About Love and Death d'Emmanuel Eggermont, présenté à Pôle Sud porte le sous-titre Elegie pour Raimund Hoghe. Ce n'est pas à proprement parler un "hommage" comme pouvait l'être la première pièce du triptyque, intitulée An evening with Raimund, ni la troisième, Simple Things, fragments des pièces du maître. C'est plutôt un poème triste et mélancolique qui célèbre et fait revivre son souvenir.
Raimund Hoghe, d'abord journaliste puis dramaturge de Pina Bausch pendant dix-neuf ans, a ensuite fait de la mise en scène de théâtre avant de monter lui-même en scène en 1994 et d'être reconnu comme un très grand chorégraphe en France et en Allemagne, entre autres. Emmanuel Eggermont, collaborateur fidèle de Raimund Hoghe et qui a dansé dans quelques-unes de ses chorégraphies, dont Boléro Variation ou L'après-midi est devenu, au décès de Hoghe en 2021, le légataire des ses oeuvres et s’investit dans la transmission de son héritage en France et en Europe.
 |
Emmanuel Eggermont - Pôle Sud - About Love and Death - Photo: Jihyé Jung |
Sa pièce About Love and Death est comme un long poème construit à partir de chansons et d'extraits sonores de films sur lesquels il imprime son style chorégraphique, une danse minimaliste d'une extrême précision. Une danse qui va dans l'âme de la musique, en suivant justement les recommandations de Raimund Hoghe dont il disait qu'il lui "a transmis cette grande leçon du mouvement nécessaire et essentielle qu’il tenait de Maria Callas: «La seule chose que vous avez à faire, c’est écouter la musique, et la musique vous dira comment bouger […]. La musique est le chemin le plus direct pour aller au coeur des gens»."
 |
Emmanuel Eggermont - Pôle Sud - About Love and Death - Photo: Jihyé Jung |
Ainsi pendant presqu'une heure et demie, il va nous construire un poème visuel et sonore fait de multiples assemblages, que ce soient des chansons, des morceaux de musique, des extraits de bandes sonores de films et même du bruit nostalgique d'un disque qui tourne à vide alors que la chanson est finie. Cela commence par la chanson de Nina Simone Everything Must Change dont les paroles sont projetées en poème sur l'écran tandis qu'il arrive doucement sur scène pour poser deux verres remplis d'une substance blanche à Cour et à Jardin. Il s'allonge dans cette continuité, immobile, puis, avec ses gestes intériorisés, dans des désaxement minimaux et précis de ses bras et jambes - coude poignets, doigts, genoux, cheville, hanche..., et de sa tête en synchrone, il va tracer, boucler, limiter l'espace en toute simplicité et dans une grande élégance et, progressivement se lever:
Everything must change
Nothing remains the same
Everyone must change
No one and nothing remains the same
…
Young becomes old
And mysteries do unfold
That's the way of time
Nothing, no one remains unchanged
...
S'ensuivront des chansons, aussi variées que la chanson de Johny Guitar, une chanson de Joséphine Baker, une magnifique et virtuose version de Singing in the rain où, dans une économie de gestes, mais pas moins virtuose que Gene Kelly, il nous éblouit de son style souple et élégant - un monument!
 |
Emmanuel Eggermont - Pôle Sud - About Love and Death - Photo: Jihyé Jung |
Changement de costume et jeu avec les rideaux pour un Cold Song de Purcell impressionnant, puis un poème de Heinrich Heine :
Die Nacht war lang, die Nacht war kalt,
Es waren so kalt die Steine;
Es lugt' aus dem Fenster die blasse Gestalt,
Beleuchtet vom Mondenscheine!
L'émotion baigne le plateau que les très fines et délicates variations de lumière d'Alice Dussart transforme au fil des séquences. Le rideau discret est l'occasion d'apparitions, comme celle avec la robe verte magnifiée par le bleu qui baigne le plateau. L'esprit de Raymund Hoghe diffuse et emplit l'atmosphère dans une séquence très émouvante avec Sinatra qui chante la chanson de Trénet "Que reste-t-il de nos amours" - I wish you love:
I wish you shelter from the storm, a cozy fire to keep you warm,
But, most of all, when snowflakes fall, I wish you love.
Suit un texte d'Hervé Guibert et un bruit de mer qui l'amène à se dévêtir méticuleusement pour entrer dans la mince ligne blanche de l'horizon en fond de scène puis à s'allonger, fragile, vêtu d'une couverture de survie, écoutant l'hommage de Pasolini à Marilyn:
Del mondo antico e del mondo futuro
era rimasta solo la bellezza, e tu,
povera sorellina minore,
quella che corre dietro ai fratelli più grandi,
...
 |
Emmanuel Eggermont - Pôle Sud - About Love and Death - Photo: Rosa Franck |
L'énergie revient après les Feuilles mortes et une très symbolique version de Carmen puis une sorte de boléro sur la chanson de Gilbert Bécaud "Et maintenant" sur le tapis de danse démonté. Energie qui monte d'un cran et qui lorgne un peu vers le mode humoristique avec une danse disco allégorique très engagée.
Et la boucle est bouclée, le strass et les paillettes retombent.
Et l'on peut ajouter à Nina Simone qui nous chante à nouveau:
There are not many things in life
You can be sure of, except
Rain comes from the clouds
Sun lights up the sky
And hummingbirds do fly
Il n’y a pas beaucoup de choses dans la vie
Dont vous pouvez en être sûr, sauf que
La pluie vient des nuages
Le soleil illumine le ciel
Et les colibris volent
...
... Que ce spectacle est magnifique et Emmanuel Eggermont est un immense danseur.
Effectivement, une chose est sûre, la soirée fut magique, un merveilleux voyage entre nostalgie, amour et mélancolie, une très belle élégie!
La Fleur du Dimanche
A pôle Sud - le 23 et 24 avril 2025
Conception, chorégraphie et interprétation : Emmanuel Eggermont
Collaboration artistique : Jihyé Jung
Régie sonore : Julien Lepreux
Création lumière : Alice Dussart
Remerciements : Kite Vollard
Production et diffusion : Sylvia Courty, Boom’Structur
Administration de production : Violaine Kalouaz
Production : L’Anthracite
Coproductions : CCNT direction Thomas Lebrun, Le Gymnase CDCN Roubaix Hauts-de- France, CCAM / Scène Nationale de Vandœuvre, Les Rencontres Chorégraphiques Internationales de Seine-Saint-Denis, Charleroi Danse – Centre chorégraphique de la Fédération Wallonie-Bruxelles
Avec les aides : de la DRAC Hauts-de-France et de la Région Hauts-de-France
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire