dimanche 12 novembre 2023

Albert Strickler : Où vont les nuages ?

 Sa maison était au dessus du brouillard, près des nuages et il est parti ... définitivement.

Albert, l'ami d'enfance, celui qui aimait la forêt du Rhin, qui y revenait comme à ses anciennes amours.

Celui à qui le grand-père calfat avait fait découvrir la jungle des bras morts du Rhin

Celui qui est parti tutoyer l'horizon vaste et lumineux sur son échelle du ciel

Celui qui, jour après jour, nuit après nuit tissait en liens indélébiles les mots des uns et des autres avec les siens

Celui qui s'émerveillait des riens somptueux et chantait la nature et l'Homme, les femmes aussi..

Celui qui déployait une énergie au dessus de ses forces pour chanter et célébrer la poésie de la vie et des ami(e)s

Albert restera auprès de nombreux amis, lecteurs et lectrices comme une éphéméride des souvenirs, un almanach de la météo de nos sentiments

Son sourire brillera encore longtemps dans nos yeux, sa bonté nous réchauffera les jours de pluie

Sa joie de vivre ensoleillera les jours futurs

Et sa faconde nous racontera encore mille histoires en poèmes ou en prose.


Il avait participé au bouquet des Fleurs Fabuleuses, le livre d'artiste de Robert Becker et Dominique Haettel et avait choisi, en troubadour facétieux, la photo de l'Iris qui tire la langue, devenu masque vénitien et je vous l'offre - à lui aussi par dessus les nuages, ainsi que le texte qu'il avait avec sa faconde et sa fantaisie habituelle rédigé dès qu'il avait eu la proposition à laquelle il avait bien sûr répondu sans hésiter. 




Le carnaval de Venise avait lieu cette année-là en automne. On avait asséché la plupart des canaux, sauf un qui servit d’immense soliflore pour une fleur fabuleuse, afin d’élargir les zones piétonnes.
Une magnifique gondole sur roulettes – en fait, une espèce de cercueil en forme de brouette – avait valu à son concepteur le premier prix du concours Lépine.
Les Vénitiens et les touristes qui les avaient rejoints en masse, et en masques, était plus fous que jamais, en dépit du manque d’eau dû au curage évoqué.
Et la faune, ni plus ni moins que la flore d’ailleurs, n’était de loin pas en reste. Car les loups, comme sortis des bois de l’hiver, se mêlèrent vite aux masques aussi.
Un vieux Doge, costumé en vieille chouette, à la main un sceptre en forme de trompe d’éléphant orné d’un sourire de lune malicieuse, et bombant d’orgueil la poitrine quoique mort, s’était en même temps travesti en sirène de proue ornant son propre corbillard.
Le plus intrigant  étant qu’il paraissait se multiplier au fur à mesure qu’il fendait les flots à sec.
Moi qui avais appris à danser la valse sur le sirupeux mouvement de l’été de Vivaldi, je profitai de la zizanie ambiante pour retourner sur la tombe de Stravinsky et y déposer mon bouquet qui sacre traditionnellement le printemps.
Quand j’en revins du cimetière San Michele, je croisai Claudia, la seule qui ne fût ni maquillée ni même habillée.
«  - Qu’est-ce que tu fous là, à poil ?
 -Si je me suis costumée en nue, c’est qu’on n’a pas de temps à perdre. Tu es bien sûr le seul à ne pas savoir que nous sommes confinés.
Viens, je nous ai déniché un superbe palais près de La Fenice.  On se met sous la couette, c’est quand mieux que de se voler dans les plumes, non ! »
Le temps d’enregistrer sa proposition – il y a moins alléchant ! – et un nombre incroyable de ses clones sortirent de son dos comme des anges pour aller puiser dans le corbillard du doge des fleurs de toutes  sortes et les jeter, avec force clins d’œil, hors de leur char, comme jadis, chez nous, les jeunes filles lors de la Fête-Dieu.
"


Vous pouvez le revoir dans l'émission Rund Um  il parle de cette expérience ici:




Lui qui aimait le jaune m'avait sollicité pour la photographie de couverture de son "Journal du Confinement" Un silence icandescent pour une photo de genets, moi qui venait du "Pays ancien", entre Moder et Rhin. Je venais juste de capturer un couple de papillons, prise dont j'étais très fier et qu'il a finalement préféré aux joncs traditionnels qui n'étaient plus son environnement au Tourneciel où il avait été confiné. 





Dans son tout premier journal en "Il a plu sur les cerises - Journal Printemps 1995" le 24 mars 1995, Albert disait: "Et si la tenue d'un Journal n'était qu'une forme d'accompagnement à la mort !
Il l'a accompagnée pas assez longtemps... La veille de son anniversaire il faisait le bilan de mi-temps et "intégrait les "inconnus" que sont une balle perdue, un platane dans un virage ou tout simplement un refus du coeur".

D'ailleurs pour son dernier journal "Boiter jusqu'au ciel - Journal 2022", il avait noté au 1er janvier:
"J'ai mis Journal 2022 et suis reparti!"

Parti où ? Là où vont les nuages ?

Où vont les nuages
Une fois qu'ils ont saigné
Tout leur sang
Une fois qu'ils ont sué
Toute leur eau
...

Où vont les nuages
Si ce n'est d'échouer 
Comme d'immenses baleines
sur une lointaine plage du ciel
...

Nous le laissons sur ce chemin et gardons dans notre coeur les très bons moments passés ensemble, en vrai et avec ses livres.


La Fleur du Dimanche

Nous partagerons avec sa famille et ses amis notre peine le lundi 13 novembre en l'église Saint Georges à Sélestat




Le dimanche 19 novembre à 15h00 aura lieu également un hommage au CINE Bussière. Aline Martin et Pierre Rich liront les poèmes d’Albert Strickler écrit spécialement pour le livre de Michel Friz "L’alphabet des hirondelles” suite à la conférence sur les hirondelles de Pierre Hieber,  guide naturaliste chevronné et Michel Friz. plus d'info ici:
 

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