samedi 24 septembre 2022

Musica, même pour les petits et que pour soi, c'est toujours Musica

 Le Festival Musica, en plus de proposer des concerts - plus ou moins classiques - de musique contemporaine, c'est également toute une série de manifestations et d'événements qui sortent des sentiers battus, autant de par leur localisation - un Parc à Schiltigheim, des lieux privés ou insolites, leur public - les tout-petits ou des concerts juste pour une personne ou des (très) petites formes, ou les liens avec d'autres domaines comme la littérature. Nous avons bien sûr aussi eu droit à l'humour, à des églises plongées dans le noir ou à  des conférences parlées ou des concerts déconstruits pour ne prendre que deux exemples: Joëlle Léandre et Eve Risser.

Dans ce billet, je vais vous faire faire un petit tour du reste des réjouissances en quatre étapes.... (à suivre)


Expérience du futur rêvée au Parc des Oiseaux


L'expérience est immersive dans un quartier de Schiltigheim où l'on n'a pas l'habitude d'aller. Un Parc qui jouxte l'autoroute (et son grondement incessant) et, après le pont, l'aventure de rues qui nous dépaysent. C'est Sébastien Dicenaire, pour l'histoire, Gaetan Gromer et Antoine Spindler pour le son et la musique et Pauline Leurant et Milan Moretti pour la voix qui nous emmènent avec Oniropolis dans un voyage fantastique à la recherche de licornes et autres secrets à résoudre dans ce quartier jouxtant le Parc des oiseaux. Le voyage sous forme de jeu vidéo se fait avec un smartphone et en toute interactivité. Le projet monté par l'Ensemble 2.2 a été réalisé en collaboration avec plusieurs établissements scolaires de la ville de Schiltigheim et a mobilisé les élèves pour contriber à l'écriture des histoires qui sont à découvrir in situ et en mobilité. Le dispositif reste en place et des bornes seront installées pour améliorer la connexion. 

Petite invitation au voyage:


Musica 2022 - Oniropolis - Ensemble 2.2 - rue de l'étoile - Photo: lfdd

Musica 2022 - Oniropolis - Ensemble 2.2 - Parc des oiseaux - Photo: lfdd

Musica 2022 - Oniropolis - Ensemble 2.2 - L'oiseau près du parc - Photo: lfdd



Un récital sous casque pour un anniversaire déroutant

 La performance de Genevieve Murphy I don't want to be an individual all on my own qu'elle nous propose "sous casque" au Centre Chorégraphique de Strasbourg oscille entre la confession intime et le concert personnel. Installé sur les gradins face à la scène où elle oeuvre avec ses machines et ses accessoires divers - des objets: un ballon, un sifflet un mirliton, une "vache en boite" qui appuient visuellement et avec des sons typés son récit d'une fête d'anniversaire "Quand elle avait neuf ans", elle nous raconte et nous joue à la fois son propre rôle et celui de sa mère tout en ayant un discours surplombant sur la journée qui l'a beaucoup marqué et intriguée, en particulier Trancosie, artiste performeur.

 

Musica 2022 - Genevieve Murphy - I don't want to be an individual all on my own - Photo: lfdd


Nous nous trouvons à la fois dans une grande fête disco et dans les délires qui peuvent s'immiscer dans la tête d'une petite fille de neuf ans, qui maîtrise - ou pas - le monde, et qui essaie de s'en sortir entre les adultes et les enfants de son âge et les surprises de la journée. La mise en scène est inventive, simple mais efficace et Geneviève Murphy, femme orchestre qui maîtrise à la fois le récit, la musique, les "entertainments" et les intermèdes musicaux variés très bien écrits et superbement interprétés tient la scène - et le public en haleine - sur presqu'une heure de spectacle plein de fraîcheur. 


Musica 2022 - Genevieve Murphy - I don't want to be an individual all on my own - Photo: lfdd


De plus, le dispositif avec les casques stéréo accentue l'implication des spectateurs auditeurs - les chuchotements à l'oreille, les effets de spatialisation "bricolés" en direct font leur effet. Et les quelques chansons qui ponctuent le récit gagnent en qualité d'écoute.


Musica 2022 - Genevieve Murphy - I don't want to be an individual all on my own - Photo: lfdd



Il se trouve que les oreilles n'ont pas de paupières


Cette phrase de Pascal Quignard tirée de son livre "La Haine de la Musique" - c'en est d'ailleurs le titre d'un chapitre - est l'occasion pour Pascal Dupré de concevoir un spectacle avec le comédien Pierre Baux et l'altiste Garth Knox qui s'appuie sur des extraits de ce livre. 


Musica 2022 - Les oreilles ... -  Garth Knox - Pierre Baux - Benjamin Dupré - Photo: lfdd


L'exercice, entre le concert et le théâtre, est réussi. Pierre Baux, d'une manière très convaincante nous déclame ou nous susurre des réflexions sur le silence, le son, la musique et les mythes rassemblés par Quignard dans ce livre qui analyse d'une manière très encyclopédique les origines du son et de la musique et les déviations qui lui ont fait subir les nazis dans les camps d'extermination. Pour la pièce, le texte se concentre sur la question du silence et de l'origine de la musique. "Le bruit de ses propres pas est la première strate du silence". 


Musica 2022 - Les oreilles ... - Garth Knox - Pierre Baux - Benjamin Dupré - Photo: lfdd


Le dialogue est fécond entre le comédien et l'altiste Garth Knox, que nous avions déjà pu entendre à l'époque où il faisait partie du Quatuor Arditti, improvisant et proposant des boucles sonores ou des effets électroniques variés. Tout comme Pierre Baux qui nous offre une belle variété de mises en situation de ce texte très intelligent.


Un concert pour soi, rien que pour soi !


Le concept de concert pour soi développé par le Festival Musica a de quoi intriguer le festivalier lambda. Assister tout(e) seul(e) à un concert dans un lieu inconnu et original, une vraie expérience à vivre, pour happy few qui ont réussi à s'inscrire sur un des créneaux disponibles du 16 au 29 septembre. Le résultat? Un lieu en tout cas original et une demi-heure en tête à tête avec un musicien interprète rien que pour soi dans un programme surprise. L'expérience est surprenante et unique, elle aussi. Les lieux, inconnus au préalable ont "fuité" au fur et à mesure, mais la surprise et surtout la découverte était déjà un choc. Cela pouvait être, entre autres, le bureau de la maire de Strasbourg (quel sentiment de puissance pour ces quelques instants...), un appartement sur les quais Saint Nicolas avec vue sur la cathédrale (une auditrice m'a avoué ne même pas l'avoir vue - ou regardée - tant elle était impressionnée par le "concert pour soi"), un autre tout aussi impressionnant sur d'autres quais, des ateliers de la Fondation de l'Oeuvre Notre-Dame, et d'autres tout aussi originaux. En ce qui concerne les interprètes, il y avait des artistes invités, dont Garth Knox (voir plus haut), et une spectatrice a eu le plaisir de voir le directeur artistique (qu'elle ne connaissait pas) remplacer au pied levé un percussionniste empêché. 


Musica 2022 - Concert pour soi - Ancien Conservatoire Strasbourg - Photo: lfdd


En ce qui me concerne, la surprise s'est transformée en plaisir et en machine à remonter le temps: La salle Stravinsky de l'ancien Conservatoire de Strasbourg encore "dans le jus" dans les bâtiments du TNS. Le lieu où dans les années 70 j'assistais à mes premiers concerts (il y en avait aussi à l'auditorium de l'ORTF à l'époque (France 3 aujourd'hui).  Se retrouver dans cette salle, sur la scène carrément, face aux fauteuils rouges est toujours impressionnant pour un spectateur, même fidèle et assidu de concert de musique en général et de Musica en particulier depuis les débuts. L'entré dans la salle de l'altiste (Joachim Angster) qui se place en bas des fauteuils à quelques mètres de ma chaise est elle aussi impressionnante et intimidante. Et le plaisir peut commencer. Un concert où il n'y a personne d'autre, cela signifie pas de bruit pas de présence autre que l'interprète et soi... Une intense concentration, une écoute décuplée, un lien fort qui nous unit à travers l'instrument. 


Musica 2022 - Concert pour soi - Joachim Angster - Ancien Conservatoire Strasbourg - Photo: lfdd


Pour commencer, Joachim Angster joue un extrait de Inside (1980) de Pascal Dusapin, une pièce contemporaine tout en doigté où le toucher et le jeu entre les cordes est parfaitement visible et maitrisé et qui installe une belle douceur. Suivent les deux premiers mouvements de la Sonate pour alto (1991) de Ligeti: Hora Lungâ, comme un chant traditionnel, presque romantique et tendre qui finit en s'éteignant dans les aigus et Loop quicomme le titre l'indique va se construire sur une série de répétitions. 


Musica 2022 - Concert pour soi - Joachim Angster - Ancien Conservatoire Strasbourg - Photo: lfdd


Le dernier extrait sera de György Kurtag avec Signes, jeux et messages (1998-2005), une pièce écrite en hommage à la fois à John Cage et Samuel Beckett, pleine d'humour et dont la partition est pleine de didascalies et d'indications de jeu et d'interprétation. Joachim Angster se fait un plaisir d'expliquer à la fois ses choix de programme - surtout une belle complémentarité de style des oeuvres) et de présenter de manière plus détaillée les trois extraits sur pièce, à la fois via les partitions mais aussi les types de jeu, les difficultés ou les caractéristiques de chaque pièce. 


Musica 2022 - Concert pour soi - Joachim Angster - Ancien Conservatoire Strasbourg - Photo: lfdd


On ne peut que le féliciter de ce choix et de s'être frotté à ces pièces, qu'il a travaillé pour notre grand plaisir. Il faut préciser que Joachim Angster, natif de Strasbourg a fait ses études au Conservatoire et qu'il a eu le Prix "Pierre Pflimlin" et a continué ses études à Paris puis en Suisse où il a commencé à jouer comme soliste puis s'est installé aux Etats-Unis, avant de revenir en France et d'occuper le poste d'altiste co-soliste à l'Orchestre Philharmonique de Strasbourg en 2020. Et sa passion de la musique est contagieuse. On le remercie de ce très beau cadeau, cette demi-heure d'intimité avec la musique.



La construction du monde, un jeu pour petits et grands


Le monde c'est tout et c'est pas grand chose. Avec La Construction du Monde de Georges Aperghis une création pour le Festival Musica, d'abord présenté à l'espace Aedaen le 17 et 18 septembre puis, dans le cadre des mini-Musica, à Pôle Sud le 24 et le 24 septembre, nous avons un autre aspect de sa création, une forme beaucoup plus intime, miniature pour ne pas dire minimaliste, comparée à Migrants qui a fait l'ouverture du Festival. Cette courte pièce se déroule à une table, spécialement conçue et scénographiée par Nina Bonardi: à la fois petite boite à malice et castelet de Guignol à vue.


MUSICA 2022 - La Construction du Monde - Georges Aperghis - Richard Dubelski - Photo: lfdd


Elle dévoile au fur et à mesure ses secrets, par des apparitions-disparitions surprenantes, des plumes qui tournent et qui volent, des clapets colorés qui s'ouvrent, des doigts qui apparraissent, d'autres qui tapent la mesure, des mains même, cajoleuses. Tout cela bien sûr émettant des bruits drôles ou bizarres et animés en direct par le comédien et percussionniste, compagnon de route d'Aperghis, Richard Dubelski, qui nous offre dans sa très belle diction quelques allitérations ou jets de mots saccadés, essayant de faire sens, en français ou en italien. 


MUSICA 2022 - La Construction du Monde - Georges Aperghis - Richard Dubelski - Photo: lfdd


Mais qu'importe, c'est le rythme, la musique qui nous emporte dans cette déferlante ou nous berce dans ses psalmodies et prières chamaniques. Entre chorégraphie et poésie sonore, percussion et théâtre d'objet, une histoire secrète se tisse et se construit, et les toupies tournent, tout comme le monde. Et nous rêvons de voyages immobiles.



La Fleur du Dimanche

  

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire