samedi 17 septembre 2022

Musica fête Kaija Saariaho: 70 ans et un long cheminement commun grâce à une musique riche et profonde

Kaija Saaariaho fête ses 70 ans et Musica lui offre un week-end de fête et de célébration. La compositrice finlandaise qui n'est pas une inconnue pour les fidèles du Festival Musica - Elle a eu un "Portrait" qui lui était dédié en 1994,  une résidence en 2005 et ses oeuvres ont été régulièrement présentées lors des édition suivantes (2013, 2017, 2020, 2021). Ces oeuvres, que ce soit pour des formations de chambre, sa musique avec électronique, ses pièces pour orchestre (Du Cristal... à... la Fumée,) ou d'opéra (L'Amour de loin, en version concertante) ont eu un accueil favorable du public qui a suivi son cheminement entre la Finlande qu'elle a quitté très tôt tout en restant liée à la culture du pays, Fribourg et Paris. 

Musica lui offre donc l'occasion de présenter le programme Only the sound remains au Maillon le 16 et le 18 septembre et une après-midi et une soirée festive Kaija dans le miroir le samedi 17 avec le partenariat d'Arte et placée sous le parrainage de l'ambassade de Finlande.

Musica 2022 - Kaija Saariaho - Only the soud remains - Photo: lfdd


Only the sound remains, un pont entre la Finlande et le No japonais

Le théâtre No, ce style de théâtre minimaliste nourri de pantomime et qui a failli disparaître par deux fois au XXème siècle (au début, sous l'ère Meiji, puis à la fin de la deuxième guerre mondiale) est arrivé en Occident grâce à des auteurs comme Claudel ou Yeats et, pour le théâtre, Stanislavski, Meyerhold et Brecht. Kaija Saariaho a monté une première version de cette pièce - en fait la représentation de deux pièces traditionnelles de théâtre No Tsunemasa et Hagoromo - avec le metteur en scène Peter Sellars en 2016 à Amsterdam. La présente version, avec une mise en scène et les vidéos d'Aleksi Barrière, a été crée au Japon en 2021.


Musica 2022 - Kaija Saariaho - Only the soud remains - Photo: lfdd

Musica 2022 - Kaija Saariaho - Only the soud remains - Photo: lfdd


La scène est sobre, des pans de papiers, ou de tissus blanc sont suspendus en trois rangées au centre de la grande scène, les quatre soliste du Cor de Cambra del Palau de la Musica catalan sont côté cour et un petit orchestre (ensemble à cordes) complété d'un percussionniste, Mitsunori Kambe, d'une flutiste, Camilla Hoitenga et d'une joueuse de kantele, Eija Kankaanranta. Le ou plutôt les kanteles qu'elle joue sont des intruments traditionnels finlandais qui ont une grande importance dans cette orchestration, tout autant que les flûtes, qui personnifient les éléments et aussi les oiseaux dans cette pièce. La musique, tout en nous plongeant dans cette atmosphère un peu magique et très proche de la nature - et de ses esprits,  soutient les différentes péripéties et surprises que nous réservent les deux pièces, péripéties contées et chantées par Bryan Murray et sa belle voix de baryton, interprétant, dans la première pièce un prêtre qui en dcouvrant et jouant d'un luth appelé "Montagne bleue" fera apparaître le spectre d'un seigneur Tsunemasa qui en joue à nouveau et retrouve la sérénité avec de repartir dans le royaume des ombres, comme un papillon de nuit. Michal Slawecki, magnifique contre-ténor joue ce spectre et sa voix nous fait frissonner. Un danseur japonais, Kaiji Moriyama incarne de double de cet esprit dans une belle danse macabre. Le choeur quant à lui commente le déroulé du drame dans une belle polyphonie.


Musica 2022 - Kaija Saariaho - Only the soud remains - Photo: lfdd

Musica 2022 - Kaija Saariaho - Only the soud remains - Photo: lfdd

Musica 2022 - Kaija Saariaho - Only the soud remains - Photo: lfdd


Pour la deuxième pièce, l'histoire raconte la rencontre d'un pêcheur avec une Tennin, un genre d'ange qui essaie de récupérer un manteau de plumes que le pêcheur vient de découvrir. La Tennin tente d'échanger ce manteau qui appartient à l'un des leurs en échange d'une danse qu'elle va apprendre au pêcheur. Ici aussi, le danseur incarne la part dansante de l'esprit de l'au-delà et sa danse est plus aérienne et volettante. Les deux histoires sont courtes, mais autant la mise en scène presque minimaliste, que l'accord de l'orchestre avec les deux chanteurs et le choeur nous plongent dans un univers à la fois féérique et en symbiose avec les éléments et la nature. Les cordes nous transportent dans cet ambiance changeante et la flûte passe de la voix humaine au chant des oiseaux avec délice. Le kantele, frappé, gratté, frotté, ou caressé participe de ses sonorités étranges et exotiques à nous distancier du réel. Nous ressortons de cette pièce comme en ayant vécu une parenthèse étrange et décalée.


Musica 2022 - Kaija Saariaho - Kantele - Photo: lfdd


Kaija dans le miroir, rétro-spectaculaire


L'hommage à Kaija Saaariaho se poursuit le samedi après-midi jusque tard dans la nuit (à minuit) et c'est un opéra filmé, son dernier, Innocence créé en juillet 2021 à Aix en Provence sous la direction de Suzanna Mälkki avec le London Symphonic Orchestra et les choeurs de l'Estonian Philharmonic Choir dans une mise en scène de Simon Stone qui ouvre le programme. La réalisation du concert filmé est de Philippe Béziat et c'est Arte qui le propose en avant-première de sa diffusion, le 18 septembre. Il est visible jusqu'au 1er juillet 2024 sur Arte concert). Le livret est de l'autrice finlandaise Sofi Oksanen, dont le roman Purge avait eu le Prix Fémina étranger en 2010.

Kaija Saariaho - Innocence

L'histoire entremêle un mariage entre un finlandais et une hongroise et un épisode survenu dix ans auparavant dans une école internationale, à savoir une tuerie de masse ressemblant, entre autres à celle de Tuusula en 2007. Toute l'action se déroule dans un bâtiment carré de deux étages qui n'arrête pas de tourner (conception de Chloe Lamford) et nous sommes entraînés dans cette course sans fin jusqu'à perdre haleine. Tout se passe apparemment bien au début - même si les paroles des étudiants, avant la noce, nous font douter de quelque chose et que l'attitude de la serveuse tchèque (impressionnante Magdalena Kožená) nous alerte très rapidement. Et, au fur et à mesure que l'action se déroule, l'enseigne du bâtiment "Convallaria" (le nom latin du muguet, qui peut signifier l'innocence mais qui cache également son côté toxique) se change en "International School" quand le poison du passé - le possible retour du frère assassin - et la représentation symbolique du massacre (nous ne voyons jamais le tueur) prennent place sur scène. Le choix scénographie - cet espace tournant à nous donner le tournis - et de mise en scène - qui nous oblige à débusquer à chaque tour les protagonistes et les changements que subit l'action -  nous emporte dans un rythme de film policier et la réalisation filmée est une pure réussite, collant de près au déroulé. Les différents personnages sont magnifiques, en particulier la serveuse Tereza, - Magdalena Kožená, Stela, la mariée - Lilian Faharani, Tuomas, le marié - Markus Nykänen, Patricia, sa mère - Sandrine Piau et Henrik, son père - Tuomas Pursio. Il faut aussi noter la prestation remarquée, et très applaudie de Marketa, l'étudiante fille de Tereza interprétée par Vilma Jää qui nous offre quelques variations chantées version chants traditionnels bulgares avec une voix surprenante. La distribution est très cosmopolite, surtout avec les étudiants,  un choix volontaire, à la fois de la compositrice et d'Aleksi Barrière qui a traduit le livret du finnois en de nombreuses langues - principalement en anglais et en finnois (les personnages des parents basculent un moment dans cette langue), en tchèque mais aussi en allemand, français, roumain, espagnol, suédois ou grec. L'histoire nous réserve de belles surprises qui nous font nous interroger sur nos à-prioris et nous faire nous méfier des jugements trop rapides ou des conclusions trop hâtives et nous interrogent vraiment sur la manière dont nous connaissons les autres, entre particulier nos propres enfants qui peuvent à la fois transporter leurs secrets mais aussi avoir un immense besoin de se confier et d'échanger. Une très belle leçon de morale non moralisatrice tout en étant une magnifique création artistique. C'est ce que l'on devrait attendre des oeuvres en général.


Kaija dans le miroir


La soirée hommage à Kaija Saariaho débute en introduction par une création électro-acoustique de Nuria Gimenez-Comas Love from afar qui mixe les multiples témoignages d'ami.e.s et collaborateurs de Kaija et de la musique comme des  bravos en ouverture. Puis ce sont six pièces dont la composition s'étale de 1991 à 2016 qui précèdent quelques extrait d'un portrait documentaire à venir d'Anne Grange.


Musica 2022 - Kaija Saariaho - Light still and moving - Photo: lfdd

Musica 2022 - Kaija Saariaho - Die Ausicht - Photo: lfdd


Musica 2022 - Kaija Saariaho - Sept Papillons - Photo: lfdd


Musica 2022 - Kaija Saariaho - Changing Light - Photo: lfdd


Musica 2022 - Kaija Saariaho - Nuits, Adieu - Photo: lfdd


Light still and moving (2016) pour flûte et kantele nous offre à nouveau d'entendre cet instrument traditionnel finnois et la flûte aérienne de Camilla Hoitenga. suivi de Die Aussicht (2996/2019) pour soprano et quatuor à cordes. La pièce Sept papillons (2000) pour violoncelle est interprétée par Anssi Karttunen, un magicien des cordes qui arrive à nous sortir des sons impressionnants de l'instrument , entre autres des vibrations et des harmoniques magnifiques. Avec Changing Light (2002) pour soprano et violon nous apprécions la magnifique voix de l'interprète. Noa Noa (1992) pour flûte et electronique et Nuits, Adieux (1991) terminent le programme et prouvent la belle maîtrise de Kaija qui mélange ici les intruments (la flûte et ses échos) et les quatre chanteurs du Cor de Cambra del Palau de la Musica dont les voix magnifiques dialoguent, comme un choeur antique avec la création electronique, les nappes sonores et les échos et autres mélanges de sons.


Musica 2022 - Kaija Saariaho - Kaija dans le miroir - Photo: lfdd


Les images du film d'Anne Grange nous permettent de mieux voir Kaija Saariaho dans sa vie quotidienne et son processus de création (son rappport au temps, à son espace de vie, aux projets de création, par exemple l'opéra Innocence ou à l'arbre mystérieux qui "habite" sa cour à la campagne. Un beus bis au violon nous offre une superbe interprétation où les cordes, entre carresse et tension nous rappelle cet entagonisme à l'oeuvre dans la musique de Kaija fêtée ce soir. 

 

Tres Coyotes


Musica 2022 - Kaija Saariaho - Tres Coyotes - Photo: lfdd


La soirée s'achève sur une magnifique prestation de ses amis musicien, le compositeur - et pianiste - Magnus Lindberg, un compatriote et collègue, le violoncelliste Anssi Karttunen, finlandais et interprète fidèle qui fut aussi un fidèle compagnon de Kaija à Paris, accompagnés du bassiste John Paul Jones qui faisait partie du groupe Led Zeppelin. Leur dialogue à trois, hommage à Kaiji les voit improviser (?)  et se répondre d'un côté à l'autre de la scène, Magnus Lindberg à son piano, avec ses partitions qu'il sollicite de temps en tamps, John Paul Jones la tête versée sur sa basse électrique et Anssi jonglant entre son violoncelle et un violoncelle electrique raccordé à de l'électronique. Le long flot de musique qui rebondit de l'un à l'autre, chacun à l'écoute des autres nous berce de son flot sur une bonne heure sans interruption. On sent le plaisir immense de ces trois monstres sacrés qui ont une maîtrise absolue de leur intrument et qui le jouent dans une harmonie commune. Leur joie de jouer déborde sur le public émerveillé. 

Musica 2022 - Magnus Lindberg - Tres Coyotes - Photo: lfdd

Musica 2022 - Anssi Karttunen - Tres Coyotes - Photo: lfdd

Musica 2022 - John Paul Johns - Tres Coyotes - Photo: lfdd

Musica 2022 - Magnus Lindberg - Tres Coyotes - Photo: lfdd

La Fleur du Dimanche

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