependant aussi souffrant de cet amour qui va emporter le public dans une émotion intense et clore la soirée. Avec en conclusion, ces mots de Rilke:

"Et pour le reste, laissez faire la vie. Croyez-moi, la vie a toujours raison."


La Fleur du Dimanche


Sérénades

A Strasbourg, du 13 au 18 janvier 2024 - Opéra National du Rhin

A Mulhouse, 26 et 28 janvier 2024 - La Filature

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