La nouvelle pièce Valentina de Caroline Giuela Nguyen est annoncée au TNS dans la salle Gignoux. Cela laisse présager une pièce plus intime que ses dernières créations, Saigon, grande fresque historique et Lacrima, ce docu-fiction appelé à devenir une série télévisée. Mais nous allons être surpris et c'est tant mieux.
![]() |
Valentina - Caroline Guiela Nguyen - TNS - Photo: Lara Haby |
La scène comme lieu de transformation, de sublimation.
Le décor (une scénographie d'Alice Duchange, qui fait partie depuis 2008 de la compagnie des Hommes Approximatifs dirigée par Caroline Guiela Nguyen), ressemble à la fois à un studio photo - ce type de décor qui fait la signature visuelle du TNS de la nouvelle directrice - et pourrait aussi être un décor d'église, avec à gauche une niche contenant une relique et à droite l'image, non pas d'un saint, mais d'un coeur. C'est d'ailleurs ce "coeur martyr", que l'on trouve dans une forêt près de Bucarest, et que nous découvrons grâce à un dispositif vidéo de Jérémie Schneider que le cadreur Aurélien Losser, tout au long de la pièce, "sublime" et "traduit en images" qui sont projetées sur un écran derrière les personnages. Saluons la qualité exceptionnelle de ses cadrages au plus près des expressions, en direct et en mouvement. Des mouvements qu'il transmet quelquefois à l'image pour renforcer les émotions des comédiens. Et au début l'image se nimbe d'une atmosphère de film ancien avec des effets vaporeux, comme sortie d'un très long sommeil, et couverte de poussière.
![]() |
Valentina - Caroline Guiela Nguyen - TNS - Photo: Lara Haby |
Traduction, trahison, transformation
L'histoire qui nous est contée, qui pourrait très bien être réelle, est celle d'une femme obligée d'émigrer de Roumanie en France pour des raisons de santé, de problèmes de coeur. Elle navigue entre épisode mystique et conte de fées. Elle est pleine de rebondissements, émouvante aussi, une émotion quelquefois poussée à ses limites, comme Caroline Guiela Nguyen en maîtrise bien les ficelles. Mais elle apporte des réflexions universelles et très actuelles. On peut la résumer en trois mots: Traduction, trahison, transformation. Et, éventuellement, fusion, et quelques dérivés.
La question de la traduction - et de ses limites et de ses pièges - est évidente, puisque l'on voit très concrètement le piège dans lequel peut se retrouver une personne, en l'occurrence ici la mère, dans un pays dont elle ne connaît pas la langue, piégées (à l'origine, tradere, c'est "livrer à l'ennemi" - le traître). Et l'on constate très bien comment cette mère essaie de se dépêtrer de ses filets dans lesquels l'enferme et la lie le médecin.
![]() |
Valentina - Caroline Guiela Nguyen - TNS - Photo: Lara Haby |
Et l'on voit (ou entend) aussi comment les mots et les sens sont au mieux transformés, au pire incompris, dans ces multiples situations de transmission du sens. Cela va de l'incompréhension à l'exclusion, même avec ceux de bonne volonté, comme le cuisinier de l'école qui fait la traduction bénévole (Marius Stoian, discret violoniste également). Nous suivons cette escalade dramatique qui découle de ces problèmes de compréhension et de sollicitude difficile à mettre en oeuvre dans ce type de situation. Une problématique à laquelle la pièce nous fait prendre conscience. Un autre aspect de cette problématique de traduction c'est la possibilité de transformation, voire carrément de modification du message par la fille, Valentina. Du fait de sa capacité à apprendre et à maitriser ("elle est très intelligente"), elle peut jouer sur les lacunes des un(e)s et des autres pour maîtriser le discours et transformer, travestir la réalité en jouant sur ces "solutions de continuité" dans la communication pour essayer d'arranger les choses à sa manière dans les relations triangulaires. La scène entre la directrice de l'école de Valentina et sa mère, dans laquelle Valentina joue sur les lacunes de la communication verbale alors que les gestes pourraient être des indices, est un sommet du suspense pour en terme de duplicité.
![]() |
Valentina - Caroline Guiela Nguyen - TNS - Photo: Lara Haby |
Saluons aussi le double rôle de Chloé Catrin qui passe avec virtuosité - sans qu'on remarque la transformation - du rôle de directrice d'école et de médecine. Dans le registre de la transformation et de la trahison, relevons les deux "instruments de trahison et de transformation" que sont l'ours "Grosnounours", et le "changeur de voix" de Valentina. Ce dernier, qui lui permet de se faire passer pour son père et "Grosnounours", ce stratagème utilisé par la directrice d'école pour essayer, comme outil de surveillance insidieuse, d'avoir un moyen "d'espionner" traitreusement la jeune fille via un "journal de liaison", mais qui ne semble aboutir à rien.
![]() |
Valentina - Caroline Guiela Nguyen - TNS - Photo: Lara Haby |
Vérité, mensonge, fusion, confusion
Sur ce plan de la transformation et de la trahison relevons aussi la position de Valentina vis-à-vis de la vérité et au mensonge, le mensonge pour lequel nous avons une très belle explication en quatre point A,B,C,D par Monsieur Popa, le cuisinier, et dont le quatrième point, A, que je vous laisse découvrir dans le spectacle, alimente les aspects symboliques liés aux contes et à la psychanalyse. A savoir son rapport à sa mère, son amour pour elle et le poids que Valentina doit porter pour sauvegarder la santé de celle-ci. Tout comme elle doit accepter la perte. Ce qu'elle refuse par-dessus tout et qui sera le moteur de la fin de la pièce (qui au départ s'appelait "La Vérité"). Et qui donc, d'une part oblige tout le monde à mentir, et pousse Valentina à fusionner (une fusion d'amour) avec sa mère. Notez au passage le fait qu'elle invente à son père le métier de "sydérurgiste": quelqu'un qui travaille la fonte et où, dans le creuset, se trouve le "coeur de fusion".
![]() |
Valentina - Caroline Guiela Nguyen - TNS - Photo: Lara Haby |
Il y a aussi, dans la pièce, cet envahissement de sentiments, ces effusions entre mère et fille - notons que le casting réunit mère et fille: la mère Loredana Iancu et Agelina en Valentine - en alternance avec Cara Parvu qui jouait pour la première. Ce choix apporte une émotion supplémentaire au spectacle. L'émotion est bien réelle et lors des saluts nous percevons le bonheur des interprètes qui déborde, soutenu par le public enthousiaste. Il a bien raison de saluer les performances de ces acteurs non professionnels, dont Paul Guta que nous n'avons pas encore cité et qui non seulement joue le père, mais assure aussi avec Marius Stoyan toute la partie musicale au violon.
![]() |
Valentina - Caroline Guiela Nguyen - TNS - Photo: Lara Haby |
Avec Valentina, Caroline Guiela Nguyen prouve une fois encore son talent de conteuse de récits contemporain, sa capacité à traiter de questions actuelles et très concrètes sous de formes diverses et également son engagement à porter le théâtre auprès d'un public qui n'est pas du tout habitué à cette expression artistique. Et elle n'hésite pas à les placer au coeur du jeu et du plateau. Un sacré challenge, pour le coup, réussi.
La Fleur du Dimanche
* nécrose (wiki): L'infarctus du myocarde est une nécrose (mort de cellules) d'une partie du muscle cardiaque provoquée par un défaut d'apport sanguin (ischémie) dans le cadre de la maladie coronarienne. En langage courant, on l'appelle le plus souvent une « crise cardiaque » ou simplement infarctus.
Le spectacle ouvre et s'inscrit dans la manifestation Les Galas - 10 jours de fête et de création avec toute une série de spectacles et de manifestations dans les différents lieux et salles du TNS.
Au TNS à Strasbourg, du 23 au 30 avril 2025
Spectacle en français et en roumain, surtitré
[Texte et mise en scène] Caroline Guiela Nguyen
[Avec] Chloé Catrin, Loredana Iancu, Marius Stoian, Paul Guta, Angelina Iancu et Cara Parvu (en alternance)
[Assistanat à la mise en scène] Iris Baldoureaux-Fredon, Amélie Énon
[Dramaturgie] Juliette Alexandre
[Complicité artistique] Paola Secret
[Scénographie] Alice Duchange
[Vidéo] Jérémie Scheidler
[Lumière] Mathilde Chamoux
[Son] Quentin Dumay
[Musique] Teddy Gauliat-Pitois
[Costumes] Caroline Guiela Nguyen, Claire Schirck
[Maquillage] Emilie Vuez
[Interprète français-roumain au plateau] Natalia Zabrian
[Stagiaire à l'assistanat à la mise en scène] Noé Canel
Production Théâtre national de Strasbourg
Coproduction Piccolo Teatro de Milan, Théâtre de l’Union, Centre dramatique national du Limousin
Remerciements à l’association Migrations Santé Alsace et aux services de chirurgie cardiaque et de cardiologie des Hôpitaux Universitaires de Strasbourg, en particulier Dr. Baptiste Michard et Dr. Patrick Ohlmann
Avec l’accompagnement du Centre des Récits du TnS
Le décor est réalisé par les ateliers du TnS.
Création le 23 avril 2025, dans le cadre des Galas du Théâtre national de Strasbourg
Avant-première au festival FIND – Schaubühne, Berlin les 9 et 10 avril 2025
Le conte Valentina est publié chez Actes Sud.
Photos et teaser © Laura Haby - Les Indépendants
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire