mercredi 24 septembre 2025

Musica de Pôle Sud à Saint Paul: Rage d'Anna Gaïotti et Gavin Bryars + Claire M Singer

 Lorsque le spectateur entre dans le "studio" de Pôle Sud pour le spectacle d'Anna Gaïotti Rage, et qu'il découvre le dispositif de placement bifrontal, il ne peut qu'être surpris et amené à s'interroger. Deux longs (et larges) bancs se faisant face en plein milieu de la scène sur le tapis de danse et de même deux rangées de chaises en gradin se faisant face contre les murs. Un espace qui n'est pas neutre et où chacun doit choisir sa place. De plus, les deux bancs forment un couloir mettant face à face les deux musiciens, l'un, Julien Bender avec sa table couverte de boitiers électroniques et de câbles et l'autre, Loé Dupleix et son virginal, une sorte d'épinette ou de clavecin (Paulirinus de Prague au XVème siècle le nomme et explique qu'on l'appelle virginal parce que "tout comme une vierge, il charme par des sons doux et très suaves". Cela ressemble plus à une arène qu'un plateau pour un doux concert, une disposition de "battle" pour les deux musiciens. Et en référence au titre et au texte qui inspire la chorégraphe, nous nous attendons à quelque chose de violent. Cependant, en introduction Anna Gaïotti précise que les spectateurs sont autorisés à se déplacer durant la représentation. On hésite entre inquiétude et curiosité. Et l'on s'attend à un texte violent, rageur, revendicatif, mais le texte de Pasolini cité en exergue et qui a inspiré la chorégraphe devrait à la fois nous rassurer mais aussi nous rendre attentif :
"Que s’est-il passé dans le monde, après la guerre et l’après-guerre?
La normalité."
Cette normalité, quelle est-elle ? Que représente-t-elle ?


Pôle Sud - Anna Gaïotti - Rage - (c) Anna Gaiotti


La chorégraphe sape - et interroge - cette normalité par le costume que porte les deux danseurs Anna Gaïotti et Clément de Boever: un pantalon noir et une chemise ou un maillot noir, les cheveux longs pour les deux qui se ressemblent ainsi étrangement, neutralisant leur genre. Et pour commencer une chorégraphie de gestes contraints, retenus, qui passent de l'un(e) à l'autre et se répètent en une violence contenue. Si ce n'était la frappe des pieds sur le sol, nous restons dans une certaine retenue. Pourtant, les intrusions des interprètes parmi le public, la traversée (même discrète et lente) des rangées de spectateurs déstabilise. La musique aussi reste dans des ambiances de douceur, que ce soit avec l'électronique, qui quelquefois est d'une discrétion que l'on se croirait à un test auditif, ou au virginal qui nous berce de sa délicatesse. 


Pôle Sud - Anna Gaïotti - Rage - (c) Anna Gaiotti


Mais pas pour tout le monde, un spectateur se déplace, le son de l'électronique part en montée de "bruit blanc", la lumière de la salle s'éteint et l'éclairage se fait en contrastes vacillants, tandis que la chorégraphie, et les frappes de pieds se font plus vigoureux. Et, alors que l'on espérait une salvatrice danse baroque plaisante et festive, dans un processus de déconstruction progressif et répétitif, sur une musique devenant martèlement de quelques accords, les danseurs s'engagent dans une décadente répétition de figures de danse baroque, jusqu'à épuisement, à en devenir masques de carnaval, mettant à distance ces figures de style stylées. La subversion insidieuse.



A Saint Paul Gavin Bryars et Claire M Singer


Entre Pôle Sud et Saint Paul, ce soir là ce n'était pas une promenade de santé mais plutôt un chemin de croix. Pour les spectateurs ayant fait le choix des deux spectacles et des transports en commun, une imprévue "alerte à la bombe" rageuse a poussé certain(e)s à la course à pied.

Musica - Gavin Bryars - Photo: Robert Becker


Par chance, la programmation de la soirée était suffisamment délicate et angélique pour rattraper la violence insidieuse qui se tapit dans les détails et les imprévus. En une suite de formations variables du Gavin Bryars Ensemble, avec ou sans la soprano Sarah Gabriel, nous avons pu entendre quelques séries de Lauda du compositeur dont on connait surtout les tubes (dont la musique du naufrage du Titanic) ou les collaborations avec des grands noms de la scène (Robert Wilson) ou de la danse (Cunningham et Carolyn Carlson). 

Musica - Gavin Bryars - Photo: Robert Becker


Ainsi, des pièces composées de 2001 à 2020, réinterprétations enchanteresses et délicieuses de chants religieux du XIIème siècle sont tour à tour interprétées par des formations rassemblant trois ou quatre instruments en formation variée: le violon, l'alto, la clarinette, la guitare électrique ou classique, le violoncelle et la contrebasse que le maître joue lui-même. Les sonorités sont délicates, les accords et échos entre les instruments et avec la voix, magnifique - à un moment la clarinette nous surprend à continuer à entendre la voix qui ne semble pas s'éteindre. 

Musica - Gavin Bryars - Photo: Robert Becker


Et l'interprétation de la soprano est exceptionnelle, autant dans la douceur et la discrétion d'une voix toute en retenue, autant dans la tenue et l'ampleur dans les extrêmes, avec une très belle tessiture. Un vrai travail de dentelle fine. Est également présentée la création mondiale des Songs for the Seven Madrigals et pour clore, The Adnan Songbook de 1996, à partir de textes de la poétesse et peintre libanaise, qu'il dirige en formation complète de l'Ensemble avec son fils qui le remplace à la contrebasse.

Musica - Claire M Singer - Photo: Robert Becker



Après une petite pause, au tour de Claire M Singer de nous enchanter de ses variations à l'orgue et à l'électronique. Avec ses composition minimaliste et précises, elle nous transporte dans des pièces où les variations sont infimes et sensibles. Nous plongeons au coeur de la musique qui nous immerge et nous transporte. 

Musica - Claire M Singer - Photo: Robert Becker

Musica - Claire M Singer - Photo: Robert Becker

Et Claire M Singer, pour nous faire profiter pleinement des potentialités de ce lieu, nous fait fait profiter également du son du deuxième orgue situé au choeur. Une très belle soirée .


La Fleur du Dimanche 




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