dimanche 13 avril 2025

GRENZ-Thérapie avec les Clandestines: Passer les frontières à la lisière du théâtre, de la musique, des langues

 Les frontières sont faites pour être dépassées. D'ailleurs ne dit-on pas que lorsqu'elles sont dépassées il n'y a plus de limites. Et pourtant.... Les frontières et les passages qu'elles supposent sont devenus un sujet brûlant d'actualité. Tout comme, en 2020, lorsque la pandémie a figé le monde, la frontière s’est soudain rétrécie, jusqu’à se fixer parfois à un kilomètre de chez soi, parfois même au seuil de sa porte.  C'est dans ce contexte de confinement qu'a germé l'idée d'un spectacle né de la collaboration entre l'équipe des Clandestines, troupe strasbourgeoise active depuis plus de 25 ans - et la musicienne, performeuse et compositrice Abril Padilla, installée à Bâle. De cette rencontre est née une première version portée par des musiciens et compositeurs et musiciens surtout bâlois - Robert Torche (CH), Joëlle Salomé Götz (CH), Annette Schlünz (DE). Elle fut donnée en 2023 au Kasko dans le bâtiment de l'ancienne brasserie Warteck à Bâle.


GRENZ-Thérapie - Les Clandestines - Photo: Robert Becker

Pour les deux représentations strasbourgeoises au CRIC, rue de la Coopérative, ce sont Mathieu Goust aux percussions et à la batterie et Christophe Rieger au saxophone, toujours avec Abril Padilla, qui ont assuré avec brio la partie musicale. Tandis que Béatriz Beaucaire, Carole Breyer, Naton Goetz, Dominique Hardy, Virginie Meyer, Régine Westenhoeffer et Emmanuelle Zanfonato occupaient l'espace avec le chant, la danse et les textes. 


GRENZ-Thérapie - Les Clandestines - Photo: Robert Becker

Il est des spectacles qui ne se contentent pas de se jouer. Ils s’expérimentent, se traversent. Ils vous prennent par la main, ou par surprise et vous entraînent là où les murs sont des prétextes, et les règles, des invitations à les contourner. Les Clandestines savent cet art rare de déplacer les lignes, de tendre des miroirs à nos limites, de rendre palpable ce que, souvent, nous croyons abstrait. Grenz-Thérapie interroge avec poésie, humour et malice ce que nous faisons des frontières. Celles qui séparent les pays, les langues, les esprits. Mais aussi celles que nous érigeons à l’intérieur de nous-mêmes.


GRENZ-Thérapie - Les Clandestines - Photo: Robert Becker


D'emblée nous franchissons les frontières de la salle traditionnelle. Dans une apparition surprise, au loin, tout au bout de la cour du "Garage Coop" du côté des "Ateliers éclairés", la petite troupe des Clandestines, munies de leur immense porte-voix rouge, exécute une traversée du vaste espace de la cour et passe sous la porte du garage d'où monte depuis quelques temps un sacré raffut. L'occasion pour nous de faire concrètement l'expérience de ce qu'est une frontière: qu'elle soit virtuelle (au loin, de l'autre côté) ou tangible (ces rubalises rouges et blanches tendues devant nous) ou encore cette énorme porte de garage qui se dresse devant nous et que nous n'osons pas passer accroupis. 


GRENZ-Thérapie - Les Clandestines - Photo: Robert Becker

GRENZ-Thérapie - Les Clandestines - Photo: Robert Becker

Et n'oublions pas cette frontière sensorielle, ce vacarme assourdissant dissuadant toute tentative d'intrusion. S'y ajoute également la frontière des langues, que nous découvrons avec les lettres collées sur les vitres du bâtiment: des mots écrits en français et en allemand et parlant de "frontière" - "Grenze", de "lieu" - "Ort", de "Land" (pays) ou de "hören" (entendre).


GRENZ-Thérapie - Les Clandestines - Photo: Robert Becker

La toponymie de la pièce posée, il ne reste plus qu'à la déconstruire, à briser les "limites" de "Da" (ici) pour franchir l'"orée" de l'oreille et plonger dans le chahut et le raffut qui s'efface peu à peu pour céder la place à une musique métissée: électronique, percussions et objets du quotidien: moule à kouglof ou kougelhopf (qui fera l'objet d'une séquence avec des références historiques, géographique et même, symboliquement, vestimentaire car Gugel en allemand signifiant turban) et divers objets, dont des livres "sonores". 


GRENZ-Thérapie - Les Clandestines - Photo: Robert Becker


De cette pièce faisant office de "salle d'embarquement", nous sommes invités à passer par un - long - couloir de transit avec contrôles obligatoires vers une première étape dans un nouvel espace, dans un petit pays, le Liechtenstein où les timbres se moquent des frontières.


GRENZ-Thérapie - Les Clandestines - Photo: Robert Becker


En petits groupes, nous partons, emportés par le texte du poète Bernard Heidsiek, dans une poésie tourbillonnante - c'est le cas de le dire - en spirale excentrique, à la découverte des peuples, tribus et populations, habitant "autour, tout autour de Vaduz", la capitale. Sans oublier les "émigrés, les désintégrés, et bien d'autres, et bien d'autres,...". Manière insidieuse de faire sauter les frontières, surtout que la lecture du texte en français et en allemand se superposent. 


GRENZ-Thérapie - Les Clandestines - Photo: Robert Becker

Une autre jeu s’installe ensuite: interroger le public, le faire réfléchir à sa propre conscience de la frontière, aux sensations, aux sentiments, aux attitudes qui lui sont attachés. Puis matérialiser cette diversité dans l’espace: démontrer par l’exemple que les groupes auxquels nous croyons appartenir, au gré des questions et des catégories, sont mouvants, instables.. Ce procédé permet aussi au spectateur de devenir acteur, agissant, de se confronter à l'autre, aux autres, semblables et différents selon les critères.


GRENZ-Thérapie - Les Clandestines - Photo: Robert Becker


Cette question de la différence se prolonge dans une séquence où les langues et dialectes deviennent source d’émerveillement poétique, presque surréaliste. Tantôt en allemand, tantôt en alsacien, suisse allemand ou français, les poèmes nous emmènent dans un labyrinthe sonore, tandis que les chanteuses, entre humour et poésie, nous conduisent aux confins de la poésie sonore.  


GRENZ-Thérapie - Les Clandestines - Photo: Robert Becker


Des livres-objets — des leporellos — se déploient alors, comme des oiseaux dans le ciel, avant de redescendre au sol, dressant de fragiles frontières symboliques. Les Clandestines, elles, se réfugient sur leur "tour d’ivoire", dominant la foule pour offrir un concert "perché".


GRENZ-Thérapie - Les Clandestines - Photo: Robert Becker

GRENZ-Thérapie - Les Clandestines - Photo: Robert Becker

GRENZ-Thérapie - Les Clandestines - Photo: Robert Becker


Après une séquence de nomenclature du public et de tentative de classement et de regroupements, une nouvelle étape s'annonce: le mouvement (vers l'autre), la danse, en tant que "langage des corps" qui dans une ronde simple et entraînante tente de nous faire expérimenter ce chemin vers l'autre. Le groupe invite le public au dialogue, à la participation. Mais les barrières sont encore là, tenaces dans nos têtes: peu osent franchir ce seuil invisible. Même le jeu, on préfère encore le regarder que s’y abandonner.


GRENZ-Thérapie - Les Clandestines - Photo: Robert Becker


 Alors commence ce que l’on pourrait nommer une escalade des hostilités. Les Clandestines nous renvoient, nous débarquent, dans cette salle d’embarquement, pour continuer entre elles, de l’autre côté, à jouer, chanter, nous laissant là, esseulés, âmes en peine livrées à elles-mêmes. L’expérience devient alors tangible : la séparation est là, réelle, elles (ou nous ?) derrière des grilles closes, entonnant des chants de lutte. 


GRENZ-Thérapie - Les Clandestines - Photo: Robert Becker

GRENZ-Thérapie - Les Clandestines - Photo: Robert Becker


Mais la lutte doit continuer. Elles reviennent, par un chemin détourné, nous offrir une danse de chiffons multicolores qui flottent comme des drapeaux et qui, par un effet de magie scénique, se révèlent, à la fin, chacun barré d’une bande noire, image saisissante d’un pays scindé.


GRENZ-Thérapie - Les Clandestines - Photo: Robert Becker

GRENZ-Thérapie - Les Clandestines - Photo: Robert Becker

GRENZ-Thérapie - Les Clandestines - Photo: Robert Becker

GRENZ-Thérapie - Les Clandestines - Photo: Robert Becker

GRENZ-Thérapie - Les Clandestines - Photo: Robert Becker

GRENZ-Thérapie - Les Clandestines - Photo: Robert Becker


Et pour ne pas perdre le fil, ces drapeaux deviennent coiffes. Kugelhopf sur le Kopf. Et, dans un ultime chant de lutte, nos chères Clandestines s’éclipsent, partant affronter de nouvelles frontières et d’autres publics.


GRENZ-Thérapie - Les Clandestines - Photo: Robert Becker

GRENZ-Thérapie - Les Clandestines - Photo: Robert Becker


Au bout du compte, en un peu plus d’une heure, nous aurons expérimenté, par la danse, le chant, la musique, les échanges, différentes situations où les frontières — physiques, réelles, symboliques, mentales, corporelles, sociales — auront été mises à l’épreuve. Bougées, peut-être. Ce que proposent et concrétisent dans le vécu les Clandestines, dans ce mélange des genres et des sensibilités, c’est la preuve qu’il est possible, dans la joie et la jubilation, de faire sauter les limites qu’on s’impose et les empêchements qu’on trimballe.


GRENZ-Thérapie - Les Clandestines - Photo: Robert Becker

Et à nous, de découvrir qu’au fond, l’essentiel n’est pas tant de franchir les frontières, mais de cesser de les croire infranchissables.


GRENZ-Thérapie - Les Clandestines - Photo: Robert Becker


La Fleur du Dimanche


Le spectacle a été présenté dans dans le cadre du festival Lire notre monde-Strasbourg capitale mondiale du livre-Unesco 2024


vendredi 11 avril 2025

Quelque chose rouge au TNS : rouge, vert, mère et passe

Je vous avais dit hier que les élèves comédiens (et autres métiers) de l'école du TNS ne chômaient pas et je vous offre donc la quatrième chronique sur les travaux pratiques que l'on peut encore voir - il y a aussi autres trois pièces du groupe 48 qui sont actuellement en accès gratuit pour apprécier la qualité du travail de ces groupes, dont Tobogan du groupe 49 jusqu'à lundi 14 avril.


Quelque Chose rouge - TNS Groupe 49 - Photo: Jean-Louis Fernandez


Avec Quelque chose rouge mis en scène par Eléonore Barrault, on imagine un travail de recherche sur le sujet - l'accouchement - bien fourni, autant sur le terrain (entre autres à la clinique Sainte Anne à la Robertsau qu'auprès de sages-femmes) que sur des sources littéraires et dans l'histoire de l'art. Le texte de la pièce ressemble à un cadavre exquis - ce qui est un comble pour des histoires de naissances - mais la mise en scène et la qualité de jeu, ainsi que la variété des interprétations des jeunes comédiennes - et du comédien homme - est prenante. Car, après une introduction rondement menée par Zélie Hollande qui nous raconte la naissance de sa vocation de sage-femme et sa découverte du métier - et de l'événement - devant un rideau, non de théâtre, mais mais semi-transparent qui délimite les espaces cliniques, nous nous retrouvons dans une ambiance de salle de repos d'hôpital qui deviendra plus tard salle d'opérations - des opérations. 


Paula Modersohn-Becker - Selbstbildnis am 6. Hochzeitstag - 1906


Au fur et à mesure du déroulement de la pièce, rebondiront de l'une à l'autre les récits intimes ou plus cliniques, techniques ou paroles et expressions du ressenti et du vécu de femmes ou témoignages de mères ou de professionnelles. Ils nous projettent dans un univers que nous allons par la magie de l'imagination transformer en faits tangibles - les deux sens bien concrets en anglais du mot français "histoire". Et découvrir toute la diversité des réalités. Les quatre comédiennes (Louise Coq, Emma da Cunha, Zélie Hollande déjà citée et Mina Totkova) et Thé-vinh Tran - seul homme de l'équipe (qui permet dans son rôle, de témoigner du machisme inversé avec son rôle "d'esclave") - apportent chacune et chacun une personnalité forte à ces récits en mosaïque et montrent aussi qu'un accouchement - surtout s'il se situe aujourd'hui dans un hôpital - est une affaire d'équipe. La  scénographie de Inga Adeline-Eshuis, changeante, avec ces rideaux qui bougent et cachent ou dévoilent les espaces, les creusant en profondeur au fur et à mesure de la pièce, laissant aussi des endroits secrets, permettent aussi des bascules d'un univers clinique à un débordement artistique où le rouge devient création, naissance d'une oeuvre d'art (clin d'oeil à Louise Bourgeois), et d'arriver à imaginer le destin à la fois artistique et tragique de Paula Modersohn-Becker. Notons que le nom de cette artiste signifie littéralement "Mère-enfant", nom qu'elle a "hérité" suite (grâce?) au décès de la première épouse de son mari, et rappelons que son "autoportrait enceinte" qui une projection dans le futur: elle ne sera enceinte qu'un an après et mourra des complications post-accouchement. 


Piero della Francesca — Madonna del Parto - vers 1455-1465

Tout cela interroge la part de réel et d'invention de toute création, question que l'on peut transposer à cette pièce. Et plus largement à tout ce qui touche à la littérature, donc les textes dont le choix judicieux éclaire les multiples facettes du sujet. Saluons aussi le discret au début, mais de plus en plus insistant parallèle entre l'accouchement et un banquet (dixit Rabelais) et dont l'infiltration et le noyautage dans le jeu nous plongent dans une situation qui, symboliquement, rend très sensiblement et insidieusement l'atmosphère de ce que pourrait être une salle d'accouchement. Et ainsi nous fait aussi participer en quelque sorte à ce "travail", et nous y implique. Félicitations cette petite équipe de nous avoir plongé avec succès dans un univers que nous ignorions et de nous avoir engagé dans ces multiples expériences. Un grand bravo pour la naissance de cette pièce qui grandit avec nous.


Dürer - Visitation de la Vierge - 1503 - Musée des Beaux-Arts Strasbourg


La Fleur du Dimanche


Quelque chose rouge


[Mise en scène] Eléonore Barrault
[Dramaturgie] Baudouin Woehl
[Scénographie] Inga Adeline-Eshuis
[Costumes] Naïs Thériot
[Création et régie lumière] Syrielle Bordy
[Création et régie sonore et vidéo] Félicie Cantraine
[Régie générale et plateau] Lucas Loyez

Avec 
Louise Coq, Emma Da Cunha, Zélie Hollande, Mina Totkova, Thê-vinh Tran.

jeudi 10 avril 2025

Service de la perdition et du beau temps avec l'école du TNS: à dada au ciel, mon cerveau

 Alors que l'on parle de la fragilité du secteur culturel, avec les risques de baisse des aides pour ce secteur, en particuliers le spectacle vivant, il y en a qui ne chôment pas. Ce sont les élèves de l'école du TNS. Non seulement ils et elles se forment dans un environnement professionnel à la fois au jeu, à la technique et à la régie, à la mise en scène et autres métiers du théâtre, mais ils (se) produisent aussi dans un grand spectacle de fin de formation. Ils travaillent avec des professionnels sur des pièces mais, avec le programme "Carte Blanche", ils ont également l'opportunité de créer des spectacles avec lesquels ils se confrontent au public - qui est d'ailleurs invité gratuitement à cs représentations. Récemment je vous ai parlé des deux spectacles La chasse des anges et La forteresse


Service de la perdition et du beau temps - Aurélie Debuire - Photo: Jean-Louis Fernandez


En avril, une nouvelle série de pièces (voyez qu'ils et elles ne chôment pas) est présentée par le Groupe 48, dont Service de la perdition et du beau temps, écrit et mis en scène par Aurélie Debuire. Cette jeune fille qui avait fait la classe préparatoire aux écoles supérieures d'art dramatique à la Comédie de Béthune et bénéficié du fonds de dotation Porosus termine sa formation "jeu" cette année. Nous l'avons vue dans La chasse des anges et pour cette pièce Service de la perdition et du beau temps, présentée à l'église Saint Guillaume, elle a dont à la fois écrit le texte et assuré la mise en scène. Le lieu est tout à fait adapté au sujet de la pièce puisqu'elle traite à la fois de la mort et du ciel, de l'au-delà, mais dans un style très original. Le texte, qui pourrait être tragique, grâce à tout un jeu sur les mots, à un style de jeu original et décalé, jongle entre une approche sensible et philosophique et des aspects comiques et distanciés. Nous assistons à une cérémonie rituelle de passage, avec le personnage du Secrétaire, un genre de gardien des portes de l'au-delà, si ce n'est pas Grand D lui-même que campe admirablement Nemo Schiffman (vu dans La Forteresse) avec un sérieux hiératique et un détachement keatonien, doublé d'une puissance magistrale presque tyrannique, surtout dans ses envolées que magnifient les effets sonores en écho Mathis Berezoutky-Brimeur. C'est Appoline Taillieu (dont nous avions déjà apprécié la profondeur de jeu dans la Forteresse), ici dans un personnage double qui sera Marthe morte dans ses épreuves de passage et Alice dans le premier monde, clin d'oeil à la fantaisie de Lewis Caroll. 


Service de la perdition et du beau temps - Aurélie Debuire - Photo: Jean-Louis Fernandez


Le rideau de lumière de Mathis Berezoutky-Brimeur qui ouvre la pièce - et barre la scène d'un tenant - est d'ailleurs un écho au miroir que traverse Alice et que nous traversons en tant que spectateurs pour nous retrouver dans cet univers qui oscille entre dada, surréalisme et hiératisme. La diction, et les sauts de rythme, quelquefois les silences (volontaires et pesants) ainsi que les gestes des comédiens, quelquefois mécaniques mais aussi d'une grande souplesse - la rapidité des repositionnements et des changements d'attitudes sont très surprenants - ne nous laissent pas impassible. Nous sommes littéralement emportés par ce voyage dans les limbes, les deux autres personnages, le personnage 3.290.114 (trois millions deux cent quatre-vingt-dix mille cent quatorze) qu'interprète avec une belle présence Blanche Plagnol (que nous avions aussi vue dans La forteresse) incarne autant un paillon que le cerveau (judicieux maquillage) ou son coeur et sa peau et elle trouve une âme soeur dans Ame 2019 (Thomas Lelo qui était également dans La Forteresse). 


Service de la perdition et du beau temps - Aurélie Debuire - Photo: Jean-Louis Fernandez


Naviguant entre une nef des fous débridée, une messe noire et rouge, comme la magnifique robe de l'officiant "Secrétaire" (les costumes de Salomé Vanendriessche participent grandement à la qualité du spectacle) en évêque "Dada" et un voyage intersidéral, porté par les ambiances sonores de Mathis Berezoutky-Brimeur, nous nous laissons porter par ce spectacle singulier et surprenant. Et nous passerions volontiers dans le mur de lumière suivre les folles péripéties dans l'au-delà que nous conte le texte virevoltant d'Aurélie Debuire, qui, en plus de son talent de comédienne prouve ici ses dons de poète et de conteuse et sa capacité de transmettre un univers excentrique et un récit biscornu avec conviction. Une piste à suivre.


La Fleur du Dimanche


Jusqu'au 12 avril 2025 à l'église Saint Guillaume

Réservation ici Service

samedi 5 avril 2025

A Wound With Teeth et Phantom de Holly Blakey à Chaillot - Théâtre National de la Danse: Entre féérie et cauchemar multicolore

 Alors qu’à Chaillot se déploie durant tout un week-end le riche parcours Chaillot Expérience #6 - Mode, où l’on assiste à la fois à des installations, des rencontres, des concerts, des films, des expositions, des ateliers, des défilés, des performances et des extraits de spectacles (dont Angelin Preljocaj), le spectacle de Holly Blakey – A Wound With Teeth & Phantom a lieu dans la salle Firmin Gémier.


Holly Blakey – A Wound With Teeth & Phantom - Chaillot


La rencontre n’est pas vraiment fortuite : l’artiste londonienne Holly Blakey navigue depuis longtemps entre les mondes de la danse, de la musique et de la mode. Elle a collaboré avec les grands noms de la scène musicale et des maisons de couture – y compris en France. Pour le spectacle Phantom, ce sont les créatrices montantes Chopova Lowena qui signent les costumes.


Holly Blakey – A Wound With Teeth & Phantom - Chaillot


Dans A Wound With Teeth, ce sont les créations flamboyantes de Matthew Josephs qui habillent les interprètes, les transformant en silhouettes colorées, presque des marionnettes bigarrées sorties d’un rêve. La musique live hypnotique de Gwilym Gold enveloppe la scène d’une brume électro, oscillant entre berceuse distordue et écho de souvenirs enfuis, d’où émergent parfois des cris de cour d’école.
Les dix danseurs plongent dans des tourbillons fiévreux, saccadés et fragmentés. Les corps se débattent, se choquent, et Holly Blakey installe une ambiance trouble, dans une construction en boucle qui évoque un épisode de perte de mémoire. Un clair-obscur mouvant révèle par moments des fragments de corps, comme autant de souvenirs resurgissant du néant. Les gestes répétitifs, obsessionnels, désarticulés deviennent des mantras. L’oubli devient matière dans cette fable dansée, étrange et fascinante.


Holly Blakey – A Wound With Teeth & Phantom - Chaillot


Après un court entracte, Phantom resserre le propos. Plus tendue, plus frontale, la pièce naît d’un traumatisme intime - une fausse couche - que Blakey transforme en rituel collectif. Portée par dix interprètes éclatants en costumes pailletés (Chopova Lowena), elle incarne une tension paradoxale : la vie palpite dans les corps, même face à l’absence. Mais ici, la douleur est subvertie. À peine les femmes ont-elles poussé leur cri silencieux, secouées de spasmes désordonnés, qu’elles sont déjà debout. La musique, très électrique, presque industrielle, intensifie cette impression de lutte intérieure et d’urgence physique.


Holly Blakey – A Wound With Teeth & Phantom - Chaillot


Phantom n’est pas une élégie: c’est un cri. Et Holly Blakey bouscule, interpelle. À la fin du spectacle, les projecteurs se tournent vers le public et l'éclairent plein feu. Nous voilà exposés, à nu, comme les danseurs.
Sa danse est débridée mais précise, libre mais ritualisée. Elle explose les frontières entre performance, concert, défilé et transe.


Holly Blakey – A Wound With Teeth & Phantom - Chaillot


Avec A Wound With Teeth et Phantom, Holly Blakey signe deux œuvres miroir: l’une s’égare dans l’oubli, l’autre renaît après la perte. 
Deux cris. Deux transes. Deux coups de maître.

La Fleur du Dimanche


Chorégraphie et direction artistique
Holly Blakey
Lumières
Joshie Harriette
Son
Gwilym Gold
Design et stylisme
Matthew Josephs
Costumes
Chopova Lowena
Avec
Max Cookward, Chester Hayes, Grace Jabbari, Liana Kleinman, Luigi Lyon, Sari Mizoe, Elisabeth Mulenga, Folu Odimayo, Violet Savage, Naomi Weijand
Production executive
Ben Totty, BOX Artist Management
Administateur de tournées et de production
Nancy May Roberts, Metal & Water

vendredi 4 avril 2025

Coup Fatal de Fabrizio Cassol, Alain Platel et Rodriguez Vangama: La fusion des genres musicaux

 Le spectacle Coup Fatal de Fabrizio Cassol, Alain Platel et Rodriguez Vangama programmé au Théâtre du Rond-Point est une histoire de rencontres et d'ouverture, un généreux acte de brassage de cultures. Au départ, il y a plus de dix ans, c'est le contre-ténor congolais Serge Kakudji qui crée un concert où les airs baroques rencontrent les racines musicales africaines, augmentées de la guitare à double manche de Rodriguez Vangama et de percussions. C'est aussi la fusion par Fabrizio Cassol de la musique classique et de l'instrumentation traditionnelles africaine sous sa direction musicale avec les compositions qui en découlent au plus près du jeu des interprètes. C'est aussi un va-et-vient entre chant et danse, musique et mouvement, sous l'oeil curieux et aiguisé d'Alain Platel dont on connait aussi le mélange des genres. Ce spectacle connait un énorme succès international après sa création aux Weiner Festwochen. Grâce à la Comédie de Genève, la pièce a été reprise fin 2024 et a tourné en France, en Italie et en Belgique. 


Coup fatal - Alain Platel - Fabrizio Cassol - Rodriguez Vangama - Photo: Chris Van der Burght


C'est sur la grande scène Renaud-Barrault que vont arriver au fur et à mesure les douze musiciens et la danseuse Jolie Ngembi et le contre-ténor Coco Diaz, avec pour commencer les trois joueur de likembé (ou kalimba), ce piano à doigt, très ancien instrument d'Afrique dont le son doux et charmeur est propice au repos et à la méditation suivi des percussionnistes qui ramènent leurs chaises en plastique bleue. La musique se fait lancinante et tournante quand soudain surgit l'air d'Eurydice de Gluck, qu'interprète Coco Diaz avec le désespoir qui lui convient. On s'interroge sur quelle perte on se lamente, mais pas trop longtemps, les guitares et les percussions, dont un xylophone dont la résonnance passe par des verres nous entrainent dans des rythmes plus joyeux et un air espagnol apporte une belle énergie sur scène.


Coup fatal - Alain Platel - Fabrizio Cassol - Rodriguez Vangama - Photo: Chris Van der Burght


Celle-ci est délimitée au fond et sur les côtés par des rideaux faits de douilles de cartouches, conçu par l'artiste congolais Freddy Tsimba, et qui rappellent les conflits en République démocratique du Congo. Ces rideaux créent un autre univers, un peu à part où le contre-ténor ou la danseuse ou encore un chanteur percussionniste se retrouvent comme sur une deuxième scène, avant de rejoindre le plateau pour chanter et danser. La danse peut aussi devenir un mouvement collectif, tout comme les airs traditionnels qui diffusent et sont repris par tous, avec plus spécialement deux ou trois chanteurs ainsi que les joueurs de likembé. Entre les percussions, les chants et les guitares, dont l'inépuisable Rodriguez Vangana qui endosse aussi le rôle de chef d'orchestre de cette joyeuse troupe mais qui se lance aussi dans des solos et variations avec sa guitare et basse qui enchaine groove et gimmick, rythmes et variations, classique revisité et airs traditionnels la fusion est parfaite. 


Coup fatal - Alain Platel - Fabrizio Cassol - Rodriguez Vangama - Photo: Chris Van der Burght

L'on se surprend à entendre du Monteverdi et du Bach qui, sans hiatus alterne avec des rumbas et autres musiques à danser dans un ensemencement mutuel. Après presque deux heures de musique, les membres de la petite troupe, après avoir quitté leur veste et quelquefois leur maillot, quittent aussi la scène pour reparaître dans des costumes multicolores et éblouissants pour un défilé de S.A.P.E. , la "Société des Ambianceurs et des Personnes Élégantes", ce mouvement culturel et vestimentaire né à Brazzaville (République du Congo) mais aussi très populaire aussi à Kinshasa (RDC).  Et c'est reparti pour un tour très coloré où l'on chante et l'on danse, et l'on passe de Lascia ch'io pianga de Haendel à un émouvant To be young, drifted and black en passant par une séquence participative où le public est invité également à danser et tout cela s'achève par des respirations - en rythme bien sûr - qui s'éteignent dans le noir. 


Coup fatal - Alain Platel - Fabrizio Cassol - Rodriguez Vangama - Photo: Chris Van der Burght


On sort de là avec une très belle énergie et le souvenir d'avoir à la fois passé un très bon moment mais aussi la sensation de réconciliation rare et que l'on cherche à cultiver. Et on remercie l'ouverture de cette belle équipe qui se rit des frontières artistiques, danse, musique savante et musique populaire, ces sorciers du son et du mouvement que sont Alain Platel, Fabrizio Cazol et Rodriguez Vangama qui nous ont concocté ce beau programme et Paul Kerstens d'avoir eu l'initiative de les réunir. Souhaitons-leur bon vent et encore bon groove.


La Fleur du Dimanche


P.S. Pour voir le spectacle Coup fatal il faut maintenant aller en Belgique au 

Théâtre de Namur du 05 juin au 07 juin 2025



d’Alain Platel
direction musicale Fabrizio Cassol
direction artistique et mise en scène Alain Platel
chef d’orchestre Rodriguez Vangama
compositions Fabrizio Cassol , Rodriguez Vangama d’après Händel, Vivaldi, Bach, Monteverdi, Gluck
avec la collaboration de Coup Fatal
scénograhe Freddy Tsimba
lumière Carlo Bourguignon
son Guillaume Desmet
costumes Dorine Demuynck
photographie Chris Van der Burght
assistanat à la direction artistique Romain Guion

Contre-ténor : Coco Diaz
Vocal : Russell Kadima, Boule Mpanya , Fredy Massamba
Balafon : Deb’s Bukaka
Danseuse : Jolie Ngemi
Percussions : Cédrick Buya
Likembe : Bouton Kalanda , Silva Makengo , Erick Ngoya
Guitare : Brensley Manzodulua
Percussions et calebasse : Evry Madiamba
Guitare électrique, balafon : Rodriguez Vangama

Production (reprise 2024) Comédie de Genève
diffusion 0TT0 productions

Comédie de Genève
Du 17 décembre au 21 décembre 2024
Le Quai – Centre dramatique national Angers Pays de la Loire
16 et 17 janvier 2025
La Commune – Centre dramatique national Aubervilliers
Du 23 janvier au 25 janvier 2025
Teatro Stabile di Torino – Teatro Nazionale (Italie)
Du 13 mars au 16 mars 2025
MAC – Créteil (FR)
Du 20 mars au 22 mars 2025
Théâtre Romain Rolland – Scène conventionnée Villejuif
Mardi 25 mars
Théâtre du Rond-Point – Paris
Du 28 mars au 05 avril 2025

Théâtre de Namur
Du 05 juin au 07 juin 2025


mercredi 2 avril 2025

Dernières nouvelles du large de Patrick Robine au Rond-Point: Houle et moule avec île flottante

 Patrick Robine a démarré très jeune un parcours éclectique et ne l'a jamais quitté. Autant avec ses métiers divers et variés (apprenti vendeur, photographe industriel, démonstrateur en grand magasin,..) que dans ses études, (école des frères maristes, recalé aux Beaux Arts mais reçu aux cours de théâtre avec le premier prix de diction), puis passant du chant à la danse et à la plonge (dans un cabaret à Montréal), qui lui a sans doute inspiré ses histoires marines. Il devient aussi nez dans la parfumerie, observe avec intérêt les arbres et écoute le chant des oiseaux. 


Dernières Nouvelles du large- Patrick Robine - Jean-Michel Ribes


D'ailleurs il mime magnifiquement, et le grand séquoia centenaire implanté en Auvergne, et les pins coupés en taille landaise en Aquitaine, mais également les pommes de terre (entre autres celle du Connecticut "Composée à 78 % d’eau, sans prédateur particulier, sinon le sanglier et l’Allemand qui en raffole, elle se fait sauter en robe de chambre ou en cocotte.") ou les oeufs, pas en cocotte mais au plat. Tout comme il se lance dans une imitation de chants d'oiseaux rares (entre autres, toute une série de sarcelles). Il peut devenir - ou survenir - subitement un robinet qui fuit. Son talent pour faire advenir une univers étrange et décalé n'a d'égal que son paquebot qui ressemble plus à une usine ou une boulangerie. Et la mer est un vaste terrain d'aventure mouvant, tout comme l'île flottante et voyageuse qui se laisse dériver et héberge une moule géante dont la rencontre va être le summum de ce spectacle bourré de surprise, de fausses routes et d'occasions de se perdre en chemin. 


Dernières Nouvelles du large- Patrick Robine


Les virelangues et les jeux de mots, les inventions sorties des circonvolutions de son cerveau qui tourne à cent à l'heure et prend des chemins de traverses avant de refaire demi-tour nous mène en paquebot au point de nous perdre. Les chemins biscornus et erratiques sont partagés avec le comédien qui lui aussi quelquefois se perd dans les arcanes de sa mémoire et de cette expédition surréaliste. Et les raccourcis qu'il prend nous font tomber de Charybde en Scylla avec un petit plaisir masochiste plus ou moins volontaire. Mais le vent du large est toujours frais et joyeux et il s'engouffre avec véhémence dans notre cerveau.


Et nous souhaitons bon vent à Patrick Robine et Jean-Michel Ribes, cet équipage de joyeux déconstructeurs qui nous offrent Dernières nouvelles du large au Théâtre du Rond-Point que retrouve Jean-Michel Ribes. Ce dernier tentant de maintenir un cap flou qui dessert l'île flottante avec la moule qui devient notre vaisseau spatial pour un transport en commun vers un autre univers.


La Fleur du Dimanche 


Dernières nouvelles du large 

Patrick Robine, Jean-Michel Ribes

jusqu'au 13 avril au Théâtre du Rond-Point - Paris

Puis du 18 avril au 11 mai 2025 à la Scène Libre à Paris 

Dernières Nouvelles du large

Salle Jean Tardieu
du mercredi au vendredi, 19h30 - samedi, 18h30 - dimanche, 15h30
Relâche : les 7 et 8 avril

Distribution
De et avec : Patrick Robine
Mise en scène : Jean-Michel Ribes
Lumière : Hervé Coudert
Son : Guillaume Duguet
Assistanat à la mise en scène : Olivier Brillet 

Mentions de production
Production Compagnie Jean-Michel Ribes
Avec le soutien du Ministère de la Culture