vendredi 11 avril 2025

Quelque chose rouge au TNS : rouge, vert, mère et passe

Je vous avais dit hier que les élèves comédiens (et autres métiers) de l'école du TNS ne chômaient pas et je vous offre donc la quatrième chronique sur les travaux pratiques que l'on peut encore voir - il y a aussi autres trois pièces du groupe 48 qui sont actuellement en accès gratuit pour apprécier la qualité du travail de ces groupes, dont Tobogan du groupe 49 jusqu'à lundi 14 avril.


Quelque Chose rouge - TNS Groupe 49 - Photo: Jean-Louis Fernandez


Avec Quelque chose rouge mis en scène par Eléonore Barrault, on imagine un travail de recherche sur le sujet - l'accouchement - bien fourni, autant sur le terrain (entre autres à la clinique Sainte Anne à la Robertsau qu'auprès de sages-femmes) que sur des sources littéraires et dans l'histoire de l'art. Le texte de la pièce ressemble à un cadavre exquis - ce qui est un comble pour des histoires de naissances - mais la mise en scène et la qualité de jeu, ainsi que la variété des interprétations des jeunes comédiennes - et du comédien homme - est prenante. Car, après une introduction rondement menée par Zélie Hollande qui nous raconte la naissance de sa vocation de sage-femme et sa découverte du métier - et de l'événement - devant un rideau, non de théâtre, mais mais semi-transparent qui délimite les espaces cliniques, nous nous retrouvons dans une ambiance de salle de repos d'hôpital qui deviendra plus tard salle d'opérations - des opérations. 


Paula Modersohn-Becker - Selbstbildnis am 6. Hochzeitstag - 1906


Au fur et à mesure du déroulement de la pièce, rebondiront de l'une à l'autre les récits intimes ou plus cliniques, techniques ou paroles et expressions du ressenti et du vécu de femmes ou témoignages de mères ou de professionnelles. Ils nous projettent dans un univers que nous allons par la magie de l'imagination transformer en faits tangibles - les deux sens bien concrets en anglais du mot français "histoire". Et découvrir toute la diversité des réalités. Les quatre comédiennes (Louise Coq, Emma da Cunha, Zélie Hollande déjà citée et Mina Totkova) et Thé-vinh Tran - seul homme de l'équipe (qui permet dans son rôle, de témoigner du machisme inversé avec son rôle "d'esclave") - apportent chacune et chacun une personnalité forte à ces récits en mosaïque et montrent aussi qu'un accouchement - surtout s'il se situe aujourd'hui dans un hôpital - est une affaire d'équipe. La  scénographie de Inga Adeline-Eshuis, changeante, avec ces rideaux qui bougent et cachent ou dévoilent les espaces, les creusant en profondeur au fur et à mesure de la pièce, laissant aussi des endroits secrets, permettent aussi des bascules d'un univers clinique à un débordement artistique où le rouge devient création, naissance d'une oeuvre d'art (clin d'oeil à Louise Bourgeois), et d'arriver à imaginer le destin à la fois artistique et tragique de Paula Modersohn-Becker. Notons que le nom de cette artiste signifie littéralement "Mère-enfant", nom qu'elle a "hérité" suite (grâce?) au décès de la première épouse de son mari, et rappelons que son "autoportrait enceinte" qui une projection dans le futur: elle ne sera enceinte qu'un an après et mourra des complications post-accouchement. 


Piero della Francesca — Madonna del Parto - vers 1455-1465

Tout cela interroge la part de réel et d'invention de toute création, question que l'on peut transposer à cette pièce. Et plus largement à tout ce qui touche à la littérature, donc les textes dont le choix judicieux éclaire les multiples facettes du sujet. Saluons aussi le discret au début, mais de plus en plus insistant parallèle entre l'accouchement et un banquet (dixit Rabelais) et dont l'infiltration et le noyautage dans le jeu nous plongent dans une situation qui, symboliquement, rend très sensiblement et insidieusement l'atmosphère de ce que pourrait être une salle d'accouchement. Et ainsi nous fait aussi participer en quelque sorte à ce "travail", et nous y implique. Félicitations cette petite équipe de nous avoir plongé avec succès dans un univers que nous ignorions et de nous avoir engagé dans ces multiples expériences. Un grand bravo pour la naissance de cette pièce qui grandit avec nous.


Dürer - Visitation de la Vierge - 1503 - Musée des Beaux-Arts Strasbourg


La Fleur du Dimanche


Quelque chose rouge


[Mise en scène] Eléonore Barrault
[Dramaturgie] Baudouin Woehl
[Scénographie] Inga Adeline-Eshuis
[Costumes] Naïs Thériot
[Création et régie lumière] Syrielle Bordy
[Création et régie sonore et vidéo] Félicie Cantraine
[Régie générale et plateau] Lucas Loyez

Avec 
Louise Coq, Emma Da Cunha, Zélie Hollande, Mina Totkova, Thê-vinh Tran.

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