Assurément il n'y a pas qu'un seul fantôme dans cette pièce musicale de Heiner Goebbels Schwarz auf Weiss présentée au - et en coproduction avec le - Maillon à Strasbourg par le Festival Musica. Il y est question d'ombres. C'est une très courte nouvelle (quatre pages) d'Edgar Allan Poe, "Ombre", traduite en français par Charles Baudelaire qui sert de pré-texte pour créer ce spectacle. D'ailleurs, ce n'est pas le pré-texte, c'est le coeur et le moteur de la pièce.
Musica 2022 - Schwarz auf Weiss - Heiner Goebbels - Ensemble Modern - Photo: Christian Schafferer |
C'est Heiner Müller dont il était très proche qui a suggéré ce texte à Heiner Goebbels pour un projet avec l'Ensemble Modern - fondé en 1980 par de jeunes musiciens de différents pays, maintenant basé à Francfort. Et ce sont certains musiciens qui l'interprètent aussi sur scène, en anglais et en français. Le texte allemand est dit par Heiner Müller (on entend dans la pièce le "Pegeltest", test son, de Heiner Goebbels qui situe le lieu - Marseille - et la date l'enregistrement - décembre 1991) qui hante comme un autre fantôme cette pièce, à l'image de celui de l'Ombre:
Et alors, tous les sept, nous nous dressâmes d'horreur sur nos sièges, et nous nous tenions tremblants, frissonnants, effarés car le timbre de la voix de l'ombre n'était pas le timbre d'un seul individu, mais d'une multitude d'êtres; et cette voix, variant ses inflexions de syllabe en syllabe, tombait confusément dans nos oreilles imitant les accents connus et familiers de mille et mille amis disparus."
Musica 2022 - Schwarz auf Weiss - Heiner Goebbels - Ensemble Modern - Photo: Christian Schafferer |
Ainsi, les dix-huit musiciens de l'ensemble (certains encore de la distribution d'origine de 1996) vont-il pendant une heure vingt, incarner à la fois les multiples voix de ce récit hors du temps qui nous parle autant du passé que (étrangement aujourd'hui) de ce que nous vivons et avons vécu récemment:
Tout cela dans une folle ambiance de fête, de jeu, de fanfare cosmopolite, de métissage et de cultures croisées. La diversité des personnages, la palette des instruments, les variations de jeu - des moments d'intériorité où une bouilloire fait duo avec un piccolo, une kora, jouée en solo est rejointe par la force des vents de la fanfare puis devient un genre de boite à musique, un hautbois d'amour émettant des borborygmes et les incessants déplacements des musiciens finement chorégraphiés, apportent une énergie (du désespoir ? ou d'espoir) à cette fresque agitée.
Les échos du texte infusent discrètement le jeu des musiciens-comédiens (l'écrivain possédé par le témoignage qu'il grave sur sa tablette, les joueurs de jacquet, les multiples interprètes qui s'emparent du texte,...), ou scénographie et les éclairages (magnifiques de Jean Kalman) qui inscrivent les ombres étagées sur un écran blanc, ou les portes qui tombent et nous emportent dans un souffle.
La musique aussi et surtout, jouée par cette tribu hétéroclite (très bien habillée par Jasmine Andreae) qui ne manque pas de nos surprendre par des changements de registre et une magnifique composition émouvante, nostalgique et dynamique à la fois, iconoclaste surtout en donnant corps à ces musiciens devenant à la fois de individus et des instrumentistes hors pair, tous uniques. Mais aussi unis.
La Fleur du Dimanche
spectacle pour dix-huit musiciens
conception, musique, direction et mise en scène | Heiner Goebbels
scénographie et lumière | Jean Kalman
costumes | Jasmin Andreae
flûte, flûte piccolo, flûte basse | Dietmar Wiesner
hautbois d'amour, voix, didgeridoo | Cathy Milliken
clarinette | Jaan Bossier
saxophone, clarinette contrebasse | Matthias Stich
basson | Barbara Kehrig
cor, récitant, direction musicale | Franck Ollu
trompette, récitant | William Forman
trombone | Uwe Dierksen
clavicorde, harpe | Ueli Wiget
accordéon, échantilloneur, cymbalum | Hermann Kretzschmar
percussion, cymbalum | Rumi Ogawa
percussion | Rainer Römer
violon | Jagdish Mistry
violon | Megumi Kasakawa
alto, voix | Freya Ritts-Kirby
violoncelle | Eva Böcker
violoncelle | Michael Maria Kasper
contrebasse, e-basse | Paul Cannon
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire