lundi 3 octobre 2022

The Silence de Falk Richer au TNS: Suffit-il de le briser ?

 Au début était The silence, le titre, mais aussi le silence lourd, qui ne disait rien dans la famille de Falk Richter. Et ce silence qui travaille, qui se répand, du cercle familial dans le proche voisinage, dans la petite société de province, dans la société en général, dans le monde entier, dans le futur qui nous attend.


The silence - Falk Richter - Stanislas Nordey - TNS - Photo: Jean-Louis Fernandez


Il n'y avait bien sûr pas que cela, il y avait aussi l'envie de retravailler avec Stanislas Nordey, au TNS, théâtre qu'il va quitter bientôt et où il avait mis en scène Je suis Fassbinder du même Falk Richter à son arrivée en 2017, et également I am Europe (voir mon billet du 15 janvier 2019). La pièce aurait bien pu s'appeler cette pièce Je suis moi ou Je suis ma famille ou Je suis mon environnement, mais c'est effectivement le silence, ce refus de parler, de communiquer, de dire les choses qu'il faudrait dire, début d'un échange, d'une mise en commun qui a travaillé l'auteur. Et c'est ce qui traverse cette pièce, long one man show de Stanislas Nordey qui tient la scène pendant presque deux heures et où il excelle (même si ce n'est pas son exercice préféré). Les deux premières parties sont structurées à partir d'anaphores qui rythment le récit. La première "Dans ma famille.." traque les souvenirs, les attitudes, les épisodes qui ont marqué Falk Richer et qui font que "Dans ma famille, je ne me suis jamais senti en sécurité.." à cause des non-dits, des interdits, de la suspicion, de la surveillance, des brimades et des punitions. Pour compléter ou confronter sa mémoire, Falk Richter avec le réalisateur documentaire Lion Bischof interroge sa mère et ses souvenirs et les convoque sur scène dans un dispositif scénique original, une genre de perron terrasse qui, grâce aux images projetées sur un angle peut tout autant être le passage vers l'intérieur - ce salon bourgeois et cossu - ou l'extérieur - une piscine, ou un bout de jardin avec des plantes et des arbres, ou l'univers mental d'un clip musical et, finalement les profondeurs marines silencieuses sous la banquise.

Nous voyons bien la mère noyer sous un silence de façade et un sourire de bonne humeur les souvenirs et la parole du fils, acceptant de temps en temps poliment la contradiction juste pour ne pas faire de vagues, sous prétexte de le protéger. Ces souvenirs qui dans la deuxième partie "Je me souviens.." vont creuser l'apprentissage - ou plutôt le non apprentissage de la sexualité et la confrontation à l'autre, mais aussi aux autres et à leur norme qui n'accepte pas la différence et qui le lui fait sentir au sens propre par la violence infligée en retour - que ce soit le père ou des anonymes inconnus. Au point de le réduire au silence, le tuer symboliquement. Ce silence que même le père sur son lit de mort ne voudra pas lever, ne répondant pas à la question du fils qui essaie d'avoir une explication sur tous ces épisodes vécus dans la non-communication et qui conclut par un "Aucun de nous n'a gagné" définitif.

Et donc pour ne pas perdre, plutôt que de parler à ce père mort, Falk Richter va réinventer sa vie pour la gagner, va rejouer, recélébrer son amour adolescent, réactiver cet amour qu'il n'a ni eu ni vécu, la douceur et le plaisir interdit. Il va, dans un geste révolté et transgressif rappeler son amour de dix-huit ans comme une révolte envers son père et envers la société traditionnelle et catholique, celle qui tait ses douleurs et ses erreurs.

Une séquence d'épisodes professionnels va via une tempête de neige symbolique (des feuilles volent à travers le plateau) le projeter dans un nouveau questionnement plus globalisant, entre pandémie et futur de l'anthropocène. Et les questions de notre futur auxquelles la société ne répond pas deviennent le point de fuite qu'il nous laisse à méditer. L'écart est important entre l'intime, le familial, et le social, le sociétal, le pari est osé d'une prise de conscience politique, sociale et environnementale mais le théâtre de Falk Richter, essayant d'abolir ces frontières et de faire bouger les lignes mérite d'être entendu, d'autant plus qu'il parle au vécu et à l'expérience de chacun dans sa propre histoire. Et qu'il s'adresse aussi à des jeunes qui sinon n'en entendraient jamais parler dans une forme propice à la réception.


La Fleur du Dimanche


The silence

Du 1er au 8 octobre 2022

CRÉATION AU TNS

Texte et mise en scène Falk Richter *
Traduction Anne Monfort
Avec Stanislas Nordey
Et à l'image Falk Richter, Doris Waltraud Richter
Dramaturgie Jens Hillje
Scénographie et costumes Katrin Hoffmann
Vidéo Lion Bischof
Musique Daniel Freitag
Enregistrement violoncelle Kristina Koropecki
Lumière Philippe Berthomé
Collaboratrice artistique de Stanislas Nordey Claire ingrid Cottanceau
Assistanat à la dramaturgie et à la mise en scène Nadja Mattioli
Assistanat à la scénographie et aux costumes Émilie Cognard
* Falk Richter est artiste associé au TNS.
Production Théâtre National de Strasbourg, MC93 – Maison de la culture de Seine-Saint-Denis, Bobigny
Coproduction Maison de la Culture d’Amiens
Les décors et costumes sont réalisés par les ateliers du TNS.
La pièce THE SILENCE de Falk Richter, traduction d’Anne Monfort, est représentée par L’Arche – agence théâtrale.

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