vendredi 25 septembre 2020

Musica au TNS: Suite N°4: Le trop plein de parole face au trou noir

 Il vous est sûrement déjà arrivé d'être énervé par une personne qui téléphone en face de vous dans un lieu public et vous vous êtes demandé pourquoi. Ou alors, vous avez entendu une bribe de discussion dans un restaurant ou dans la rue et cela vous a peut-être intéressé. Ou vous êtes dit que ce n'était vraiment pas intéressant. La ligne entre ce qui peut vous intéresser ou non est ténue, fragile, et le passage peut se faire brusquement ou rapidement.




Pour la pièce Suite N° 4 de Joris Lacoste (composition dramaturgique et mise en scène), Pierre-Yves Macé (composition musicale instrumentale) et Sébastien Roux (composition musicale électro-acoustique) interprétée à la scène par l'ensemble Ictus, la proposition semblait alléchante. Trop alléchante?

Ecoutez ou plutôt lisez:

"L’Encyclopédie de la parole est un projet qui travaille à révéler la forme de la parole, sa dimension sonore, sa musicalité. Au début du projet en 2007, l’enjeu n’était pas encore de faire des spectacles mais simplement de construire une collection sonore en réunissant des enregistrements de parole autour de différents phénomènes tels que la cadence, l’espacement, la mélodie, la saturation, le résidu, etc. (...) c’est ainsi que j’ai   rencontré Pierre-Yves Macé et Sébastien Roux — à composer une pièce sonore à partir de la collecte: l’idée était déjà d’essayer d’écouter la parole la plus ordinaire avec une oreille plus attentive à la musique qu’aux mots, tout au moins de déplacer notre écoute du quoi vers le comment, du sens vers le son." ...

"À partir de Suite n° 2, la musique intervient plus directement ...  on réfléchit avec Pierre-Yves aux possibles rapports entre musique et parole, comment la musique peut donner corps à une parole, l’illustrer, la colorer, la commenter, en révéler la forme en soulignant ce qu’elle a de régulier ou au contraire en accentuant son imprévisibilité."

"Avec Suite n°4, on conduit le processus à son terme puisque la musique est devenue à ce point centrale qu’il n’y a même plus d’acteurs présents sur scène. Les seules présences sont celles des voix enregistrées et des sept musiciens d’Ictus qui les accompagnent. Cela dit, c’est peut-être paradoxalement la pièce la plus théâtrale du cycle, dans la mesure où elle joue beaucoup moins avec les codes de représentation de la musique. L’enjeu premier pour moi est en effet de réussir à faire du théâtre malgré l’absence d’acteurs."

Cette proposition est passionnante. Et la pièce joue effectivement sur la présence des fantômes - Le premier extrait est la scène du spectre du vieux roi Hamlet dans la pièce éponyme de Shakespeare. Nous aurons encore plus tard des tables tournantes (la scène est assez comique - volontaire ou au deuxième degré, qui sait?) et il est souvent question de mort, d'absence, de trou noir. Cependant, le procédé semble s'épuiser - en tout cas épuise quelques spectateurs. Est-ce la succession un peu trop longue des ces voix enregistrées, le fil du récit difficile à suivre, surtout l'attention un peu trop soutenue pour lire les sous-titres qui jouent sur différents écrans et en différents endroits (il faut aussi noter que les fauteuils latéraux ont été neutralisés mais il vaut mieux être centré pour voir les textes sur le fond de scène) - également sur des rythmes hachés et assez rapides - Il est vrai pour les textes, quelques-uns sont en français, mais beaucoup sont en anglais, en italien, en allemand, en portugais, en israélien, en mamyamalan et bien d'autres. La sonorité des paroles est intéressante mais on en perd beaucoup à essayer de la comprendre en lisant la traduction. Et à priori, on attendait plus du son que du sens. Cet avènement ne survient vraiment qu'à la fin de l'Acte 4 avec une mélopée de réparateur de parapluie chinois, et atteint une certaine apothéose dans le dernier Acte qui voit les musiciens se rapprocher du public (ils l'ont bien sûr fait au fur et à mesure tout au long de la pièce, n'étant pas sur scène au début, mais ces manoeuvres d'approche étaient surtout perturbantes pour le déroulé de la pièce. La fin de la pièce, en apothéose et en beauté justifie par les extraits de "paroles" à la fois l'Art (un extrait d'une performance "historique" de deux heures et demie de John Cage en 1977 en Italie et l'engagement politique (le message d'adieu de la révolutionnaire mexicaine Bertha Elena Munoz Mier à la Radio Universidade d'Oaxaca lors de l'assaut des forces fédérales hostiles). Il est bien sûr d'autres "paroles" dont le sens ou le contenu, le rythme sont intéressants, comme l'ouverture de séance du Conseil National autrichien par Wolfgang Sobotka  - dont le livret "texte" du spectacle de cette "Encyclopédie de la Paroles" très instructif sur ces "citations sonores" nous apprend qu'un certain Rosenkranz, nouveau député appelé, pourrait avoir une lointaine relation avec celui d'Hamlet - ou la présentation (en canadien - d'un procédé de traitement des sols de garages (l'époxy), ou les prêches très imagés et inventifs d'un prêtre du Kerala. Mais on a l'impression le plus souvent d'être un témoin lointain, d'être de l'autre côté de la porte et d'écouter en regardant par le trou de serrure, ou d'assister à une séance d'hypnose tout éveillé.

Nous aurions aimé que pour les voix, à part quelques effets (un peu "poussés" d'ailleurs,) la "composition" ait autant de poids que les sept musiciens du groupe Ictus (Hugo Abraham: contrebasees, basse slectrique - Tom de Cock: percussions, Chrissi Dimitriou: flûtes, Luca Piovesan: accordéon, Jean-Luc Pouvrier: clavier électronique, Eva Reiter: viole de gambe, flûte Paetzold  et Primo Sikic: guitare électrique, mandoline, banjo) qui ont réussi admirablement à créer une belle cohésion dans cette création.

La Fleur du Dimanche

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