Le binôme Animal Architecte fondé par Camille Dagen et Emma Depoid explore la manière dont le théâtre peut se confronter à d'autres domaines, qu'ils soient artistiques, littéraires, historiques ou philosophiques. Avec Les Forces vives leur dernière pièce qui est créée au Maillon à Strasbourg, c'est par le bais du personnage de Simone de Beauvoir et plus particulièrement à partir des trois premiers livres de ses mémoires que le duo, avec six comédiennes (dont Camille Dagen) et deux comédiens et une équipe technique interrogent la manière de transposer ce matériaux sur scène. Le matériau est fleuve, le résultat aussi. Mais les bras du fleuves sont multiples et nous pourrons assister à une multiplicité d'angles d'approche de la scène tout au long des presque quatre heures (avec entracte) de spectacle.
Les Forces vives - Simone de Beauvoir - Animal Architecture - Photos de répétitions de Patrick Wong |
Cela commence par un solo surprenant et prenant où, même avec la distance installée - le bout du grand plateau nu du Maillon - l'on est saisi d'emblée par la force de la démonstration. Puis suivront de multiples changements de plateau où les espaces seront plus ou moins réalistes, allant du presque cirque à la reconstitution d'un intérieur bourgeois 1900 du boulevard de Montparnasse à des espaces plus sobres ou carrément une cellule symbolique et nous avons aussi droit à un piano mouvant et voyageur joué en direct. Le début de la deuxième partie se servira du rideau de théâtre comme écran noir de la mémoire et du souvenir, à travers les traces qu'elle a laissé sur la toile virtuelle ou télévisuelle. Des écrans improvisés ou de fortune seront aussi mis à profit pour, soit reconstituer des séquences qui complètent le récit, ou présenter des documents, ou encore apporter un point de vue externe et médiatiser ce qui se passe sur scène (le peu de contraste de ces écrans et leur taille réduite, ajouté au fait que la cadreuse joue aussi à scalper les têtes, questionne l'intérêt de ces effets).
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Comme vous l'aurez compris, la narration elle, est aussi très variée, avec des textes qui vont du témoignage à la citation directe à des traitements plus poétiques, quelquefois hystériques, en passant par le théâtre de boulevard ou de marionette, ou même de la danse - avec une époustouflante démonstration d'une conférence dansée par Romain Gy. Ne pouvant bien sûr pas tout traiter dans ce gigantesque matériau, les périodes de la vie de Simone de Beauvoir mises sous la loupe seront la petite enfance et ses relations avec ses parents et sa soeur Hélène (Poupette), avec une lecture en immersion de son éducation (sexuelle aussi avec l'influence de son père assez libre, sa mère plutôt catholique et le curé, un peu voyeur de jeunes filles qui fait des apparitions), son adolescence à travers l'expression de son caractère déjà très volontaire, ses amitiés (Zaza) et ses premières amours et sa rencontre avec Sartre, ses séjours à Berlin.
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Les guerres: traversent et ponctuent également la pièce: la première avec l'enrôlement de son père, les manoeuvres surprenantes de sa mère - même la guerre d'Espagne qui apparait rapidement - la deuxième guerre mondiale (après les faux espoirs de l'accord avec Moscou et le départ de Paul Nizan) et un focus très large sur la Guerre d'Algérie (période de début de la rédaction de ses mémoires) où d'ailleurs curieusement Sartre efface un peu Simone lors ces derniers épisodes concernant la Guerre d'Algérie).
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Cette variation de traitements, de niveau de lecture et de représentation, de changement de rythmes et de ballet scénographique font de cette pièce bien chargée en contenu cependant un voyage surprenant et intéressant dont nous pouvons tisser les relations à partir des différents angles d'attaque et des lectures proposées. Elle donne corps à des figures connues à travers une approche originale et des aspects quelquefois ignorés, en tout cas présentés avec originalité. Une tentative que l'on peut qualifier de réussie. Il faut saluer la performance de tous ces comédiens (Romain Gy, Achille Reggiani) et toutes ces comédiennes (Marie Depoorter, Hélène Morelli, Nina Villanueva, Sarah Chaumette, Lucile Delzenne, Camille Dagen qui se partagent les rôles de Simone de Beauvoir (eh oui, même les hommes) et aussi des parents, proches amis et autres personnages qui peuplent ce récit trépidant avec brio, énergie et plein de sensibilité.
La Fleur du Dimanche.
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