mardi 23 mai 2023

L'Esthétique de la Résistance au TNS: Le millefeuille de la confusion des engagements

 Le roman de Peter Weiss L'Esthétique de la Résistance, paru en trois volumes en Allemagne entre 1975 et 1982 est une somme qui balaye l'histoire allemande - et européenne - entre 1937 et 1942. Ce récit dont la dernière version qui, rassemblé en 2017 en un seul volume de presque 900 pages, conte l'histoire du narrateur venu d'Allemagne s'engager avec les Brigades internationales en Espagne en 1937 puis partant en Suède pour revenir en Allemagne dans les années 1942 en relation avec un groupe d'opposants au régime nazi, l'Orchestre Rouge. 


L'Esthétique de la Résistance - Peter Weiss - Sylvain Creuzevault - Photo: Jean-Louis Fernandez


Il interroge à la fois les événements historiques et les engagements individuels de militants communistes contre le fascisme tout en  essayant de trouver des clés d'analyse et de lecture de la société dans les arts et la culture pour participer au progrès social. Un roman "de formation" - Bildungsroman - dans la tradition allemande, en quelque sorte. Les seuls personnages de fiction sont le narrateur et sa famille, tous les autre personnages étant des personnages bien réels. 


L'Esthétique de la Résistance - Peter Weiss - Sylvain Creuzevault - Photo: Jean-Louis Fernandez


Sylvain Creuzevault s'est frotté à ce pavé pour interroger l'histoire du communisme par le biais de ce récit. Mais sa démarche n'est pas une simple transposition du livre. Sa démarche a plutôt été d'en sortir ce qu'il appelle des "structures" qui lui permettent d'expérimenter avec les acteurs des approches différentes de ce matériau. Il a donc, avec quelques membres de sa troupe (Boutaïna El Fekkak, Vladislav Galard qui joue entre autre Peter Weiss, Arthur Igual - rôle de Berthold Brecht - et Frédéric Noaille), habitués à sa méthode, travaillé au long cours avec l'ensemble des élèves du Groupe 47 du TNS (entrés en 2020, et qui ont vécu l'épisode du Covid au TNS) et qui présentent donc leur spectacle de fin de formation avec cette pièce fleuve (presque six heures avec les deux entractes) L'Esthétique de la Résistance


L'Esthétique de la Résistance - Peter Weiss - Sylvain Creuzevault - Photo: Jean-Louis Fernandez


Le rythme et les différents épisodes retenus de la pièce sont vraiment très variés et l'on passe de scènes de foule à des moments intimes, de chansons ou de récitals à des déclamations ou du théâtre dans le théâtre, des moments comiques ou intimistes, de la chorégraphie et du récital, des discussions politiques ou concernant l'art et l'engagement, des résumés de situations ou des présentations très claires et pédagogiques de situations complexes. Tout cela sans faiblir dans le rythme et en changeant très souvent de mode de jeu. Le vaste plateau, avec très peu d'accessoires et un éclairage adapté, nous livre des univers variés dans une dominante noir et blanc de cette période (un clin d'oeil à la robe rouge d'Otto Dix dans le cabaret ou le drapeau - antenne radio lors du procès de Boukharine). 


L'Esthétique de la Résistance - Peter Weiss - Sylvain Creuzevault - Photo: Jean-Louis Fernandez


La scénographie fait preuve dune grande inventivité et nous invite à "lire" les oeuvres d'art comme filtre de l'analyse politique. C'est d'ailleurs sous cet angle - esthétique - que débute le roman de Peter Weiss - et également la pièce avec une lecture à la fois historique et politique de la frise de Pergame, son histoire, ses mystères et interrogations, ses lacunes et ses interprétation, tout comme l'histoire des deux camps, fascisme et communisme dont les péripéties et soubresauts qui touchent autant les individus que les nations dont nous allons découvrir certains épisodes et revirements (comme le traité de Berlin ou le pacte Germano-soviétique, qui ne manquent pas d'interroger les protagoniste et nous rappeler la liberté que prennent les dirigeants politiques envers le destin des citoyens. D'autres tableaux (le Massacre des innocents de Breughel, le Tres de Mayo de Goya, le Guernica de Picasso,...) sont à la fois un moyen de pointer et dénoncer les méfaits de la guerre, un acte de soutien de la part des peintres et artistes et un témoin mémoriel de ces violences envers le peuple... Et cette histoire n'est pas terminée, il suffit de prendre pour exemple la récente invasion de l'Ukraine par la Russie à laquelle le geste de l'artiste Jean-Pierre Raynaud a répondu par son oeuvre Guernica - Ukraine exposée face au Guernica de Picasso dans la cour de la Sorbonne à Paris pour l'anniversaire du début de ce conflit. 


L'Esthétique de la Résistance - Peter Weiss - Sylvain Creuzevault - Photo: Jean-Louis Fernandez


Ce premier niveau, d'information et de prise de conscience va se continuer par l'analyse de ce matériau et de l'histoire en construisant des outils de compréhension à la fois de l'oeuvre d'art et du sens et de lecture de l'histoire et de son explication dans le but de pouvoir éventuellement influer sur son destin. C'est ce qui sera l'objectif et du livre, et de la pièce présentée sous nos yeux, sachant toutefois que cette représentation, que ce soit le théâtre brechtien (qui va être convoqué dans la pièce) ou le théâtre documentaire, connait ses limites, tout comme la politique, ce qui amène cette fin où sous une pluie de bombe, le personnage se demande comment mettre fin à ce genre de situation avec le narrateur qui se demande "peut-on faire ou pas l'unité pour créer un pays communiste". Le tout en ayant pleinement conscience des errements des deux régimes, fascistes et communiste auxquels nous avons pu assister plus ou moins de l'intérieur. 


L'Esthétique de la Résistance - Peter Weiss - Sylvain Creuzevault - Photo: Jean-Louis Fernandez


Et nous tirons le chapeau au phénoménal travail de toute l'équipe de Sylvain Creuzevault et les Singes ainsi que les élèves-comédien.ne.s du TNS (toutes et tous méritent un grand bravo pour leur inventivité et la qualité de leur jeu, une pensée particulière pour Gabriel Dahmani pour son Hénorme rôle du narrateur!)  ainsi que toutes les équipes techniques (mise en scène, dramaturgie, décors, lumières costumes, son vidéo) qui ont porté avec tout leur coeur, leur enthousiasme et leur énergie cette lecture artistique d'un morceau de l'histoire du monde. On en sort un peu éreinté mais content et satisfait d'avoir à la fois appris des choses que nous avions un peu oubliées et d'avoir vécu des moments très intense et émouvants.


La Fleur du Dimanche


L'Esthétique de la Résistance


Au TNS du 23 au 28 mai 2023 - Attention à l'horaire: 19h00

A Montpellier le 9 et 10 juin pour Le Printemps de Comédiens

A Bobigny du 9 au 12 novembre à la Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis dans le cadre du Festival d'Automne


CRÉATION AU TNS

Avec les artistes issu·es du Groupe 47 (3e année) de l’École du TNS en sections Jeu, Mise en scène/Dramaturgie, Scénographie-Costumes, Régie-Création et les artistes de la compagnie Le Singe *
D'après le roman de Peter Weiss
Adaptation et mise en scène Sylvain Creuzevault

Avec
Jonathan Bénéteau de Laprairie − Arvid Harnack
Juliette Bialek − Marlène Dietrich, Hélène Weigel, Ilse Stöbe
Yanis Bouferrache − Horst Heilmann
Gabriel Dahmani − le narrateur
Boutaïna El Fekkak * − la mère de Hans Coppi, Ruth Berlau
Hameza El Omari − Hans Coppi, Münzer
Jade Emmanuel − Marcauer, Joséphine Baker, Libertas Schulze-Boyzen
Felipe Fonseca Nobre − Jacques Ayschmann, Kurt Schumacher
Vladislav Galard * − Peter Weiss, Willi Münzenberg, Richard Stahlmann
Arthur Igual * − le père du narrateur, José Díaz Ramos, Bertolt Brecht
Charlotte Issaly − Otto Katz, Karin Boye, Margarete Steffin, Mildred Harnack
Frédéric Noaille * − Max Hodann, Jakob Rosner, Wilhelm Vauck
Vincent Pacaud − un·e associé·e de Katz, Herbert Wehner, Adam Kuckhoff
Naïsha Randrianasolo − la mère du narrateur, Edith Piaf, Anna Krauss
Lucie Rouxel − Charlotte Bischoff
Thomas Stachorsky − Nordahl Grieg, Maurice Chevalier,
Haro Schulze-Boyzen, Harald Poelchau
Manon Xardel − un·e associé·e de Katz, Lise Lindbæk,
Rosalinde von Ossietzky, Elisabeth Schumacher

Scénographie et accessoires
Loïse Beauseigneur
Valentine Lê
Costumes, habillage et maquillage
Sarah Barzic
Jeanne Daniel-Nguyen
Maquillage et perruques
Mityl Brimeur *
Lumière et régie lumière
Charlotte Moussié
en complicité avec
Vyara Stefanova *
Son, musique originale et régie son
Loïc Waridel
Musique originale
Pierre-Yves Macé *
cheffe de choeur
Manon Xardel
Régie plateau, machinerie
et cadrage vidéo
Léa Bonhomme
Vidéo et régie vidéo
Simon Anquetil
cadrage vidéo
Gabriel Dahmani
Régie générale et cadrage vidéo
Arthur Mandô
Dramaturgie
Julien Vella *
Assistanat à la mise en scène
Ivan Marquez

Peter Weiss est représenté par L’ARCHE − Agence théâtrale.
Le roman est publié aux éditions Klincksieck, 2017 (traduction de l’allemand Éliane Kaufholz-Messmer).
« À ceux qui viendront après nous », le poème représenté, écrit par Bertolt Brecht en 1938 pendant son exil, est publié dans le recueil Poèmes Tome 4 chez L’Arche Éditeur, 1966 (traduction Eugène Guillevic).
Le décor, les costumes et les accessoires sont réalisés par les ateliers du TNS.
Toutes les équipes du théâtre, de l’École et de la compagnie Le Singe ont accompagné l’ensemble du Groupe 47.
Production Théâtre National de Strasbourg

Coproduction et production déléguée Compagnie Le Singe
Avec la participation artistique du Jeune Théâtre National
Remerciements à Jean-Gabriel Périot, réalisateur du court-métrage Under Twilight (2006), musique de Patten (Groupe), qui nous a autorisé à diffuser gracieusement des images de son film.
Création le 23 mai 2023 au TNS



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