vendredi 22 mars 2024

Après la répétition et Persona de Bergman par Ivo van Hove: On arrête le cinéma

 Double soirée à La Filature avec deux films d'Ingmar Bergman Après la Répétition et Persona, adaptés au théâtre par le metteur en scène belge Ivo van Hove, personnalité audacieuse qui bouscule la manière de faire du théâtre ou de l'opéra. En ce qui concerne l'adaptation de ces deux films, ce n'est pas une nouveauté puisqu'il a travaillé sur l'adaptation de films ou de pièces de Visconti, Cassavetes ou Pasolini.


Après la répétition - Bergman - Ivo van Hove - Photo: Vincent Berenger


C'est avec l'adaptation du film de Bergman de 1984 Après la Répétition que démarre la soirée. La scène se passe dans une relativement petite boite représentant un bureau, contre le mur à jardin un canapé, et une rangée de fauteuils pliants à cour,  une porte dans le mur du fond au centre et à droite une table de travail avec une régie au mur et à gauche un écran sur lequel sont projetées les images filmées par une caméra posée sur un trépied. Le personnage masculin, Henrik Vogler, metteur en scène, est assis depuis l'entrée du public sur le canapé et lit un dossier. Ce bureau semble être sa pièce de répétition et son lieu de vie. Y entre Anna Egerman, jeune comédienne avec qui il travaille et qui cherche un collier qu'elle dit avoir oublié - ou perdu  - ici. 


Après la répétition - Bergman - Ivo van Hove - Photo: Vincent Berenger


On apprend qu'Anna est une actrice pleine de promesse, même si elle a encore pleine de défauts, et qu'elle joue dans la dernière pièce que Vogler est en train de monter, Le Songe de Strindberg. S'ensuit un long échange en ces deux personnages, en forme à la fois de ballet de séduction mais aussi de travail de mise en confiance du metteur en scène vis-à-vis de l'actrice qui garde quelques doutes sur ses capacités. Y est aussi évoquée la mère d'Anna, très grande comédienne et maîtresse de Vogler en son temps. Celle-ci resurgit comme dans un rêve dans sa plus pitoyable apparence, usée, finie, alcoolisée et voulant absolument faire l'amour avec Vogler pour pouvoir rejouer. 


Après la répétition - Bergman - Ivo van Hove - Photo: Vincent Berenger



Les deux comédiennes jouant Mère et fille, Emmanuelle Bercot et Justine Bachelet sont très convaincantes et engagées. Charles Berling semble lui plus survoler avec détachement le spectacle, même lors de son accès de violence prétextant la scène de la table renversée de Tartuffe. Le dévoilement des problématiques de jeu, de création, les relations complexes de mise en scène et de direction d'acteur révélées par Bergman qui en connait un rayon font de cette pièce une très intéressante radiographie de la création et la mise en scène bien rythmée nous réserve quelques surprises et mystères, en particulier les scènes du retour de la mère ou les révélations distillées par Anna sur sa vie intime qui douchent les illusions de Vogler.


Pour la seconde pièce, Persona, nous gardons le même cadre de scène au début, qui à présent représente un semblant de chambre d'hôpital où l'on accède par l'avant à droite. Dans une blancheur clinique, Elisabeth Vogler (interprétée par Emmanuelle Bercot) est allongée nue sur une table (presque de dissection). On arrive à imaginer la souffrance qu'elle doit endurer en la voyant bouger lentement et se recroqueviller sur cette table. Une femme médecin (Mama Prassinos) nous apprend qu'elle ne parle plus - elle s'est arrêtée brusquement au milieu d'une scène d'Electre de Sophocle et est mutique depuis - et qu'une infirmière, Alma (Justine Bachelet) va s'occuper d'elle. La lente transformation d'Elisabeth avec les nombreuses attentions d'Alma pour l'amener à une attitude "normale" retrouvée sont magnifiquement incarnés par Emmanuelle Bercot qui, de corps souffrant se transforme en corps fermé puis corps sensible pour devenir corps parlant, non avec sa voix mais dans les multiples attitudes qui nous font deviner qu'elle est sur la bonne voie, tout en nous laissant toujours attendre cet instant où elle devrait se remettre à parler. Et les rebondissements et surprises ne manquent pas, bien senties et très bien jouées. En particulier l'épisode de la lettre d'Elisabeth qui révèle les confidences d'Alma et ses propres sentiments envers elle, très belle scène de révolte, mais aussi cette tendre et sensuelle évocation d'un souvenir de rencontre fortuite sur une plage avec deux jeunes, intense moment de tension sexuelle très bien racontée de sa voix chaleureuse par Justine Bachelet. 


Persona - Bergman - Ivo van Hove - Photo: Vincent Berenger


La scénographie, grandiose nous offre elle aussi quelques surprises, entre autres la transformation de la scène en île, (à l'image de Fårö, île sur laquelle il s'était construit sa maison et il y a tourné le film Persona) et quelques événements météorologiques. Persona serait en quelque sorte, en plus humain, plus sensible, le pendant de Après la répétition, retrouvant plus de simplicité et de fraternité, de solidarité. Cette soirée aura été l'occasion de radiographier à la fois les dessous de la création et les sentiments et les relations en tout genre entre les hommes et les femmes avec une belle palette de nuances.


La Fleur du Dimanche

   


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