C'est sur le grand plateau du Maillon que nous avons le plaisir d'assister à la présentation, avec Pôle Sud CDCN su spectacle 10000 Gestes de Boris Charmatz qu'il avait créé en 2017 à Berlin.
Pour commencer, une danseuse habillée de rouge se retrouve seule sur un immense plateau - même l'arrière de la scène est ouverte, le plateau est nu et la danseuse occupe tout l'espace en faisant des variations de gestes avec une agilité époustouflante. Elle est d'une souplesse remarquable et ses gestes sont gracieux. Ce n'est bien sûr pas de la danse classique mais cela s'en approche même si on se rend compte que l'enchaînement de ses gestes glisse de l'un à un autre sans cesse. A un moment elle se met à compter et elle est déjà à 2184... Beau score! Puis elle quitte le plateau.
Boris Charmatz - 10000 Gestes - Photo: Gianmarco Bresadola |
C'est là que surgissent dix-huit autres danseurs sortis de tous les coins. Il y en a trois vêtus d'une combinaison noire, même la tête est couverte, deux sont en jeans, torses nus, d'autres en justaucorps ou en costumes et sept ne portent que des slips et une femme, noire en bikini. Une vraie diversité de morphologies et de typologies de gestuelle qui se répand et s'épanche sur la plateau. Et c'est parti pour une profusion de mouvements, de déplacements et d'attitudes, de frôlements et de rencontres soutenus par le Requiem de Mozart dirigé par Herbert von Karajan. Tout ce beau monde va courir, sauter de toutes les manières - en hauteur, en longueur, pieds lancés, sauter l'un au dessus de l'autre, se jeter par terre ou l'un contre l'autre, se porter, se soutenir, s'esquiver, tourner, faire des saltos, des pirouettes, des sauts acrobatiques ou en hauteur, des élancés, courir comme un lapin ou comme un vase grec, courir en traînant la main part terre.
Boris Charmatz - 10000 Gestes - Photo: Gianmarco Bresadola |
Une belle agitation, chacun et chacune à sa manière. Ca se calme un moment, et puis cela repart, tous ensemble, on expérimente toutes sortes de chutes, on se retrouve à terre et là c'est la fête aux pieds, que se frottent, se grattent, se font mordre dans différentes positions. Puis on passe par le mime et les mimiques, variations d'expressions du visage, jeux dangereux - dégoupiller et lancer une grenade par exemple. Puis ils se mettent à tourner tous ensemble, des voix s'élèvent des cris, désespérés puis tous se retrouvent à terre, dans un joyeux bordel, une vraie cour des miracles, une agitation bruyante et grouillante.
Boris Charmatz - 10000 Gestes - Photo: Gianmarco Bresadola |
Ensuite, insensiblement, le volume sonore baisse, l'agitation aussi, la musique et la lumière se réduisent ostensiblement jusqu'à arriver au silence complet. Quelques tableaux vivants se mettent en place et se transforment, une respiration s'installe. Et ça repart pour un tour, progressivement un décompte émerge vers les 7800, ponctue les déplacements, la formations de groupes en formes changeantes qui imperceptiblement se retrouvent en bord de plateau quand tout à coup la horde quitte la scène pour envahir la salle, se dirige vers les spectateurs et les implique en montant en vague vers le haut des gradins. Il n'y a plus personne sur la scène, un énorme projecteur en fond de scène comme un énorme phare de voiture éclaire la salle, le public qui devient décor, cobaye et participant.
Boris Charmatz - 10000 Gestes - Photo: Gianmarco Bresadola |
Vers les 8940, le décompte s'arrête, les interprètes réintègrent le plateau, se retrouvent en positions zen par terre, s'élèvent, se remettent à courir, respirent, puis font de discrets et délicats gestes presqu'imperceptibles, puis, très discrètement dans une lumière qui à nouveau baisse, peu à peu les interprètes quittent le plateau, il en reste quelques-uns sur le côté, un au centre en avant de la scène, qui la quitte lui aussi, nous laissant avec le Requiem qui joue ses dernières notes dans la pénombre. Silence. Puis, un à un chacun des interprètes salue avant le salut collectif final. Le compte est bon. Au total, cette addition de gestes, d'unités individuelles a un effet multiplicateur sur le résultat final qui nous soustrait de l'ennui en nous obligeant à multiplier les points de vues sur l'ensemble. Et à augmenter la puissance de la somme de ces petits gestes individuels dans une conjugaison de plaisir total.
La Fleur du Dimanche
Au Maillon - présenté par Pôle Sud - le 20 et 21 mars 2024
Interprétation :
avec en alternance Or Avishay, Régis Badel, Jayson Batut, Nadia Beugré, Alina Bilokon, Nuno Bizarro, Guilhem Chatir, Ashley Chen, Eli Cohen, Konan Dayot, Olga Dukhovnaya, Sidonie Duret, Bryana Fritz, Julien Gallée-Ferré, Kerem Gelebek, Alexis Hedouin, Rémy Héritier, Pierrick Jacquart, Tatiana Julien, Noémie Langevin, Samuel Lefeuvre, Johanna Elisa Lemke, François Malbranque, Noé Pellencin, Mathilde Plateau, Samuel Planas, Solene Wachter, Frank Willens
interprètes à la création :
Djino Alolo Sabin, Salka Ardal Rosengren, Or Avishay, Régis Badel, Jayson Batut, Nadia Beugré, Alina Bilokon, Nuno Bizarro, Mathieu Burner, Dimitri Chamblas, Ashley Chen, Konan Dayot, Olga Dukhovnaya, Sidonie Duret, Bryana Fritz, Julien Gallée-Ferré, Kerem Gelebek, Alexis Hedouin, Rémy Héritier, Tatiana Julien, Samuel Lefeuvre, Johanna-Elisa Lemke, Noé Pellencin, Maud Le Pladec, Solene Wachter, Frank Willens
Assistante chorégraphique : Magali Caillet-Gajan
Lumières : Yves Godin
Costumes : Jean-Paul Lespagnard
Travail vocal : Dalila Khatir
Régie générale : Fabrice Le Fur
Son : Olivier Renouf
Habilleuse : Marion Regnier
Direction de production : Martina Hochmuth, Hélène Joly
Chargés de production : Florentine Busson, Briac Geffrault
Matériaux sonores : Requiem en ré mineur K.626 de Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), interprété par l’Orchestre Philharmonique de Vienne, direction Herbert von Karajan, enregistré au Musikverein (Vienne) en 1986 (1987 Polydor International GmbH, Hambourg) ; enregistrements de terrain par Mathieu Morel à Mayfield Depot, Manchester
Production et diffusion : Terrain
Une production du Musée de la danse / Centre chorégraphique national de Rennes et de Bretagne (2017)
Coproduction : Volksbühne Berlin, Manchester International Festival (MIF), Théâtre National de Bretagne-Rennes, Festival d’Automne à Paris, Chaillot – Théâtre national de la Danse (Paris), Wiener Festwochen, Sadler’s Wells London, Taipei Performing Arts Center
Remerciements : Amélie-Anne Chapelain, Julie Cunningham, Mani Mungai, Jolie Ngemi, Sandra Neuveut, Marlène Saldana, Le Triangle – cité de la danse, Charleroi Danses - Centre chorégraphique de la Fédération Wallonie-Bruxelles, P.A.R.T.S., Archivio Alighiero Boetti and Fondazione Alighiero e Boetti ; Chiara Oliveri Bertola / Castello di Rivoli Museo d’Arte Contemporanea
10000 gestes a été créée le 14 septembre 2017 à la Volksbühne, Tempelhof, Berlin, Allemagne.
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