dimanche 21 septembre 2025

Kronos Quartet à Musica - deuxième: A world we live in - Prendre position - s'engager

 Pour la deuxième soirée de Kronos Quartet au Festival Musica, le programme est résolument engagé !

De la proposition de Nicole Lizée, qui affirme d'office Death to Kosmische, à Mary Kouyoumdjian qui nous offre ses Bombs of Beirut, en passant par Neil Young et son Ohio qui dénonce la mort de quatre étudiants sur le campus de l'Université de Kent lors d'une manifestation en faveur de la paix en 1971, ou de l'iconique Different Trains de Steve Reich qui fait le parallèle entre les trains de son enfance et ceux du troisième Reich, les positions sont clairement précisées. Il est question de s'opposer à la guerre, la répression, la Shoah. La musique peut aussi être une arme, et cela ne l'empêche pas d'être de très grande qualité. En particulier si elle est interprétée par ce quatuor mythique et que quelques unes des compositions ont été dédiées spécialement au groupe ou commandées par celui-ci. Ou encore quand ce sont des chansons - comme celle de Neil Young ou de Nina Simone dont ils ont décidé d'en faire l'orchestration.


Musica - Kronos Quartet - A world we live in - Photo: Robert Becker


Avec Death to Kosmische de Nicole Lizée qui débute la soirée, nous avons droit à une écriture résolument moderne. Nicole Lizée friande de collage, de musique de films et d'instruments excentriques et bizzaroïdes propose ici une composition - commandée par le Kronos Quartet - en opposition à la musique "planante" des groupes comme Tangerine Dreams. La composition est alerte et inventive, riche et variée. Pleine d'humour aussi, avec des changements incessants de direction et de style. En plus des instruments classiques du Quartet, et de la musique enregistrée qui les accompagne, les musiciens jouent aussi sur des instruments aussi originaux que l'omnichord (un synthétiseur, fausse guitare ou autoharpe) et le stylophone, mignon petit instrument des années 70 avec un son pauvre et ses vingt notes que l'on joue à l'aide d'un stylo. La "chute" de la pièce de Nicole Lizé étant le crash d'un mange-disque sur lequel sont joués des sauts et des rayures. La pièce est un petit bijou de treize minutes qu'ils ont créé pour les 40 ans de la formation. Suit, plus calme, mais pas moins engagé, Ohio, la chanson de Neil Young, avec un arrangement de Paul Wiancko, le violoncelliste du Quatuor. La chanson est interprétée avec délicatesse, les violons s'accordent et se relayent avec grâce, dialoguent, des pizzicati forcent l'attention, la mémoire de ces quatre étudiants au sol tourne en boucle et leur souvenir s'éteint avec émotion.


Musica - Kronos Quartet - A world we live in - Photo: Robert Becker


Bombs of Beirut de Mary Kouyoumdjian fait partie de leur programme initié pour le renouvellement de la création contemporaine qu'ils ont lancé lors des leurs 30ème anniversaire pour soutenir la découverte de jeunes compositeur/trices de moins de 30 ans. Inspiré par le parcours de ses grands parents qui ont fui le génocide arménien pour aller au Liban où ses parents n'étaient plus en sécurité dans les années 1974-1990, Mary Kouyoumdjian décrit le quotidien d'une vie dans un pays en guerre en trois partie (Avant la guerre, Pendant la guerre, Après la guerre) en utilisant aussi en bande son des récits et témoignages de proches qui racontent leur vie. Et l'on entend littéralement le bruit des bombardements et des roquettes. La composition et le dialogue musique et parole est mené de manière très intéressante et la tension que cela amène est très forte. L'équilibre et les liens entre les deux matériaux font penser à la pièce de Steve Reich et le résultat est très réussi.


Musica - Kronos Quartet - A world we live in - Photo: Robert Becker


Après un court entracte, la merveilleuse soirée continue avec une chanson de Nina Simone For All we know arrangée par Jacob Garchik, un air nostalgique et triste que les cordes du quatuor interprètent admirablement, quitte à nous faire oublier la voix troublante de la grande Nina. L'on continue avec le dernier mouvement de la pièce de Terry Riley Sun Rings intitulé One Earth, One People, One Love (2015), une composition avec une bande enregistrée. On y entend de temps en temps le titre répété par une douce voix féminine et des sons parvenus de l'espace ainsi que des sons d'une grande douceur. La composition pour le quatuor est tout aussi calme et apaisante, nous invitant à un moment de pause et à nous interroger sur notre place et notre destin dans l'univers. Puis nous avons Fólk fær andlit de la compositrice islandaise Hildur Guðnadóttir qui a écrit pas mal de musiques de films, dont celle du film Joker pour laquelle elle a eu un Oscar. La musique est également très calme, avec une ligne de basse qui soutient des airs qui s'éveillent, se développent et se posent.


Musica - Kronos Quartet - A world we live in - Photo: Robert Becker


Et nous arrivons au "monument" de Steve Reich, ce Different Trains qu'il a composé pour le Kronos Quartet. Cette pièce pour quatuor et bande enregistrée, où les cordes imitent la sonorité des voix qu'il a incluses sur la bande, avec, pour la première partie, America – Before the War, les annonces de destination ou d'origine "From Chicago" ... "To New York" et "To New-York from Los Angeles" "Different trains" ou des dates, rappelant son enfance quand il rejoignait l'un ou l'autre de ses parent divorcés, et des extraits des interviews qu'il a introduit, que ce soient sa gouvernante Viginia ou un cheminot. Dans la deuxième partie Europe - During the War, ou la dernière, After the War, quand ses voyages rappellent les trains - différents - en Europe, quand ceux-ci emportaient les Juifs dans les camps de concentration., ce sont de témoignages de rescapés survivants qui racontent leur déportation puis leur exil après la guerre. La présentation en "live" permet de mieux identifier les différentes sources sonores et d'apprécier le dialogue entre les instruments et les parties enregistrées - autant la musique que les voix ou les bruitages - et de voir les interactions entre le Quartet et la bande son. Les voix en particulier sont bien audibles, on pourrait même trouver que le son enregistré couvre un peu trop le son direct des interprètes. Faut-il  rappeler qu'ils jouent aussi sur de magnifiques instruments, et cela s'entend. En tout cas c'est le "masterpiece" de la soirée comme l'annonçait David Harrington, fondateur du Kronos Quartet. Les autres interprètes, Gabriela Diaz au violon, Ayane Kozasa à l'alto et Paul Wiancko au violoncelle étant des interprètes de très haut niveau qui ont montré ici toute la finesse et la qualité de jeu et de sensibilité pour le répertoire large que le Kronos Quartet se plait d'interpréter. 


Musica - Kronos Quartet - A world we live in - Photo: Robert Becker


Le public est ravi, au point que le quatuor offre, non un mais deux rappels. D'abord une très belle interprétation dans une pénombre qui nous permet de nous concentrer sur la pièce, c'est Flow de Laurie Anderson, une très belle composition toute en introversion et en délicatesse. Et ils ne pouvaient pas finir leur récital sans une chanson "engagée". C'est donc avec Tal’een ‘ala el-Jabal, qui signifie "Gravir la montagne", chantée a capella par Rim Banna qu'ils accompagnent, une chanson populaire du patrimoine palestinien, notamment chantée par des femmes de Galilée et qui aurait été utilisée pour transmettre des messages aux prisonniers politiques, que s'achève ce concert.


La Fleur du Dimanche

2 commentaires:

  1. https://www.youtube.com/watch?v=r6BJriRPEp0&ab_channel=KronosQuartet-Topic

    RépondreSupprimer
  2. https://kronosquartet.bandcamp.com/album/landfall-with-laurie-anderson

    RépondreSupprimer