jeudi 13 octobre 2022

Iphigénie de Tiago Rodrigues par Anne Théron au TNS ce n'est pas juste du théâtre, c'est du théâtre, très beau et juste

On sort de la pièce Iphigénie de Tiago Rodriguez mis en scène par Anne Théron au TNS en se disant qu'on a vécu une expérience de théâtre rare. Tout est parfait. Un texte, clair et limpide écrit par Tiago Rodriguez - et traduit comme il faut par Thomas Resendes, également présent pour la mise en scène et la dramaturgie. 

TNS - Iphigénie - Tia Rodrigues - Anne Théron - Photo: Jean-Louis Fernandez



Des comédiens magnifiques qui nous le font passer avec une sensibilité qui nous émeut et une mise en scène tirée au cordeau avec une très belle direction d'acteurs. Les mouvements et les placements des comédiens sur scène - et l'évolution fracturée de cette scène, sous l'oeil aiguisé du chorégraphe Thierry Thieû Niang qui fait aussi bouger et danser ces comédiens sans exubérance. Les costumes noirs et intemporels de Barbara Kraft qui a également signé la scénographie et les lumières de Benoit Théron qui n'éclairent que ce qu'il est nécessaire de souligner. La création sonore de Sophie Berger qui sait installer l'ambiance, que ce soit la guerre ou l'inquiétude ou le répit, et même le silence qui, quand il arrive inquiète au bon moment. 


TNS - Iphigénie - Tia Rodrigues - Anne Théron - Photo: Jean-Louis Fernandez



Et cette vidéo de Nicolas Comte en fond d'écran, la mer, la mer toujours recommencée et jamais pareille qui submerge l'horizon, et ce ciel menaçant, et ce vent qui ne se lève pas... Car c'est à cause de lui qu'Iphigénie doit mourir... Ou plutôt c'est ce que raconte cette histoire, tout en mettant en doute ce récit de dieux, de rois, de guerre et de sacrifice, comme le dit Clytemnestre (Mireille Herbstemyer) à la fin de la pièce: "Les dieux sont des fables qu'on nous raconte pour nous souvenir autrement de ce qui s'est réellement passé."   
Mais Tiago Rodrigues nous raconte cette fable, inspirée d'Euripide surtout pour nous dire que ce quoiqu'il se passe, nous pouvons influer sur la suite, le résultat, par nos décision. Et nous le prouve par cette mise en scène où le choeur, d'abord deux voix féminines (Fanny Avram et Julie Moreau) relayées à la fin par un vieil homme (Philippe Morier-Genoud qui joue aussi le messager et un vieillard) nous content et font office de metteuses en scène de cette histoire qu'elles font émerger de leur mémoire, et qui est quelquefois contredite par les protagonistes qui se rebellent contre cette (fausse?) mémoire. 


TNS - Iphigénie - Tia Rodrigues - Anne Théron - Photo: Jean-Louis Fernandez




Nous nous retrouvons en train de disséquer une enquête policière avec ses rebondissements et ses zones d'ombre et ses alternatives. La "belle" Hélène - une idée de la beauté que nous ne verrons jamais - a-t-elle été enlevée par Pâris ou est-elle partie volontairement? Quel jeu joue son mari Ménélas (Alex Descas) vis-à vis de son frère Agamemnon (Vincent Dissez) dans ce jeu de guerre (de Troie) et de sacrifice? Clytemnestre arrivera-t-elle à convaincre son mari Agamemnon à abandonner son étoffe de monarque responsable pour penser au bonheur familial? Achille (Joaô Cravo Cardoso convaincra-t-il Iphigénie (Carolina Amaral) que son destin est plutôt l'amour que la mort? Rien n'est sûr, pas même le futur, mais nous sentons bien que ce sont les femmes qui sont les plus fortes dans cette pièce et que si jamais elles arrivent au pouvoir, la guerre n'a qu'à bien se tenir - le début de la pièce, avec les bruits d'avions, d'hélicoptères et d'explosions, plus les projecteurs balayant en "poursuite" nous rappelant que cette histoire, bien que se passant dans l'antiquité a encore des résonnances très proches et que nous ne sommes pas à l'abri. 


TNS - Iphigénie - Tia Rodrigues - Anne Théron - Photo: Barbara Kraft



Mais le dispositif narratif, avec les anaphores "Je me souviens" - "Il se souvient" et ce jeu de mise en scène dans le théâtre, avec à la fois la distance et l'humour que cela permet nous enchante et nous engage à croire que quelquefois nous pouvons être maître du destin, à condition de le vouloir (c'est ce que met en oeuvre Iphigénie, pas forcément pour les bonnes raisons - "Pourquoi se souvenir si tout est mensonge?")
En tout cas c'est une bonne leçon de réflexion et de discernement, comme le suggère Anne Théron dans le livret de la pièce:
"Cette mémoire dont on n’arrive pas à se débarrasser : Que contient-elle ? Pourquoi le contient-elle ? Comment la racontons-nous ? Qu’en faisons-nous ? Je suis convaincue que la mémoire nous constitue. C’est notre force mais c’est également ce qui nous tue. Elle peut nous faire faire n’importe quoi. Faut-il la supprimer ? Comment faire pour qu’elle devienne une force et non une répétition délétère ?"


La Fleur du Dimanche




Du 13 au 22 octobre au TNS 

Neuchâtel - le 27 octobre 2022 au Théâtre du Passage
Martigues - le 8 novembre 2022 au Théâtre des Salins, Scène nationale de Martigues
Niort - le 17 novembre 2022 au Moulin du Roc, Scène nationale
Bayonne - les 22 et 23 novembre 2022 à la Scène nationale du Sud-Aquitain
Brive - les 1er et 2 décembre 2022 à l’Empreinte, Scène nationale Brive-Tulle
Lyon - du 18 au 22 janvier 2023 aux Célestins, Théâtre de Lyon
Porto (Portugal) - les 27 et 28 janvier 2023 au Teatro Nacional São João
La Roche-sur-Yon - les 8 et 9 février 2023 au Grand R, Scène nationale de la Roche-sur-Yon

Texte Tiago Rodrigues
Traduction Thomas Resendes
Mise en scène Anne Théron*

Avec
Carolina Amaral
Fanny Avram
João Cravo Cardoso
Alex Descas
Vincent Dissez*
Mireille Herbstmeyer
Julie Moreau
Philippe Morier-Genoud
Richard Sammut

Dramaturgie et assistanat à la mise en scène Thomas Resendes
Collaboration chorégraphique Thierry Thieû Niang
Scénographie et costumes Barbara Kraft
Lumière Benoît Théron
Son Sophie Berger
Vidéo Nicolas Comte
Régie générale Mickaël Varaniac-Quard
Régie plateau Marion Koechlin
Régie son Quentin Bonnard
Régie son et vidéo Jean-Marc Lanoë

Les costumes sont réalisés par les ateliers du TNS.
Le décor est réalisé par les ateliers du TnP.
Le texte est publié aux éditions Les Solitaires Intempestifs, 2020.

*Artistes associé·e·s au TNS

Production Théâtre National de Strasboug, Compagnie Les Productions Merlin
Coproduction Festival d’Avignon, Teatro Nacional São João (Porto), L’Empreinte – scène nationale Brive-Tulle,
Le Grand R – scène nationale de La Roche-sur-Yon, Scène nationale du Sud-Aquitain - Bayonne, OARA – Office Artistique de la Région Nouvelle-Aquitaine
Avec le soutien du ministère de la Culture, Aide au conventionnement et Fonds de production exceptionnel, de l’Institut français dans le cadre de la Saison France-Portugal 2022
La compagnie Les Productions Merlin est conventionnée par l’État, Direction régionale des affaires culturelles (DRAC) Nouvelle-Aquitaine
Remerciements à la Mairie de Fort-Mahon-Plage et de Chantal Nicolaï pour le tournage du film, au Centre dramatique national Les Tréteaux de France pour l’accueil en résidence
Remerciements à la Mairie de Fort-Mahon-Plage et à Chantal Nicolaï pour le tournage du film, aux Tréteaux de France - Centre dramatique national pour l’accueil en résidence et à Empty mass pour à la mise à disposition de guitares traitées
Le décor est réalisé par les ateliers du TNP de Villeurbanne.
Les costumes sont réalisés par les ateliers du Théâtre National de Strasbourg.
Le texte est publié aux éditions Les Solitaires Intempestifs dans le recueil Iphigénie, Agamemnon, Électre.
Vincent Dissez et Anne Théron sont artistes associé·e·s au Théâtre National de Strasbourg
Création le 7 juillet 2022 au Festival d’Avignon

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