mardi 29 septembre 2020

Dominique Boivin à Pôle Sud - Road Movie, en route vers le paradis des danseurs

 L'on dit généralement que quand on est prêt de mourir, il y a la vie qui défile à toute vitesse devant nos yeux. Est-ce pour cela que nous cherchons, lorsque nous vieillissons, de fixer notre mémoire, de creuser nos souvenirs?

Pôle Sud - Road Moovie - Dominique Boivin - Daniel Larrieu - Photo: lfdd


Pour les artistes en général, les chanteurs par exemple, ils font leur tournée d'adieu pour saluer une dernière fois leur public. Les écrivains eux, écrivent un livre de souvenir, leurs mémoires, tandis que les cinéastes, plus rarement font un film testament, ou comme Manuel de Oliveira, un film qui ne pourra sortir qu'après sa mort et le public - ou le film? - attendra 32 ans. Dominique Boivin lui, mixe un peu tout cela dans son spectacle Road Movie qu'il considère comme le début de ses "premiers adieux à la scène". Après une introduction en vedette américaine de l'ami Mark Thompkins, qui chante devant le rideau fermé, de sa magnifique voix grave et rocailleuse "Heaven" de David Byrne des Talking Heads - On y parle d'un bar nomme Heaven (Paradis) où il est dit qu'on n'y fait rien qu'écouter le groupe qui y joue et où il n'arrive jamais rien. Je vous en mets (pour l'ambiance) la version de David Byrne:


Et Dominique Boivin fait ses adieux dans une superproduction monstre de plus d'une heure et demie où, sur la superbe scène de Pôle Sud, avec une étagère brinquebalante, une table qui devient tableau noir ou grande scène, un écran brillant sur lequel rien n'est projeté et des rayonnages sur lesquels sont rangés des objets, des boites, des souvenirs, et un Revox et un mange-disque rouge qui vont faire la sonorisation de la pièce, plus un portant de vêtements qui va lui permettre de voyager dans le temps et les souvenirs, il va débobiner et rembobiner les différents fils de son histoire. Les fils, d'une part en hommage à sa mère couturière - sans qui il ne serait pas là, et qui est partie trop tôt, qui lui a à la fois donné l'amour des costumes, l'envie de se déguiser (surtout de mettre sa petite robe noire dont la fermeture était cassée) et de faire de la danse... Cette petite robe noire qu'il porte donc en début de spectacle en cherchant son chemin dans ce Road Movie, d'abord en marchant puis en dansant, an dansant d'ailleurs très bien, avec ce corps un peu atypique qui a également inspiré à son  médecin de lui conseiller la danse... Il va donc danser sa vie de danseur sur scène, les différentes écoles par lesquelles il est passé (la danse acrobatique, la classique, la moderne, la jazz, l'américaine) La route qui le mène de Paris avec Caroline Carlson à New York, avec Merce Cunningham et Douglas Dunn à Angers avec Alvin Nicolaïs (qu'il avait croisé à New-York) en passant par Venise (chez Béjart en passage éclair), mais aussi des prestations à la chaine comme employé municipal en province pour danser tout et n'importe quoi dans des compositions chorégraphiques nouvelles chaque semaine. Et puis se rappeler de ses pièces, de ses premières créations à ses plus récentes, avec quelques points forts comme sa chorégraphie duo pour une pelleteuse et un danseur Transports Exceptionnels, ou son duo Belles de nuit avec sa chienne Rita (dont il nous projette les "diapo de vacances" - en fait des dessins-collage très drôles), sa "première" pour l'ouverture de Pôle Sud à Strasbourg dans l'ancienne salle, sa création d'une Carmen du pauvre très symbolique, hommage posthume à sa mère sept ans après sa mort. Et puis nous donner la recette de la fabrique de ses chorégraphies, sa grammaire des gestes (qu'il a d'une élégance variée) tout en rappelant les différentes formations et les différents métiers (dans la danse et hors danse) qu'il a assurés. Et de nous rappeler qu'il est aussi un peu mime - et bon mime d'ailleurs, parce qu'il va plus loin que l'illustration - la chorégraphie sur la chanson Les gens qui doutent où il est en avance sur les paroles qui, ainsi prennent un nouvel éclairage, en sont un bel exemple. Les chansons, et les chanteurs sont pour lui aussi une source d'inspiration et de créations et nous passons de Barbara à Gréco, de Julien Clerc à Klaus Nomi, de la chanson à la pop ou au classique pour mesure l'étendue de son talent. 

Et nous ne serions pas complet si nous ne parlions pas de son talent d'auteur, d'écrivain, parce que tout du long de cette pièce, nous nous laissons emmener sur le chemin de sa vie, via ses récits sur la danse, ses boulots, ses amis, ses aventures amoureuses, ses relations sociales et politiques, ses sentiments, ses sensations, ses objets fétiches, ses premières fois, son apprentissage de la vie, ses expériences, ses rencontres. Ce récit de la vie qu'il nous sussurré à l'oreille d'une voix douce et posée, dans un rythme auquel nous nous accrochons aussi, sur ce filet de voix qui, sans relâche, alors qu'il occupe la scène pour incarner cela, la voix nous accroche et enveloppe par le son les déambulations et les chorégraphies de ce Buster Keaton de la Danse, qui devant nous nous joue le film de sa vie, simple et humain. Et généreux également, car il n'est pas seul, il a invité, comme Mark Tompkins au début, des amis danseurs chorégraphes: Daniel Larrieu fantomatique double incarné bien en chair et en barbe généreuse dans une chorégraphie de circonstance minimaliste, Louis Ziegler, comparse rencontré chez Nicolaïs et fidèle compagnon qui lui a envoyé une vidéo magnifique d'un solo en cantatrice à chignon agonisante. Et, cerise sur le gâteau, Pierre Boileau qui fait une apparition sublime et émouvante de diva en kimono rouge et talons hauts, coiffé d'énormes oreilles de lapin en baudruche, est à couper le souffle. Une présence fragile et forte à la fois, impressionnant de beauté, dont le simple aller et retour où il se défait de tout, si ce n'est d'une rose argentée laisse le public pétrifié. 

Pôle Sud - Road Moovie - Mark Tompkins - Pierre Boileau - Daniel Larrieu - Dominique Boivin - Photo: lfdd

Et ce début des adieux s'achève, en chansons. Dominique Boivin dont on connaissait les talents de danseur, de chorégraphe, d'historien de la danse et ses capacité d'intégrer l'humour à tout cela (n'a-t-il pas eu le Prix de l'Humour à Bagnolet pour sa première pièce Quelle fut ta soif? en 1979?) nous a mené sur le chemin de sa vie en nous prouvant son talent d'auteur littéraire et de comédien conteur.


La Fleur du Dimanche

2 commentaires:

  1. Wahoo cher Robert... toi et Geneviève vous n'avez pas la même prose mais le même talent littéraire Merci de tout coeur. J'étais très ému de retrouver Strasbourg et mes ami-e-s après 6 mois de confinement ... Je t'embrasse Pierre

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  2. Merci Pierre pour ton commentaire, ça m'a fait plaisir de te rrevoir aussi ! A un de ces jours ...

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