lundi 29 septembre 2025

En regard au Ballet du Rhin: Regards croisés ou Sharon Eyal en miroir Ici

 La création est une question de rencontres. Pour cette soirée En regard, proposée par le Ballet de l'Opéra National du Rhin, elles sont multiples. D'abord, ou plutôt celle qui a tout déclenché, c'est la rencontre de Bruno Bouché avec la pièce précédente de Léo Lérus, Gounoj, en mars 2024 à la Filature de Mulhouse, (voir mon billet du 16 avril 2024). Mais cette pièce, déjà une coproduction du Ballet, avait pour source une première rencontre avec Léo lors de la présentation du spectacle The Brutal Journey of the Heart de Sharon Eyal, en 2021 où Léo Lérus dansait et était son assistant. Cependant la rencontre originelle remonte à la Batsheva Dance Company, en 2005, quand, après une formation au CNSD de Paris, et après avoir dansé dans de nombreuses compagnies en Europe, Léo Lérus arrive en Israël chez Ohad Naharin chez lequel se trouve aussi Sharon Eyal. Et il va la côtoyer quelques années, avant de repartir en Guadeloupe pour fonder sa compagnie Zimarèl. 


Ballet de l'ONR - Léo Lérus - Ici - Photo: Agathe Poupeney

Pour Léo Lérus, sa première - et déterminante - rencontre, ce fut celle avec la danseuse, chorégraphe et pédagogue Léna Blou, à Pointe-à-Pitre, quand il avait quatre ans. C'est elle qui l'a initié à la danse du "pays", le Gwo-ka - et aussi à la danse contemporaine, et qui l'a, alors qu'il avait 14 ans, envoyé étudier, grâce à une bourse, à Paris.

Ballet de l'ONR - Léo Lérus - Ici - Photo: Agathe Poupeney

Sa création, Ici, très originale, commence par un solo, où une danseuse en short crème et maillot crème, blanc et brillant, danse une danse désarticulée sur fond de bruitages et de grincements, puis se fait rejoindre par un danseur qui lui donne la réplique, alors qu'en fond de scène on découvre des silhouettes noires qui défilent derrière un écran. Le couple ne va pas rester longuement seul car cette petite foule de treize danseurs et danseuses va vivre une aventure commune sur scène. Ce sera une joyeuse communauté dansante et mouvante d'où émergent de temps en temps des individus dialoguant dans des duos particuliers. 

Ballet de l'ONR - Léo Lérus - Ici - Photo: Agathe Poupeney

Les mouvements sont souples et les corps agiles traversent la foule, lui transmettant une formidable énergie. Puis le groupe, quittant ses trajectoires individuelles qui sillonnent le plateau se retrouve dans des mouvements d'ensemble coordonnés. Sur une composition sonore dynamique de Denis Guivarc'h les chorégraphies balancent entre des danses en relation avec les danses caribéennes, faites de déséquilibre et d'esquives, de désarticulation et de sauts de côté, inspirées par le Gwo-ka et puis par des ondulations et des frappes rythmiques festives, la dynamique joyeuse et corporellement engagée dans le groupe nous rappelle la danse Gaga. 

Ballet de l'ONR - Léo Lérus - Ici - Photo: Agathe Poupeney

Ce balancement entre ces deux univers, entre l'individu, le couple et la collectivité, tout comme la dichotomie entre la violence d'un cyclone passant sur l'île et la chaleur et la solidarité entre les personnes réfugiées dans une maison vécue par Léo Lérus qu'il a essayé de transposer dans cette pièce nous donne, dans ce spectacle une leçon d'être ensemble. Et nous transmet au final un grand moment de bonheur, la joie de la danse.


Ballet de l'ONR - Sharon Eyal - The Look - Photo: Agathe Poupeney

Changement d'ambiance et d'atmosphère pour la pièce de Sharon Eyal The Look où elle sollicite notre attention extrême. C'est presque dans un noir profond que démarre la pièce. On devine une masse compacte en rond, habillée de noir qui se serre, éclairée par un mince douche de lumière. Pendant que la musique envoie ses pulsations électro, d'abord sur des fréquences restreintes, qui s'élargissent vers les basses et les aigus et dont le volume augmente, les danseurs, immobiles vont, imperceptiblement se mettre à bouger, doucement, lentement, élargissant sans que l'on s'en rende compte le cercle.

Ballet de l'ONR - Sharon Eyal - The Look - Photo: Agathe Poupeney

Nous baignons dans les pulsations de la musique et restons hypnotisés par l'observation de cette masse compacte dont nous ne voyons pas la croissance mais dont nous nous rendons compte à un moment qu'elle a pris du volume. Alors qu'elle est encore très concentré, un bras puis deux émerge de cet amas, puis une tête dépasse. Nous arrivons difficilement à comprendre comment cela est possible. Un troisième bras dépasse, semblant piloter l'émergence puis la disparition des premiers. La masse compacte s'est élargie au point de faire cercle autour du personnage qui est apparu en premier puis les autres membres prennent corps et entrent en mouvement, continuant à élargir le cercle, se déplaçant dans l'espace tandis que le cercle de lumière qui les éclaire d'en haut s'élargit pour au final éclairer la scène. 

Ballet de l'ONR - Sharon Eyal - The Look - Photo: Agathe Poupeney


Les danseurs, dont on ne voyait, de dos, que le justaucorps noir et les cheveux, prennent visage, les mains apparaissent d'abord dans leur dos, puis bougent. Des chorégraphies de groupe se mettent en place, d'abord hiératiques, passant de l'un à l'autre puis traversant le plateau. Des mouvements de groupes, les gestes d'abord restreints, circonscrits prennent de l'ampleur, les bras se tendent, en avant ou dans des battements, essais d'atteindre le ciel, quelquefois comme des tentatives d'envol. 

Ballet de l'ONR - Sharon Eyal - The Look - Photo: Agathe Poupeney

Puis, soudain, dans une sorte d'explosion, de jaillissement, ce qui n'était qu'un tout petit groupe concentré dans un coin, jaillit et envahit le plateau, au point de le submerger, de le déborder, sans que nous puissions comprendre comment cela est possible. Une forêt de bras et de  jambes qui remplit l'espace en mouvement, qui recouvre la scène, emplissant tout. 

Ballet de l'ONR - Sharon Eyal - The Look - Photo: Agathe Poupeney

Dans une chorégraphie qui respire, les dix-sept danseurs habitent le plateau comme une murmuration qui se contracte et se répand, dans des palpitations et des vibrations, quelquefois des micro décalages qui sont une merveilleuse démonstration du "faire corps" tous ensemble. Une chorégraphie d'une infime précision qui est un bijou à regarder avec une extrême attention, pour notre plus grand plaisir.


La Fleur du Dimanche


 Ici - Création 
Pièce pour 12 danseurs.
Chorégraphie: Léo Lérus
Composition sonore: Denis Guivarc’h
Costumes: Bénédicte Blaison
Lumières: Chloé Bouju

The Look - Entrée au répertoire
Pièce pour 18 danseurs.
Chorégraphie: Sharon Eyal
Musique: Ori Lichtik
Costumes: Rebecca Hytting
Lumières: Alon Cohen

Ballet de l’Opéra national du Rhin - Distribution 29 septembre 2025

Ici -  Danseurs et danseuses - 
Jasper Arran, Susie Buisson, Deia Cabalé, Marc Comellas, Marin Delavaud, Marta Dias, Ana Enriquez, Miquel Lozano, Rubén Julliard, Nirina Olivier, Hénoc Waysenson, Julia Weiss

The Look - Danseurs et danseuses
Christina Cecchini, Brett Fukuda, Di He, Erwan Jeammot, Julia Juillard, Pierre-Émile Lemieux Venne, Milla Loock, Miguel Lopes, Jesse Lyon, Jérémie Neveu, Leonora Nummi, 
Afonso Nunes, Alice Pernão, Alexandre Plesis, Emmy Stoeri, Lara Wolter

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire