samedi 26 avril 2025

Marius version Pommerat au TNS: Un histoire d'humour marseillais et d'amour du théâtre

 Il y a un an, nous avions déjà pu apprécier (mais nous n'étions pas nombreux dans la petite salle à l'Espace Grüber) le formidable travail que réalise Joël Pommerat avec des détenus et anciens détenus - de la prison centrale d'Arles avec Amours (2). Ce qui fait plaisir, dans cette adaptation de la pièce de Pagnol - qui avait aussi été portée à l'écran - Marius, c'est de revoir des têtes familières, par exemple ces deux comédiens (ils le sont maintenant vraiment, la prison est derrière eux) qui nous avaient "embarqué" la dernière fois. 


Marius - Joël Pommerat - TNS - Photo: Agathe Pommerat


Le contexte a été changé. Le bar devient café boulangerie et le "Tu me fends le coeur" de la célèbre partie de carte parle plutôt de "moustiques" - à vous de trouver l'énigme. Ce qui est magnifique, c'est que l'adaptation qu'en a faite Joël Pommerat avec ses "acteurs" est simple et limpide, les mots se retrouvent comme en vrai dans la bouche des comédiens et l'on se croit dans une vraie boulangerie - café un peu vieillotte qui est en train de péricliter. 


Marius - Joël Pommerat - TNS - Photo: Agathe Pommerat


Le patron, César, qu'incarne avec justesse Jean Ruimi en homme sensible et fatigué, mais très humain, arrive à faire passer toute l'émotion de ce conte moderne dans lequel son fils, Marius - Michel Galera tout en intériorité boudeuse - essaie de s'échapper vers le grand large. Elise Douyère (que nous avions aussi déjà pu apprécier dans la pièce précédente) porte avec force le personnage de Fanny qui révèle peu à peu, à la foi ses sentiments et sa détermination, sa lucidité, ses émotions aussi. Le personnage de Panisse, haut en couleur est très bien porté par Bernard Traversa dans une multiplicité de sentiment et son rapport au téléphone fait comique de répétition. Redwane Rajel donne à la silhouette de Piquoiseau, l'émissaire de l'ailleurs rêvé, un côté à la fois lutin, mutin et malin qui lui va bien. Les trois autres personnages, Escartefigue (Ange Menelyk), le fada (Damien Baudry) et "le douanier de Lyon" (Ludovic Velon) complètent bien ces portrait qui visent juste et peuplent ce monde en miroir où les problèmes de la société d'aujourd'hui (le commerce, le marketing, la relation client, les affaires,..) se confronte avec les sentiments qui n'osent s'exprimer. 


Marius - Joël Pommerat - TNS - Photo: Agathe Pommerat


C'est avec beaucoup de justesse, autant dans le texte, très bien écrit et les mots choisis, que dans la dramaturgie bien dosée et dans le jeu très convaincant, qu'affleurent les émotions, les sentiments. Les problèmes économiques de cet artisan qui commence à ne plus voir l'avenir, tout en devant assumer celui de son fils, orphelin, et l'immense rêve de changement et d'évasion de ce dernier pointent, à travers le classicisme de la pièce, sur des sujets d'actualité, mais également sur des situations universelles. 


Marius - Joël Pommerat - TNS - Photo: Agathe Pommerat


Et il n'est ici pas question de clinquant et de richesse si ce n'est la richesse de l'âme humaine et, à l'opposé le kitsch de la sonnerie de téléphone de Panisse. La très belle qualité de ce spectacle prouve que l'on peut faire un travail engagé socialement et humainement tout en proposant au public une très belle prestation. Joël Pommerat nous offre ici une adaptation engagée de Pagnol qui ouvre les espaces et les réflexions sur la liberté en même temps qu'elle permet l'expression des acteurs qui ont pu y participer à la construction avec la collaboration artistique de Caroline Giuela Nguyen et de Jean Ruimi qu'il faut ici saluer. Un moment de théâtre, émouvant et crédible.


La Fleur du Dimanche


Marius

Au TNS à Strasbourg - du 13 avril au 3 mai 2025

[Librement inspirée du texte de]
Marcel Pagnol
[Création théâtrale] Joël Pommerat
[Avec] Damien Baudry, Élise Douyère, Michel Galera, Ange Melenyk, Redwane Rajel, Jean Ruimi, Bernard Traversa, Ludovic Velon
[Collaboration artistique] Caroline Guiela Nguyen, Jean Ruimi 
[Scénographie et lumière] Éric Soyer
[Costumes] Isabelle Deffin
[Création sonore] François Leymarie, Philippe Perrin
[Assistanat à la mise en scène] Guillaume Lambert (à la création), Lucia Trotta
[Renfort assistant] David Charier
[Régie son] Fany Schweitzer
[Régie lumière] Julien Chatenet, Jean-Pierre Michel
[Régie plateau] Ludovic Velon
[Construction décors] Thomas Ramon - Artom
[Accessoires] Frédérique Bertrand
[Administration] Elsa Blossier
[Co-direction] Magali Briday-Voileau
[Production] Alice Caputo
[Tournées] Pierre-Quentin Derrien
[Direction de production] Lorraine Ronsin-Quéchon
Avec l'accompagnement de Jérôme Guimon de l'association Ensuite.
Production Compagnie Louis Brouillard
Coproduction MC93 – Maison de la culture de Seine-Saint-Denis à Bobigny, La Coursive - Scène nationale de La Rochelle, le Festival d’Automne à Paris, le Théâtre de Brétigny-sur-Orge, Points-Communs - Nouvelle scène nationale de Cergy-Pontoise et du Val d’Oise, le Printemps des Comédiens - Cité européenne du théâtre - Domaine d’O - Montpellier. Avec le soutien de la Fondation d’entreprise Hermès, de l’association Ensuite, et du Théâtre de l'Agora - Scène nationale de l’Essonne.
Ce spectacle n’aurait pas vu le jour sans le soutien logistique, financier et moral de ses partenaires précieux, qui ont permis les restitutions publiques en 2017 au sein de la Maison Centrale d’Arles malgré toutes les difficultés à surmonter : La Maison Centrale d’Arles ; La compagnie Les Hommes Approximatifs ; Le Théâtre d'Arles, scène conventionnée art et création-nouvelles écritures ; La Garance - Scène nationale de Cavaillon ; Jean-Michel Grémillet ; Le SPIP 13 ; La Direction Interrégionale des Services Pénitentiaires PACA ; La Direction et les personnels de la Maison Centrale ; L’Équinoxe - Scène nationale de Châteauroux ; Le Printemps des Comédiens ; La MC93 - Bobigny ; Le CNCDC de Châteauvallon - Scène nationale ; La Coursive - Scène nationale de La Rochelle ; Le Théâtre Olympia - Centre dramatique national de Tours ; Le Merlan - Scène nationale de Marseille ; La Criée - Théâtre National de Marseille ; Le Théâtre de la Porte-Saint-Martin ; la Fondation E.C. Art Pomaret ; la Fondation d’entreprise Hermès.


vendredi 25 avril 2025

Je suis venu te chercher de Claire Lasne Darcueil au TNS: Le faste extra-ordinaire occupe la scène

 Avec son Festival Les Galas que Caroline Giuela Nguyen a lancé cette saison au TNS, c'est la fête et la célébration de toutes les personnes qui n'ont pas l'habitude d'aller au théâtre, que ce soient des personnes éloignées de la culture, des personnes moins intégrées socialement et aussi de personnes en situation de handicap. Et quel est le meilleur moyen de les faire venir sinon que de les mettre sur scène et de leur donner la parole.


Je suis venu te chercher - Claire Lasne Darcueil - TNS - Photo: Jean-Louis Fernandez


C'est donc la mission qu'elle a confiée à Claire Lasne Darcueil et qui a abouti à cette pièce Je suis venu te chercher.

Cette phrase, "Je suis venu te chercher" que l'on met souvent dans la bouche de la mort quand l'heure a sonné, est ici un peu décalée et s'adresse à un père inconnu que cherche Amir (imposant et très sensible Salif Cissé) désespérément - peut-être aussi en pensant à sa propre mort, pour ne pas mourir sans savoir - et surtout pour avoir quelque chance de retrouver ce géniteur avant que celui-ci ne disparaisse. Il est "guidé" par un "ange" de 92 ans et qui apparaît sur les écrans. Cette quête, c'est le procédé, l'histoire que Claire Lasne Darcueil a inventée pour faire tenir ensemble les témoignages de quelques soixante personnes de plus de soixante ans auprès de qui des équipes (elle-même, Nathalie Trotta et Fanny Mentré, Ana Darcueil et Béatrice Dedieu) dont elles sont allées collecter les souvenirs. Il est vrai que depuis le romantisme, à la fin du dix-neuvième siècle, l'expression de l'individu a pris une part importante dans la littérature et que, depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, les souvenirs et les archives sont devenues plus importantes et, que, surtout depuis les années 80, les livres de mémoire familiales se sont vraiment développés. L'individu cherche à se positionner par rapport à la Grande histoire, avec à la fois ce besoin d'identité et de transmission. L'on se sent le besoin d'exister par rapport aux autres. 


Je suis venu te chercher - Claire Lasne Darcueil - TNS - Photo: Jean-Louis Fernandez


Et le dispositif de cette pièce y répond totalement. Certaines personnes ayant été interrogée sont sur la scène et incarnent leur propre histoire - également certaines d'autres, ce qui induit une certaine confusion dans le récit. Tout comme la volonté de faire correspondre ces expression et souvenirs à ce fil d'intrigue presque policière. La multiplicité des témoignages apporte une belle richesse de vécus et quelques éclairages - par exemple les aspects illégaux, en France, des tests d'ascendance génétiques qui initie l'intrigue, de même que la recherche d'un père ou d'une mère - si on n'a pas été "abandonné".


Je suis venu te chercher - Claire Lasne Darcueil - TNS - Photo: Jean-Louis Fernandez


L'arrivée sur scène à certains moment de la cinquantaine de personnes impliquées, à la fois individus et foule, dans de superbes costumes est également un élément très plaisant tout en étant fortement symbolique. Et le travail sur l'écriture "corps" de Kaori Ito (dont on connait aussi la sensibilité à la famille et à ces relations aux publics "autres" et à l'ouverture de la scène la plus large possible) apporte une force et une puissance à la pièce. La reconnaissance du nombre et aussi de la diversité (qui est largement représentée dans ces acteurs amateurs). Leur engagement plus ou moins important est bien équilibré. Ces apparitions, de même que les quelques chansons au sujet quelquefois proche de la thématique rythment la pièce qui finit comme un conte de fée (tins cela me rappelle quelque chose). 


Je suis venu te chercher - Claire Lasne Darcueil - TNS - Photo: Jean-Louis Fernandez


Et pour rester dans le même registre, nos souhaitons à Caroline Giuela Nguyen que ces spectacles et les autres du festival Les Galas puissent à l'avenir remplir durablement les salles du TNS.


La Fleur du Dimanche


Je suis venu te chercher.

A Strasbourg, au TNS - du 24 au 30 avril 2025


[Écriture texte et mise en scène] Claire Lasne Darcueil
[Écriture corps] Kaori Ito 
[Avec les acteur·rices] Salif Cissé, Lisa Toromanian
Et Liliane Hamm, Marie-Cécile Althaus, Pierre Chenard, Jean Haas, Jean-Raymond Milley, Dominique Wolf
[Et le chœur dansant d’habitant·es] Mahi Arifur Rahman, Léa Balouka, Jocelyne Blanchard, Florent Boilley, Claude Bonnarel, Anne-Marie Brisbois, Pierre Darroman, Michèle Delemontex, Anne Groh, Hélène Grosjean, Liliane Guignard, Gwenaëlle Hebert, Raphaëlle Henot, Isabelle Itic, Marie-Noël Jardot, Émilia Jeunesse, Catherine Jung,Tristan Klein, Claire Koné, Salsabil Krysik, Agnès Legrain, Stella Marc-Zwecker, Marie Martinez, Isabelle Mehl, Thérèse Muambombo, Léonie Muller, Obaid Naeemi, Esma Nizamoglu Esenkoylu, Ruby Owcarz, Yasemin Ozbal, Dany Rabearisoa, Laure Razon, Mattéo Ringenbach, Anne-Marie Sirna, Tamara Sokhadze, Emmanuelle Stephan, Lilou Suchet, Régine Tomasi, Martine Urban, Austin William, Gabriel Willinger, Florian Winkel , Pascale Wonner, Kadiatou Zinck
[Collaboration artistique] Paola Secret 
[Collaboration corps] Léonore Zurflüh
[Collaboration chants] Mathilde Mertz
[Accompagnement des habitant·es acteur·rices] Nathalie Trotta
[Vidéo] Anna Darcueil 
[Lumière] Félix Depautex 
[Costumes] Pauline Zurini
[Son] Mathieu Martin 
[Réalisation graphique] Roman Suarez Pazos
Production Théâtre national de Strasbourg, Compagnie Polé Polé
Coproduction TJP - Centre dramatique national Grand Est
Avec l’accompagnement du Centre des Récits du TnS 
Les décors et costumes sont réalisés par les ateliers du TnS. 
Création le 24 avril 2025 au Théâtre national de Strasbourg

Exit au Maillon: Passeport pour passe-portes ou les portes du moulin donnent des ailes

 On pourrait dire que les quatre complices de la compagnie Circumstances de Piet van Dycke ont inventé le mouvement perpétuel avec Exit présenté au Maillon. D'ailleurs, sont-ils vraiment quatre, ou plus? Quatre à entrer et sortir de cette porte - une au départ - de ce semblant de château (fort ) qui pourrait bien se transformer en moulin avec ces quatre, non pas Mousquetaires, mais Dom Quichotte. 


Exit - Piet Van Dycke - Circumstances - Photo: Jona Harnischmacher


Quelle ronde infernale, à donner le tournis quand en est à se demander d'où ils viennent et où ils vont. Et ce, d'autant plus qu'il ne sont pas habillés pareils, avec cependant un rappel de vert, en bande, mais pas toujours au même endroit sur leur T-shirt. Et puis quand ils ont fini de faire le tour de la salle, vers l'avant et l'arrière, on arrive un peu mieux à les identifier. Il y a bien le plus petit avec ses lunettes et son air ébahi, et l'autre avec son petit chignon sur la sommet du crâne, mais combien y en a-t-il d'autres qui sortent de ces portes - ou empêchent ceux qui sont dehors de rentrer. Et puis il y en a qui sont habillés différemment, en maillot gris, puis en chemises bleues, puis en veste. On s'y perd. Et alors que nos marcheurs éternels ont commencé à se stabiliser et qu'ils se sont un peu "épaulés", ne voilà-t-il pas que tout bascule et que la porte du milieu se renverse, tête bêche.


Exit - Piet Van Dycke- Circumstances - Photo: Jona Harnischmacher


Et c'est l'occasion d'un nouveau challenge. Alors qu'ils se sont familiarisés entre eux et avec leur environnement mouvant - ces portes qui, comme dans un moulin, battent et claquent, objet d'un ballet et de déplacements mystérieux et synchronisés - c'est l'occasion d'une autre exploration. Ils vont se concentrer sur ce passage élevé, à priori hors d'atteinte, dont ils nous prouvent par de multiples essais l'impossibilité d'y accéder. Mais on va découvrir que l'entraide et la coopération sont les clés de ce paradis perché. Et la magie opère quand ce qui était hors d'atteinte devient un espace conquis. Et commun.


Exit - Piet Van Dycke- Circumstances - Photo: Jona Harnischmacher

Belle métaphore de l'exploration, de la découverte, de la colonisation. Concept que l'on peut aussi analyser au niveau individuel - chacun a ses frontières et ses espaces à découvrir, et une fois découverts, ils deviennent sinon propriété personnelle, au moins connus et familiers. Et au niveau du destin de l'Humanité, c'est la même course à l'occupation, à l'exploitation et, à la limite, à l'appropriation indue ou à l'usurpation. 


Exit - Piet Van Dycke- Circumstances - Photo: Jona Harnischmacher


La dramaturgie du spectacle montre très bien ce grignotage de l'espace et son appropriation qui devient banale, alors que juste avant on ne pouvait même pas se l'imaginer.

Au point que l'on se demande comment cela va continuer. C'est bien sûr toujours une surprise et un éblouissement de découvrir l'agilité et l'habileté dont la petite troupe fait preuve en acrobaties et exercices d'équilibre. Surtout quand le grand panneau avec la porte, non seulement bascule, mais que les quatre protagonistes occupent ce terrain mouvant et instable. Et que ce panneau n'est pas juste un terrain d'équilibre, mais qu'il devient aussi un outil de mise en mouvement, d'énergie, de culbute et de tournoiement.


Exit - Piet Van Dycke - Circumstances - Photo: Jona Harnischmacher

Le sommet est atteint quand l'ensemble des quatre complices font justement preuve de leur "union" en se déplaçant "comme un seul homme" au niveau de leur centre de gravité commun. Et ce, même quand ils n'ont plus les pieds sur ce support mouvant et instable, parce que certains sont carrément portés par les autres. Au risque de tous les danger et de la chute possible à chaque instant. Un moment d'une extrême concentration et tension. Mais dans une dernière "tournée" de portes, ils nous laissent remettre, nous aussi, les pieds sur terre. Et les applaudir chaleureusement pour leurs exploits. Une mention spéciale aux musiciens Batiaan van Vuuren et Bastian Benjamin qui, par leurs compositions en rythmes et percussions nous ont posé un tapis pour nous emmener sur ces chemins instables et mouvants, émouvants.  


La Fleur du Dimanche


Exit


Au Maillon - du 24 au 26 avril 2025
Concept et chorégraphie : Piet Van Dycke
Avec : Benedikt Löffler, Harrison Claxton, Christopher Mc Auley, Samuel Rhyner
Musique : Bastiaan van Vuuren / Bastian Benjamin
Dramaturgie : Marie Peeters
Installation : Arjan Kruidhof et Arjen Schoneveld
Soutien scénographique : Menno Boerdam
Technique : Casper Van Overschee
Recherche : Bavo De Smedt, Marius Cavin et Raff Pringuet
Coproduction : Festival Circolo / DansBrabant / Theater op de Markt-Dommelhof / HET LAB Hasselt / Circ’uit / Miramiro / Cirklabo
Avec le soutien de : PLAN / Stad Leuven / Grensverleggers/deBuren

 

jeudi 24 avril 2025

Emmanuel Eggermont à Pôle Sud: About Love and Death - Le cercle de l'amour

About Love and Death d'Emmanuel Eggermont, présenté à Pôle Sud porte le sous-titre Elegie pour Raimund Hoghe. Ce n'est pas à proprement parler un "hommage" comme pouvait l'être la première pièce du triptyque, intitulée An evening with Raimund, ni la troisième, Simple Things, fragments des pièces du maître. C'est plutôt un poème triste et mélancolique qui célèbre et fait revivre son souvenir.

Raimund Hoghe, d'abord journaliste puis dramaturge de Pina Bausch pendant dix-neuf ans, a ensuite fait de la mise en scène de théâtre avant de monter lui-même en scène en 1994 et d'être reconnu comme un très grand chorégraphe en France et en Allemagne, entre autres. Emmanuel Eggermont, collaborateur fidèle de Raimund Hoghe et qui a dansé dans quelques-unes de ses chorégraphies, dont Boléro Variation ou L'après-midi est devenu, au décès de Hoghe en 2021, le légataire des ses oeuvres et s’investit dans la transmission de son héritage en France et en Europe. 


Emmanuel Eggermont - Pôle Sud - About Love and Death - Photo: Jihyé Jung


Sa pièce About Love and Death est comme un long poème construit à partir de chansons et d'extraits sonores de films sur lesquels il imprime son style chorégraphique, une danse minimaliste d'une extrême précision. Une danse qui va dans l'âme de la musique, en suivant justement les recommandations de Raimund Hoghe dont il disait qu'il lui "a transmis cette grande leçon du mouvement nécessaire et essentielle qu’il tenait de Maria Callas: «La seule chose que vous avez à faire, c’est écouter la musique, et la musique vous dira comment bouger […]. La musique est le chemin le plus direct pour aller au coeur des gens»." 


Emmanuel Eggermont - Pôle Sud - About Love and Death - Photo: Jihyé Jung


Ainsi pendant presqu'une heure et demie, il va nous construire un poème visuel et sonore fait de multiples assemblages, que ce soient des chansons, des morceaux de musique, des extraits de bandes sonores de films et même du bruit nostalgique d'un disque qui tourne à vide alors que la chanson est finie. Cela commence par la chanson de Nina Simone Everything Must Change dont les paroles sont projetées en poème sur l'écran tandis qu'il arrive doucement sur scène pour poser deux verres remplis d'une substance blanche à Cour et à Jardin. Il s'allonge dans cette continuité, immobile, puis, avec ses gestes intériorisés, dans des désaxement minimaux et précis de ses bras et jambes - coude poignets, doigts, genoux, cheville, hanche..., et de sa tête en synchrone, il va tracer, boucler, limiter l'espace en toute simplicité et dans une grande élégance et, progressivement se lever:

Everything must change
Nothing remains the same
Everyone must change
No one and nothing remains the same

Young becomes old
And mysteries do unfold
That's the way of time
Nothing, no one remains unchanged
...

S'ensuivront des chansons, aussi variées que la chanson de Johny Guitar, une chanson de Joséphine Baker, une magnifique et virtuose version de Singing in the rain où, dans une économie de gestes, mais pas moins virtuose que Gene Kelly, il nous éblouit de son style souple et élégant - un monument! 


Emmanuel Eggermont - Pôle Sud - About Love and Death - Photo: Jihyé Jung



Changement de costume et jeu avec les rideaux pour un Cold Song de Purcell impressionnant, puis un poème de Heinrich Heine :

Die Nacht war lang, die Nacht war kalt,
Es waren so kalt die Steine;
Es lugt' aus dem Fenster die blasse Gestalt,
Beleuchtet vom Mondenscheine!


L'émotion baigne le plateau que les très fines et délicates variations de lumière d'Alice Dussart transforme au fil des séquences. Le rideau discret est l'occasion d'apparitions, comme celle avec la robe verte magnifiée par le bleu qui baigne le plateau. L'esprit de Raymund Hoghe diffuse et emplit l'atmosphère dans une séquence très émouvante avec Sinatra qui chante la chanson de Trénet "Que reste-t-il de nos amours" - I wish you love:

I wish you shelter from the storm, a cozy fire to keep you warm,
But, most of all, when snowflakes fall, I wish you love.

Suit un texte d'Hervé Guibert et un bruit de mer qui l'amène à se dévêtir méticuleusement pour entrer dans la mince ligne blanche de l'horizon en fond de scène puis à s'allonger, fragile, vêtu d'une couverture de survie, écoutant l'hommage de Pasolini à Marilyn:

Del mondo antico e del mondo futuro
era rimasta solo la bellezza, e tu,
povera sorellina minore,
quella che corre dietro ai fratelli più grandi,
...

Emmanuel Eggermont - Pôle Sud - About Love and Death - Photo: Rosa Franck



L'énergie revient après les Feuilles mortes et une très symbolique version de Carmen puis une sorte de boléro sur la chanson de Gilbert Bécaud "Et maintenant" sur le tapis de danse démonté. Energie qui monte d'un cran et qui lorgne un peu vers le mode humoristique avec une danse disco allégorique très engagée. 

Et la boucle est bouclée, le strass et les paillettes retombent.

Et l'on peut ajouter à Nina Simone qui nous chante à nouveau:
There are not many things in life
You can be sure of, except
Rain comes from the clouds
Sun lights up the sky
And hummingbirds do fly

Il n’y a pas beaucoup de choses dans la vie
Dont vous pouvez en être sûr, sauf que
La pluie vient des nuages
Le soleil illumine le ciel
Et les colibris volent
...

... Que ce spectacle est magnifique et Emmanuel Eggermont est un immense danseur.
Effectivement, une chose est sûre, la soirée fut magique, un merveilleux voyage entre nostalgie, amour et mélancolie, une très belle élégie!


La Fleur du Dimanche



A pôle Sud - le 23 et 24 avril 2025

Conception, chorégraphie et interprétation : Emmanuel Eggermont
Collaboration artistique : Jihyé Jung
Régie sonore : Julien Lepreux
Création lumière : Alice Dussart
Remerciements : Kite Vollard
Production et diffusion : Sylvia Courty, Boom’Structur
Administration de production : Violaine Kalouaz


Production : L’Anthracite
Coproductions : CCNT direction Thomas Lebrun, Le Gymnase CDCN Roubaix Hauts-de- France, CCAM / Scène Nationale de Vandœuvre, Les Rencontres Chorégraphiques Internationales de Seine-Saint-Denis, Charleroi Danse – Centre chorégraphique de la Fédération Wallonie-Bruxelles
Avec les aides : de la DRAC Hauts-de-France et de la Région Hauts-de-France

mercredi 23 avril 2025

Valentina de Caroline Giuela Nguyen au TNS: Un conte de fée d'aujourd'hui: Nécrose, c'est la vie

 La nouvelle pièce Valentina de Caroline Giuela Nguyen est annoncée au TNS dans la salle Gignoux. Cela laisse présager une pièce plus intime que ses dernières créations, Saigon, grande fresque historique et Lacrima, ce docu-fiction appelé à devenir une série télévisée. Mais nous allons être surpris et c'est tant mieux.


Valentina - Caroline Guiela Nguyen - TNS - Photo: Lara Haby


La scène comme lieu de transformation, de sublimation.


Le décor (une scénographie d'Alice Duchange, qui fait partie depuis 2008 de la compagnie des Hommes Approximatifs dirigée par Caroline Guiela Nguyen), ressemble à la fois à un studio photo - ce type de décor qui fait la signature visuelle du TNS de la nouvelle directrice - et pourrait aussi être un décor d'église, avec à gauche une niche contenant une relique et à droite l'image, non pas d'un saint, mais d'un coeur. C'est d'ailleurs ce "coeur martyr", que l'on trouve dans une forêt près de Bucarest, et que nous découvrons grâce à un dispositif vidéo de Jérémie Schneider que le cadreur Aurélien Losser, tout au long de la pièce, "sublime" et "traduit en images" qui sont projetées sur un écran derrière les personnages. Saluons la qualité exceptionnelle de ses cadrages au plus près des expressions, en direct et en mouvement. Des mouvements qu'il transmet quelquefois à l'image pour renforcer les émotions des comédiens. Et au début l'image se nimbe d'une atmosphère de film ancien avec des effets vaporeux, comme sortie d'un très long sommeil, et couverte de poussière. 


Valentina - Caroline Guiela Nguyen - TNS - Photo: Lara Haby


Traduction, trahison, transformation

L'histoire qui nous est contée, qui pourrait très bien être réelle, est celle d'une femme obligée d'émigrer de Roumanie en France pour des raisons de santé, de problèmes de coeur. Elle navigue entre épisode mystique et conte de fées. Elle est pleine de rebondissements, émouvante aussi, une émotion quelquefois poussée à ses limites, comme Caroline Guiela Nguyen en maîtrise bien les ficelles. Mais elle apporte des réflexions universelles et très actuelles. On peut la résumer en trois mots: Traduction, trahison, transformation. Et, éventuellement, fusion, et quelques dérivés. 

La question de la traduction - et de ses limites et de ses pièges - est évidente, puisque l'on voit très concrètement le piège dans lequel peut se retrouver une personne, en l'occurrence ici la mère, dans un pays dont elle ne connaît pas la langue, piégées (à l'origine, tradere, c'est "livrer à l'ennemi" - le traître). Et l'on constate très bien comment cette mère essaie de se dépêtrer de ses filets dans lesquels l'enferme et la lie le médecin. 


Valentina - Caroline Guiela Nguyen - TNS - Photo: Lara Haby


Et l'on voit (ou entend) aussi comment les mots et les sens sont au mieux transformés, au pire incompris, dans ces multiples situations de transmission du sens. Cela va de l'incompréhension à l'exclusion, même avec ceux de bonne volonté, comme le cuisinier de l'école qui fait la traduction bénévole (Marius Stoian, discret violoniste également). Nous suivons cette escalade dramatique qui découle de ces problèmes de compréhension et de sollicitude difficile à mettre en oeuvre dans ce type de situation. Une problématique à laquelle la pièce nous fait prendre conscience. Un autre aspect de cette problématique de traduction c'est la possibilité de transformation, voire carrément de modification du message par la fille, Valentina. Du fait de sa capacité à apprendre et à maitriser ("elle est très intelligente"), elle peut jouer sur les lacunes des un(e)s et des autres pour maîtriser le discours et transformer, travestir la réalité en jouant sur ces "solutions de continuité" dans la communication pour essayer d'arranger les choses à sa manière dans les relations triangulaires. La scène entre la directrice de l'école de Valentina et sa mère, dans laquelle Valentina joue sur les lacunes de la communication verbale alors que les gestes pourraient être des indices, est un sommet du suspense pour en terme de duplicité. 


Valentina - Caroline Guiela Nguyen - TNS - Photo: Lara Haby


Saluons aussi le double rôle de Chloé Catrin qui passe avec virtuosité - sans qu'on remarque la transformation - du rôle de directrice d'école et de médecine. Dans le registre de la transformation et de la trahison, relevons les deux "instruments de trahison et de transformation" que sont l'ours "Grosnounours", et le "changeur de voix" de Valentina. Ce dernier, qui lui permet de se faire passer pour son père et "Grosnounours", ce stratagème utilisé par la directrice d'école pour essayer, comme outil de surveillance insidieuse, d'avoir un moyen "d'espionner" traitreusement la jeune fille via un "journal de liaison", mais qui ne semble aboutir à rien. 


Valentina - Caroline Guiela Nguyen - TNS - Photo: Lara Haby


Vérité, mensonge, fusion, confusion


Sur ce plan de la transformation et de la trahison relevons aussi la position de Valentina vis-à-vis de la vérité et au mensonge, le mensonge pour lequel nous avons une très belle explication en quatre point A,B,C,D par Monsieur Popa, le cuisinier, et dont le quatrième point, A, que je vous laisse découvrir dans le spectacle, alimente les aspects symboliques liés aux contes et à la psychanalyse. A savoir son rapport à sa mère, son amour pour elle et le poids que Valentina doit porter pour sauvegarder la santé de celle-ci. Tout comme elle doit accepter la perte. Ce qu'elle refuse par-dessus tout et qui sera le moteur de la fin de la pièce (qui au départ s'appelait "La Vérité"). Et qui donc, d'une part oblige tout le monde à mentir, et pousse Valentina à fusionner (une fusion d'amour) avec sa mère. Notez au passage le fait qu'elle invente à son père le métier de "sydérurgiste": quelqu'un qui travaille la fonte et où, dans le creuset, se trouve le "coeur de fusion". 


Valentina - Caroline Guiela Nguyen - TNS - Photo: Lara Haby


Il y a aussi, dans la pièce, cet envahissement de sentiments, ces effusions entre mère et fille - notons que le casting réunit mère et fille: la mère Loredana Iancu et Agelina en Valentine - en alternance avec Cara Parvu qui jouait pour la première. Ce choix apporte une émotion supplémentaire au spectacle. L'émotion est bien réelle et lors des saluts nous percevons le bonheur des interprètes qui déborde, soutenu par le public enthousiaste. Il a bien raison de saluer les performances de ces acteurs non professionnels, dont Paul Guta que nous n'avons pas encore cité et qui non seulement joue le père, mais assure aussi avec Marius Stoyan toute la partie musicale au violon. 


Valentina - Caroline Guiela Nguyen - TNS - Photo: Lara Haby


Avec Valentina, Caroline Guiela Nguyen prouve une fois encore son talent de conteuse de récits contemporain, sa capacité à traiter de questions actuelles et très concrètes sous de formes diverses et également son engagement à porter le théâtre auprès d'un public qui n'est pas du tout habitué à cette expression artistique. Et elle n'hésite pas à les placer au coeur du jeu et du plateau. Un sacré challenge, pour le coup, réussi.


La Fleur du Dimanche


* nécrose (wiki): L'infarctus du myocarde est une nécrose (mort de cellules) d'une partie du muscle cardiaque provoquée par un défaut d'apport sanguin (ischémie) dans le cadre de la maladie coronarienne. En langage courant, on l'appelle le plus souvent une « crise cardiaque » ou simplement infarctus.


Le spectacle ouvre et s'inscrit dans la manifestation Les Galas - 10 jours de fête et de création avec toute une série de spectacles et de manifestations dans les différents lieux et salles du TNS.

Valentina

Au TNS à Strasbourg, du 23 au 30 avril 2025

Création du TnS - Production
Spectacle en français et en roumain, surtitré
[Texte et mise en scène] Caroline Guiela Nguyen
[Avec] Chloé Catrin, Loredana Iancu, Marius Stoian, Paul Guta, Angelina Iancu et Cara Parvu (en alternance) 
[Assistanat à la mise en scène] Iris Baldoureaux-Fredon, Amélie Énon 
[Dramaturgie] Juliette Alexandre 
[Complicité artistique] Paola Secret
[Scénographie] Alice Duchange 
[Vidéo] Jérémie Scheidler
[Lumière] Mathilde Chamoux 
[Son] Quentin Dumay 
[Musique] Teddy Gauliat-Pitois 
[Costumes] Caroline Guiela Nguyen, Claire Schirck 
[Maquillage] Emilie Vuez 
[Interprète français-roumain au plateau] Natalia Zabrian 
[Stagiaire à l'assistanat à la mise en scène] Noé Canel
Production Théâtre national de Strasbourg
Coproduction Piccolo Teatro de Milan, Théâtre de l’Union, Centre dramatique national du Limousin
Remerciements à l’association Migrations Santé Alsace et aux services de chirurgie cardiaque et de cardiologie des Hôpitaux Universitaires de Strasbourg, en particulier Dr. Baptiste Michard et Dr. Patrick Ohlmann 
Avec l’accompagnement du Centre des Récits du TnS
Le décor est réalisé par les ateliers du TnS.
Création le 23 avril 2025, dans le cadre des Galas du Théâtre national de Strasbourg 
Avant-première au festival FIND – Schaubühne, Berlin les 9 et 10 avril 2025
Le conte Valentina est publié chez Actes Sud.
Photos et teaser © Laura Haby - Les Indépendants

jeudi 17 avril 2025

La Dolce Vita de Stefano di Battista: La musique ensoleillée du Sud, à Schiltigheim, entre Naples et la Sicile

 Stefano di Battista est un musicien qui aime le soleil et la chaleur, qui aime aussi la musique et ses amis et collègues musiciens. Et il aime l'Italie et le public. On le constate à la manière qu'il a de nouer les complicités avec ses quatre accompagnateurs pour ce concert La Dolce Vita dans la belle salle de la Briqueterie à Schiltigheim pour une soirée placée sous le signe du soleil et de la nostalgie. Et aussi comment il sympathise avec le public, s'adressant à lui avec familiarité, identifiant ce couple qui devine les titres des morceaux qu'il va jouer (et marquant les point gagnés et perdus par chacun), et arrivant à débusquer "le" couple d'italiens de Naples. 


La Dolce Vita - Stefano di Battista - Schiltigheim - Photo: Robert Becker


Il adresse un geste particulier à untel ou unetelle dans la salle, dont il découvre avec un plaisir non dissimulé le nombreux public - depuis la scène, il n'en avait pas mesuré l'importance avant qu'on mette un peu de lumière sur le fond. Et c'est non sans un certain humour, qu'il propose au "junior" de la troupe, Matteo Cutello (26 ans - "il en avait 25 hier!") de faire une photo à envoyer à ses parents. C'est ce qu'il fait d'ailleurs, et même une vidéo - du public enthousiaste en fin de concert. Comme gag, humour de répétition, il taquine aussi les rivalités entre Napolitains et Siciliens (les Alsaciens connaissent bien ce type d'humour). Mais il est aussi, d'une certaine façon, nostalgique. Ce qu'en Angleterre on pourrait nommer spleen, en portugais saudate, c'est plutôt ici Amarcord (je me souviens), le côté rêverie mélancolique, assorti d'une langueur amoureuse qui a fait le bonheur du cinéma et de la chanson italienne.


La Dolce Vita - Stefano di Battista - Schiltigheim - Photo: Robert Becker


Et cela tombe bien pour nous, parce que Stefano di Battista est effectivement et essentiellement un musicien hors pair, un saxophoniste sensible et talentueux et il dispose d'un vaste répertoire dans lequel il peut puiser. Il l'avait fait précédemment avec l'excellent et éclectique compositeur Ennio Morricone. Et pour ce nouveau programme, il visite autant les musiques de films italiens des années 50 à 80, que la chanson de variété de qualité (dont le prix Eurovision de la Chanson) ou les tubes historiques dont les multiples interprétations sont arrivées jusqu'à nous en France, de Lucio Dalla à Paolo Conte.


La Dolce Vita - Stefano di Battista - Schiltigheim - Photo: Robert Becker


Mais il ne se contente pas de les interpréter. Avec son groupe, et en particularité avec le pianiste Frédéric Nardin (qui avait déjà fait ce travail sur le précédent album), il leur donne une touche particulière et surprenante. Cela débute par Tu vuò fa l'americano, une chanson les années 50 de Renato Carosone et Nicola Salerno, balancée et entraînante, avec lui au saxophone et Matteo Cutello à la trompette qui forment un beau couple avec un beau mariage sonore, le son velouté du saxophone et la précision claire et pointue de la trompette. Soutenus par le rythme vif de la contrebasse de Daniele Sorrentino et Luigi Del Prete à la batterie.


La Dolce Vita - Stefano di Battista - Schiltigheim - Photo: Robert Becker

La Dolce Vita - Stefano di Battista - Schiltigheim - Photo: Robert Becker


Cela continue sur le même élan avec l'air de La vita è bella, composée par le grand musicien de films Nicola Piovani pour le film éponyme de Roberto Begnini (Oscar de la meilleure musique de film) pour lequel Stefano di Battista et Matteo Cutello s'engagent dans une très belle joute endiablée.


La Dolce Vita - Stefano di Battista - Schiltigheim - Photo: Robert Becker


Changement de style avec le tube de Lucio Dalla, Caruso un hommage au ténor Enrico Caruso, une version plus nostalgique que celle, pathétique, d'origine. Tout comme la version du Via con me de Paolo Conte qui gagne ici en vélocité. Curieusement, la version de Volare (Nel blu dipinto di blu) de Domenico Modugno - gagnante du Festival de Sanremo en 1958 et représentant l'Italie à l'Eurovision mais qui a eu plus de succès que la chanson française (Dors, mon amour, qui a remporté le prix, mais largement oubliée depuis) - est encore plus mélancolique et désenchantée que l'originale.


La Dolce Vita - Stefano di Battista - Schiltigheim - Photo: Robert Becker


Suit un air de Piero Umiliani, Sentirsi Solo que jouait le personnage de Chet Baker, interprété par Ethan Hawke, dans le film Born to be Blue mais que joue le trompettiste canadien Kevin Turconte. Effectivement le morceau n'a pas été composé pour ce film, mais Chet Baker le jouait souvent lors de ses séjours à Rome et en Italie, justement avec Enrico Rava et Piero Umiliani . Et c'est vrai que le côté désespéré et fragile également bien rendu dans cette version lui va bien.


La Dolce Vita - Stefano di Battista - Schiltigheim - Photo: Robert Becker


On ne quitte pas le côté nostalgique, voire dramatique avec La califfa composé par Ennio Morricone pour le film d'Alberto Bevilacqua avec Romy Scheider, une très belle balade où le piano de Frédéric Nardin et le saxophone soprano de Stefano di Battista dansent non pas sous la baguette, mais sous les doux balais du batteur Luigi Del Prete. On continue avec une autre composition d'Ennio Morricone, The Good, the Bad and the Ugly (Le bon, la Brute et le truand) issu de son précédent disque Morricone stories, une version bien dopée, où l'on sent la très belle union et harmonie dans le groupe.


La Dolce Vita - Stefano di Battista - Schiltigheim - Photo: Robert Becker

La Dolce Vita - Stefano di Battista - Schiltigheim - Photo: Robert Becker


Pour le "rappel" prémédité, la sympathique troupe nous offre La dolce vita qui a donné son titre au concert, hommage au film film éponyme de Fellini, le maître de la nostalgie italienne au cinéma - souviens toiAmarcord. Et pour cela, Stefano Di Battista et Matteo Cutello font une incursion acoustique dans la salle, autant pour prouver leur grand talent que pour se frotter au public, comme je le disais plus haut. Et le public est doublement ravi.


La Dolce Vita - Stefano di Battista - Schiltigheim - Photo: Robert Becker

On peut apprécier la qualité de jeu - sans micro et avec, les cuivres donnent toute leur subtilité de sonorités. Cette subtilité que l'on pouvait aussi apprécier avec la sonorisation tout au long du concert. Le son est magnifique et la précision des instruments impeccable. Le piano aurait peut-être gagné à être un peu plus présent pour mieux apprécier la dentelle sonore que nous tricottait avec délicatesse et vélocité Frédéric Nardin. Daniele Sorrentino, maitre de la contrebasse, lui nous impressionnait avec son toucher puissant et rapide, un géant du rythme. Luigi Del Prete de son côté, qui remplaçait André Ceccarelli a fait preuve des belles variations dans son jeu, autant à l'aise dans les rythmes rapides que pour les morceaux plus doux et ses quelques solos étaient brillants. Stefano Di Battista au saxophones soprano et alto et Matteo Cutello à la trompette étaient eux comme deux très vieux complices, arrivant à s'accorder ensemble avec virtuosité sur des airs où ils jouaient de manière complémentaire, tout comme ils alternaient quelques solos, Stefano Di Battista quittant quelquefois la scène pour laisser toute la place à Matteo Cutello. Mais il lui arrivait aussi de poser une main amicale sur l'épaule de Frédéric Nardin avec qui on sentait une très belle connivence.


La Dolce Vita - Stefano di Battista - Schiltigheim - Photo: Robert Becker

La Dolce Vita - Stefano di Battista - Schiltigheim - Photo: Robert Becker


Cette ambiance qui sourd aussi dans la salle et se propage auprès toutes et tous et vaut un double rappel, non attendu par Stefano qui nous gratifie de sa version de La cosa buffa d'Ennio Morricone du film La Cosa Buffa (La drôle d'affaire) réalisé en 1972 par Aldo Lado et adapté du roman éponyme de Giuseppe Berto. Cela nous vaut une très originale valse hésitation de Matteo Cutello pour se joindre au maestro Stefano di Battista et assurer sa suite. Et la soirée arrive à son apogé (si vous connaissez les parents de Matteo demandez-leur de vous montrer la vidéo). En tout cas pour le public cela a été une très belle découverte - ou plutôt une redécouverte sous un forme nouvelle - de chansons et mélodies qui nous suivent depuis longtemps et que nous avons pu apprécier ici avec une nouvelle vision, remises à neuf presque avec une nouvelle vie pour ces douceurs italiennes, délicieuses, tendres et bourrées d'énergie.


La Fleur du Dimanche 


Prochain Concert de La Dolce Vita de Stefano di Battista à l'Opéra National de Bordeaux - 19 avril 2025